Paris, XIVème arrondissement, tard dans la nuit. Nous marchons à bonne allure. Seul le claquement de nos cuissardes sur les étraves de la voie de chemin de fer abandonnée vient troubler la quiétude qui règne sur «la petite ceinture». Une image de ruines post-apocalyptique se dégage de la friche urbaine que l’on devine entre les touffes de végétation sauvage. Elle se développent sur les vestiges d’une ancienne station. Quelques détritus insolites, jetés sur les voies rouillent en silence. Nous sommes proches de l’entrée des fameuses catacombes de Paris. La gueule béante et noire d’un tunnel s’ouvre bientôt devant nous. Loin, tout au fond, de petits points de lumière font danser des ombres tordues sur la voûte. Il n’y a qu’une voie, il faudra les croiser. L’estomac noué, la marche se poursuit. Qui sait, combien de dangereux personnages attendent dans l’obscurité pour fondre sur nous, insouciants visiteurs ?
A vrai dire, presque aucun. L’un des plus notables trésors cachés de Paris s’étend au sud de la seine, tout autour du petit circuit touristique des catacombes de la place Denfert-Rochereau. Le grand Réseau Sud (GRS) se compose de 280 km de galeries, vestiges des anciennes carrières de calcaire qui servirent à bâtir Paris. Elles se répandent sous les trottoirs des 14ème 15ème, 5ème , et 6ème arrondissements, à une vingtaine de mètres de profondeur. Cet ouvrage gigantesque qui concentre plus de mille ans d’histoire et d’urbanisme, a offert un refuge à tous les parias de la capitale dès le moyen âge. Les murs, sur lesquels se distinguent encore des millions d’impacts de pioches, portent en stigmates, les graffitis de toutes les révolutions. Mais depuis la Commune, c’est une révolte sans fusils qui pousse la curieuse population des «cataphiles» à arpenter ce dédale obscur.
Les marcheurs du dessous
Le terme générique «cataphiles» désigne en réalité une communauté hétéroclite d’explorateurs de friches urbaines, qui bravent régulièrement l’arrêté du 2 novembre 1955 interdisant la circulation dans les entrailles délaissées de Paris. Est désigné comme cataphile l’initié qui se repère sans carte, porte un pseudonyme, et participe à la vie communautaire, sous terre comme sur le web. Certains fuient le monde du dessus, et chacun se construit un personnage. Selon les estimations des policiers de la brigade sportive de Paris, qui patrouille parfois dans les galeries, ils seraient entre 500 et 1000, de tous milieux et tous âges. Le reste des visiteurs, les occasionnels, sont appelés «touristes». Contrairement à de nombreux fantasmes véhiculés par un traitement sensationnel, on croise de tout sous Paris, mais rarement de l’hostilité… Pas plus qu’en surface en tout cas. Cinq ans d’exploration intensive et régulière me permettent de l’affirmer.
On n’y trouve pas à ma connaissance de gothiques en tenue vampirique, ni de messes noires, ni d’orgies sataniques. Tout du moins on n’en trouve plus. Modelées par les caprices de la géologie, les galeries se contorsionnent sous la lumière vacillante des lanternes et prennent des allures fantastiques. De nombreuses légendes et superstition ont bien sûr prospéré dans le noir absolu du labyrinthe. Dès 1257, les moines chartreux, fraîchement installés vers l’actuel jardin du Luxembourg, alors en banlieue de Paris, s’étaient engagés à chasser les «démons», en réalité des brigands. Les mémoires de l’Abbé d’Artigny, rapportent qu’au 17ème siècle la secte d’un certain César s’enrichissait en proposant aux visiteurs crédules de descendre dans « l’antre du diable». En 1752, le marquis d’Argenson rapporte qu’un certain Delafosse offrait de rencontrer Satan, à grand renfort d’effets pyrotechniques. On sait que le jeune duc Philippe d’Orléans lui-même, y passait des nuits entières à invoquer le malin… en vain.
Afficher Paris: le dessous vu du dessus sur une carte plus grande
Aujourd’hui l’accès au réseau reste assez fastidieux, et nécessite un minimum de matériel. Malgré le caractère éminemment sombre, mystérieux et romantique des lieux, on ne peut pas s’y rendre vêtu de noir, sous peine de sortir blanc de glaise. Les ongles longs et les manucures raffinées ne résistent pas à la rude progression du marcheur souterrain. Les bottes bardées de métal se prêtent mal à la traversée des nombreux passages inondés par la nappe phréatique. S’ils visitent les lieux, les gothiques s’y rendront donc plutôt en bleu de travail.
