A moins d’avoir passé son existence dans un Quartier de haute sécurité après le meurtre particulièrement sordide de son chat agnostique, tout le monde connaît le tapinage artistique. Sa patinoire grande comme l’Alaska. Ses noms de combinaisons tout droit sortis d’un catalogue de berlines pour Mercedes: Axel, Lutz, Flip, Loop, Zboub. Les éternels patineurs, chemises ouvertes au vent, retroussées à mi coude, la mise impeccable, sourire idiot de circonstance suspendu aux lèvres, gants noirs, patins blancs, slips rouges qui s’en vont danser le jerk sous de la musique pop ou plutôt sous des airs empruntés à la compilation des best of des meilleurs moments des plus grands extraits des plus mémorables des opéras connus et recensés sur terre.
Leurs envolées foudroyantes dans l’espace, leurs façons de se transformer en torpilles tournoyantes au vent mauvais, en toupilles névrotiques, en tortellinis endiablés. Leurs chutes toujours au pire moment, leurs manières de se rattraper in extremis comme s’ils voulaient nous faire croire que tout allait bien, que tout était sous contrôle, qu’ils venaient juste de ramasser exprès un mouchoir qui traînait par là. Leurs pas de danse sautillants, leurs mains toujours tournées vers le ciel en de grands gestes suppliants comme s’ils imploraient un Dieu particulièrement ingrat de leur accorder ses grâces.
Leurs jambes qui au bout de deux minutes commencent à flancher comme des flageolets pas frais. Le moment de détente quand la musique se fait plus douce, juste le temps de prendre une petite verveine bien chaude avant de repartir au combat. Des Sisyphe d’opérettes. Les spectateurs qui une fois achevé le show de leur vedette préférée leur balancent en pleine poire tout ce qui passe entre leurs seins: peluches de mouettes, chaussettes étriquées, strings jetables et surtout des tombeaux de fleurs fanées, volées une heure plus tôt au cimetière municipal sur la tombe de Madame Duchemin.
Leurs entraîneuses survitaminées, toujours des Russes pas très sympathiques qui avec des mines de tortionnaires staliniennes reçoivent leur petit chéri dans le kiss and cry, en leur assenant de grandes tapes réconfortantes dans le dos, tout en leur murmurant à l’oreille combien ils ont été nuls à chier. Dans l’alcôve réservée, les sourires contrits, les mines faussement épanouies, les bisous envoyés à la fiancée restée à la maison garder le moutard à naître, les mains sur le cœur encore tout palpitant des efforts consentis, la bave aux lèvres, les paroles articulées en silence pour prévenir la maman planquée derrière son poste de télevision de leur garder le repas de la veille bien au chaud, l’insupportable attente des notes qui n’arrivent pas, arrivent, les pleurs de circonstances, les satisfecit du staff, les pouces levés en signe de défaite.
La solitude surtout. La solitude du taureau perdu dans les arènes qui, en attendant l’arrivée du torero toujours à la bourre, se demande bien ce qu’il peut foutre ici alors qu’il pourrait être en train de monter la petite dernière arrivée dans la meute. Oui la terrible solitude du tapineur artistique par moins six degrés à la nuit tombée dans une ville inconnue.
Laurent Sagalovitsch (à Vancouver)
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