L’élevage industriel génère des effets perturbateurs inattendus sur les espèces qui en sont la proie. Prenez la dinde par exemple. Volatile au mauvais caractère importé d’Amérique, sa viande est très consommée de nos jours. Rien qu’en France, environ 95 millions de spécimens sont abattus chaque année. Dans les usines géantes à viande blanche, les dindes sont parquées dans des hangars par dizaines de milliers. Elles étouffent, développent des pathologies respiratoires, sombrent parfois dans le cannibalisme. La volaille est électrocutée, ébouillantée avant d’être égorgée. Dans cet environnement, les dindons reproducteurs sont sélectionnés depuis des décennies notamment pour leur volume de chair. Leurs cœurs lâchent prématurément, les os ne suffisent plus pour supporter leur masse. Trop énormes, ils s’avèrent même aujourd’hui incapables de se reproduire normalement. C’est là que l’huile de coude de l’humain entre en jeu…
« J’m’en vais branler le dindon cet été » dit-on, parait-il, dans les régions de grand élevage. C’est synonyme de job alimentaire, de travail pénible, répétitif, temporaire et mal payé. L’homme moderne se voit également transformé par l’élevage industriel. Le printemps venu, avec la saison des amours, certains revêtissent une combinaison verte,-la couleur plaît aux dindons-, s’arment d’un tabouret et vont se planter dès l’aube au milieux d’accouvages bondés dont on distingue à peine le sol. Dans les élevages “de pointe” voici à quoi ça ressemble :
Les branleurs aux 35 heures ?
Certainement pas, les horaires dépendent en bonne partie des conditions climatiques et des saisons. La collecte de sperme en vue de la reproduction assistée est une nécessité. Le dindon n’est pas trop bête ou à ce point avili par l’élevage intensif qu’il ne veuille plus forniquer, mais les reproducteurs génétiquement sélectionnés pour la proéminence de leur poitrine, ne tiennent tout simplement pas sur le dos des femelles au dimensions plus modeste. Cela permet également d’éviter les blessures consécutives aux étreintes trop ardentes.
Pour les cas les moins désespérés de petites selles de saillie en bois sont installées sur la dinde pour que monsieur s’accroche sans massacrer madame. La reproduction assistée permet d’atteindre 95 % de fécondation là où la reproduction naturelle ne dépasse pas les 25% lorsqu’elle n’est pas impossible. Sans compter que l’appauvrissement génétique créé par la sélection systématique « d’espèces à viande » risque d’accroitre la vulnérabilité des élevages.
« Flatter » le dindon n’est pas un métier à proprement parler, plutôt l’un des champs d’activité des ouvriers d’exploitations avicoles. Il nécessite cependant un savoir faire, développé depuis plus de 80 ans et de une préparation certaine. Aux USA, on appelle ça le « Milk-ing ». Un dindon contrarié ne cèdera pas facilement aux charmes de l’onanisme, aussi faut-il l’habituer par de savants massages du dos, et du ventre. On peut par la suite cibler directement les zones génitales et obtenir gain de cause en une trentaine de secondes. Une fois la fastidieuse érection obtenue, il ne reste qu’à laisser faire la magie tactile. De même que pour les généreux donateurs de semence humaine, un flacon manié avec dextérité recueille l’essence vitale.
Dans les grands hangars où s’entassent parfois plus de 20 000 individus, la litière souillée dégage une forte odeur d’ammoniaque qui finira par irriter la gorge du vaillant ouvrier-masturbateur. Les dindons pèsent lourd, dépassant souvent les 20 kilos, et se font « traire » la semence plusieurs fois par semaine chacun. Pour remplir les banques frigorifiques qui assurent à chaque Thanksgiving son cortège de dindes aux marrons, les opérateurs branlent à la chaine dès le petit matin et toute la journée, l’oiseau juché sur les genoux, en prenant soin de mettre en confiance le tripoté. La semence sera ensuite inséminée dans la femelle par seringue ou encore à l’aide d’une pipette dans laquelle souffle l’opérateur. Les ingestions accidentelles ne sont bien sûr pas rares, et la substance aux allures de dentifrice périmé aurait un petit goût salé selon les vétérans.
L’homme qui murmurait à l’oreille du dindonneau
Se trouver réduit à palier le déficit d’instinct animal le plus primaire et le plus essentiel qui soit comporte une dimension humiliante, si ce n’est traumatisante, tant pour le dindon que pour son pourvoyeur d’extase. C’est un peu comme être employé à donner la becquée ou à torcher des croupions de créatures à ce point dénaturées qu’elles se trouvent incapables d’assurer les automatismes vitaux nécessaires à leur propre survie. Il y a également un impact sur la libido. Le regard amoureux des dindons extatiques vous hantent jusque dans la nuit. Nul ne ressort indemne et gaillard d’une journée d’un tel labeur. Et si par hasard c’est le cas, il faut alors peut-être s’inquiéter.
