Le Tout-Puissant va-t-il sauver les clubs d’Afrique noire?

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GravesenAvatarTeddyBertinAvatarLes Corbeaux du Tout-Puissant Mazembe, malgré leur défaite en finale contre l’Inter Milan, ont flambé au Mondial des clubs. Présidés par Moïse Katumbi, gouverneur de la riche province du Katanga, les Congolais font pourtant figure d’anomalie. Les clubs de foot d’Afrique noire, à leur apogée dans les années 70 et 80, ne cessent depuis de s’effondrer.

Pour la première fois depuis la création du Mondial des clubs en 2005, la finale de samedi [défaite du Tout-Puissant 0-3] n’a pas tourné au duel Europe-Amérique du Sud. Si l’Inter Milan avait assuré en demi-finale contre les Coréens de Seongnam (3-0), l’Internacional Porto Alegre s’était ramassé face aux Congolais du Tout-Puissant Mazembe (0-2). Une reconnaissance pour l’Afrique et son football de club, rayonnant il y a quelques décennies, plus pâlot aujourd’hui.

L’an dernier, le TPM avait fini à une vulgaire sixième place, éliminé par les Coréens de Pohang Steelers et battu en match de classement par les peintres néo-zélandais du Auckland FC. Alors forcément, on n’aurait pas parié une cacahuète sur le club de Lubumbashi, cette ville du bout du monde, à quelques pas de la Zambie, capitale minière du Katanga, la province rebelle où l’on assassina Patrice Lumumba. Mais le Tout-Puissant avait les augures avec lui. Soutenu par l’Eglise congolaise et le président Kabila, il était déjà parvenu, il y a quelques semaines, à conserver son titre en Ligue des champions africaine. Aujourd’hui, son parcours à Abou Dhabi, ce n’est que du bonus, comme on dit.

Le résultat de mardi a fait l’effet d’une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos, d’autant plus que TPM profite de la faiblesse des Léopards de RDC pour drainer l’enthousiasme d’un peuple congolais qui se relève de nombreuses années de conflits civils et de millions de morts. Les “Corbeaux” en appellent maintenant à l’unité et au soutien “de toute l’Afrique” – Ghana style – comme l’a demandé leur truculent gardien Robert Kidiaba, que la victoire a véritablement laissé sur le cul.

Le club est dirigé par Moïse Katumbi, un métis au croisement “de Berlusconi et de Chavez” comme le décrivait So Foot dans un portrait en janvier dernier. Hyper populaire, le “président-sponsor-gouverneur” a fait fortune dans les transports, a le soutien du régime Kabila et du magnat belge Georges Forrest, sorte de faiseur de roi du Katanga ayant un droit de regard sur tout, des mines (uranium, cobalt, zinc, cuivre…) à la production de munitions.


KATANGA business de Thierry Michel

Néanmoins, le succès du Tout-Puissant fait figure d’anomalie à l’heure où les compétitions continentales sont plutôt dominées par les équipes d’Afrique du nord, principalement égyptiennes. Pour le journaliste Faouzi Mahjoub, spécialiste du foot africain, la rupture se situe en 1997. L’historique Coupe d’Afrique des clubs champions (avec des éliminations directes de bout en bout) est remplacée par une Ligue des champions calquée sur le modèle européen. “L’impératif sportif n’est jamais intervenu dans cette décision, explique-t-il. L’objectif, c’était de dégager des recettes supplémentaires en sponsoring et en droits télé”. La compétition, baptisée “Ligue des champions Orange”, se maque avec le groupe Sportfive, chargé de lui dégoter des annonceurs.

Selon Faouzi Mahjoub, si la Confédération africaine a pris ce chemin de la “commercialisation à outrance”, c’est sous la pression des clubs du Maghreb et d’Egypte, qui menaçaient de rejoindre la Coupe arabe des clubs. Depuis, la Ligue des champions africaine, pourtant bien dotée (1,5 millions de dollars pour le vainqueur), ne fait que confirmer la décadence des clubs d’Afrique noire. “La grande différence, c’est que les clubs du Maghreb et d’Egypte ont les moyens de garder leurs meilleurs joueurs et de recruter”, souligne Faouzi Mahjoub. Les formations d’Afrique noire, elles, sont pillées très tôt par les écuries européennes qui viennent y récupérer leurs futures stars.

“Même les clubs d’Afrique du Nord recrutent des seconds choix”, appuie Mahjoub. “La réussite du Mazembe – un accident selon moi – est due au fait que le président Katumbi, un potentat, a su conserver ses meilleurs joueurs. Et il les paye bien, en plus.” Au Tout-Puissant, les salaires vont de 4.000 à 25.000 dollars par mois, et ils sont versés à l’heure. Le budget annuel, lui, avoisinerait les 6 millions de dollars. Bien loin des standards européens, mais une fortune par rapport aux clubs ghanéens, camerounais, ou ivoiriens.

Pour Faouzi Mahjoub, qui suit les formations du continent depuis quatre décennies, le niveau des clubs africain a régressé: “Aujourd’hui, dans n’importe quelle ville d’Afrique, très peu de gens peuvent citer les derniers vainqueurs de la compétition continentale. En revanche, ils peuvent tous vous donner les noms des joueurs des années 70-80. Le derby entre l’Asec et l’Africa, à Abidjan, pouvait accueillir par le passé jusqu’à 30.000 spectateurs. Aujourd’hui, c’est à peine 2.000 personnes.” Une désaffection qui peut aussi s’expliquer par la concurrence des télévisions. “Dans les années 60 et 70, le seul moyen de voir du foot, c’était d’aller au stade. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, tous les matches européens sont retransmis à la télé”, souligne l’historien Paul Dietschy (1).

Les fédérations nationales ne s’illustrent pas spécialement pour endiguer ce phénomène. Faouzi Mahjoub: “L’Algérie, par exemple, a fait massivement appel aux jeunes joueurs formés en France pour son équipe nationale. C’est une solution de facilité, qui montre l’absence de plan de développement des clubs.” Certes. Mais les formations africaines ont aussi subi de plein fouet l’ouverture des frontières. “Jusque dans les années 80, les joueurs devaient être amateurs pour pouvoir jouer la CAN. Il était donc compliqué pour eux de partir en Europe”, rappelle Paul Dietschy. Mais depuis l’arrêt Bosman en 1995, notamment, le foot africain est régulièrement privé de ses meilleurs éléments.

Le Tout-Puissant a-t-il ouvert la voie à une résurrection? Paul Dietschy veut croire à une renaissance prochaine des clubs d’Afrique noire, ne serait-ce qu’en raison de l’essor économique de la région. “Il ne faut pas oublier que le foot congolais a été l’un des plus importants et des mieux structurés avant la décolonisation, explique-t-il. C’est logique que ce réservoir de talents (la RDC compte 72 millions d’habitants, ndlr) se réveille.”

> A lire aussi sur Plat du pied, le best of des clubs africains.

(1) Paul Dietschy est l’auteur de l’ouvrage “Le football et l’Afrique” /Crédit photo: le gardien Muteba Kidiaba/REUTERS – Fadi Al-Assaad

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François Mazet et Sydney Maréval

7 commentaires pour “Le Tout-Puissant va-t-il sauver les clubs d’Afrique noire?”

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Olivier Monod, Plat du Pied . Plat du Pied a dit: Et Moïse arriva http://fb.me/y2x5LOVY […]

  2. bonne chance à mazembe,le match se joue sur le terrain.un petit conseil;que les joueurs ne se troublent pas ou ne pas avoir un complexe de voir en face les grands noms de joueurs de l’inter ,ils font comme si ils jouaient avec une équipe de la rdc.qu’ils sachent toute l’afrique sera derrière eux.Que DIEU les protège.

  3. courage c pr 2-0

  4. Excellent article. Pour en savoir plus sur le Mazembe, vous pouvez aussi venir ici http://tourl.fr/abgr

  5. la note aurait pu être plus lourde avec 3 autres occasions nettes avec 6-0 et 2 cartons rouges c’est le vrai niveau du Tout Impuissant Mazembé cependant il faut avouer que les congolais étaient privé du joueur spécialiste des finales continentales Kokou Djaoupé

  6. Une finale délicate face à l’Espérance
    Pour la finale de la Ligue des Champions Africaine – qui se jouait sur le modèles des matches aller-retour -, le Tout Puissant a disposé facilement de l’Espérance de Tunis (6-1 si l’on cumule les deux matches), renvoyant ainsi le football tunisien et maghrébin en général à de profondes interrogations.
    Tout s’est joué lors du match aller où Mazembe a étrillé l’Expérance 5-0 devant les 35 000 spectateurs du Stade de la Kenya. Une victoire construite sur les deux doublés de Kasongo et Singuluma mais surtout grâce à l’arbitre qui, après avoir accordé le premier but sur hors-jeu, siffle un pénalty généreux en faveur des Corbeaux… Les congolais feront match nul 1-1 à Tunis (qui ne souffrira d’aucune faute d’arbitrage), au grand dam des espérantistes qui se seront punis tout seul, l’arrière droit Aymen Ben Amor étant expulsé avant même la remise en jeu suivant le but tunisien pour un crachat sur l’adversaire

  7. […] lors de la première journée contre la RDC, tenante du titre et formée autour des joueurs du Tout Puissant Mazembe, récent finaliste du Mondial des Clubs et hégémonique sur le continent depuis deux […]

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