SXSW 2016: le poids de la technologie sur la campagne présidentielle américaine

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Année présidentielle aux Etats-Unis oblige, le festival South by South West, qui se tient à Austin, au Texas, du 11 au 15 mars 2016, fait une large place à la politique, via des dizaines de sessions consacrées au sujet – sur les quelque 900 qui figurent dans le programme.

>>Lire les tendances de South by South West 2014 >>

Au centre des préoccupations, cette question: qui va élire le successeur de Barack Obama? Les réseaux sociaux? Les moteurs de recherche? Si Dan Rather, le présentateur phare de la chaîne CBS, âgé aujourd’hui de 84 ans, estime que «c’est la télévision qui décidera du résultat des élections, et non Internet ni les réseaux sociaux», personne à South by South West ne semble aller dans son sens.

Quand les data gouvernent la politique

Car, en 2016, ce sont les data et leur bonne gestion qui transforment un candidat en président. «Pas les data en tant que telles, mais les data comme levier pour pousser les messages politiques», tempère JC Medici, de la société Rocket Fuel, qui fabrique des publicités politiques.

Parmi les données scrutées de près par les équipes des candidats, il y a avant tout les réactions collectées lors du porte-à-porte, les dons effectués par email, le nombre de likes et de retweets obtenus en ligne, le taux de partage sur les réseaux sociaux. Autant de données – anonymisées par une société tierce avant d’être récupérées par les partis – qui peuvent prédire la victoire ou l’échec.

Lorsqu’on demande à Keegan Goudiss, l’un des artisans de la campagne de Bernie Sanders, s’il s’attendait à ce que le démocrate l’emporte aux primaires dans l’Etat du Michigan, il répond qu’il avait vu que «le responsable de la campagne était très enthousiaste avant l’heure». Combien de temps «avant l’heure» était-il enthousiaste? On ne le saura pas.

Passion politique

«Il ne faut pas surestimer le nombre d’utilisateurs d’Internet dans le processus électoral», reprend Dan Rather. Pour Keegan Goudiss, «certains publics ne sont pas atteignables via le numérique», il faut donc continuer à faire de la publicité sur les médias traditionnels.

Un paradoxe: alors qu’en 2016, la très grande majorité des investissements publicitaires en politique se font à la télévision plutôt qu’en ligne, c’est la première élection américaine où les «millennials», ces jeunes qui désertent les médias traditionnels, sont en âge de voter. «Les millennials sont plus éduqués, plus informés que les autres électeurs», précise Cenk Uygur, éditorialiste et présentateur du programme sur YouTube, «The young turks».

Conséquence, du point de vue des médias: «la passion de l’audience pour la politique n’a jamais été aussi grande qu’en 2016», assure Jeanmarie Condon, l’une des dirigeantes d’ABC News, qui raconte comment son organisation produit des contenus exclusifs sur diverses plates-formes pour attraper là où elles se trouvent différentes catégories de lecteurs.

La partition des «millennials»

Comment intéresser un «millennial», quand on vise un mandat politique? C’est un vrai casse-tête, souffle Jaime Bowers, qui a aidé de nombreux hommes politiques à briguer des postes dans l’exécutif. «A condition d’être sur le bon canal, vous pouvez les impliquer sur des sujets auxquels ils n’auraient jamais répondu, explique-t-elle. En revanche, c’est très difficile d’obtenir d’eux des dons».

Or c’est le nerf de la guerre dans une campagne présidentielle américaine. «Depuis 1968, 10 des 12 candidats qui ont emporté la présidentielle sont ceux qui ont dépensé le plus d’argent», analysent Kyle Britt et Michael Kinstlinger, de Havas helia, une antenne d’Havas spécialisée dans l’analyse des données, lors d’un panel intitulé «data defeat Truman», une allusion au titre «Dewey defeat Truman» publié par le Chicago Tribune en 1948, consacrant par erreur la victoire du républicain Thomas Dewey contre le démocrate Harry Truman, finalement réélu.

«Inbox or die»

En 2016, c’est toujours le cas. Plus il y a d’emails, plus il y a de retweets, plus il y a de dons, plus il y a de votes, assurent les panélistes. Et le déluge de données ne fait que commencer. D’ici le 8 novembre, jour de l’élection du prochain président des Etats-Unis, les Américains vont recevoir 10 milliards d’emails de la part des candidats. Une avalanche de données qu’Havas helia a commencé à analyser. Conclusion pour les candidats? «Inbox or die» – «apparais dans la messagerie de tes électeurs ou meurs», en VF.

Pour Kyle Britt et Michael Kinstlinger, les data ne peuvent pas forcément prédire les résultats, mais montrent des corrélations. Ted Cruz, le sénateur conservateur, candidat aux primaires républicaines, est à la traîne face à Donald Trump. A regarder de plus près les 78 emails qu’il a envoyés entre mi-janvier et mi-février, il apparaît que 22 d’entre eux sont arrivés dans les «spams», quand Donald Trump, sur la même période, fait dans la mesure: seuls 28 emails envoyés, assez peu personnalisés d’ailleurs, et 0 dans les spams.

Quant aux réseaux sociaux, ils sont bien sûr utilisés à tire-larigot. Le risque? Que le candidat joue à «faire jeune». C’est le cas d’Hillary Clinton, lorsqu’elle demande à ses followers sur Twitter de décrire ce qu’ils pensent de leurs emprunts étudiants via des émoticônes, suscitant des moqueries en cascade.

 

Bonne pioche en revanche pour Bernie Sanders qui, lorsqu’il parle de Snapchat, évoque un «Snapshot thing» et s’émeut qu’on ne lui laisse pas plus de quelques secondes pour parler. «En 2016, l’authenticité compte plus que la politique» en ligne, martèlent les conseillers.

Les Obamas en têtes d’affiche

Clou du spectacle de cette édition de South by South West, «les Obamas» sont de la partie, monsieur en ouverture, madame en fermeture. En trente ans de festival, c’est la première fois qu’un président en exercice monte sur la scène. Alors qu’il s’apprête à quitter le bureau ovale, il marche sur des œufs lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le chiffrement, une question ultra chaude depuis que le FBI demande à Apple la clé pour accéder au contenu du téléphone d’un des auteurs soupçonnés de la fusillade de San Bernardino, en Californie, ce à quoi Apple a opposé une fin de non recevoir.

C’est l’un des sujets qui suscite le plus d’intérêt des participants du festival, note Quartz. Le président des Etats-Unis le sait bien et leur conseille de ne pas avoir de position «absolutiste», avant de jouer sur la corde sensible: «comment faire pour appréhender les auteurs de contenus pédophiles? Comment déjouer les plans terroristes? Il faut faire des concessions». Barack Obama, contre l’avis de la plupart des amateurs de nouvelles technologies, plaide pour «un système au chiffrement aussi fort que possible, à la clé aussi sécurisée que possible, mais accessible à un tout petit nombre de personnes, pour des problèmes précis et importants sur lesquels nous sommes d’accord».

Des propos qui, de l’autre côté de l’Atlantique, ont fait bondir Edward Snowden, lequel dit tout haut à Berlin ce que beaucoup de participants de South by South West pensent tout bas, dans la seule ville démocrate de tout le Texas: «nous avons un très gros problème lorsque le président des Etats-Unis peut arguer que la position qui fait consensus chez les experts est une position extrémiste.»

Le chiffrement est un sujet très politique qui peut peser plus qu’il n’y paraît dans la campagne présidentielle.

Sam Esmail, le créateur de Mr Robot, également sur la scène d’Austin, s’est dit du côté de Tim Cook, le patron d’Apple, et a assuré que cette polémique «cruciale» allait nourrir la saison 2 de sa série. Applaudissements nourris dans la salle.

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Alice Antheaume, à Austin, Texas

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5 tendances numériques à South by Southwest 2014

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Des participants venus de 74 pays (contre 55 l’année dernière), un pavillon dédié à la «French tech», un autre à l’Allemagne, des discussions sur la surveillance, la vie privée, les adolescents et les algorithmes qui préoccupent la planète entière… L’édition 2014 de South by Southwest, qui s’est tenue du 7 au 11 mars à Austin, au Texas, était plus internationale que celle de 2013, avec ce «petit goût d’étranger» que n’a pas manqué de souligner CNN. Que retenir des quelque 800 conférences qui se sont enchaînées en quelques jours à un rythme effréné?

1. Les dissidents de la surveillance

Invité star de South by Southwest 2014, Edward Snowden, l’homme le plus traqué au monde pour avoir révélé les méthodes de surveillance de la NSA, l’agence de sécurité américaine, s’est exprimé depuis la Russie via une liaison vidéo aussi sécurisée qu’instable.

Dans le hall de l’Austin Convention Center, où ont été diffusées les images de son intervention, près de 4.000 personnes l’ont écouté dans un silence quasi religieux. Snowden, sachant qu’il s’adressait à un parterre de geeks, a comparé la NSA aux forces du mal d’Harry Potter et leur a demandé de développer des outils de chiffrement faciles à utiliser sans dextérité ni bagage technique particulier.

«La communauté d’Austin, présente à South by Southwest, peut apporter des réponses. Il y a une réponse politique qui doit être apportée, mais il y aussi une réponse technique qui doit être trouvée», insiste l’homme aux lunettes fines et au sourire discret.

