Offensive anti-IVG aux Etats-Unis

Depuis le succès des Républicains en 2010 aux élections américaines de mi-mandat, le mouvement “pro-life”, c’est-à-dire anti-avortement, a lancé une offensive de grande envergure. Un millier de mesures ont été prises, au niveau des états ou au niveau fédéral, pour restreindre le droit ou l’accès à l’avortement. Voici les trois dernières actions en date.

Dans l’Indiana, tout d’abord, le gouverneur républicain Mitch Daniels a signé, mardi 10 mai, une loi empêchant le Planning familial de son état de toucher des fonds fédéraux, qui constituent 20% de son budget, alors même que les interruptions volontaires de grossesse (IVG) ne représentent que 3% de son activité. Le gouverneur Daniels a clairement exposé les termes du chantage : “Toute organisation concernée par cette disposition pourra de nouveau recevoir les dollars du contribuable en cessant les avortements ou en se séparant de la partie qui les réalise.” M. Daniels est considéré comme un candidat possible aux primaires républicaines pour l’élection présidentielle américaine de 2012.

Deux jours plus tard, le 13 mai, les législateurs du Kansas, état dont le gouverneur Sam Brownback est lui aussi un républicain anti-avortement, ont voté une loi interdisant aux compagnies d’assurance de proposer des contrats généralistes couvrant les frais des IVG. Seule exception à la règle : que la vie de la patiente soit en danger. Autrement, les femmes voulant se faire rembourser ces frais devront souscrire un contrat spécifique… Sam Brownback, qui veut instaurer une “culture de la vie”,  a déjà donné son aval à des lois imposant des restrictions aux avortements tardifs et exigeant des médecins d’obtenir l’autorisation des parents avant de pratiquer une IVG sur une mineure. La discussion sur le budget de cet état a également amputé de 300 000 dollars les ressources allouées au planning familial. Encore une fois, ce sont les familles à faibles revenus qui seront pénalisées. La nouvelle stratégie des pro-life est donc claire : frapper les femmes qui veulent avorter au porte-monnaie, pour forcer les plus pauvres à renoncer à l’IVG, ce qui fera autant de vies de “sauvées”. La démocrate Annie Kuether, membre de la chambre des représentants du Kansas, a déclaré à l’agence Associated Press : “Il y a clairement là un message disant que les femmes sont quantité négligeable. Je suis écœurée et fatiguée d’être traitée comme un citoyen de deuxième classe.” Pour rappel, c’est au Kansas qu’il y a deux ans, le 31 mai 2009, le médecin George Tiller a été tué d’une balle dans la tête alors qu’il était à l’église. Parce qu’il pratiquait des avortements dits tardifs, mais néanmoins légaux.

Dernière attaque en date contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse aux Etats-Unis : à Washington, la chambre des représentants à voté la semaine dernière un amendement qui, s’il est approuvé par le Sénat et si le président Obama n’y met pas son veto, empêchera tout centre médical assurant la formation des professionnels de santé de recevoir des fonds fédéraux s’il enseigne les techniques d’avortement. Pour que les avortements s’arrêtent, plus besoin de tuer ou d’intimider les gynécologues-obstétriciens qui pratiquent des IVG, il suffit de ne plus les former…

Suite à cette nouvelle offensive anti-IVG, le site Salon.com a publié une lettre-témoignage intitulée : “Comment l’avortement m’a sauvé la vie”. Je la conseille à tous ceux qui lisent l’anglais et, pour les autres, j’en ai traduit de larges extraits ci-dessous. Son auteur s’appelle Mikki Kendall. Elle est mariée, a deux enfants, a déjà fait deux fausses couches, et elle raconte comment, alors qu’elle était enceinte de 20 semaines, une troisième fausse couche a bien failli la tuer. Son médecin l’avait avertie que c’était une grossesse à risque, mais son mari et elle avaient décidé de tout faire pour que cela se passe au mieux. Mais un jour, Mikki Kendall se met à saigner : elle est victime d’un décollement placentaire. Elle se rend dans un hôpital de Chicago, troisième plus grande ville des Etats-Unis. “Tout le monde savait que la grossesse ne pourrait être menée à terme étant donné la quantité de sang que je perdais, mais il a quand même fallu des heures pour que quelqu’un, à l’hôpital, fasse quelque chose. Le médecin de garde ne pratiquait pas d’avortements. Du tout. Jamais. En fait, aucune des personnes qui étaient de garde cette nuit-là n’en pratiquait. Pendant que j’attendais, une fournée ignorante d’étudiants s’était rassemblée pour m’étudier – un m’a carrément montré l’échographie de notre enfant mourant en me demandant si c’était une grossesse désirée. Plusieurs ont voulu m’examiner alors que j’étais alitée en train de saigner et de souffrir. (…) Une très gentille infirmière a risqué son poste en appelant une femme médecin de la Reproductive Health Clinic, qui n’était pas de garde, et lui a demandé de venir pour me sauver la vie.”

“Quand elle est arrivée, poursuit Mikki Kendall, j’allais très mal. L’hémorragie m’avait rendue presque incohérente, mais elle m’a quand même transférée dans une autre aile et m’a donné les antalgiques que personne d’autre ne m’avait fournis pendant les heures où j’avais crié. (…) Plus tard, j’ai découvert qu’elle avait pris mon mari à part alors qu’on m’amenait au bloc opératoire. Elle lui a promis qu’elle ferait de son mieux pour me sauver mais elle l’a averti qu’il était fort possible qu’elle échoue. Le médecin qui ne faisait pas d’avortements aurait dû la contacter immédiatement, elle ou toute personne capable de pratiquer l’intervention. Il ne l’avait pas fait. Ses étudiants non plus. Il paraît qu’il y avait eu un problème de communication et qu’ils pensaient qu’elle avait été prévenue, mais j’en doute. J’ignore si les objections de cet homme étaient d’ordre religieux ou pas ; tout ce que je sais, c’est que quand une femme perdant son sang lui a été amenée pour qu’il la soigne, il a refusé de faire la seule chose qui aurait stoppé l’hémorragie. Parce qu’il ne pratiquait pas les avortements. Jamais. Mes deux enfants à la maison ont failli perdre leur mère parce que quelqu’un a décidé que ma vie valait moins que celle d’un fœtus qui allait mourir de toute façon. (…) Après que ma famille a appris que j’avais eu recours à un avortement, j’ai reçu le coup de téléphone d’un(e) cousin(e) qui ressentait le besoin de me dire que j’avais eu tort d’intervenir dans le plan de Dieu. Et à ce moment-là, j’ai compris exactement quel genre de personnes jugeaient les choix de reproduction d’une femme.”

Un dernier mot, à ce sujet précisément. Au cours du débat sur l’adoption de la loi au Kansas dont j’ai parlé plus haut, la républicaine Barbara Bollier, pro-IVG malgré son appartenance politique, a demandé combien de temps avant une grossesse non désirée ou un viol les femmes devaient souscrire les contrats d’assurance pour se faire rembourser les frais de l’avortement. Un de ses “amis” républicains, Pete DeGraaf, lui a répondu ceci : “Il faut être prévoyant dans la vie, n’est-ce pas ?” Avant d’ajouter : “J’ai une roue de secours dans ma voiture.” Bien sûr, tomber enceinte après s’être fait violer, c’est comme crever un pneu de son auto, ça doit forcément vous arriver un jour ou l’autre, il faut s’y préparer et prévoir quelques frais. Un discours de macho ? Pas que. C’est dans la droite ligne des déclarations faites par une femme, Sharron Angle, républicaine elle aussi et candidate malheureuse au poste de sénateur du Nevada en 2010. Celle-ci s’était déclarée farouchement opposée à l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste, parce que ce serait aller contre les plans de Dieu.

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #47

Le protocole de Kyoto sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre prend fin en 2012. Mais son remplaçant n’est pas sûr de voir le jour : les Etats-Unis, le Japon, le Canada et la Russie ne veulent pas d’un nouvel accord contraignant. Le réchauffement climatique a de très beaux jours devant lui.

– Mon ancien collègue du Monde, Jérôme Fenoglio, est retourné au Japon, plus de deux mois après le tsunami meurtrier du 11 mars et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui l’a suivi. Il s’est rendu, avec le photographe Hirashi Narayama, dans les vallées et montagnes dont on croyait qu’elles seraient épargnées par la radioactivité mais qui, en réalité, ne le sont pas. Un portfolio bref, mais touchant. Le reportage au long cours est ici.

Selon le Muséum national d’histoire naturelle et l’Union internationale pour la conservation de la nature, plus d’un quart des oiseaux nicheurs français seraient menacés de disparition.

Si la planète Mars est si petite (un peu plus de 10 % de la masse de la Terre), c’est peut-être parce qu’elle s’est formée très rapidement et est restée ensuite dans un état embryonnaire.

Le New York Times raconte l’émouvante destinée post-mortem de Julio Garcia, mort en 2010, dont les organes ont été transplantés dans les corps d’au moins 8 personnes (on ignore si les cornées on été données à une ou deux personnes). Un an après, sa famille a rencontré une partie des receveurs.

Toujours dans le NYT, l’incroyable histoire de deux sœurs siamoises reliées par le crâne, les Canadiennes Krista et Tatiana Hogan. Incroyable parce que les cerveaux des deux fillettes semblent eux aussi reliés : ce que l’une perçoit, l’autre le ressent…

Comment la police scientifique britannique a, plus de vingt ans après les faits, résolu deux doubles meurtres.

– Les rennes de l’Arctique peuvent voir dans la partie UV du spectre électro-magnétique, qui est inaccessible à l’œil humain. Peut-être une adaptation au “white-out” (un brouillard blanc des régions enneigées où la visibilité est parfois de moins d’un mètre), qui permet à ces animaux de se repérer et de détecter nourriture et prédateurs dans le blizzard.

Quand un reptile mange un insecte, cela n’émeut personne. Mais quand un insecte géant (et un seul) dévore une tortue ou un serpent, cela fait un article et l’impressionnante photo ci-dessus qui, je le précise aux sceptiques en tous genres, n’est pas truquée (crédit : Shin-ya Ohba).

Pour terminer : dans sa précédente sélection, le Globule relevait que la prédiction selon laquelle le jour du Jugement dernier tombait le 21 mai ne s’était pas avérée. La faute à une erreur de calcul, s’est excusé Harold Camping, l’auteur de la prophétie ratée. L’erreur est humaine, doivent se dire ceux qui ont dépensé tout leur argent à l’approche de ce jour fatidique. Camping a refait ses comptes et on se donne désormais rendez-vous devant l’Eternel le 21 octobre. Espérons que, cette fois, notre homme a pris une calculette. Il faut au moins ça pour annoncer l’apocalypse.

Pierre Barthélémy

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Un diamant dans l’intestin

Ce ne sont pas toujours des maladies que les chirurgiens vont extirper de l’intérieur du corps humain. Un certain nombre de corps étrangers y pénètrent, le plus souvent par l’une ou l’autre extrémité de l’appareil digestif, mais aussi par la trachée ou l’appareil génital féminin. Il n’est pas rare de découvrir, dans des revues spécialisées, des cas pour le moins délicats, tant pour le patient qui doit expliquer comment ces objets sont arrivés là que pour le médecin, qui doit estimer le risque de perforation et décider s’il faut intervenir ou bien laisser travailler la nature quand il s’agit de petits objets ingérés. Cette solution est retenue dans 80 à 90 % des cas. Il n’est pas rare de trouver des pièces de monnaie, des piles, des prothèses dentaires, des petits os ou des coquilles. Il arrive aussi aux pêcheurs d’avaler l’hameçon qu’ils tiennent entre leurs lèvres ou aux maladroits de gober leur brosse à dents. Si on avance dans l’exotisme, ce sont aussi des couverts que l’on retrouve à l’intérieur de certaines personnes qui ont la manie de manger des objets, comme cette dame qui avait avalé 78 cuillers et fourchettes. La preuve par l’image :

Le contenant, l’estomac.

Le contenu, l’argenterie. Il a fallu opérer pour la récupérer mais je ne pense pas qu’il y ait eu dépôt de plainte.

Puisqu’on est dans les radiographies, voici un autre cliché pour le moins évocateur :

Non, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’une sorte de canette et je n’ose imaginer l’embarras du monsieur qui est venu se la faire enlever à l’hôpital…

Le corps humain peut donc dissimuler bon nombre d’objets. Les narcotrafiquants (et la police) le savent depuis longtemps, avec la pratique des “mules”, qui avalent ou s’insèrent des boulettes de drogue empaquetées dans des préservatifs, comme le montrait le beau film Maria, pleine de grâce de l’Américain Joshua Marston. Le risque étant que le condom se rompe et que la mule meure d’overdose.

A tous ces exemples vient s’ajouter un nouveau cas d’école, relaté en avril par une équipe suisse dans le journal Case Reports in Gastroenterology. C’est l’histoire d’un cambriolage raté qui tourne quasiment au gag. Un agent de sécurité découvrit un voleur en train de dérober un beau diamant. Pour se défendre sans perdre le caillou, le malfrat mit la pierre dans sa bouche et l’avala, se disant sans doute que s’il s’en tirait, il finirait bien par récupérer ce Youkounkoun d’une nouvelle espèce. Mais tout ne se passa pas comme il l’espérait et ce fut la police qui, après l’avoir arrêté, se mit à guetter au trou… Ses selles furent aussi surveillées qu’une garden-party à l’Elysée. Mais le voleur avait le transit paresseux et le diamant, qui avait l’éternité devant lui, ne voulut pas se laisser évacuer. Comme le recommandent à la fois la pratique médicale et la police scientifique en cas d’ingestion d’objet dur, l’homme fut conduit à l’hôpital pour une radiographie abdominale, afin de localiser l’objet du délit :

Le diamant était bien là, quelque part dans la première partie du gros intestin. Il lui restait encore bien du chemin à parcourir avant de trouver la sortie et les médecins ne voulaient pas administrer de laxatif pour ne pas risquer de perforation intestinale. Mais la justice n’était pas patiente et la cour ordonna de récupérer la pierre précieuse. Une coloscopie fut donc pratiquée, en présence d’officiers de police, avec succès. Si l’article médical se félicite de cette première, il ne dit pas dans quel joyau ni sur quelle femme a atterri ce diamant que la médecine est allée chercher dans des entrailles…

Pierre Barthélémy

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Les vins chers sont-ils meilleurs ?

 

Les fidèles de ce blog se souviennent peut-être qu’il y a quelques semaines, j’ai déménagé. A Cognac. Ce qui amuse beaucoup de mes amis, qui savent que je ne bois pas une goutte d’alcool. Il n’empêche. Que l’on apprécie ou pas les produits de la vigne (ou de toute sorte de fermentation, macération ou distillation), il existe ici un lieu fascinant : la Cognathèque. Fascinant car il s’agit d’un véritable petit musée du cognac mais aussi parce que le prix de certaines bouteilles dépasse l’entendement comme la Beauté du siècle : 179 400 euros pour 70 centilitres. On trouve évidemment des tarifs nettement plus raisonnables mais, à catégorie équivalente, les prix peuvent varier du simple au triple.

Un profane tel que moi, qui ne s’intéressera jamais au contenu de ces bouteilles, sait tout de même qu’on achète une qualité et une marque. Mais, en matière de boissons, n’achèterait-on pas aussi un prix ? La question pouvant sembler saugrenue, je m’explique. La consommation de vin, par exemple, étant a priori un acte de plaisir, quel impact a le prix de la bouteille sur ce plaisir ? A quel point une “bonne bouteille” est-elle une bouteille qui a coûté cher ? Pour le dire autrement, les vins chers sont-ils meilleurs parce qu’ils sont chers ? Une étude publiée en 2008 dans les Proceedings de l’Académie des sciences américaine  a apporté une réponse qui fera avaler de travers certains œnologues et jubiler les spécialistes du marketing. L’expérience qui y est présentée part d’une hypothèse simple : les consommateurs corrèlent la qualité avec le prix. Vingt cobayes âgés de 21 à 30 ans ont donc été placés dans un appareil à IRM (imagerie par résonance magnétique) pendant qu’on leur faisait tester cinq vins, qu’ils devaient noter sur une échelle allant de 1 à 6 (1 quand ils n’aimaient pas, 6 quand ils croyaient avoir goûté à la dive bouteille). Entre chacune des cinq dégustations, ils se rinçaient la bouche avec une solution au goût neutre. Pendant tout ce temps, l’IRM mesurait les zones cérébrales activées.

Chaque vin était identifié, non pas avec son nom, mais avec le prix auquel il avait été acheté (ce qui ne choque pas vraiment aux Etats-Unis). L’astuce de l’expérience, c’est qu’il n’y avait pas cinq bouteilles différentes, mais seulement trois. La première, la moins chère dans le commerce, était présentée avec son vrai prix (5 $) et avec un prix fictif représentant une augmentation de 800 % (45 $). La deuxième, placée dans l’expérience pour faire diversité et diversion, valait 35 $. Quant à la troisième, elle était elle aussi dédoublée, présentée à son prix réel de 90 $ mais aussi avec une décote de 89% à 10 $. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Les notes suivirent exactement l’échelle des prix, comme le montre le graphique ci-dessous extrait de l’étude : la “piquette” à 5 $ était nettement plus appréciée quand elle était censée en valoir 45 et le “bon cru” à 90 $ avait comme un goût de vinaigre lorsqu’il n’en valait plus que 10… A peine mieux noté que la solution de rinçage. Et le cerveau dans tout ça ? Une zone du cortex orbito-frontal associée au plaisir sensoriel était plus irriguée lorsque le testeur avait le vin à 90 $ en bouche que lorsqu’il goûtait au vin à 10 $, alors qu’il s’agissait de gorgées venant de la même bouteille !

Connaître le prix de ce que l’on boit pilote notre jugement sur la qualité du produit, ainsi que le plaisir que l’on tire à déguster la boisson. Cet effet du prix a été démontré dans d’autres études dont une, retentissante, qui a été publiée en 2005 dans le Journal of Marketing Research. Dans une des expériences que relate cet article, les chercheurs ont demandé à des cobayes d’avaler un de ces breuvages censés donner un coup de fouet aux  capacités intellectuelles, puis de résoudre un maximum d’anagrammes en un temps donné. On a au préalable demandé aux participants s’ils croyaient que ce genre de mixture avait un effet véritable et cela a son importance pour la suite de l’expérience. Chacun a eu la même boisson et devait la payer de sa poche au laboratoire de recherche. Simplement, pour certains, le formulaire de prélèvement bancaire à signer expliquait que le laboratoire avait eu un prix de gros pour la boisson (0,89 $ au lieu de 1,89 $) tandis que, pour les autres, seul le prix normal de 1,89 $ était indiqué.

Quels ont été les résultats ? A la lumière de ce que j’ai raconté plus haut, vous ne serez pas surpris de lire que les cobayes ayant eu droit à la ristourne ont réussi à résoudre moins d’anagrammes que ceux ayant payé le prix fort et qu’un groupe témoin. Comme si le fait d’avoir payé moins cher un produit censé booster votre cerveau en amoindrissait les qualités voire vous handicapait. Le plus amusant (et le plus logique) de l’histoire, c’est que cet effet nocebo (le contraire de l’effet placebo) était nettement plus marqué chez ceux qui croyaient à l’efficacité de la boisson que chez les sceptiques. Ainsi, chez les convaincus, les bénéficiaires du prix de gros n’avaient résolu que 5,8 anagrammes contre 9,9 pour les autres et 9,1 pour le groupe témoin. Chez les sceptiques, l’écart était moindre, mais quand même réel, avec 7,7 anagrammes résolues contre 9,5.

Que nous disent ces études ? Que le prix joue inconsciemment sur les attentes des consommateurs. En payant le prix fort, vous vous attendez à de la qualité et votre cerveau va se débrouiller pour que vous la retrouviez lorsque vous dégusterez le contenu de votre bouteille. En déboursant moins, vous dévaluez inconsciemment le produit, vos attentes à son sujet sont moins élevées et le plaisir/bénéfice que vous en tirez est moindre. Les spécialistes du marketing, qui connaissent la psychologie, disent que le prix fait le produit. Et peut-être plus que les qualités intrinsèques du vin.

Pour s’en convaincre définitivement, me direz-vous, il faudrait juste faire une expérience à l’aveugle et goûter, sans en connaître ni le prix, ni l’origine, ni le millésime, différents vins pour savoir si les plus chers sont bien les meilleurs. Eh bien, cette expérience a été faite aux Etats-Unis sur une grande échelle puisque plus de 500 personnes âgées de 21 à 88 ans ont participé à 17 dégustations à l’aveugle, notant 523 vins allant de 1,65 $ à 150 $ la bouteille. Soit un total de plus de 6 000 notes distribuées. Les résultats de l’étude me plaisent assez, moi pour qui tous les vins ont le même goût et la même odeur : “Nous trouvons, écrivent ses auteurs, que la corrélation entre le prix et l’appréciation globale est petite et négative. A moins d’être des experts, en moyenne, les individus apprécient légèrement moins les vins plus chers.” Un conseil : si vous cassez votre tire-lire en achetant une bouteille pour des amis, laissez le prix dessus. Et si vous choisissez du vin bas de gamme parce que vous êtes rapiat, prélevez une étiquette sur une bouteille beaucoup plus chère et collez-la sur votre picrate.

Pierre Barthélémy

 

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La sélection du Globule #46

– En concluant que le rythme de disparition des espèces était réel mais surestimé, une étude publiée dans Nature crée une polémique sur l’érosion de la biodiversité.

La Chine reconnaît que le barrage des Trois Gorges, le plus grand du monde, pose un certain nombre de problèmes humains (le sort du 1,3 million de personnes déplacées reste à améliorer) et environnementaux (comme des glissements de terrain, de la pollution ou un manque d’eau en aval). Pékin a annoncé un plan contre ces effets indésirables, explique Le Monde.

