La sélection du Globule #44

– Une étude publiée par PLoS Medicine montre que, dans au moins neuf cas, les médecins du camp militaire de Guantanamo ont fermé les yeux sur la torture pratiquée par les militaires américains sur leurs détenus.

Une actualité chassant l’autre, on parle nettement moins ces jours-ci des problèmes nucléaires nippons. Pourtant, le Japon vient d’annoncer la fermeture définitive d’une autre centrale que celle de Fukushima, en raison de trop grands risques sismiques.

Après s’être installés sur les toits, les panneaux solaires pourraient bientôt tapisser lacs et étangs, nous apprend Le Monde.

– L’expérience a été conçue en 1959 mais c’est seulement cette année que l’on a pu mesurer , grâce à la sonde Gravity Probe B, que, conformément aux prédictions de la relativité générale d’Einstein, la rotation de la Terre sur elle-même  entraînait l’espace-temps avec elle.

Alors que, cette semaine, beaucoup de journaux people reviennent sur le mariage princier britannique, Faye Flam, sur son blog “Planet of the Apes”, explique pourquoi il est bon qu’un membre d’une famille royale européenne épouse une roturière : cela va apporter de la diversité génétique dans le club des têtes couronnées, qui a souvent été victime des effets de la consanguinité…

Autre histoire de génétique : si les éléphants d’Afrique et d’Asie ont des défenses de plus en plus petites, voire plus de défenses du tout, c’est peut-être en raison de la pression de sélection exercée par les chasseurs et les braconniers, qui tuent majoritairement les animaux portant le plus d’ivoire.

Le pays des singes peut être touchant, comme le montre ce joli portfolio du photographe allemand Volker Gutgesell. Il peut aussi être effrayant comme le prouve ce billet de Matt Walker, de BBC Nature Online, qui rapporte plusieurs cas d’infanticides suivis de cannibalisme chez nos cousins primates…

Time passe en revue les 20 phrases qu’on entend le plus sur les grossesses (sexe du bébé et forme du ventre, manger ou non du saumon fumé, prendre l’avion ou pas, etc.) et vous dit s’il s’agit d’info ou d’intox.

Pour finir, je ne résiste pas à la tentation de vous parler du premier arbre phylogénétique des personnages d’Heroic Fantasy (un souvenir ému de mes parties de Donjons et Dragons remonte à la surface…), où l’on voit notamment que les fées ne sont pas si éloignées que cela des vampires et que les hobbits ont plus de liens de parenté avec les ogres qu’avec les humains.

Pierre Barthélémy

 

 

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Les fleurs profitent aux dragueurs

Le véritable “Flower Power” n’est pas celui que l’on croit. Les fleurs ont le pouvoir d’alanguir le cœur des femmes et de leur inspirer des sentiments romantiques, si l’on en croit une astucieuse étude réalisée par le Français Nicolas Guéguen, professeur en sciences du comportement à l’université de Bretagne-Sud, et publiée dans la revue Social Influence. En clair, les fleurs profitent aux dragueurs.

Dans un précédent travail dont je m’étais fait l’écho dans ce blog, Nicolas Guéguen, auteur de plusieurs livres sur la psychologie de la séduction et du consommateur, avait montré que les femmes acceptaient plus volontiers un rendez-vous galant après avoir entendu une chanson d’amour. Reprenant une partie de la méthodologie employée à l’époque, le chercheur a organisé deux petites expériences pour tester la capacité des fleurs à appuyer sur le bouton “Romantisme” placé dans le cerveau de ces dames. Dans la première, il s’agissait de voir si, en présence de fleurs, des femmes trouveraient un homme plus attractif que sans l’environnement floral. 46 représentantes du beau sexe ont donc été conviées dans une pièce pour regarder, seules, pendant 5 minutes la vidéo d’un jeune homme. Dans la moitié des cas, trois bouquets de fleurs mélangeant roses, marguerites et œillets d’Inde, étaient disposés dans la pièce. Pour les 23 autres cobayes, les vases étaient vides et placés aux mêmes endroits. Après avoir regardé la vidéo, les femmes quittaient la pièce et allaient répondre à un questionnaire leur demandant, sur une échelle allant de 1 à 7, de donner leur impression sur le jeune homme. A quel point le trouvaient-elles attirant physiquement et sexuellement, et accepteraient-elles un rendez-vous avec lui. Les femmes qui avaient vu le film en présence de fleurs ont en moyenne significativement mieux noté le garçon que celles qui l’avaient visionné dans une pièce sans bouquet…