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Célébré comme un héros par USA Today, Edward Snowden n’a pas convaincu ce journaliste de Gawker, qui estime que l’ex-consultant de la NSA a perdu son temps. Tenir un discours pro-vie privée à South by Southwest, un lieu où l’on va «pour voir et se faire voir», «antinomique avec l’idée que la vie privée est un bien qui doit être protégé», serait vain. Rien n’est moins sûr vu le retentissement qu’a eu son intervention, à laquelle Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a ajouté sa pierre cette semaine, fustigeant le gouvernement américain, qui «devrait être le champion d’Internet, pas une menace» sur le réseau.

2. L’économie de la vie privée

La NSA en sait beaucoup. Elle en sait encore plus que ce qu’elle veut bien reconnaître, renseigne cette étude de Stanford, pour qui l’agence de sécurité américaine, espionnant les métadonnées de nos téléphones, accède aussi à nos problèmes de santé, nos affinités sexuelles, l’état de nos comptes bancaires et autres détails.

De ce constat naît «l’économie de la vie privée», laquelle surfe sur l’idée que nous serions prêts à payer un prix minime pour accéder à des services en ligne garantissant le contrôle de nos données.

Pile poil dans la tendance, les deux applications qui ont fait le plus de bruit à South by Southwest s’appellent Omlet et Secret. La première, Omlet, lancée par un laboratoire de l’université de Stanford, est un réseau social qui promet de ne pas vendre les données de ses utilisateurs ni de les stocker sur des serveurs.

La seconde application dont il a été beaucoup question à South by Southwest, Secret, n’a pas deux mois et vient de lever 8,6 millions de dollars. Elle propose de partager avec vos amis «ce qui vous passe par la tête sans craindre d’être jugé». Et pour cause, l’anonymat de ses utilisateurs est garanti… jusqu’à ce que leur secret obtienne 6 coeurs, et passe en mode public, mais sans être relié à leur profil. Ce qui compte, pour les créateurs de Secret (des anciens de Google et Square), ce n’est pas qui dit quoi, mais le principe même de partager des contenus.

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3. Les ados, ce mystère

Quels sont les usages des adolescents en ligne? Contre toute attente, ils sont obsédés par leur vie privée, révèle danah boyd, chercheuse chez Microsoft, qui tient à écrire ses nom et prénom sans majuscule, lors d’une conférence à South by Southwest. Son livre «It’s complicated – the social lives of networked teens» est le fruit de huit années de recherche et de 166 interviews conduites auprès de cette population adolescente.

Il en ressort que leur façon de gérer leur vie privée sur les réseaux sociaux ne répond pas à la même logique que celle des adultes. Ils ne cherchent pas forcément à verrouiller tous les paramètres de confidentialité de leurs profils, mais à échapper aux figures d’autorité (parents, enseignants). Pour ce faire, soit ils testent d’autres réseaux sociaux, surtout si ceux-ci n’ont pas encore été investis par des adultes, soit ils développent des pratiques de contournement. Comme cette ado qui, chaque jour, lorsque les adultes se connectent, supprime son compte Facebook, avant de, chaque nuit, quand les adultes dorment, le réactiver, pour le supprimer à nouveau le lendemain, et ainsi de suite.

Autre technique utilisée par les ados: échanger, au vu de tous, des messages codés que seuls leurs amis peuvent comprendre.

Si vous êtes parent, ne vous avisez de commenter l’un de ces messages chiffrés car cela prouverait:
1. que vous n’avez pas saisi le message codé de votre enfant
2. que vous commentez ce qui ne vous est pas adressé
et 3. que vous vous fichez de coller la honte à votre progéniture sur son réseau.

4. Le futur du journalisme? Les algorithmes

Je l’avais déjà écrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014, il faudra cohabiter avec des algorithmes. A South by Southwest 2014, il y a eu plusieurs tables rondes sur ce sujet. Lors d’une discussion hilarante avec David Carr, le journaliste médias du New York Times, Eli Pariser, le président d’Upworthy, a ainsi précisé le fonctionnement de l’algorithme qui régit la plate-forme qu’il a lancée en mars 2012: «c’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités». Pour lui, aucun doute, «ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions».

«Nous avons désormais l’habitude que les informations nous trouvent, en ligne, mais c’est toujours grâce à un algorithme», reprend Kelly McBride, de Poynter, lors d’une autre discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie. Tapez «journalism is…» dans le moteur de recherche Google et celui-ci indiquera la suite de la phrase la plus souvent cherchée, «journalisme is dead», relève-t-elle au passage.