On ne trouve pas non plus de Skinheads, ou alors très rarement, en petit nombre et dans des zones reculées du réseau. Ils ont largement contribué à la réputation sulfureuse des catacombes dans les années 80 et 90. On peut accéder, sous le lycée Montaigne (6ème), à un impressionnant complexe fortifié par la Wehrmacht en 1943. Il offrait à la fois un poste de commandement à l’abri des bombardements, et un réseau de circulation secret entre les hôtels réquisitionnés par les officiers, comme l’hôtel Corneille. On y trouve encore les portes blindées et étanches, les toilettes chimiques et de nombreuses inscriptions d’époque. Un tel vestige de la domination nazie ne pouvait que devenir un sanctuaire pour les nostalgiques, comme en attestent de nombreux graffitis. On trouve également son équivalent, fabriqué sur ordre de Laval avec tout le confort moderne, ainsi que le bunker FFI, qui cachait Rol-Tanguy lorsqu’il ordonna l’insurrection de Paris en août 44. Sous le 15ème sommeillent même les restes d’un l’abri anti-atomique des années 60.
Les plus anciens cataphiles racontent que des bandes armées de gourdins s’affrontaient pour le contrôle des secteurs du réseau. L’une d’entre elle se faisait appeler la Gestapo des Ondes. Ces activités clandestines ne tardèrent pas à attirer les forces de l’ordre qui en fermant la quasi-totalité des accès connus aux catacombes au début des années 90. Les skinheads, surveillés par la police, chassés par les cataphiles, se sont rabattus sur des réseaux de banlieue. Ils sont moins fréquentés et plus propices au déroulement paisible de leurs «réunions thématiques», raconte M. Maire de l’Inspection Générale des carrières, l’organisme en charge de la surveillance et de la gestion du riche patrimoine sous terrain de la région parisienne.
On trouve par contre beaucoup de punks et de leurs modernes cousins «teuffeurs», souvent hirsutes et alcoolisées. A vrai dire, presque tout le monde à l’air d’un punk après quelques heures dans les catacombes. Les jeunes entre 16 et 20 ans forment le gros des troupes. Casquette à pointes sur la crête, Béruriers noirs ou techno hardcore dans le poste à piles, ils déambulent de salle en salle, en quête de fêtes, de bonnes rencontres et de paillardes rigolades. Ils sont souvent sympathiques, parfois un peu lourds. On discute lampe, police et des entrées secrètes. On boit beaucoup, on fume tranquille, là où presque personne ne vient contrôler. Il fait toujours bon, entre 13 et 15°, la température idéale pour une petite sieste hors du temps. Ces « catapunks » sont libres en bas, et généralement insouciants. A mesure que passent les générations, les «vieux cons» leurs reprochent de ne pas respecter les lieux, ni «l’esprit cataphile» de propreté et d’amour de la pierre ancestrale. De fait, avec les années les ordures s’amoncellent dans les zones fréquentées, les graffitis laids et gratuits souillent les fresques, défigurent certains vestiges, pour marquer un territoire. A tel point que les rats ont récemment fait leur retour. J’ai trouvé des crottes, pour la première fois en cinq ans. Sans lumière ni nourriture, ils ne venaient pas avant. Mais on ne pratique plus le «cataclean», une battue salutaire de ramassage des ordures dans le réseau. Alors les rats reviennent, et avec eux, les risques infectieux.
On trouve aussi quelques artistes, qui contribuent largement à la merveille des lieux. Sculpture, peinture, architecture, un élan d’amour saisit parfois certains visiteurs, qui laissent une œuvre en offrande. Certaines sont à couper le souffle, lorsqu’on prend en compte les conditions de réalisation. C’est vrai que le lieu exerce une puissante fascination, il est certainement unique au monde.