Dans la seconde expérience, on est passé de la théorie à la pratique, avec l’aide d’un complice sélectionné pour son charme. Cette fois-ci, 64 femmes ont été “testées”. Le scénario était le suivant. Comme dans la première expérience, l’échantillon était divisé en deux (un avec bouquets, l’autre sans). Là encore, chaque femme regardait, seule, une courte vidéo et, au terme du visionnage, quittait la pièce pour retrouver le fameux complice (dont elle ignorait évidemment le rôle) en présence d’une expérimentatrice censée prendre des notes. Très vite, celle-ci quittait la pièce sous un faux prétexte et laissait le couple en tête à tête. C’est à ce moment-là que l'”Adonis” jouait un petit sketch, toujours le même. D’abord un grand sourire puis deux phrases : “Je m’appelle Antoine, je te trouve très jolie et je me demandais si tu me donnerais ton numéro de téléphone. Je t’appellerai plus tard et nous pourrions prendre un verre quelque part la semaine prochaine.” Puis silence, regard charmeur et re-sourire. Si la jeune femme acceptait, Casanova-pour-la-science notait son numéro. S’il se prenait un râteau, il répondait : “Dommage. Mais bon, pas de problème.” Et re-re-sourire.

Les résultats sont plutôt éloquents. Les femmes qui avaient eu droit aux fleurs pendant le visionnage du film ont accepté la proposition à 81% (26 sur 32). A titre de comparaison, dans l’échantillon non “imprégné” par les bouquets, seulement une sur deux a donné son numéro de téléphone (16 sur 32). Aucune des 64 ne s’est doutée de l’objet véritable de l’étude. Ce qui est intéressant, c’est que, comme dans l’expérience que j’ai citée plus haut sur les chansons d’amour, les fleurs font simplement partie du décor. Elles ne sont pas mises en avant, on ne les offre pas aux sujets et elles agissent même quand on n’est plus en leur présence. Ce que l’on mesure, d’une certaine façon, c’est l’effet d’une exposition aux fleurs sur les aspects romantiques de l’humeur.

Des expérimentations sur l’influence des fleurs ont déjà été réalisées, mais dans des contextes différents. Ainsi, dans une étude publiée en 2008, des chercheurs se sont aperçus qu’en plaçant un bouquet et une petite plante verte dans la chambre de personnes venant de subir une opération de l’appendicite, celles-ci demandaient en moyenne moins d’analgésiques que les personnes dont la chambre était dépourvue de végétation. Les premières présentaient une tension artérielle plus basse ainsi qu’un rythme cardiaque moins élevé que les secondes et se sentaient moins stressées et moins fatiguées par leur hospitalisation. Dans un article de vulgarisation paru en 2010 dans le magazine Cerveau & Psycho, Nicolas Guéguen rapporte que “le psychiatre John Talbott et ses collègues de l’université de Baltimore dans le Maryland ont montré que des patients placés en institution psychiatrique pour des troubles graves, parlent davantage, restent plus longtemps au réfectoire de l’établissement et mangent plus lorsque des plantes florales (ici, des chrysanthèmes jaunes) font partie du décor. Ce détail a son importance, car de nombreux patients en institution psychiatrique mangent peu. Dès lors, les psychiatres préconisent d’installer des plantes et des fleurs pour rendre le lieu plus proche de l’environnement extérieur associé à des événements agréables, et améliorer l’état des patients et leur volonté de se nourrir.”

