OGM: six Académies plaident pour museler les chercheurs et la presse

Que s’est-il passé au sein des 6 Académies nationales qui, vendredi 19 octobre 2012, ont publié un avis commun sur l’affaire Séralini ? Dès le 19 septembre, jour de la publication de l’étude du chercheur français à la fois dans la revue Food and Chemical Toxicology et dans le Nouvel Observateur, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a demandé, via une saisine immédiate, l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Tandis que l’on attend toujours cet avis (annoncé pour le lundi 22 septembre à 14h00), voilà que 6 Académies nationales, auxquelles personne n’a rien demandé, décident de se prononcer sur l’étude de Gilles-Eric Séralini.

La surprise redouble, voire décuple, lorsque l’on lit ce texte de 5 pages sobrement intitulé “Avis des Académies nationales d’Agriculture, de Médecine, de Pharmacie, des Sciences, des Technologies, et Vétérinaire sur la publication récente de G.E. Séralini et al. sur la toxicité d’un OGM”. Outre le fait, sans doute rarissime, d’une telle association de doctes institutions, c’est la violence du propos qui surprend et amène à s’interroger. On se souvient des tergiversations, des débats à huis clos et du texte final de haute volée diplomatique qui avait suivi la demande à l’Académie des sciences de statuer sur le différend entre scientifiques au sujet du réchauffement climatique. Ici, l’équilibre cède la place une virulence inaccoutumée.

Sur le fond, les six Académies reprennent les avis déjà remis par les autorités européenne (EFSA) et allemande (BfR) sans attendre celui de la France… Dont acte. Le communiqué de presse accompagnant l’avis conclut : “En conséquence, ce travail ne permet aucune conclusion fiable”. Mais c’est sur la forme, c’est à dire la stratégie de communication de cette étude, que les Académiciens lâchent leurs bombes. Sans se priver d’attaques ad hominem:

“L’orchestration de la notoriété d’un scientifique ou d’une équipe constitue une faute grave lorsqu’elle concourt à répandre auprès du grand public des peurs ne reposant sur aucune conclusion établie”.

Quand aux leçons et préconisations, elles font froid dans le dos. Leur citation intégrale s’impose tant le propos sort des sentiers battus. Ainsi, les six Académies :

souhaitent que les universités et les organismes de recherche publics se dotent d’un dispositif de règles éthiques concernant la communication des résultats scientifiques vis-à-vis des journalistes et du public, afin d’éviter que des chercheurs privilégient le débat médiatique qu’ils ont délibérément suscité, à celui qui doit nécessairement le précéder au sein de la communauté. scientifique.

proposent que le Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel s’adjoigne un Haut comité de la science et de la technologie chargé de lui faire part, de façon régulière, de la manière dont les questions scientifiques sont traitées par les acteurs de la communication audiovisuelle.

demandent aux pouvoirs publics et à la représentation nationale de tout mettre en œuvre pour redonner du crédit à l’expertise collective et à la parole de la communauté scientifique qui mérite une confiance qu’on lui refuse trop souvent, alors que chacun s’accorde à affirmer que l’avenir de la France dépend pour partie de la qualité de ses travaux de recherche.

Est-il nécessaire de commenter de tels propos ? Le “dispositif de règles éthiques” semble conduire directement à l’instauration d’une nouvelle censure en matière de communication scientifique. Le Haut conseil de la science et de la technologie, associé au CSA, ressemble à un service de renseignements chargé de faire la chasse aux journalistes maltraitant la science.

S’il avait existé, le premier instrument aurait pu servir à museler Gilles-Eric Séralini. En cas d’échec de cette première ligne, le second dispositif aurait conduit à dénoncer les journalistes du Nouvel Observateur qui ont relayé l’information le jour de la publication scientifique de l’étude. Les Académiciens ne précisent pas les sanctions qu’ils souhaitent voir appliquées. L’exclusion du chercheur de l’université ? L’interdiction de paraître du Nouvel Observateur ?

Que six Académies perdent à ce point leur sang froid qu’elles se laissent aller à publier un texte commun appelant à la censure et à la chasse aux sorcières révèle un malaise profond de ces institutions scientifiques vis à vis des médias et du public. A l’inverse du but recherché, ce texte pourrait conduire à :

Une défense, espérons-le, par l’ensemble des médias, aussi bien de la presse écrite, radio et télévisée, de la rédaction du Nouvel Observateur. Corporatisme ? Sans doute, si la liberté de la presse en est un. Sinon, ce sera aux lecteurs, c’est à dire aux citoyens, de se prononcer. Même ceux, dont je fais partie, qui considèrent la couverture du Nouvel Observateur du 20 septembre (“Oui, les OGM sont des poisons !”) comme indigne de l’éthique journalistique, ne pourront que défendre le droit de l’hebdomadaire à faire des erreurs. Tous les médias en ont fait, en font et en feront. Surtout dans les périodes économiquement difficiles comme celle que nous traversons. La disparition de la version papier de Newsweek en témoigne. Vouloir instaurer la censure ne peut avoir comme objectif que de hâter la disparition de la presse écrite. A moins que cette dernière ne sorte revigorée de cette attaque. Mais, pour cela, elle a besoin du soutien de ses lecteurs.

