Surf – A suivre jusqu’au 27 février.
Rien qu’à l’énoncé de l’intitulé de la discipline, «Half Pipe» en anglais, demie-lune en français, on aurait dû se douter que l’après-midi allait être cotonneuse comme une mère de Soupline. Elle le fut. Pourtant la montée vers Cypress Mountain fut enchanteresse et prometteuse d’infinis plaisirs à venir, le soleil en avait fini avec sa cure d’amincissement et dictait sa loi martiale dans un ciel sans nuages, les arbres n’arrêtaient pas de frimer en froufroutant leurs plumages verdoyants, l’océan en contre-bas se la jouait carte postale pour office du tourisme, mon voisin s’engueulait en coréen avec son portable en panne de défibrillateur et les passagères des voitures dédoublées nous lançaient des regards de velours. Un avant-goût du paradis.
L’arrivée sur le site nous dégrisa bien vite. D’abord une volée de marches à escalader à cloche-pied en chantonnant l’hymne canadien puis la découverte de l’enclos où allait se tenir la compétition du jour. Un bidule de demi-tube évasé creusé dans le flanc de la montagne. Le tunnel sous la manche circoncis. Les snowboarders tout en haut dans l’aire de départ, affalés comme des orques au chômage sur leurs planches, occupés à se recoiffer et à vérifier une dernière fois que leurs combinaisons ne jurent pas avec la couleur de leurs Ray-Ban. Des animateurs dyslexiques qui crachotent à rate déployée dans le micro et nous demandent de taper dans les mains pour les encourager, façon une annexe du Club med?
De la neige aux goélands
Le but du jeu: prendre assez de vitesse pour s’envoyer en l’air comme des soleils déchirés au bruit de l’accordéon rance, effectuer l’air de rien deux trois pirouettes, trois quatre galipettes, réciter cinq six je vous salue Marie, retomber sur terre, glisser vers l’autre contrefort et à nouveau piquer une tête dans le ciel, saluer la cime des arbres, papoter avec les mouettes et les goélands, taquiner les étoiles et ainsi de suite jusqu’à l’arrivée. Le tout en moins de douze secondes.
Devenir le temps d’un instant une boule de flipper alpine atteinte de délirium tremens.
Les snowboarders, des ados pour la plupart, sont super chouettes et méga sympas. Ils sourient tout le temps, ils sont hyper jeunes, trop décontractés, et surtout ils ne se prennent pas la tête tu vois? La vie, c’est comme un jeu et moi tu vois, j’aime la vie donc j’aime jouer. Le surf, c’est que du fun. C’est comme une philosophie de l’inexistence de l’existence. Tu te lances, tu te récupères, tu te relances et ainsi de suite en un mouvement à perpétuité. Surtout tu te la joues relax parce que au fond, quand tu réfléchis au fond des roses, le pire est toujours à venir derrière toi sans prévenir qu’il repassera pas. Tu vois un peu ce que je veux traduire comme état d’esprit ? Le fun, mec. A fond.
On voit.
Surf et ski à papa
Tout de même à les regarder se ramasser on finit par se demander s’ils savent au moins skier. Le ski à grand papa. Avec des bâtons, un bonnet, et des chaussures lourdes comme des seins de dame patronnesse. Comme on le pratiquait dans l’antiquité, aux alentours des années 80. Peut-être qu’à l’orphelinat de ski, c’étaient des cancres patentés, des incontinents du planter de bâton, des schizophrènes de la poudreuse et que pour s’en débarrasser une bonne fois pour toutes, les maîtres leur ont refourgués les planches à repasser de leurs épouses afin de les distraire et de permettre aux vrais skieurs de progresser.
C’est aussi une discipline alter mondialiste. Comme d’habitude dans ce genre de défilé de mode, on retrouve le contingent habituel de Suisses, de Canadiens, de Français et déjà plus surprenant d’Australiens et de Néo-Zélandais. Là où on commence vraiment à trembler de tous ses pieds, c’est lorsque le skipper nous annonce un concurrent venu des Pays-Bas. Hein? D’où qu’il a dit qu’il venait le Gentil Organisateur? Des Pays-Bas. Mais c’est pas bas les Pays-Bas? Ah si! C’est même plat comme le plat pays. Même que dans nos manuels de géographie, on va jusqu’à nous apprendre que c’est situé au-dessous du niveau de la mer. Au-dessous. Mais qu’est-ce qu’ils foutent là alors par 1.000 mètres d’altitude? Z’ont dû se tromper d’escale à l’aéroport. Ou alors ils ont échangés leurs passeports avec des Népalais de passage. A moins qu’ils soient là pour répéter le concours de l’Eurovision.
Lorsque les lumières s’éteignent, on s’aperçoit qu’on a le cul gelé, les mains gercées et la peau craquelée. Toujours à cloche-pied, on s’en retourne vers le car planqué à quinze bornes à la ronde, en montant dedans, on décoche une baffe au chauffeur juste comme ca, par principe de précaution, et on jure que plus jamais de toute notre mort on ne nous y reprendra.
Laurent Sagalovitsch (à Vancouver)
Content, pas content? C’est ici que ça se passe: