Première disparition d’une colonie de manchots empereurs

Empereur

Le manchot empereur est à l’Antarctique ce que l’ours polaire est à l’Arctique : l’animal emblématique. Mais, autant les signaux d’alarme concernant la possible extinction d’Ursus maritimus sont tirés depuis quelques années, notamment en raison du réchauffement climatique qui fragilise la banquise autour du pôle Nord mais aussi de la pollution des océans, autant l’alerte sur la survie à court ou moyen terme du manchot empereur n’avait pas encore été lancée. La fiche d’Aptenodytes forsteri dans la Liste rouge de l’UICN est d’ailleurs classée dans la catégorie la moins alarmante, celle des préoccupations mineures.

Cela pourrait bien changer au cours des années à venir. En effet, une étude britannique publiée le 28 février dans PLoS One fait état de la première disparition d’une colonie de manchots empereurs. Certes, il ne s’agit que d’un petite communauté, qui n’a jamais dépassé, depuis qu’on l’a découverte en 1948, les 250 individus mais sa réduction rapide depuis les années 1970 ne laisse pas d’inquiéter. Située dans les îles Dion, à l’ouest de la péninsule Antarctique (voir la carte ci-dessous), la colonie ne comptait plus que 85 membres en 1978 et moins d’une vingtaine au tournant du siècle. La dernière fois que l’on a essayé de la recenser, sur une photographie aérienne à haute résolution prise en 2009, il ne restait plus aucun oiseau sur la banquise.

Dion-Islands

Même s’ils ne peuvent l’affirmer avec certitude, les auteurs de l’étude font peser la grande majorité de leurs soupçons sur le réchauffement climatique qui, s’il n’agit guère en règle générale sur le sixième continent, a des effets bien visibles sur la partie occidentale de la péninsule antarctique, où se trouvent les îles Dion. Les relevés effectués dans la zone montrent une augmentation sensible tant de la température moyenne générale que de la température moyenne pendant l’hiver, saison durant laquelle les manchots empereurs viennent se reproduire sur la glace de mer située devant le continent. Cette région est d’ailleurs celle où la banquise résiste le moins bien au changement climatique : depuis plusieurs années maintenant, elle se forme de plus en plus tard et se disloque de plus en plus tôt. Etant donné que tout le cycle de la reproduction des manchots empereurs s’effectue sur cette mince couche de glace et en est dépendant, des chercheurs ont déjà avancé que le réchauffement climatique pourrait, par ce biais, avoir un impact sur les populations. Il pourrait jouer négativement sur les populations de poissons, de krill et de calmars dont se nourrissent les manchots, tout en favorisant les skuas et autres pétrels, oiseaux qui chassent les jeunes empereurs…

L’étude de PLoS One ne prétend pas être catégorique sur la “culpabilité” du réchauffement dans la disparition de cette colonie, bien que de lourdes charges pèsent sur le suspect. D’autres causes sont évoquées (maladie ou conditions météorologiques exceptionnelles) mais elles apparaissent comme moins plausibles et aucun élément objectif ne les étaye. Les influences du tourisme (en augmentation dans cette partie de l’Antarctique qui est la plus accessible, depuis la pointe méridionale de l’Amérique du Sud) ou de la pêche industrielle ont été écartées.

Première à disparaître, la colonie des îles Dion a des chances d’être vite considérée comme un cas d’école. Des colonies plus grandes ne seraient pas à l’abri de subir le même sort. Une étude franco-américaine publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences des Etats-Unis en 2009 a mis en relation des modèles démographiques avec les projections climatiques du GIEC et montré que la colonie de Pointe Géologie, en Terre Adélie, qui est sans doute la colonie de manchots empereurs la plus étudiée du monde et compte environ 3 000 couples, risquait d’être réduite de 95 % à l’horizon 2100.

Le problème, c’est qu’Aptenodytes forsteri a beau être le plus grand et le plus fort des manchots, ce n’est pas un rapide côté adaptation. Comme on a pu le voir dans le film La Marche de l’Empereur de Luc Jacquet, cet oiseau est philopatrique : en clair, il a tendance à revenir se reproduire là où il est né, sur la glace de ses aïeux. Et il n’est pas forcément capable de s’apercevoir que le climat a changé et que la banquise où il a pondu va disparaître avant que son poussin ne puisse aller dans l’océan. Il arrive bien sûr que la colonie change ses habitudes et déménage de quelques kilomètres, quand un glacier s’est décroché du continent là où elle se reproduit d’ordinaire. Mais procéder par sauts de puce risque de ne pas être d’une très grande efficacité lorsque le problème devient global… C’est le syndrome du poisson rouge dont un gamin imbécile a fêlé le bocal : la bestiole aura beau se réfugier au fond, quand il n’y aura plus d’eau, elle mourra.