Une suspicion dans l’esprit des directeurs de journaux, de radios et de télévisions, vis à vis du traitement de la science dans leur média. Cette méfiance minera les décennies d’efforts des journalistes scientifiques pour convaincre leur direction, dont la culture est, le plus souvent, littéraire, d’accorder plus de place aux sujets scientifiques dans leur média. Sans une condamnation massive du texte des six Académies, la science occupera, demain, encore moins de place qu’aujourd’hui dans les journaux, les radios et les chaînes de télévision. Beau résultat…

Une fracture entre les chercheurs, les médias et le grand public. Là encore, des décennies d’efforts pour mettre les débats scientifiques sur la place publique risquent d’être ruinées. Ce ne serait pas le moindre des effets collatéraux de l’opération médiatique Séralini que de lui donner un tel pouvoir. Aujourd’hui, déjà , la parole des chercheurs n’est pas toujours libre. En faisant planer la menace d’une sanction de leur institution, la recherche sera muselée. Est-ce là le but des Académies nationales ? Veulent-elles que le débat scientifique soit réduit au huis clos jusqu’à ce qu’une communication officielle, une “vérité”, soit dispensée à la foule ignare, incapable de forger sa propre opinion ?

On peut se demander quelle mouche a piqué les six Académies pour les conduire à publier un tel texte. S’il n’est pas retiré au plus vite, une réaction s’impose de la part de l’ensemble des journalistes, bien entendu, mais également, et surtout, du public.

Alors, à vos plumes !

Michel Alberganti

 

57 commentaires pour “OGM: six Académies plaident pour museler les chercheurs et la presse”

  1. Bonjour,

    Je voulais juste souligner à nouveau une chose, de la part des personnes qui se prévalent “d’avoir essayé de publier” etc pour dire que le travail de Séralini a été présenté aux journalistes avant évaluation par “la communauté scientifique”.
    Je pense qu’on ne vit pas dans la même communauté scientifique apparemment. Il est clairement dit dans l’article que l’étude A ETE PUBLIEE dans la revue Food and Chemical Toxicology. Ce qui veut dire, connaissant les délais entre la première soumission d’un article et sa publication ( de 3 mois à deux ans !!!), que Séralini a soumis son article probablement au moins 6 mois avant la publication dans le nouvel obs.
    Quand à la phrase de FB le 20 octobre “quand vous écrivez si vous avez de la chance votre publication passe tout de suite”, eh bien je me demande dans quel domaine scientifique c’est vrai. Je suis chercheuse en bien être animal et à moins d’être un monstre sacré je n’ai que rarement entendu parler d’un article soumis accepté tel quel (voire jamais).
    Après, que l’étude soit critiquable, je veux bien le croire, aucune étude scientifique n’est parfaite quoi qu’on fasse. Mais je trouve également la réaction des académies particulièrement virulente pour UNE étude. Les études scientifiques étant par essence toujours critiquables, et beaucoup ayant tout de même un écho dans les médias, comment se fait-il qu’une étude particulière soulève un tel tollé ?
    Et quand on parle des chercheurs en les présentant comme biaisés dès le début et voulant absolument susciter le débat médiatique, pourquoi ne peut on pas admettre qu’il y ait aussi simplement des journalistes intéressés qui attendaient la publication de l’étude avec impatience ??
    Mon collègue et moi travaillons aussi sur un sujet controversé, nous ne cherchons à susciter aucun débat médiatique, et pourtant des gens de l’extérieur sont intéressés par les résultats potentiels qui feront probablement débat quand ils seront publiés. Ces gens viendront vers nos supérieurs et l’équipe le moment venu pour savoir où nous en sommes et quand nous publions.
    Je trouve donc bizarre cette réaction de six académies fustigeant des chercheurs.
    Pour moi, une fois qu’une étude est publiée, elle peut faire partie du débat public, et je ne vois pas pourquoi on devrait rajouter une espèce de véto supplémentaire à plusieurs étages pour ne mettre au courant le public que de ce qui arrange les académies. Des sujets controversés, il y en a eu, il y en a et il y en aura toujours, et si le public veut mettre son grain de sel dans quelque chose qui le concerne, eh bien pourquoi pas.
    J’ai cru remarquer que lorsque les médias font des erreurs énormes qui vont dans le sens de ce qui plaît, nul ne se préoccupe de l’impact de ces erreurs et du fait que les erratums de 3 secondes qui sont publiés ne touchent probablement pas les mêmes personnes que ceux que l’erreur a touché.