L’influence des fleurs semble donc bien réelle et c’est sans doute aussi pour cette raison que l’homme s’est échiné à les cultiver depuis des millénaires alors qu’elles ne se mangent en général pas. Mais par quel mécanisme cette influence se fait-elle sentir, notamment sur le plan sentimental ? Les chercheurs n’ont, pour l’heure, pas la réponse. Couleurs ? Parfum ? Conditionnement social (étant donné que les fleurs sont associées aux mariages, aux rendez-vous galants, à la Saint-Valentin, etc) ? Quoi qu’il en soit, Messieurs, la prochaine fois que vous voudrez séduire une femme, donnez-lui rendez-vous devant un magasin de fleurs qui diffuse des chansons d’amour. Et arrivez un peu en retard, mais pas trop : elle pourrait vite préférer le fleuriste.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : le succès de Globule et télescope ne se dément pas puisque le blog a battu un record de fréquentation en avril avec près de 320 000 visiteurs uniques pour plus de 400 000 pages vues. Un grand merci à vous. Dans le même temps, en mai, le Globule reste bien accroché à sa place de numéro 2 dans le classement Wikio des blogs de science.

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Comment être sûr qu’il s’agit de ben Laden ?

Ils avaient tué le “Che” et ils l’avaient montré.

Après avoir exécuté Ernesto Guevara le 9 octobre 1967, les militaires boliviens ont convié des photographes, dont Freddy Alborta, lequel a pris ce cliché qui a fait le tour du monde. Mais même si l’image était forte, elle ne prouvait cependant pas tout et les Boliviens le savaient. Ils ont donc fait ensuite trancher les mains du cadavre, les ont mises dans du formol et envoyées en Argentine, le pays natal du révolutionnaire, pour que les empreintes digitales y soient comparées. Il n’y a eu aucune ambiguïté. Epilogue de l’histoire : trente ans après la mort de Guevara, sa dépouille a été retrouvée. Elle a été identifiée par comparaison de ses dents avec un moulage réalisé à Cuba et, bien sûr, par une comparaison de son ADN.

Autant les militaires boliviens ont “bien fait les choses” pour assurer le monde que leur cadavre était bien celui du  “Che”, autant on peut avoir l’impression (et j’insiste sur ce mot : ce n’est qu’une impression), en ces premières heures qui suivent l’annonce de la mort d’Oussama ben Laden, que les Américains ne sont pas sûrs de leur coup. Et ce pour quatre raisons, que je résume en quatre questions.

1/ Où sont les images ? Il est évident qu’elles existent mais elles sont tenues secrètes pour le moment. Même si elle ne provient sûrement pas de l’armée américaine, la première photo diffusée par les médias (voir ci-dessous) est un montage grossier. Autant dire que cela commence mal, que tout le monde se demande où sont les vrais clichés et pourquoi on ne les a pas montrés.

2/ La reconnaissance faciale, c’est fiable ? Une dépêche de Reuters a rapidement annoncé que les Etats-Unis avaient “utilisé des techniques de reconnaissance faciale pour identifier le chef d’Al Qaïda”. Tout comme les empreintes digitales ou la reconnaissance de l’iris, il s’agit d’une technique biométrique. On part du principe que le corps de chacun est unique et que ses caractéristiques le sont également. L’idée est donc d’analyser le visage d’une personne et d’en mesurer les points les plus marquants comme l’écartement des pupilles et la structure osseuse, qui ne varient pas avec le temps et que la pilosité n’altère pas. Tout comme le font les logiciels travaillant sur les empreintes digitales, lesquels dressent la carte des points d’arrêt ou des carrefours des lignes papillaires, les programmes de reconnaissance faciale établissent la topographie du visage et la lisent comme un réseau de points en relation les uns avec les autres. Plus il y a de caractéristiques morphologiques, plus faible est la chance de confondre deux individus… mais plus forte est la probabilité de ne pas identifier celui que l’on cherche. Je me souviens ainsi notamment de la difficulté qu’avait eue la CIA à identifier Saddam Hussein (un personnage dont les photos ne manquaient pourtant pas) lors d’une intervention télévisée, le 20 mars 2003, après les premiers bombardements sur Bagdad. S’agissait-il du dictateur irakien ou d’un de ses prétendus sosies ? Pas si évident que cela à dire car, à l’époque, les logiciels de reconnaissance du visage n’avaient pas des performances optimales si le sujet n’était pas parfaitement face caméra et si l’éclairage était mauvais. En huit ans, la technologie s’est énormément perfectionnée et les taux d’erreurs se sont considérablement réduits. Néanmoins, on n’atteint pas encore les performances des empreintes digitales, surtout si la personne que l’on souhaite identifier a pris une balle dans la tête qui lui a fait éclater les os du crâne… Si jamais l’identification du cadavre du commanditaire des attentats du 11-Septembre ne devait tenir qu’à cela, il y aurait beaucoup de chances que le doute subsiste longtemps.