Pierre Barthélémy

Le réchauffement pourrait également avoir des conséquences sur les populations de poissons, de krill et de calmars dont se nourrissent les manchots.
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La sélection du Globule #36

Dinosaures

On compte au moins cinq épisodes d’extinctions massives d’espèces dans l’histoire de la Terre, la dernière étant celle qui a conduit à la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années. Depuis plusieurs années, certains chercheurs avancent l’idée que nous sommes en train de provoquer la sixième grande extinction du vivant.

– Le gouvernement indien a annoncé un vaste plan de reforestation et d’amélioration de la qualité de ses forêts. Il y consacrera plus de 10 milliards de dollars sur dix ans.

La NASA a échoué à lancer le satellite Glory qui devait étudier les particules en suspension dans l’atmosphère. Nature fait remarquer qu’après le satellite OCO (censé mesurer les concentrations de dioxyde de carbone), c’est la deuxième fois en deux ans que la NASA perd au décollage, et avec la même fusée, un instrument d’étude du climat.

Dans la même thématique, le CNRS a mis en ligne un dossier interactif sur le climat de la Terre.

La Commission européenne souhaite interdire aux pêcheurs de rejeter à la mer les prises indésirables, une pratique qui leur permet de n’intégrer à leurs quotas que les poissons rentables. On estime que chaque année, pour la seule mer du Nord, un million de tonnes de poissons (en général morts) retournent d’où ils viennent.

– C’est une équipe de chirurgiens français qui a pour la première fois greffé une bronche artificielle. Une opération qui a permis d’éviter l’ablation totale d’un poumon chez un patient atteint d’un cancer.

– Un nouvel article sur un champignon qui prend le contrôle du cerveau de certaines fourmis et les transforme en zombies.

– Pour terminer : les pleurs du soir (ou de la nuit), les couches à changer, les régurgitations, les maladies infantiles, le baby blues, l’ado qui traîne des pieds pour tout, le couple qui bat de l’aile… Oui, vous avez reconnu les joies d’être parent (j’ai quatre enfants, je sais de quoi je parle). Pourtant, pourtant… nous continuons à nous reproduire et, quand nous le faisons, nous exagérons la joie de la paternité et de la maternité. En fait, nous nous leurrons nous-mêmes en nous donnant l’illusion d’un bonheur plus grand qu’il n’est. A lire dans Time avant d’aller chanter une énième berceuse au gnafron qui hurle dans son berceau.

Pierre Barthélémy

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Les juges seront-ils plus cléments si Chirac a ses lunettes ?

Chirac-a-lunettes

Alors que le procès de Jacques Chirac et de ses neuf co-prévenus, pour l’affaire des “emplois fictifs” de la mairie de Paris, va s’ouvrir lundi 7 mars, doit-on conseiller à l’ancien président de la République de se rendre au tribunal avec ses célèbres lunettes ? C’est du moins ce que feraient des avocats américains s’il s’agissait d’un procès pour crime avec violence. Ceux-ci ne jurent que par cette astuce pour obtenir des peines moins lourdes, voire pour innocenter leurs clients. Du coup, on constate une subite épidémie de myopie parmi les accusés outre-Atlantique…

Si l’on en croit un article du New York Daily News, cette mode porte un nom : la défense “grosse tête”. Les avocats américains exploitent le fait qu’inconsciemment, on considère un porteur de lunettes comme plus intelligent, plus fiable, plus travailleur et, surtout, plus honnête qu’une personne sans correction visuelle apparente. La mode semble être partie de deux procès retentissants tenus contre Larry Davis en 1988 : celui-ci était accusé du meurtre de quatre revendeurs de drogue et d’avoir blessé six policiers qui étaient venus l’arrêter. A ces deux procès, Larry Davis ne s’est pas présenté avec la panoplie du parfait délinquant (grosses chaînes en or, blouson, casquettes, etc) et a immédiatement démoli l’image de dealer voyou que la police lui avait attribuée : vêtu comme un gentil étudiant bien propret, avec chandail et… lunettes. Il fut reconnu innocent des charges principales dans les deux procès mais fut tout de même condamné pour détention illégale d’armes. Pour la petite histoire, Larry Davis fut une nouvelle fois acquitté dans une autre affaire de meurtre, puis finalement condamné en 1991 pour sa participation à un assassinat. Il a été tué en prison par un codétenu en 2008.

