J’avais remarqué l’info dans les Lu, Vu & Entendu de Slate.fr, sans y accorder plus d’importance que cela : on aurait découvert un gène de l’infidélité et du “petit coup d’un soir bonsoir”. Je me suis dit : “Encore une ânerie” et j’ai tourné une page dans mon cerveau. Puis l’info est revenue ailleurs, notamment sur des sites anglo-saxons, qui titraient sur le “slut gene”, littéralement “le gène de la salope” (là, là, là, là, là, etc). Cette fois-ci, au lieu de tourner une nouvelle fois la page, j’ai fait “pause”. Depuis que je fais ce métier, combien de fois ai-je vu ce genre d’information, le gène du comportement bidule, de l’habitude machin ? La réponse est : beaucoup. Au point que l’idée du “Tout est inscrit dans les gènes” s’est petit à petit gravée dans les esprits.
Et c’est bien pratique. Donc, vous êtes une traînée (mais je rassure les femmes, ça marche aussi chez les hommes) ? C’est génétique. Vous êtes alcoolique ? C”est génétique. Vous êtes un délinquant violent ? C’est génétique. Vous êtes gay (désolé pour l’amalgame…) ? C’est génétique. Vous croyez en Dieu ? C’est génétique. Vous aimez prendre des risques financiers ? C’est génétique. Vous êtes de gauche ? C’est génétique. Vous êtes une grande danseuse ? C’est génétique. Vous êtes déprimé ? C’est génétique. Donc, si vous êtes un délinquant alcoolique homosexuel religieux de gauche dépressif infidéle et bon danseur, ça s’explique, c’est génétique. De la même manière, il y a des chances que vos gènes vous disent pourquoi vous êtes un honnête citoyen sobre athée hétérosexuel de droite fidèle joyeux qui écrase les pieds de tout le monde en dansant la rumba…
J’imagine qu’un jour prochain, on trouvera le gène qui explique pourquoi on croit au tout génétique. Et je parie que ce gène est présent chez bien des personnages importants. Qui, en effet, a dit, en 2007, juste avant de devenir président de la République (zut, la réponse est dans la question…) : “J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.” Dans un genre un peu différent mais tout aussi symbolique, il est revenu à ma mémoire ce procès en Italie, en 2009, au cours duquel un assassin a bénéficié de circonstances atténuantes en raison d’une “vulnérabilité génétique” pouvant le mener à la violence.
Loin de moi l’idée de vouloir jeter la pierre à la génétique, qui a permis de comprendre ce qui causait un certain nombre de graves maladies dont les plus connues sont la myopathie de Duchenne, l’hémophilie, la mucoviscidose ou les différentes formes de trisomie. Simplement, une chose est d’identifier un gène défaillant ou un chromosome surnuméraire et une autre est de mettre le doigt sur un gène corrélé avec tel ou tel comportement. La mécanique inexorable qui est à l’œuvre dans le premier cas ne se retrouve pas dans le second. Il n’y a pas d’automaticité, pas de fatalité, et il arrive aussi souvent que des personnes présentent un comportement particulier sans avoir le gène qui lui est soi-disant relié. Les chercheurs travaillant sur ces “liens” (qui ne sont pas forcément des liens de cause à effet) prennent en général beaucoup de pincettes pour expliquer que le gène qu’ils ont identifié augmente, sous certaines conditions environnementales ou socio-éducatives, la probabilité pour que la personne adopte le comportement en question…
Malheureusement, ces précautions de langage disparaissent souvent dans les comptes-rendus des médias ou dans l’assimilation des notions par le grand public. Alimentée par des articles sensationnalistes, la dictature du gène a finalement gagné bien des esprits, comme une version moderne de la phrénologie qui, au XIXe siècle, expliquait les “caractères” par le relief du crâne (la fameuse “bosse des maths”…) . Aujourd’hui, pour justifier ou comprendre les comportements, on met de côté le libre arbitre, l’éducation, les influences culturelles ou sociales, au profit d’un déterminisme génétique. Bienvenue à Gattaca, le monde où les “défauts” sont inscrits dans l’ADN, où l’homme ne peut transcender la somme de ses informations génétiques. Un monde où certains de mes confrères titrent sur le “gène de la salope”.
Je me souviens qu’un rédacteur en chef m’a un jour demandé d’écrire un article sur “le gène de Dieu”, qui aurait expliqué le sentiment religieux. Enervé, je lui ai un peu sèchement rétorqué que j’attendrais que l’on identifie d’abord le gène de la connerie. Quelques années plus tard, ce dernier échappe toujours aux chercheurs. Peut-être craignent-ils de le trouver chez tout le monde ?
Pierre Barthélémy
‘un rédacteur en chef m’a un jour demandé d’écrire un article sur “le gène de Dieu”’.
C’est donc un autre qui s’en est chargé puisqu’il me semble avoir ce titre, mot pour mot à la une de Sciences & Vie…
Malheureusement, beaucoup de journaux ne font que du sensationnel. Que ce soit en politique ou en science, tout se résume à un show où le titre doit être le plus accrocheur, en dépit de la réalité du contenu, parfois!