– Les climatosceptiques mettent souvent en avant les “centaines” d’études scientifiques allant dans leur sens pour dire que le consensus parmi les scientifiques n’est pas aussi général qu’on veut bien le dire. Le blog The Carbon Brief a réalisé une analyse de ces articles, pour s’apercevoir que 20 % d’entre eux étaient l’œuvre de seulement 10 personnes et que, sur ces 10 auteurs les plus prolifiques, 9 étaient liées… au pétrolier ExxonMobil. Autre enseignement, les climatosceptiques embrigadent contre leur gré un certains nombre de chercheurs dont le travail va en réalité dans le sens du réchauffement climatique. Mécontents, ceux-ci leur demandent ensuite d’être retirés de leurs références… en vain la plupart du temps. Enfin, 15% des articles sont publiés dans Energy and Environment, un journal dont les articles ne sont pas tous revus par des pairs, contrairement à la règle des revues scientifiques. Une analyse qui montre bien sur quels ressorts fonctionne le climatoscepticisme.

– Dix planètes sans étoiles viennent d’être découvertes, rapporte Le Figaro en citant un travail publié dans Nature. Ces orphelines ont probablement été éjectées des systèmes solaires où elles se sont formées.

– Toujours dans le cosmos, une nouvelle méthode confirme l’existence de la mystérieuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers. Mais on en n’a pas identifié sa nature pour autant…

Avec la mort d’Oussama ben Laden puis l’affaire DSK, on en aurait presque oublié le Japon et les conséquences nucléaires du tsunami du 11 mars. A Fukushima, la situation ne s’améliore pas.

Pour rester dans le monde de l’atome, Interpol vient de lancer une unité de prévention du terrorisme radiologique et nucléaire.

– Une étude britannique révèle qu’à force de passer beaucoup de temps devant les écrans, les enfants d’aujourd’hui sont moins musclés et incapables de réaliser certaines tâches physiques que les générations passées effectuaient.

– Pour terminer (mais pas définitivement…) : ce samedi 21 mai devait être, selon certains, le jour du Jugement dernier. “Caramba ! Encore raté !”, pourrait-on s’exclamer en plagiant le perroquet moqueur de l’Oreille cassée. “Encore”, parce que ce jour du Jugement dernier a été annoncé bien des fois. Petite liste de cinq prédictions erronées.

Pierre Barthélémy

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Scandales sexuels chez les manchots

Je suis un peu jaloux de mes confrères journalistes qui, sous prétexte que l’actualité est aux frasques des uns ou des autres, trempent leurs plumes dans une encre glauque, celle avec laquelle on écrit des canards au sexe, comme jadis on faisait des canards au sang en mettant les faits divers les plus horribles à la “une” : ça fait vendre. Voulant, tout comme eux, ma part d’audience, je vais me complaire dans le stupre et dénoncer les scandales sexuels qui entachent le continent blanc.

Il s’en passe de belles chez les manchots Adélie. Sous leurs dehors de petits couples fidèles, bien mis en livrée noire et blanche, deux enfants par foyer comme papa et maman, se cachent des mœurs pas très avouables, dévoilées dans une étude publiée en 1998 par The Auk, revue scientifique d’ornithologie. Monogames, ces oiseaux qui ne volent pas profitent du court été de l’Antarctique pour se reproduire. A cette fin, le mâle et la femelle commencent par construire un nid au sol, avec des petits cailloux. Cette plateforme permettra de tenir les deux futurs œufs au sec quand la glace fondra. Mais, que ce soit en Terre Adélie où j’ai pris la photo ci-dessus ou dans les autres colonies situées sur le pourtour du continent, ces cailloux sont rares et valent de l’or.

Que ne ferait-on pas pour en avoir plus ! Ceux qui osent en chiper dans le nid du voisin sont poursuivis, insultés copieusement et se prennent des roustes à grands coups de bec et d’ailerons. Certaines femelles ont donc mis au point une stratégie que d’aucuns qualifient de prostitution. Les belles commencent par repérer un mâle solitaire. En attendant de trouver sa dulcinée et aussi dans le but de l’attirer, celui-ci a bâti son nid d’amour. Arrive une femelle. Elle est déjà en couple mais comme les manchots ne portent pas d’alliance et n’ont ni livret de famille ni attestation de pacs, il est difficile de le savoir. Petite séance de drague, bonjour bonjour, vous êtes charmant, vous jouez en équipe de France de foot ? Et, ni une ni deux, la femelle s’allonge sur le ventre, sous le bec du mâle qui se dit que son jour de chance est venu. S’ensuit ce que vous imaginez, scène qui a été censurée dans Happy Feet.

Et là, la femelle se relève, prend un caillou pour sa peine et retourne compléter son nid où l’attend son cocu, son régulier ou son proxénète, cela dépend des points de vue. Il arrive d’ailleurs souvent que la belle revienne sur les lieux de son aventure extra-conjugale pour chercher une seconde pierre (mais sans repasser à la casserole), comme si le tarif était “un coup=deux cailloux, mon chou”… Les auteurs de l’étude ont même observé une femelle prélever son écot pas moins de dix fois : donne-moi ton portefeuille, je me sers, ça ira plus vite. A chaque fois, le mâle laisse faire sans râler, sans doute content de la chance qui lui a été donnée de perpétuer ses gènes sans avoir à élever les gosses ! Les auteurs de l’étude se demandent si tout le monde n’est pas gagnant dans l’histoire : le couple parce qu’il a récupéré des cailloux pour son nid, et donc augmenté les chances de survie de sa future couvée, le mâle solitaire parce que, même délesté de quelques galets, il va peut-être avoir une descendance à bas prix.

