Nous sommes tous radioactifs

Radioactive man

Au palmarès des peuples qui aiment à se faire peur, la France devrait être aussi bien classée que son équipe nationale de football lorsqu’elle joue en match amical : championne du monde. Entre deux tours d’élections cantonales où la République menacée par les gars de la Marine tremble sur son piédestal, entre deux bombardements en Libye qui nous font craindre des représailles terroristes, il y a le NUAGE. Ce terrible nuage radioactif venu en express du Japon, qui nous fait parodier Racine en claquant des dents : “Pour qui sont ces sieverts qui sifflent sur nos têtes ?” Le Français a les foies, les choquottes et le trouillomètre à zéro. Autant le nuage de Tchernobyl s’était arrêté aux frontières de l’Hexagone, autant celui de Fukushima va nous tomber sur la tête, ruisselant d’une radioactivité qui s’infiltrera dans le moindre pore de nos peaux de peureux. Et certains de nos braves journalistes de jeter la suspicion sur les experts à grands coups de sous-entendus : “Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, il n’y a pas de risque…”, “Nathalie Kosciusko-Morizet assure que…”, “L’ASN affirme que…”, etc.

Du coup, on se précipite sur les pharmacies pour faire le plein de pastilles d’iode, les compteurs Geiger se vendent comme des petits pains et je sens que le marché de la salade ne va pas tarder à s’effondrer ou que Lady Gaga tournera son prochain clip dans un abri anti-atomique. Tous les discours n’y pourront rien, y compris celui, rassurant, de la Criirad, organisme indépendant qui, d’ordinaire, a plutôt tendance à agiter le chiffon rouge au moindre pet nucléaire de travers. Même Greenpeace calme le jeu. On a beau dire qu’il n’y a pas de nuage mais seulement quelques particules radioactives diluées dans l’atmosphère, que les retombées radioactives seront de mille à dix mille fois moindres que celles de Tchernobyl, que l’on n’est même pas sûr de pouvoir la mesurer correctement, rien n’y fera. Rien n’y fera car Tchernobyl, le sang contaminé, le Mediator et autres scandales sanitaires sont passés par là : le “on nous cache tout on nous dit rien” est plus fort que la raison.

Eh bien, il me faut bien l’avouer, en termes de contamination radioactive, il y a peut-être pire que le nuage nippon. Il y a… nous. C’est sans doute le plus grand scoop médico-scientifique de l’année, nous sommes tous radioactifs. Ne le dites à personne mais, pour le savoir, j’ai découpé et analysé mon voisin (c’est pour la science et le bien de toute l’humanité que je me suis livré à cette expérience) et voici ce que j’ai trouvé : un humain moyen de 70 kilos contient 90 microgrammes d’uranium, 30 microgrammes de thorium, entre 17 et 40 milligrammes de potassium 40 selon les sources, 31 picogrammes de radium, 22 nanogrammes de carbone 14, 0,06 picogramme de tritium et 0,2 picogramme de polonium. Oui, le fameux polonium 210 qui avait tué en quelques jours l’espion russe Alexandre Litvinenko… Quelle horreur, ça dans nous ?! La plus grosse dose vient du potassium 40, présent naturellement dans la nature parce qu’il a été fabriqué il y a quelques milliards d’années par une étoile en train de mourir. Saleté de supernova. A 40 mg par tête de pipe, cela fait dans les 12 000 désintégrations et 1 300 photons gamma (des rayons gamma, AARGGHHHH, je me sens mal !) à chaque SECONDE qui passe. Nous nous contaminons nous-mêmes et il n’y a rien à y faire, sauf à se couper la tête et à se la greffer sur une poupée gonflable. Au secours, décontaminez-moi !

Mais il y a pire encore. A la limite, vous pouvez vous résigner à vivre avec vous-même. A la limite. Mais faut-il pour autant dormir dans le même lit que quelqu’un d’autre ? A huit heures de sommeil par nuit pendant des années près d’une source radioactive appelée Bernard ou Germaine, on risque le cancer… Selon les calculs de Richard Miller, professeur de physique à la prestigieuse université de Berkeley (Californie), en admettant que tous les Français dorment à côté de quelqu’un pendant 50 ans, trois d’entre nous développeront chaque année un cancer simplement pour avoir partagé leur lit avec une centrale nucléaire sur pattes. Mon conseil : revendez vos pastilles d’iode et votre compteur Geiger parce que le nuage de Fukushima n’aura qu’un temps. Avec l’argent, installez une barrière en plomb au milieu de votre matelas, afin de stopper les rayons gamma que vous expédie traîtreusement votre moitié. Ou mieux, divorcez.

Pierre Barthélémy

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