    Les propositions faites par les académies pourraient être prises dans plusieurs sens : ça pourrait aussi être pris comme la volonté de promouvoir la science de façon plus large, de changer la façon dont la science est présentée dans les médias (par exemple le fait de dire “une étude”, sans jamais dire OU ON PEUT TROUVER LA FOUTUE ETUDE EN QUESTION), etc…
    Mais dans le contexte où elles sont faites, j’ai l’impression que l’interprétation de l’auteur est la bonne, et qu’il s’agirait presque plutôt d’un “comité de contrôle” de ce qui est relâché au public OU PAS, tout l’ennui étant dans le OU PAS.

    Pour finir, j’adore le fait qu’il y ait un tollé sur l’exploitation par les médias de ce qui est, malgré tout, une étude scientifique, alors que tous les jours les mêmes médias utilisent tous les jours de vagues sondages, des micro-trottoirs, des “impressions”, des déclaration à l’emporte pièce sans vérification pour faire leur travail.

    A tout prendre, personnellement, je souhaiterai justement que plus d’études référencées servent de base au travail des médias.

    Merci pour votre article, monsieur.

    Cordialement, Val.

  2. @Michelalberganti: Berlan est un économiste, il n’y connait rien en génétique ou en toxicologie. Rien de ce qu’il dit sur les pesticides, OGM ou hybrides n’est vrai. C’est une succession infini d’ânerie et de mensonge. Sa vision marxiste explique sa dialectique.

    @JCB: le facteur humain en face des réalités de la physique ça tient pas une seconde. Je vous invite à tester le facteur humain face à la gravité.

    @Lassales: non il y a déjà eux des études de longues durée.

    @Lunesdesable: avis de l’ANSES et du HCB ce lundi.

    @Val: vous êtes naïves, le problème c’est l’impact à long terme sur l’opinion. Informez vous sur les techniques de propagande (S.Tchakhotine, J-M.Domesnach)

  3. Pour faire simple, supprimons les “experts” qu’ils soient académiciens ou représentants de “hauts conseils”, ils restent des humains avec leurs croyances, doutes et certitudes et leur avis ne vaut pas toujours mieux qu’un autre!

    La science n’avance correctement que d’une manière: les expériences et analyses contradictoires. La science ne peut avancer sans le criticisme or depuis cette étude, on nous abreuve avec des discours de croyants utilisant leur aura médiatique.

    Que l’ANR ouvre un appel d’offre pour que des labos publiques refassent ce genre d’études et quand il y en aura un vingtaine de réaliser à travers le monde, alors nous pourrons sans doute y voir un peu plus clair.

    Le Prof Séralini, qu’il ait vue juste ou non a ouvert un très bon débat: le carcan des méthodologies partielles et partiales définies par des groupes d’expert trop souvent juge et partie.

    Quand au média sur ce sujet, ils prennent trop souvent partie selon leur envie en se cachant derrière des experts ou des notion très floue comme “la communauté scientifique”. La communauté scientifique est gigantesque et elle ne s’exprime pas sur ce sujet. Seuls quelques scientifiques ayant assez de prestige ou d’aura donnent leurs avis. Oui mais ce ne sont que leurs avis et non pas celui de la communauté scientifique.

    Un chercheur en science de la vie et de la santé.

  4. En tant que chercheur, je suis choqué par la polémique que soulève cette expérience. La science n’est pas une idéologie, il n’y a donc pas lieu de polémiquer, il faut seulement confirmer ou infirmer les résultats de cette expérience, en la recommençant sous la même forme et sous d’autres formes en faisant varier des facteurs comme la race des rats, leur nombre par lot, différentes concentrations…etc. C’est le propre de la science de remettre constamment en cause les conceptions arrêtées et c’est ce qui fait sa grandeur et sa vérité. C’est la raison pour laquelle l’avis de ces académies est plus proche de l’idéologie que de la science.

  5. […] dans son ensemble. Le fait qu’un groupe d’une douzaine de personnes prétendant représenter six académies ait décidé d’un communiqué commun sans débat est contraire au fonctionnement normal de ces […]

  6. […] 2012, les avis donnés par les agences de sécurité sanitaire et les prises de position des académies, comme celles de multiples pétitionnaires, comment ne pas tenter une confrontation ? Rassembler […]

  7. @Karg se :
    “le facteur humain en face des réalités de la physique ça tient pas une seconde. Je vous invite à tester le facteur humain face à la gravité.”
    J’ignorais que les OGM étaient “des réalités de la physique”…

« »