@Arzbro : Vous avez parfaitement raison sur la “une” de Science & Vie. Heureusement pour moi, à l’époque j’étais au Monde…
Le généticien Pierre-Henri Gouyon rappelle dans ses conférences une prise de position de l’actuel “plus haut personnage de l’état” du même acabit que celle citée ici, à l’occasion d’un débat avec le philosophe Michel Onfray. D’où il conclut qu’aujourd’hui, l’idée du “tout est la faute de l’environnement” est devenue un lieu commun “de gauche”, celle du “tout génétique” une opinion “de droite”. Ce à quoi on peut ajouter qu’aucun des deux protagonistes sus-mentionnés ne sait vraiment de quoi il parle.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Big Gay Nouvelles, Grindaizer. Grindaizer a dit: Check that : La dictature du gène: J’avais remarqué l’info dans les Lu, Vu & Entendu de Slate.fr, sans y accord… http://bit.ly/gVIQrn […]
J’ai peut-être eu de la chance, mais j’ai souvent vu de la mesure dans le corps des articles consacré aux gènes. C’est d’ailleurs un passage obligé des articles de journalistes scientifiques traitant de la question: au troisième paragraphe, l’auteur lève le doigt en disant “attention, les amis, tout n’est pas si clair que ça!” et en citant un chercheur français relativisant la portée des résultats, dénonçant un biais méthodologique ou rappelant que seuls 18,96% des porteurs du gène wZtrop8 ont tendance à oublier de débrancher leur fer à repasser.
Le problème vient surtout des titres et des accroches, qui ont tendance à simplifier les choses, transformant un “certains chercheurs ont découvert un vague lien entre la perte de poils sur le côté droit du front de 11% des ragondins qu’ils ont testés et une mutation du gène ZxUP3” en “On a découvert le gène de la calvitie!”. La question est alors: à qui la faute, au journaliste, au rédac’ chef ou au lecteur (qui ne clique que sur le second lien, pas sur le premier)?
@Dubitatif : excellente remarque et bonne question : personnellement, j’aurais tendance à penser que, quand un article scientifique est aussi peu fondé ou aussi tiré par les cheveux, mieux vaut ne pas en faire état du tout plutôt que d’être obligé de sortir les pincettes au troisième paragraphe, ce pour deux bonnes raisons : 1/ il y a certainement mieux à faire ; 2/ une part non négligeable des lecteurs n’ira pas jusque là, s’arrêtera au rébarbatif et ne mémorisera que l’extrait croustillant qu’elle aura lu ! Que certains chercheurs soient obligés de faire du sensationnalisme pour exister, c’est une chose ; que le journaliste leur assure la promotion dont ils rêvent pour obtenir des budgets, c’en est une autre.
Bonjour,
peut être que les journalistes sont comme les scientifiques, ils font un peu de sensationnalisme pour pouvoir exister….dans ce monde.
La vertue n’est pas très à la mode en ce moment.
Les lecteurs ont aussi une très grosse part de résponsabilité à mon avis. Et oui tout n’est pas rose bonbon, et celui qui croit cela est un fou. D’autant que les journalistes (dans l’ensemble) sont très très critiqués par le lectorat et Il ne faut donc pas croire que les journalistes ont pour but d’éduquer les gens ni même qu’ils soient parfait (dans le sens du prisme du support pour relater la verité ou plutôt une vérité). C’est donc le problème du lecteur si il ne lit que partiellement l’article. Il a forcément un avis partiel et partial. D’autant plus si il ne lit qu’un article sur un sujet.
Subjectivité quand tu nous tiens.
Petite question de béotien doublé d’un australopihèque (ça doit être les gènes…). Nos chers généticiens, ils font comment pour identifier les “vertus” d’un gène quelconque?
Ils le retranchent (?) et observent avec admiration la transformation de la salope en sainte-nitouche? Ça m’intrigue…
“j’attendrais que l’on identifie d’abord le gène de la connerie. Quelques années plus tard, ce dernier échappe toujours aux chercheurs.”
mais si… ils l’ont trouvé le gène de la stupidité…
appelé gentillement “le gène Homer Simpson”
lien: http://www.medicaldaily.com/news/20100918/2064/gene-limits-learning-and-memory-in-mice.htm
Maintenant, vous pouvez l’écrire votre article sur le gène de Dieu…
ah oui, c’est déjà fait ailleurs…
@cw : ah non, je ne suis pas d’accord ! Ce gène marque une limitation de l’apprentissage ou, si l’on veut, une limitation de l’intelligence, mais en aucun cas celui de la connerie. Il y a des personnes très “intelligentes” ou douées d’une mémoire exceptionnelle qui sont néanmoins des c…. accomplis. Et en cette matière, je suis persuadé que nous sommes tous le con de quelqu’un.
Oui mais, sans vouloir insister outre mesure, voudriez-vous répondre à ma petite question énoncée plus haut…? Pour toutes les personnes infligées du gène Homer Simpson…
@Audibert : eh bien, par exemple, pour le gène de l'”infidélité”, les cobayes ont été soumis à un questionnaire pour déterminer leur comportement amoureux et tout ceci a été corrélé à une analyse génétique.
Ça me semble un peu fragile comme preuve, non?