Mais il y a mieux. Certaines oiselles de petite vertu viennent se promener autour du “pigeon”, engagent la séance de flirt, bonjour, bonjour, on ne vous a jamais dit que vous devriez être président du conseil en Italie ? Cependant, au lieu de s’allonger, elles se contentent de prendre un caillou sous les yeux du gogo qui reste sans réaction, comme s’il était normal de payer pour avoir eu l’espoir de trouver chaussure à son pied. Les chercheurs ont observé ce comportement avec dix femelles différentes mais une d’entre elles a particulièrement attiré leur attention car elle a, en une heure de temps, piqué 62 pierres dans le nid de son naïf, sans que celui-ci lève le petit aileron, pour aller les mettre dans le sien qui devait forcément se trouver à proximité…

Cela dit, cette stratégie comporte quelques risques. On ne vient pas toujours impunément émoustiller le mâle, surtout quand il sort juste de l’océan glacial Antarctique. En de rares occasions, les ornithologues ont vu ce dernier sauter sur la femelle lorsque celle-ci s’est baissée pour prendre le caillou. A-t-il confondu la posture de dame manchot avec le salut qui précède la copulation ? A-t-il pris cette intrusion dans son territoire pour une invitation à l’acte sexuel ? Le fait est qu’à chaque fois, la femelle s’est débattue et n’a pas laissé le bougre venir à bout de son entreprise.

Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : rien à voir avec ce qui précède, mais j’informe ceux que cela intéresse que je parlerai du mystérieux manuscrit Voynich, jeudi 19 mai, dans l’émission de Jacques Pradel sur RTL intitulée L’heure du crime. C’est entre 14 et 15 heures.

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L’US Army voulait dresser des corbeaux à trouver ben Laden

Pendant la décennie qu’a duré la traque d’Oussama ben Laden, finalement tué au Pakistan le 2 mai, les Etats-Unis ont tenté par d’innombrables moyens de localiser l’instigateur des attentats du 11-Septembre. Une des pistes étudiées est pour le moins étonnante puisqu’il s’agissait de… dresser des corvidés à reconnaître le responsable d’al-Qaïda. A l’époque des drones et autres satellites espions, se faire aider par des oiseaux pourrait paraître particulièrement saugrenue à qui ne connaît pas les talents singuliers des corbeaux et corneilles. Comme le montre la vidéo ci-dessous (en anglais mais des sous-titres en français sont disponibles), ces animaux possèdent un sens de l’adaptation surprenant, savent fabriquer des outils, disposent d’une excellente mémoire, communiquent entre eux et… sont très physionomistes :

 

John Marzluff est chercheur et enseignant à l’université de l’état de Washington. Il étudie les corvidés depuis plus de deux décennies et, il y a quelques années de cela, il s’est aperçu que des oiseaux sur lesquels son équipe travaillait semblaient reconnaître certains chercheurs en particulier. Pour vérifier que c’étaient bien les visages que ses volatiles préférés différenciaient (et non pas les vêtements, la silhouette, la démarche ou toute autre caractéristique humaine), John Marzluff a eu l’idée d’une expérience : avec deux de ses étudiants, ils allaient porter des masques de caoutchouc. Un masque d’homme des cavernes quand ils captureraient et bagueraient les corneilles d’Amérique, actes que les oiseaux prendraient comme une agression, un masque de l’ancien vice-président américain Dick Cheney le reste du temps.

Les “hommes des cavernes” attrapèrent sept corneilles sur le campus de l’université à Seattle. Au cours des mois qui suivirent, des masques furent distribués à des volontaires qui ne devaient rien faire d’autre que de se promener en suivant un itinéraire bien défini, sans déranger les corbeaux. Comment ceux-ci allaient-ils réagir en voyant déambuler leur “tortionnaire” ? Le reconnaîtraient-ils ? La réponse fut oui, au-delà de toute espérance. Non seulement, les corneilles qui avaient été prises se mirent à croasser vigoureusement en présence des hommes des cavernes quels que fussent l’âge, le sexe, la corpulence de la personne affublée du masque, mais, pendant les deux ans et demi qui suivirent, l’effet s’amplifia. A la fin de l’expérience, ce n’étaient plus les sept corneilles du départ qui harcelaient les hommes des cavernes, mais 47 des 53 corvidés présents sur le campus ! Les premiers oiseaux avaient renseigné leurs congénères, qui étaient capables de reconnaître l’ennemi même lorsqu’il portait un chapeau voire le masque à l’envers… Pendant ce temps, “Dick Cheney” ne provoquait aucune réaction spécifique. Après ce premier test, John Marzluff utilisa des masques plus réalistes fabriqués par un professionnel, avec les mêmes résultats.

Ceux-ci furent publiés dans la revue Animal Behaviour en 2010. A cette époque, le chercheur avait déjà cessé de recevoir un financement de… l’armée américaine. Comme le chercheur l’a expliqué à OPB News, les militaires l’avaient contacté quelques années plus tôt pour savoir si les corbeaux et corneilles présents en Afghanistan pouvaient les aider à localiser Oussama ben Laden ou bien des soldats isolés derrière les lignes ennemies. A la lumière des expériences qu’il a menées, John Marzluff est désormais persuadé que ces oiseaux auraient pu être utiles : “Ils ont une mémoire à long terme, des capacités très fines à établir des distinctions entre les personnes, et si un groupe de corbeaux avait appris à reconnaître ben Laden comme un ennemi, ils auraient certainement indiqué sa présence quand ils l’auraient vu.”

L’US Army n’a pas eu la patience d’attendre les résultats de John Marzluff. Pour trouver celui qui fut l’ennemi public numéro un des Etats-Unis, elle a eu recours à d’autres méthodes, plus éprouvées… où certains indicateurs s’appellent aussi des corbeaux.

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #45

Il y a trente-cinq ans, en 1976, au terme d’une sécheresse exceptionnelle, la France avait instauré un impôt non moins exceptionnel pour aider les agriculteurs. Trois décennies et demie après, suite à un début d’année particulièrement sec, la question se pose de nouveau. Cet impôt n’est officiellement pas à l’ordre du jour, du moins pour le moment

– Du côté du Mississipi, c’est le contraire de la France, il y a trop d’eau. Des crues catastrophiques qui, selon certains, étaient prévisibles tellement l’homme a modifié l’environnement du fleuve.

– C’était la nouvelle paléoanthropologique de la semaine : des hommes de Néandertal auraient vécu dans le grand nord sibérien il y a 28 000 ans, à l’époque où il est censé s’être éteint. Cette région du monde semble décidément être l’ultime refuge des grands symboles de la préhistoire car c’est aussi là que les derniers mammouths se sont retrouvés avant de disparaître de la surface de la planète.

Quelle sera la prochaine grande mission de la NASA dans le système solaire ? De la géophysique sur Mars, une sauterelle robotisée sur une comète ou un vaisseau sous-marin allant explorer les océans d’hydrocarbure de Titan, un satellite de Saturne ? Toutes les trois sont palpitantes mais une seule sera choisie

Beaucoup de chercheurs veulent déterminer si le réchauffement de la planète, en fournissant aux moustiques les températures qu’ils aiment dans des régions de plus en plus septentrionales, favorisera la remontée du paludisme vers le nord. Pour les oiseaux et le paludisme aviaire, la réponse semble être “oui”.

Star Wars, de la science-fiction ? Plus trop, à en croire le Christian Science Monitor. Cinq des trouvailles du film nous ont rejoints dans la vraie vie : les hologrammes en 3D, un succédané de “force” (voir la vidéo ci-dessus), le traducteur automatique (qu’était C3PO), un laser (presque) aussi létal que celui de l’étoile de la mort et des protections pour les vaisseaux spatiaux… Enfin, bon, je n’ai toujours pas de vraie épée-laser.

Un petit portfolio consacré aux fourmis sur le site de la BBC : vous ne les aurez jamais vues d’aussi près !

– Pour finir : il semblerait que voir des œuvres d’art procure le même plaisir qu’être amoureux. Allons l’expérimenter dès ce soir avec la Nuit européenne des musées

Pierre Barthélémy

 

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L’Ecosse veut se chauffer au whisky

La semaine dernière, le Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste écossais, a obtenu la majorité absolue au Parlement d’Edimbourg. Et, dans l’élan de cette victoire, son leader, Alex Salmond, qui est déjà premier ministre d’Ecosse depuis 2007, a promis d’ici cinq ans un référendum sur l’indépendance de ce pays constitutif du Royaume-Uni (avec l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord). Mister Salmond aime beaucoup l’indépendance puisqu’il en vise une autre, énergétique celle-là. En septembre 2010, il s’est fixé un objectif ambitieux : 80% de l’électricité issus d’énergies renouvelables d’ici à 2020. Quelques jours plus tard, il a ajouté que 100% en 2025 étaient possibles.

Cela peut sembler présomptueux mais il faut tout de même dire que l’Ecosse a quelques atouts dans le domaine. Tout d’abord un gros potentiel éolien, que ce soit dans les terres ou offshore. Tellement gros qu’il a fallu, pendant quelques heures au mois d’avril, couper six fermes éoliennes (et dédommager leurs exploitants) parce qu’en raison des forts vents, les “moulins” produisaient trop par rapport à la capacité d’absorption du réseau électrique ! Ensuite,  ce pays maritime souhaite exploiter l’énergie véhiculée par les océans (vagues, courants, marées) avec des hydroliennes. Plusieurs machines ont été et vont être testées au Centre européen des énergies marines, qui est situé… en Ecosse. Enfin, dans la panoplie des énergies renouvelables, il y a la biomasse.

Pour mettre mes gros sabots dans un bon vieux cliché, j’écrirai que penser à l’Ecosse, c’est certes penser à Nessie, mais surtout au whisky. Quel rapport avec l’énergie de la biomasse ? D’aucuns riront en lançant que cette boisson alcoolisée réchauffe et ils ne croiront pas si bien dire. Comme l’a annoncé The Guardian dans un article paru la semaine dernière, le dernier projet d’énergie renouvelable made in Scotland est une petite centrale (7,2 mégawatts) qui fournira chaleur et électricité en brûlant les résidus de la fabrication du whisky mélangés à des copeaux de bois. De quoi alimenter 9 000 foyers. Si tout va bien, cette unité entrera en production en 2013. Elle sera implantée dans le Speyside, où se concentrent plusieurs dizaines des quelque cent distilleries écossaises. Pour que le projet soit intéressant sur le plan du bilan carbone, il faut que le transport de la matière première soit réduit au maximum afin de limiter les émissions de  CO2 : la centrale n’accueillera donc que les déchets provenant de seize distilleries proches, toutes situées dans un rayon de 40 kilomètres.

Puisqu’on parle de camions, le whisky et ses résidus de production intéressent aussi le secteur du transport. Ainsi, en 2010, des chercheurs écossais de l’université Napier à Edimbourg ont déposé un brevet pour un agrocarburant fabriqué à partir des déchets de l’industrie du whisky. L’idée consiste à les transformer en butanol, que l’on mélangerait à l’essence ou au gazole, le butanol présentant l’avantage d’être plus énergétique que l’éthanol, le plus connu des “carburants verts”. Au bout du compte, avec un carburant issu de la fabrication du whisky, l’expression “un dernier verre pour la route” pourrait retrouver une deuxième jeunesse…

Pierre Barthélémy

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Ces lieux mystérieux où la gravité s’inverse

Certaines histoires donnent à réfléchir. Celle qui suit en fait partie. Il y a quelques années, l’Américain Brian Dunning et son ami John Countryman exploraient la Gunsight Mine, une mine abandonnée en Californie, non loin de la vallée de la Mort. Etant donné que certains passages semblaient dangereux, ils se contentèrent de progresser dans trois des nombreux niveaux de la mine. Au bout d’un moment, les deux hommes s’arrêtèrent pour déjeuner. Pressentaient-ils que l’endroit avait quelque chose d’étrange ? Quoi qu’il en soit, ils tournèrent une vidéo : on y voit Brian ramasser des gravillons, se relever et tenir les petits cailloux à un bon mètre du sol puis, doucement, ouvrir la main. Au lieu de retomber par terre, les graviers s’envolèrent vers le plafond de la mine.