Dans l’article cité plus haut, un avocat chevronné déclare sans ambages : “Si les lunettes ont donné un air doux à un gars comme Larry Davis, ça marchera avec tout le monde. Je dis toujours à mes clients d’en avoir une paire. Plus ils auront l’air de grosses têtes, mieux ce sera.” Cette stratégie ne fonctionne évidemment pas à tous les coups mais l’exemple récent de Thomas Cordero, acquitté en janvier du meurtre d’un avocat (poignardé derrière la tête) après avoir plaidé la légitime défense, prouve qu’elle peut être efficace : Thomas  Cordero a assisté à son procès avec des lunettes et les a retirées une fois le verdict rendu. Le blog Ethics Alarm se demande d’ailleurs si les avocats ne franchissent pas les barrières de l’éthique en demandant à leurs clients dotés d’une vue parfaite d’apparaître à leur procès avec des lunettes sur le nez…

Alors, à accusé à lunettes jury clément ? Que dit la science ? J’ai trouvé une étude, réalisée en 2008, sur ce sujet. Publiée dans l’American Journal of Forensic Psychology, elle a voulu tester l’hypothèse et la coupler avec l’origine ethnique de l’accusé, pour voir si l’effet “grosse tête” est comparable si le prévenu est noir ou blanc. Pour ce faire, ils ont divisé une cohorte de 220 étudiants en quatre groupes de 55 personnes. Tous ont reçu le dossier fictif d’un cas de vol avec violence, où la place pour un doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé était habilement ménagée. Les quatre groupes disposaient d’une photographie du suspect différente : le premier voyait un Blanc sans lunettes, le deuxième un Blanc à lunettes, le troisième un Noir sans lunettes et le quatrième un Noir à lunettes. Dans les deux cas, les lunettes étaient identiques. Les modèles avaient été sélectionnés pour avoir la même taille, la même corpulence, la même couleur d’yeux et de cheveux, la même taille d’yeux et la même longueur de cheveux. Une étude préalable avait aussi décrit leur charme comme comparable.

Résultats du “procès” ? Sur les 220 juges, 113 ont condamné l’accusé et 107 l’ont acquitté. Il faut noter que, parmi les 113 cas de culpabilité, seulement 50 concernaient un suspect à lunettes et 63 un suspect sans. Une différence faiblement significative, mais significative tout de même. Ce qui est sans doute plus intéressant, ce sont les critères qui accompagnaient le jugement. Le critère qui prédit le mieux si le juge sera clément ou pas est l’intelligence attribuée à l’accusé. Plus celui-ci semble intelligent, plus il a de chances d’être acquitté. L’effet “grosse tête” existe donc vraiment.

Or, dans ce cadre, les lunettes ne sont pas un atout négligeable… surtout si l’accusé est noir. Car c’est surtout chez les Afro-Américains que le port de lunettes améliore l’impression que la personne est intelligente. Probablement, écrivent les auteurs de l’étude, parce que cela casse “le stéréotype du «criminel noir violent»”. Quand il a des lunettes, le suspect noir semble aussi nettement moins menaçant, plus amical et plus charmant que sans binocles. Ce phénomène est moins saillant chez les Blancs.

En conclusion, les auteurs signalent toutefois les limites de leur travail : il faudrait selon eux le compléter en utilisant des jurés de tous âges, voir si les lunettes produisent les mêmes résultats quand une femme est accusée (car les stéréotypes associés ne sont pas forcément les mêmes), tester ce protocole sur davantage de groupes ethniques et, surtout, voir si l’effet “grosse tête” produit la même clémence lorsqu’il s’agit non plus d’un crime violent mais d’un crime en col blanc. Des études analogues à celle-ci ont prouvé que les “jurés” condamnaient plus lourdement un escroc blanc qu’un escroc noir, parce que le préjugé selon lequel les Blancs sont plus intelligents a la peau bien dure. En suivant cette logique, on s’aperçoit que “le surcroît d’intelligence perçue que confèrent les lunettes peut devenir un handicap pour les personnes accusées de crimes en col blanc. On a en effet tendance à penser que les escroqueries et autres blanchiments d’argent nécessitent, pour être réalisés, un certain niveau d’habileté et d’intelligence. Dans les cas de crime en col blanc, les accusés qui portent des lunettes pourraient sembler plus intelligentes et donc plus aptes à commettre ce genre de crimes.”

