Que pense le tapin du racolage actif de l’UMP ?

On ne finira pas de s’en étonner : des membres de l’UMP, à défaut de viser juste, envoient depuis quelque mois des signaux répétés en direction des filles joies. C’est pourtant Nicolas Sarkozy lui-même qui a porté l’offensive en 2003, avec l’invention du délit de racolage passif (article L50 de la loi de sécurité intérieure). Après la surprenante sortie de Christine Boutin sur les maisons closes, c’est au tour de la députée Chantal Brunel, porte parole de l’UMP, d’avoir déposé (en vain) un amendement visant à abroger l’article en question, dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Alors qu’approche la journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle prévue ce jeudi, le bilan est jugé catastrophique par à peu près tout le monde, de la Brigade de répression du proxénétisme jusqu’aux abolitionnistes du Nid. Au Syndicat du travail sexuel (Strass), consulté par la députée UMP, les prostitué(e)s ne se font pas d’illusions. Mais tant pis pour la loi, un an tout juste après sa création, c’est une victoire pour l’organisation de sexworkers.

Une putesSlate 

Quand Suzy* raconte son parcours de fille de joie, ça n’a rien de drôle ni de facile. C’est un métier, des plus précaires; c’est souvent une solution, parfois un choix. A 34 ans, la jeune femme originaire du Nigéria essaie de quitter le trottoir pour obtenir ses papiers, mais les conséquences de la LSI menacent cette reconversion. C’est d’ailleurs pour signer les derniers formulaires qu’elle me donne rendez-vous à la permanence du Nid de la rue Haxo, dans le XXe arrondissement. La belle m’attend au pied l’église Notre Dame des Otages, tout un symbole. Son parcours pourrait servir de cas d’école : arrivée en France à 16 ans pour apprendre la coiffure, elle est mise sur le trottoir de force par un réseau familial.

Pretty Woman en camionette

Elle a pu se défaire de ses souteneurs, mais la nécessité de survivre l’a vite renvoyée faire le tapin en camionnette, indépendante cette fois. « Difficile d’assurer l’hygiène. Et puis toute seule, on est vulnérable, les prédateurs rôdent ». Ce ne sont pas seulement des clients, selon le cliché pervers ou violents, mais plutôt des maquereaux en quête d’une fille faible à exploiter. Ils sont nombreux au basques des migrantes. Il a fallut tenir tête. Puis il y a le reste, le risque policier : amendes à répétition, chantage, menaces, arrestations. On ose plus porter plainte en cas d’agression surtout quand on est sans-papiers. Beaucoup de rumeurs courent.

Une prostituée attend un client à côté de sa camionnette aménagée, le 13 mai 2004 dans une rue de Lyon

A coté de tout ça, il y a aussi les exigences quotidiennes d’une micro-entreprise, le calcul des frais et des rentrées. Dans le Val-de-Marne, le parking pour la camionnette, assorti d’un gardiennage sommaire, coûte cinquante euros par nuit. « Ces dernières années le prix de la passe est tombé autour 40 euros, 20 pour la fellation, tarifs de rue. Je travaillais quatre jours sur cinq rien que pour payer les frais », témoigne la nigériane. « Après 2003, les flics se sont d’abord déchaînés. Quand ce n’était pas la garde à vue, ils empilaient les amendes de stationnement sous mon essuie glace, jusqu’à une dizaine par jours. J’ai du commencer à me cacher plus loin. Puis petit à petit c’est retombé ». Pour obtenir l’aide du Nid et tenter de régulariser sa situation, elle a accepté de changer de gagne-pain. Mais elle traîne toujours une dette de plusieurs milliers d’euros que quelques passes épongeraient rapidement. Ce cercle vicieux complique pour beaucoup de personnes toute tentative de changement de situation. « Il faudrait se battre contre ces absurdités, que les filles soient à l’abri de ce genre de complications, mais j’ai décidé de tourner la page », avoue t-elle; condition sine qua non pour conserver l’appui du Nid.

Mais en quoi ça consiste racoler passivement ?

Ça implique tout d’abord s’exposer à 3750 euros d’amende et 2 mois de prison potentiels. Selon l’article 225-10-1 du code pénal, il s’agit de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange de rémunération ou d’une promesse de rémunération, et ce y compris par une attitude passive, dit la loi. Voilà qui laisse sur sa faim. Le simple fait de se trouver sur un lieu de passe suffit-il ? Y a t-il des risques légaux à attendre le bus en mini jupe la nuit ? Le délit de racolage « tout court », qui existe depuis longtemps, prévoit une amende de Ve catégorie (1500 euros). Mais l’adjonction du caractère passif a changé la donne, sans compter l’effet de zèle provoqué par la politique du chiffre dans la police. Depuis son entrée en vigueur, la Brigade de Répression du Proxénétisme (BRP) à procédé a 12 900 arrestations. Pour Cadine, la secrétaire générale du Strass, c’est une ère de répression arbitraire qui a commencé en 2003.