Une fois rentré chez lui, Brian Dunning posta cette vidéo sur Youtube, où elle se retrouva rapidement dans la catégorie des anomalies gravitationnelles aux côtés de ces films étranges où, dans ce qui est apparemment une descente, la voiture au point mort remonte la pente, comme ici, sans qu’il y ait le moindre trucage :

Il semble qu’il existe plusieurs collines de ce genre dans le monde, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, aux Philippines, au Ladakh, etc. Elles sont généralement dotées de noms pittoresques comme Gravity Hill ou Magnetic Hill et, comme dans la série Fringe, il semble que le continuum spatio-temporel y éprouve quelques faiblesses. Pour en revenir à la vidéo de Brian Dunning, il s’agissait évidemment d’une farce, la caméra et la main ayant été retournées pour faire croire à une inversion de gravité. Mais les internautes ne l’ont pas tous interprétée comme une blague de potache. Comme l’explique Brian Dunning sur son site Skeptoid.com, consacré à la démystification des “phénomènes paranormaux”,“des gens intelligents ont commencé à m’envoyer des courriers électroniques me demandant s’il y avait quelque phénomène magnétique ou un fort vent dans la mine.” Sans le savoir, ce chercheur en informatique avait tendu un ressort très puissant qui fait que notre cerveau va chercher des causes irrationnelles ou surnaturelles pour “comprendre” un phénomène dont il n’a pas l’explication logique ou dont l’explication ne le convainc pas.

Dans le cas des voitures qui remontent les pentes en étant au point mort, il n’y a malheureusement pas de mystère, d’antigravité ou de phénomène magnétique paranormal : en réalité, les voitures descendent des routes dont le décor trompe notre cerveau et nous fait croire qu’elles montent. L’illusion d’optique est exactement la même que celle que l’on retrouve dans les maisons inclinées, où l’on a l’impression que l’eau coule de travers, que les gens marchent sur les murs, etc. Ainsi, pour la Gravity Hill du comté de Bedford, en Pennsylvanie, une équipe est allée avec un GPS aux deux bouts de la route “mystérieuse”, pour se rendre compte que, par rapport au “bas” de la pente, le soi-disant “haut” était en réalité plus bas d’environ 4 mètres, ce qu’on pouvait d’ailleurs constater sur une simple carte topographique, à l’aide des courbes de niveau.

Comme j’ai pu moi-même m’en apercevoir dans les commentaires qui ont accompagné mon billet prémonitoire sur la difficulté qu’aurait l’administration américaine à convaincre une partie du public de la mort réelle d’Oussama ben Laden, une frange de la population est encline à ne pas se satisfaire du discours scientifique et technique et à chercher, pour le remplacer, des explications surnaturelles ou des complots. C’est à ce curieux phénomène psychologique que l’on doit la vague des soucoupes volantes après la Seconde Guerre mondiale, avec notamment l’affaire de Roswell, l’idée que les attentats du 11-Septembre sont l’œuvre de l’administration Bush ou le simple fait que les médiums ont pignon sur rue.

La tendance à la crédulité est une chose. Le négationnisme scientifique en est une autre qui n’en est souvent pas très éloignée. Si l’on sort du paranormal et de la conspiration paranoïaque pour se diriger vers des thématiques a priori plus scientifiques, la situation n’est pas meilleure malgré les contrôles et vérifications auxquels sont en général soumises les études scientifiques (il y a toujours des fraudes qui passent mais elles sont exceptionnelles et assez rapidement détectées) : le climatoscepticisme, la croyance dans le lien vaccin contre la rougeole-autisme et les théories créationnistes ne se sont jamais aussi bien portés, et ce en dépit de toutes les preuves que les chercheurs ont amassées. Celles-ci n’ont, au bout du compte, guère d’importance, en raison d’un second phénomène psychologique : chez certains, pour des raisons politiques ou culturelles, il est purement impossible de reconnaître la parole de l’expert et le consensus scientifique sur ces sujets. Cet effet a été particulièrement mis en évidence aux Etats-Unis dans une partie de l’électorat républicain qui fait un blocage au sujet de la responsabilité humaine du réchauffement climatique, lequel remet en cause un pan de son système de valeurs.

De plus, et j’ai pu le constater ces jours-ci en lisant les commentaires de deux de mes derniers billets, ces personnes, pour qui l’objectivité d’un fait mesuré est souvent mise sur le même pied qu’une opinion, vont chercher, sur des sites Internet ou sur des forums (mais surtout pas dans les revues scientifiques), les informations ou les interprétations qui conforteront leurs idées. Elles n’agissent pas en personnes rationnelles qui veulent comprendre, mais en avocats qui veulent convaincre. Elles ne cherchent pas des faits vérifiables, mais des arguments. D’où l’échec assuré des tentatives de persuasion, même si elles se basent sur les données scientifiques les plus solides.

Voilà, “ces lieux mystérieux où la gravité s’inverse” existent bien. Ce sont des cerveaux.

Pierre Barthélémy

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