3/ En attendant l’ADN ? Comme on a pu le dire récemment sur le site de Slate au sujet des corps de la famille Dupont de Ligonnès, la méthode reine pour l’identification de quelqu’un, dans les séries policières et dans la vraie vie, est celle de l’ADN. Comment cela fonctionne-t-il ? Hormis chez les vrais jumeaux qui ont le même matériel génétique, l’ADN de chacun est en quelque sorte sa signature biologique unique. Bien que tous les humains partagent une grande partie de ce matériel (et c’est pourquoi ils font tous partie de la même espèce), certaines séquences sont spécifiques à chacun. Ce sont ces séquences-là que l’on compare. En ayant le corps d’Oussama ben Laden, les Américains ont de quoi faire autant de tests ADN qu’ils le veulent. A condition d’avoir un point de comparaison fiable : d’autres échantillons de ben Laden ou ceux de parents proches. Pour schématiser, il faut prendre quelques cellules de la dépouille ; les placer dans un produit qui en brisera la membrane et permettra d’extraire l’ADN contenu dans le noyau cellulaire ; multiplier les séquences spécifiques de l’ADN grâce à une méthode de biologie moléculaire nommée réaction en chaîne par polymérase ; analyser un nombre suffisant de ces séquences pour que la probabilité statistique de confondre deux personnes tombe aux alentours de zéro. En général, il faut environ 24 heures pour réaliser l’ensemble de ces opérations, dont beaucoup sont automatisées. Il est néanmoins possible d’aller plus vite en cas d’urgence. Mais les Américains sont-ils pressés de confirmer ou veulent-ils tout vérifier deux fois pour être sûrs ? Si la Maison Blanche annonce dans les prochaines heures que l’analyse ADN confirme l’identification d’Oussama ben Laden, cela devrait suffire et il ne devrait pas y avoir de point n°4 à ce billet.

4/ Sauf que. Où est le corps ? “Vae victis”, disait-on jadis. Et, de Vercingétorix à Che Guevara, on a une longue tradition d’escamotage des cadavres des vaincus, souvent pour éviter que leur tombeau ne devienne un lieu de pélerinage et pour limiter leur glorification post-mortem. Mais, dans un monde où les théories du complot se créent plus vite que ne s’enflamme une traînée de poudre, la meilleure preuve de la mort de ben Laden reste son cadavre, et la possibilité pour des experts indépendants de prélever des échantillons et de mener leurs propres analyses ADN. Cependant, comme le raconte le New York Times, la dépouille du chef d’al-Qaida a été immergée en mer. Il n’y avait sans doute pas meilleur moyen pour entretenir le doute sur la réalité du décès de ben Laden.

Quand on sait que certains croient que l’homme n’est pas allé sur la Lune alors que nous détenons des quintaux et des quintaux de cailloux lunaires qui ne sont pas venus à pied, quand on sait que certains pensent qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001, alors qu’on a retrouvé l’ADN de la plupart des passagers et membres d’équipage du vol 77 dans les décombres, on voit quel poids peuvent avoir les preuves scientifiques face aux complotistes modernes.

Pierre Barthélémy

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