« Cela me fait rappelle parfois la chaine de montage automobile de laquelle on m’a licencié. Le truc, c’est de travailler avec de la musique dans les oreilles et de ne penser à rien -strictement rien- pendant qu’on agit », raconte au “San Francisco Chronicle” Hill, 57 ans, un « Turkey jerker » américain de Saint Louis, Missouri. Avec la crise et la pandémie de licenciement qui l’accompagne on ne rechigne plus à faire un tel métier.
Le docteur Francine Bradley, spécialiste des volailles de la University of California de Davis, préconise la multiplication des caresses et le développement d’un lien fort entre le masturbateur et le masturbé. « Il est nécessaire d’entretenir des rapports réguliers et profonds avec son mâle. Il est avéré que les dindons développent des préférences pour certaines personnes. Ce n’est pas un travail facile, salissant et parfois dangereux. Un des participants aux formations que je dispense a eu le bras cassé par un coup d’aile brutal de son mâle». Les dindons peuvent être très agressifs lorsqu’ils sont indisposés, assure le journal californien.
Gloussera bien qui gloussera le dernier
C’est un tel quotidien qui sert de toile de fond à « La part animale » (2007), le premier film de Sébastien Jadeau. Inspirée du livre éponyme d’Yves Bichet (Folio Gallimard), l’histoire sombre et dérengeante décrit la routine corrosive d’Étienne, embauché comme masturbateur dans un élevage ardéchois de dindons Douglas. Il s’enfonce dans un perfectionnisme maladif qui l’amène aux portes de la déviance mentale. Très investit dans son activité manuelle, il délaisse progressivement femme et foyer pour tomber dans l’escarcelle d’un patron manipulateur et dans l’amour de ses dindons. Rapidement le héros s’empêtre dans la dépendance d’un rapport de soumission qui lui vaut les railleries de sa femme désabusée. « On perçoit [dans le film] un sens de l’étrange, proche du fantastique […] dans le goût fasciné de l’auteur pour cette zone trouble où la part humaine de l’être frôle sa part animale », écrit Pierre Murat dans Télérama.
Les implications surréalistes du travail du masturbateur de dindons prennent une dimension cauchemardesque dans la perspective de nos sociétés de plus en plus obèses.
L‘OMS considère déjà l’obésité comme l’une des épidémies du siècle, alors que plus d’un milliard de personnes sont considérées en surpoids dans le monde, et 300 millions obèses. Si aux États unis, 65% de la population souffre déjà de surcharge pondérale, l’obésité touche également massivement les pays pauvres : un obèse sur trois vit dans un pays en voie de développement. Pourrions-nous, dans un futur adipeux, devenir tous trop gros pour faire l’amour ? Mal nourri,s à grand renfort de ces dindes gargantuesques auxquelles on prodigue « la pougnette » toute la journée. Qui donc alors, pourrait nous prendre sur ses genoux…
MdB
Quelle horreur !
Merci de m’avoir fait découvrir une réalité que j’aurais préféré ignorer !!
J’en ai la nausée 😮
Si j’ai bien compris,
Le dindon se personnalise et l’homme se dindonise ?
y a des corrélations : sur l’obésité évoquée à la fin de l’article, et ses causes et conséquences, et responsabilité là aussi de l’industrie alimentaire, lisez :
Vie de merde, bouffe de merde, corps de pauvres, de L. Chambon -> http://www.minorites.org/index.php/2-la-revue/716-vie-de-merde-bouffe-de-merde-corps-de-pauvres.html
L’homme est bien devenu le dindon de la farce, quelle décadence pour le genre humain ! C’est un travail indigne, où est l’OMT dans tout ça, où, les syndicats de travailleurs…
Glou glou
C’est dingue-don
[…] Pour lire l’article complet et très renseigné sur le sujet https://blog.slate.fr/chasseur-d-etrange/2010/04/16/les-pires-metiers-du-monde-la-routine-masturbatoi… […]
En effet, c’est véritablement gerbant. J’avais vu un film français là-dessus qui était vraiment génial, mais qui est malheureusement passé inaperçu, pour les raisons du sujets bien sûr…. La part animal, de Sebastien Jaudeau… C’est la première image de ton article… Et ce n’est peut-être pas innocent…