Finalement, on va peut-être conseiller à Jacques Chirac de venir à son procès sans lunettes, afin de ne pas passer pour le cerveau de l’énorme machination qu’est l’affaire des emplois fictifs. Peut-être le côté décontracté, terrien, avec une touche d’animalité, exploité dans la campagne d’affichage ci-dessous, convaincra-t-il les juges de sa bonne foi…

Chirac-sans-lunettes

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : rien à voir avec ce qui précède mais je signale à qui cela peut intéresser que je participe, ce vendredi 4 mars, à l’émission de Mathieu Vidard “La Tête au carré” sur France Inter, à 14h05. J’y parlerai du manuscrit Voynich.

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Gorbatchev plaide pour les énergies renouvelables

GorbatchevDans quelques semaines, l’humanité célèbrera un bien triste anniversaire : les vingt-cinq ans de l’accident  nucléaire de Tchernobyl, qui s’est produit le 26 avril 1986. Un quart de siècle plus tard, Mikhaïl Gorbatchev, qui était à l’époque secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique et fut très marqué par la catastrophe, signe, dans The Bulletin of Atomic Scientists un article résumant les leçons qu’il en a tirées. Le Prix Nobel de la paix 1990 en voit essentiellement quatre.

Le volet “prévention” arrive bien sûr en premier pour éviter que ne se reproduise un tel accident mais il s’agit d’une figure imposée dans ce genre de discours. Aussitôt après, Mikhaïl Gorbatchev, qui rappelle qu’on ne peut rejeter du jour au lendemain l’énergie nucléaire dont beaucoup de pays dépendent (à commencer par la France), apporte néanmoins quelques nuances à tendance nettement écologiste. On ne pouvait s’attendre à moins de la part du fondateur de Green Cross International, à condition néanmoins de savoir que, depuis plusieurs années déjà, l’ancien numéro un soviétique est entré dans le camp des défenseurs de l’environnement : “Il est nécessaire, écrit-il, de réaliser que l’énergie nucléaire n’est pas la panacée, comme certains observateurs le prétendent, le remède au problème de l’approvisionnement énergétique ou à celui du réchauffement climatique. Sa rentabilité est aussi exagérée, tout comme son coût réel ne prend pas en compte de nombreuses charges cachées. Aux Etats-Unis, par exemple, les subventions directes allouées à l’énergie nucléaire se sont élevées à 115 milliards de dollars entre 1947 et 1999, auxquelles il faut ajouter 145 milliards de dollars de subventions indirectes. Par contraste, les subventions apportées aux énergies éolienne et solaire combinées ne se sont élevées, pendant la même période qu’à 5,5 milliards de dollars.”

Et Mikhaïl Gorbatchev d’enchaîner sur un véritable plaidoyer pour les énergies renouvelables : “Pour mettre un terme au cercle vicieux “la lutte contre la pauvreté se fait au prix d’un environnement dégradé”, le monde doit rapidement passer à des énergies efficaces, sûres et renouvelables, lesquelles apporteront d’énormes bénéfices économiques, sociaux et environnementaux. Alors que la population mondiale continue de s’agrandir et que la demande énergétique croît, nous devons investir dans des sources d’énergie alternatives et plus durables (éolienne, solaire, géothermique, hydroélectrique) et dans des campagnes généralisées pour une meilleure maîtrise et de meilleurs rendements de l’énergie, qui offriront des possibilités plus sûres, plus efficaces et plus abordables pour concilier à la fois la demande en énergie et la protection de notre fragile planète.”

Dans la suite et fin de son article sur les leçons de Tchernobyl, le père de la glasnost insiste sur la nécessité de rendre plus transparent le milieu du nucléaire, très fermé et porté sur le secret. Il met également en garde contre le risque que des terroristes attaquent des installations nucléaires ou qu’ils s’emparent d’uranium enrichi ou bien de plutonium.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : rien à voir avec ce qui précède mais je signale à qui cela peut intéresser que je participe, ce vendredi 4 mars, à l’émission de Mathieu Vidard “La Tête au carré” sur France Inter, à 14h05. J’y parlerai du manuscrit Voynich.

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