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« Tout les prétexte sont bons pour une arrestation maintenant. La chasse aux putes nous a repoussées hors des villes ou du moins hors de la vue. Nous avons été effacées du décors comme on éradique une nuisance ». Le marché est d’abord resté stable, mais tout s’est compliqué : la prévention des MST, les tentions entre filles, la peur du flic y compris pour porter plainte en cas de viol… Selon la belle jeune femme aux grands yeux fatigués, un deuxième effet est apparu avec l’accent mis sur la lutte contre l’immigration clandestine. Le délit de racolage passif a permis l’arrestation et l’expulsion de nombreuses migrantes.

Comme Suzy, elles ont fuit en grande banlieue dans des bois isolés. Les prix se sont effondrés, créant un effet de dumping. Elles se sont retrouvées sans aucune assistance sécuritaire ou sanitaire. Le nombre d’annonces sur internet a explosé à mesure que les trottoirs ont été vidés. « Pour couronner le tout, face à l’inefficacité constatée de la loi, on a ramené le débat sur la responsabilité du client », peste la syndicaliste. En juillet 2006, deux députés proches de Ségolène Royal, Christophe Caresche et Danielle Bousquet, ont déposé un projet de loi visant à pénaliser les clients, sur le modèle suédois, l’un des pays les plus répressifs en la matière. Les clients inquiets se sont cachés, les effets d’annonce font jouer la loi de l’offre et de la demande contre le marché du plaisir.

 Dis moi qui est ton mac, je te dirais où tu peux vivre

La LSI prévoit également un système de donnant-donnant : les prostituées livrant l’identité de leur proxénète ne seraient pas poursuivies et pourraient obtenir des papiers (titre de séjour provisoire et permis de travail). Cette technique aurait permis de démanteler plusieurs réseaux selon la BRP, mais seules 4 femmes ont pu bénéficier d’une régularisation selon la députée Chantal Brunel. C’est en tout cas l’une des premières lois qui conditionne l’obtention d’un droit à la délation. Comme attendu, l’initiative de la porte parole de l’UMP a rapidement été tuée dans l’œuf par Nadine Morano. Cette dernière s’est satisfaite de « l’incontestable progrès » dans le recul des « nuisances pour les riverains » et souligné les bénéfices « des mesures à caractère social, à travers des dispositifs de protection et d’accompagnement” qui accompagnent la pénalisation du racolage passif.

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Brunel a clairement regretté d’avoir voté en faveur de la LSI en 2003 rapporte Gilda, membre fondateur du Strass. Les militantes ont d’abord été surprises par cette nouvelle annonce. « Le fait qu’il n’y ait que des membres de l’UMP, ce même parti qui nous inflige la répression, qui s’emparent de nos revendications pour tenter de modifier la loi traduit surtout le désert politique qui se trouve en face de nous». Gilda salue à ce titre le courage de la tentative. Cela dit, « à bien décortiquer l’argumentaire, on reste dans les deux cas dans la flatterie d’un certain bon sens populaire aux relents d’hygiénisme et de victimisation ». C’est une contradiction présente de longue date dans la droite, soutient le travesti. Les putes, le bordel, ça fait aussi un peu vieille France, c’est les valeurs à l’ancienne qui ne mentent pas. Le coup des maisons closes par exemple, c’est facile : ça fait consensus au bistrot, ça fait parler les journalistes, ça redore un blason. « Et puis comme tout ce qui reparle de cul ça fait vendre. Pratique pour Boutin qui a besoin d’exister ou Brunel qui sort justement un livre », ajoute Gilda.

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Quelque soient les motivations Gilda, Cadine et leurs collègues du Strass s’en tirent à bon compte, même si l’amendement n’à rien donné. Il y a un an, un haut gradé de la BRP me confiait qu’il ne croyait pas à l’apparition d’un syndicat de prostituées reconnu. Grâce à Chantal Brunel, le Strass a été reconnu pour la première fois par l’État comme un interlocuteur représentatif et crédible. Un an après la fondation de l’organisation, c’est une consécration. « Nous avions bien avancé sur le terrain des médias, les putes sont devenues un marronnier incontournable au printemps. Nous sommes désormais considérés comme un “acteur institutionnel”», se réjouit Gilda. A deux semaines des assises annuelles de la prostitution, c’est une victoire symbolique mais bienvenue. Au menu cette année : une démonstration publique inédite de « maison ouverte », une version autogérée des maisons closes faites par et pour les travailleurs du sexe.

 MdB

Seconde photo : Une prostituée attend un client à côté de sa camionnette aménagée, le 13 mai 2004 dans une rue de Lyon/Jean-Philippe Ksiazek AFP.

Autres crédits Photos :Bérengère Berra

 *Le nom a été modifié

 

 

 

 

 

Un commentaire pour “Que pense le tapin du racolage actif de l’UMP ?”

  1. […] été donné de rencontrer au cours de mes investigations dans cet univers (à lire notamment ici). Seules les situations se recoupent, les histoires personnelles, elles, restent à chaque fois […]

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