Le foot de club en Afrique, ce sont les duels homériques entre le Tout-Puissant Mazembe et l’Asante Kotoko, les discours enflammés du “Camarade Responsable Suprême de la Révolution” Sékou Touré aux joueurs du Hafia Conakry, les cadeaux de Mobutu, les derbys de malades entre Al Ahly et Zamalek. Sélection nostalgie.
Vous vous souvenez peut-être du grand Real Madrid, celui de Di Stefano, Puskas et Kopa, qui remporta les cinq premières éditions de la Coupe d’Europe des clubs champions, à la fin des années 1950. Pour vous, l’équipe du début des années 70, c’est à coup sûr l’Ajax Amsterdam, celui de Cruyff, Rep & co. Puis vient le temps du Bayern de Munich, antichambre de l’équipe d’Allemagne. La fin des années 80, elle, est marquée par le révolutionnaire Milan AC de Sacchi.
Mais connaissez-vous le duel acharné que se livrèrent le Tout-Puissant Mazembe et l’Asante Kotoko à la fin des années 60? Vous souvenez-vous des destins mêlés du Hafia Conakry et du dictateur guinéen Sékou Touré? Et que dire du derby cairote, Al Ahly contre le Zamalek? Tous ces clubs africains ont marqué l’histoire de la Coupe d’Afrique des clubs champions. Sélection.
Après la vague de décolonisation, le foot africain se structure. Proposé en 1962, le principe d’un tournoi des clubs champions est adopté lors d’une assemblée générale au Caire en 1963. Le vainqueur remportera la Coupe Nkrumah, offerte par le dirigeant ghanéen. De 1965 à la fin des années 70, la période est marquée par l’ultra-domination des clubs d’Afrique subsaharienne, très largement poussés par des régimes dictatoriaux qui en font un instrument de propagande. Sur 30 finalistes, 27 viennent d’Afrique noire.
C’est sûr que ça faisait moins flipper. Le club de Lubumbashi, fondé en 1939 par des missionnaires, est d’abord baptisé FC Saint Georges Elisabethville, l’ancien nom de la ville. Cinq ans plus tard, il devient propriété de la firme Englebert, spécialisée en pneumatique. Invaincu au cours de toute sa première saison, il se renomme Tout-Puissant pour célébrer cet exploit (Mazembe a d’ailleurs fait des émules, puisque dans le championnat congolais, on trouve notamment un Tout Solide Malekesa, et un Tout Capable Elima…). Le nom Mazembe, lui, signifie “Corbeaux” en kiswahili. Il est adopté en raison des couleurs du maillot, noir et blanc.
Première équipe hégémonique du foot africain, avec deux titres puis deux finales perdues entre 1967 et 1970 (et notamment des matches homériques contre les Ghanéens de l’Asante Kotoko), le Tout-Puissant est adossé au très riche sous-sol du Katanga. Il bénéficie également du soutien de Mobutu, alors en pleine gloire et accompagne les grandes heures de l’équipe nationale du Congo, qui devient le Zaïre, et remporte deux CAN en 1968 et 1974 avant de participer au Mondial en RFA.
La compétition sera marquée par la branlée (0-9) reçue contre la Yougoslavie: Tshimen Bwanga, ballon d’or africain 1973 et défenseur du Tout-Puissant, Ricky Mavuba (père de), le buteur Pierre Mulamba et leurs camarades sont punis à leur retour au pays. Sur le plan intérieur, Mobutu accélère la mise au pas du Katanga et le Tout-Puissant est relégué derrière les grands clubs de Kinshasa comme l’AS-Vita Club ou l’AS Dragons qui entretiennent le haut niveau congolais dans les années 80. Mobutu, comme d’autres chefs d’Etats africains, ancre le principe de joueurs d’Etat. Les grands clubs sont les succursales des équipes nationales, et les meilleurs éléments – dotés d’emplois de complaisance – sont choyés.
Mulamba Ndaye, ailier de l’AS-Vita Club, le rival historique du Tout-Puissant, remporte la compétition en 1973. Originaire du Katanga, le foot lui permet de rejoindre la capitale Kinshasa et d’afficher un certain statut: “La réussite sportive de ce joueur, écrit en 1974 le journaliste zaïrois Matope Kibili, s’est logiquement accompagnée d’une enviable réussite sociale. Il a sa V.W Passat, cadeau du très sportif président de la République à tous les Léopards (…), il a placé un peu d’argent en banque et bientôt entrera en possession d’une jolie maison, cadeau également du Président Mobutu Sese Seko à tous les joueurs de notre équipe nationale.” (1)
Fournisseur officiel du Sily national de Guinée, le Hafia avait un atout particulièrement redoutable: il était le club de Sékou Touré, président-fondateur, socialisant mais pas très humaniste qui règne à Conakry de 1958 à sa mort en 1984. Grand fan de foot, il prend bien soin de porter son club favori et de le mettre en position pour remporter trois Coupes d’Afrique des clubs champions et jouer deux finales entre 1972 et 1978.
En 1972, après la première victoire du club, les vainqueurs sont reçus en héros au stade du 28-Septembre de Conakry. Le capitaine Ousmane Tolo s’adresse à Sékou Touré (1): “Camarade Responsable Suprême de la Révolution, nous sommes heureux et fiers d’avoir fait notre devoir, d’avoir tenu les engagements (…).” Les “footballeurs étudiants” de Sékou gagnent même le droit de conserver le trophée Nkrumah en 1977. Après douze titres nationaux en quinze ans (entre 1971 et 1985), le Hafia, qui veut dire “renaissance”, suit le destin de son supporter numéro 1, et disparaît de la circulation sous Lansana Conté.