Les cataphiles canal historique
Les «vieux cons», qui sont loin de l’être toujours, sont une sous catégorie des plus fascinantes. Ils sont d’authentiques explorateurs urbains, souvent reconnaissables à leur équipement dernier cri. Plus âgés, ils viennent par passion de la spéléologie, de l’histoire, de la géologie, n’aiment pas trop les touristes ni les photos. Beaucoup sont aussi investis dans la vie, l’entretien et la protection des catacombes. L’engouement est tel que certains explorateurs urbains australiens, membres des «Cave Clans», ont déménagé à Paris pour se rapprocher des catacombes. Internet à favorisé la mise en place d’événements, comme la course du « Catasprint » la nuit du jour de l’an. J’ai surpris une fois un groupe assis sur des poufs, attablé autour de plateaux marocains, fumant le narguilé entre deux lampées de thé vert. Ils tracent leurs propres plans, aménagent des salles auxquelles ils donnent parfois leurs noms, légendaires parmi les initiés. Ils ont longtemps nettoyé des kilomètres de murs tagués en y frottant du calcaire blanc. Quelques-uns sont devenus ingénieurs des mines. Ils sont la mémoire de la communauté, les transmetteurs, de plus en plus contrariés, des valeurs «cataphiles». Tu laisseras le minimum de traces de tes visites, tu cultiveras le secret et tu ne diffuseras pas le plan, tu seras responsable des touristes que tu amènes, tu connaîtras et respecteras la vie et le travail des carriers qui ont creusé pour toi…
Tu entres ici au royaume des morts
Pour eux, le Grand Réseau Sud représentait « un idéal » que les jeunes ne préservent pas. Certains estiment encore occuper un rôle de veille déterminant: il est difficile pour l’IGC, malgré ses efforts, de vérifier et de prévenir l’ensemble des risques d’effondrements des galeries. Les cataphiles profitent donc de leur présence et de leur connaissance pointue du lieu pour surveiller les menaces. Olivier David, Inspecteur général des carrières, ne tient pas les visiteurs clandestins en grande estime. Il est le chef de l’IGC. Selon lui, loin d’exercer le rôle de vigie qu’ils aiment se conférer, ils ne sont qu’une bande d’inconscients, qui déambulent sous l’emprise de psychotropes et dégradent les lieux autant qu’il se mettent en danger. Ce qui n’est pas toujours faux.
Le Web à bouleversé la vie souterraine de Paris, notamment en rendant vaine toute volonté de discrétion. Les plans ont rapidement été mis à la portée du premier venu. Alors les anciens désertent, vers d’autre réseaux. Les plus chevronnés se sont convertis dans la conservation du patrimoine, d’autres ont tout simplement préférer aller ramper ailleurs. Restent des millions d’autres habitants permanents. Ils sont le contenu des anciens cimetières et fosses communes de Paris. Sommeillent ici pêle-mêle, princes de sang et paysans, héros et anonymes, les os de Danton, Marat et Robespierre aussi. Sous le cimetière Montparnasse, certains ossuaires se visitent, et forment des salles surréalistes qui imposent l’humilité, et où l’on circule sur plusieurs mètres d’os centenaires. Ce sont eux les véritables maîtres des lieux.
Marc de Boni
L’auteur remercie Alain Clément et Gilles Thomas pour leur excellent ouvrage «L’Atlas du Paris souterrain», et surtout Zavache, qui fut son initiateur et premier guide. Il est interdit de descendre dans les catacombes de Paris. Il est suicidaire de le faire quand même en l’absence d’un guide chevronné.
Photo: Bérengère Berra et Marc de Boni
Décidemment les catacombes sont pleines de surprises! On apprend beaucoup de choses ( qui vont à l’encontre de nombreux clichés) et les photos sont rares!
tu viens de réveiller mes velléités, vilain garnement !!
[…] un attribut du médecin ». Dans l’après guerre, on se servait aussi régulièrement dans les catacombes de Paris. De fait, malgré les millions de pensionnaires qui reposent en dessous, les crânes sont devenus […]
Salut Marc,
Bel article, comme nombreux sur ton blog ! Je découvre ce dernier depuis quelques semaines, après avoir lu un de tes articles sur “Rue 69″relatif aux travailleurs sexuels et en avoir parlé à Benight, celui-ci m’a orienté vers ton site…
Ce soir j’ai lu l’article sur le “père fouettard germanique”, édifiant et utile pour éclairer cette (mauvaise) polémique populiste d’un député en mal d’actualité… Quand à celui de la rubrique “les pires métiers du monde” sur l’employé d’abattoirs, les faits méritent bien la classification “pire” !
J’ai donc fini par un article un peu plus “léger”, de sens et non de contenu rédactionnel, bien entendu : cela fait des années que tu m’a proposé une “descente” et je n’ai jamais sauté le pas, à la lecture de ces lignes (et qques parties de “datacombes” interessantes…) j’ai le sentiment d’avoir loupé qqchose…
Bravo pour ton blog, décalé et intéressant, j’ai plaisir à m’y rendre maintenant régulièrement !
Mat BM