La bonne surprise du patinage de vitesse

tuitert

Autant l’avouer d’emblée, dans l’autocar qui nous menait du centre ville à Richmond, la banlieue chinoise de Vancouver, on salivait déjà à la seule idée de se payer la gueule de ces grands échassiers de patineurs de vitesse, moulinant comme des hamsters frénétiques dans leurs cages verrouillées autour d’un ovale de cercle polaire ; leurs ridicules façons de se déhancher comme s’ils recevaient en courant alternatif des décharges de 220 ; leurs manières absconses de mouliner dans le vide au moment du départ, comme des grands guignols de Scoubidou appelant à la rescousse « Sammmmmmmmmmy » ; leurs entraîneurs au bord de la piste leur exhibant des photos de pin up de plus en plus affriolantes et dévêtues au fil des tours passés, pour mieux les motiver à revenir les voir au plus vite. Le tout avec en sourdine une bande-son signé Julien Clerc et ses patineurs qui patinaient, sur un grand lac, un lac gelé.

Tout faux.

Ce fut un moment de grâce absolue, de temps suspendu, d’enchantement perpétuel, de ravissement continuel. De la poésie convulsive en mouvement.

Déjà le public : une fanfare hollandaise de bon aloi tout d’orange vêtue. La Hollande, l’autre pays du fromage, du football et du patinage de vitesse. La classe sportive absolue synonyme d’élégance infinie. Les fantômes entêtants de Van Basten et de Cruyff. Peut-on seulement imaginer un beauf hollandais ? Difficile.

Puis le départ. Des athlètes dans la posture de fauves affamés prêts à bondir sur la première poire apparue, affublés d’un costume une pièce élégant comme une valse de Strauss. Les premières poussées, puissantes comme des départs de navettes à Cap Canaveral, racées comme des bonds de léopards tachetés, explosives comme un feu d’artifice du 14 juillet. La mise en route. Le balancement délicat des épaules, la coordination parfaite du corps en mouvement, les courbes épousées dans la plus parfaite des harmonies, la fluidité ensorcelante déployée le long de la ligne droite, les patins brillants comme des couteaux suisses étincelants, la glisse subtile, le toucher gracile, le contact facile. Le bras martelant le rythme régulier d’une horloge imperturbable aux intempéries de toute sortes. Le tout à des vitesses approchant les soixante kilomètres à l’heure. La dernière ligne droite, les poumons en feu, les jambes cramoisies, la langue pendue, l’effort à son maximum. Des purs sangs chevaleresques tenant seulement sur le fil de leur patin tranchant comme l’acier et traçant leurs routes toujours d’un pas cadencé et rythmé.

La flânerie du patineur solitaire

Et, enfin, pour une fois, surtout pas de chutes carnavalesques.

Pas de frime dégoulinante à revendre, pas de surenchère vestimentaire, pas d’artifices à deux sous. Pas de chiqué superflu. Le succès humble. La victoire modeste. Le respect sincère pour l’adversaire. Une certaine idée du sport.

Bien loin de ses branlotteurs de pipoteurs de demies pipeurs, de cette cohorte de curlingueurs au ralenti, de ce cortège de bouffons de short tracteur.

En rentrant, le cœur léger et l’âme réconciliée avec l’olympisme, je me suis arrêté au supermarché pour acheter des patins à mon chat. Dès demain je commence l’entraînement. Finies les papouilles, les caresses, les roucoulades. Je le mets au régime forcé, croquettes bio, eau cristalline, EPO de troisième génération. Du boulot, du boulot et encore du boulot. Et dans quatre ans je l’inscris aux jeux olympiques canins et félins de Shanghai. Il sera prêt. Moi aussi.

Laurent Sagalovitsch

Image de Une: Reuters

Un commentaire pour “La bonne surprise du patinage de vitesse”

  1. j’aime beaucoup l’écriture. Pour le sport, c’est le plongeon auquel je n’adhère guère si ce n’est que naguère le patin me prit comme un gant mais cela ne dura qu’un moment : vlan !

« »