La finale perdue en 1976 contre le Mouloudia Club d’Alger
A une époque où les clubs d’Afrique noire dominent le continent, le Cameroun est particulièrement bien représenté. Ses deux grands clubs, le Canon Yaoundé, et l’Union Douala, se partagent la suprématie nationale et continentale, avec deux gardiens d’avenir, Thomas Nkono et Joseph-Antoine Bell. L’Union remporte ainsi l’édition 1979 ainsi que la Coupe des coupes 81. Le Canon, lui, s’impose comme la référence de la période: avec des titres en 1971, mais surtout en 1978 et 1980, plus la Coupe des coupes 1979 (et la finale 1976).
Un petit tour au Panthéon des meilleurs canonniers n’est pas superflu. Et là, on laisse Jean Lambert Nang parler: “De Thomas Nkono, «l’araignée noire», à Jean Manga Onguéné alias Domingo, «la tête d’or», en passant par Théophile Abéga «Docteur», Mbida Grégoire «Arantès», Emana Marc dit «Essuie-glaces», Akono Jean-Paul «Magnusson», ou encore Moungam Dagobert «Berreta», Jean-Daniel Eboué «404», Aoudou Ibrahim, Mfédé Louis Paul… Tous des joueurs phénoménaux! Leurs surnoms étaient d’ailleurs significatifs de l’ambition qui les animait, à la fois personnelle et collective, mais toujours nimbée d’un patriotisme à nul autre pareil. C’est cet amour sans nul autre pareil du terroir qui les fit briller en même temps qu’ils firent luire le Canon et le Cameroun sur les sommets du continent noir. Le peu que l’on puisse dire, c’est qu’ils y sont largement parvenus, avec, en prime, une transmission chevaleresque du témoin à leurs jeunes successeurs.“
Le rapport de force change au milieu des années 80. Victimes de l’affaiblissement des Etats, moins riches et moins bien structurés, les anciennes formations stars des seventies disparaissent. C’est l’heure des clubs égyptiens, plus riches et mieux structurés.
Depuis 1982, sur les 29 finales de la compétition, seules 13 ne comptent pas un représentant égyptien. Les clubs cairotes de Zamalek (5 victoires, 1 finale depuis 1984) et d’Al Ahly (6 victoires, 2 finales depuis 1982) font figure d’épouvantails. Al Ahly a été désigné club africain du 20e siècle en 2000. Avec ses 35 titres de champion d’Egypte, “Le National” est concurrencé épisodiquement par le Zamalek, notamment quand celui-ci recrute au début des années 2000 la star égyptienne Hossam Hassan.
Le derby entre les deux clubs – un des plus féroces au monde selon la Fifa – vaut son pesant d’Olympico, Clasico et autres Celtico. La BBC nous narre quelques uns des us et coutumes locaux: “On part du principe qu’un arbitre égyptien soutiendrait forcément l’une ou l’autre des équipes, c’est pourquoi on fait appel à des arbitres étrangers. L’Ecossais Kenny Clark – qui avait sifflé quatre Old Firm [le derby de Glasgow Celtic contre Rangers, ndlr] – a été choisi en 2001, après que six autres fédérations européennes eurent refusé d’envoyer un de leurs arbitres.”
Parfois, la rencontre doit être interrompue. Dernier épisode en date, en 1999. Après deux minutes de jeu, le Français Marc Batta dégaine un carton rouge pour un joueur du Zamalek, coupable d’un tacle par derrière. Fâchés, ses coéquipiers quittent le terrain et refusent de poursuivre le match. Classe.
(1) Propos tirés du livre “Histoire du football”, de l’historien Paul Dietschy.
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François Mazet et Sydney Maréval
Et le foot marocain ?
Très bon récapitulatif.. Sur Al-Wahda, le pays hôte de la coupe du monde des clubs, vous pouvez lire ceci http://tourl.fr/zou
[…] > A lire aussi sur Plat du pied, le best of des clubs africains. […]
@val: Notre sélection n’était pas exhaustive. Le Wydad, le Raja, ou des FAR de Rabat ont bien sûr sorti de belles performances ces dernières années . Mais nous avons estimé qu’elles ne s’inscrivaient pas dans une tendance plus globale de domination des clubs marocains.
Conçernant le TP Mazembe voici la vraie signification
Avant…..TP signifier Traveaux publics
Mazembe en swahili sous attends les engins lourd de terrassement tel que les CHARGEURS,LES NIVELEUSES et LES COMPACTEURS
Pour le nom corbeau c’est exact c’est lier aux 2 couleurs du maillots de l’equipe NOIR ET BLANC
En resumé TP MAZEMBE signifie actuellement
TOUT PUISSANT NIVELEUSE OU COMPACTEUR autrement dit rien ne lui resiste
@sydneymarval : mon commentaire n’était qu’une boutade à fondement patriotique, ça reste un très bon article sur un continent trop souvent oublié !
je croit que vous avez oublié le derby Marocain classé 8 éme au monde :)))))))
C’est tout simplement honteux de ne pas parler d’un derby rassemblant jusqu’à 100 000 ames : le derby Casablancais entre le Raja et le Wydad.
Le Raja ayant tout de même glané 3 LDC Africaines, merite amplement quelques lignes dans cet article.
@ zemana. Bon, les gars, on se calme? Le but de ce papier n’était pas de faire l’histoire de tous les clubs africains. Les Tunisiens, sud-af, nigérians aussi auraient mérité d’être cités. Nous ne l’avons pas fait parce qu’il fait bien choisir. Après, il est vrai que le derby casablancais doit aussi valoir le coup! Salutations.
C’est un bel article que j’ai eu plaisir à lire, très instructif. Merci son auteur.