Or les algorithmes ne sont pas neutres. «Il faut en finir avec le mythe de leur neutralité», continue Gilad Lotan, expert des données. «Lorsque les ingénieurs construisent des algorithmes, ils font des choix, basés sur leurs intuitions.» Et d’évoquer l’algorithme qui régit les trending topics de Twitter qui, selon lui, aurait été modifié afin que Justin Bieber ne remonte pas toujours en tête de ce classement. De même, reprend Kelly McBride, les vidéos proposées par Facebook pour compiler son année 2013 mettraient surtout en majesté les bébés, les annonces de type mariage, les visages souriants, et les photos en général.

Les algorithmes ont de plus en plus de pouvoir sur la distribution et la consommation d’informations, dit-elle encore. Ils «contrôlent qui voit quoi sur les plates-formes comme Facebook ou YouTube, ou même sur le New York Times avec ses listes des contenus les plus partagés ou les plus commentés, de même que sur Yahoo! News».

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5. Des métiers inédits

65% des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés, anticipe le ministère du Travail américain. A South by Southwest, il y avait peut-être un aperçu de ces professions du futur.

Dans la même semaine, j’ai croisé Ben Lashes, l’agent de Grumpy Cat, le chat estimé à 1 million de dollars, qui se définit comme «managers de memes» – il s’était autrefois occupé de Keyboard Cat -, et Will Braden, créateur de vidéos de chats sur Internet, lors d’une table ronde sur l’économie des vidéos de chats en ligne. Il y avait aussi Gilad Lotan, «data scientist», ainsi que des chefs cuisiniers qui réalisent des recettes à partir d’ingrédients suggérés par une application de cuisine cognitive conçue par IBM…

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Alice Antheaume

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SXSW: Dans la peau d’un algorithme

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Cohabiter avec des algorithmes est inscrit dans la boule de cristal du journalisme en 2014. A South by South West 2014, à Austin, le programme n’y déroge pas. Les algorithmes rêvent-ils de contenus viraux? Tel est l’intitulé d’une discussion, entre David Carr, le journaliste médias du New York Times, et Eli Pariser, le président d’Upworthy, la plate-forme lancée en mars 2012 qui, en novembre 2013, a récolté 80 millions de visiteurs uniques. Le premier, campé dans son fauteuil, manie l’ironie à la perfection. Il joue à l’ancienne garde journalistique. Le second, quelque peu désarçonné par les questions de son interlocuteur, incarne la nouvelle école. Un échange hilarant, dont voici une retranscription partielle.

David Carr

On va parler d’algorithmes. Honnêtement, je ne sais même pas ce que sont ces foutus algorithmes. De quoi se nourrissent ces bêtes-là? Que faut-il leur donner à manger?

Eli Pariser

C’est une ligne éditoriale, intégrée à une équation mathématique. Un algorithme est un bout de code qui nous dit ce que l’audience veut voir, et tente de trouver les éléments qui vont maintenir les lecteurs sur un site, les encourager à cliquer sur des contenus et des publicités. Ces petits bouts de code sont bien plus puissants que les plus puissants des directeurs des rédactions.

David Carr

Là, tout de suite, je ne suis pas d’humeur à lire un contenu évoquant un génocide. Que répondez-vous à cela?

Eli Pariser

Eli Pariser

En faisant des recherches pour mon livre, «The Filter Buble», j’ai remarqué que les contenus sur l’Afghanistan ne suscitaient guère de clics ni de partages sur les réseaux sociaux. Le New York Times les mettait pourtant en une de son site en disant aux Américains «nous sommes en guerre». Mais, en dehors du New York Times, quelle audience ces informations pouvaient-elles toucher?

David Carr

L’information sérieuse est peut-être une niche…

Eli Pariser

Lorsqu’on fait entre 50 à 60 millions de visiteurs uniques mensuels avec Upworthy, ce n’est pas une niche. Les drogués de l’information sont très bien servis. Mais selon une étude réalisée par Microsoft sur le comportement d’un million d’utilisateurs du navigateur Explorer, seulement 4% de ceux-ci voient plus de 10 informations en 3 mois. 4%! A nous de rendre les informations plus émouvantes, plus attirantes. A nous de procéder à la «gamification» de l’actualité.

David Carr

Vous ne rendez pas les informations plus intéressantes. Vous faites croire qu’elles sont plus intéressantes.

Eli Pariser

On a changé d’écosystème. Le temps où l’on se fiait aux couvertures des journaux et aux pages d’accueil des sites d’informations est terminé. Les lecteurs sont sur Facebook et Twitter, et ils attendent d’un algorithme qu’il leur indique quelles sont les informations les plus importantes pour eux. Si vous passez des semaines à écrire une formidable enquête que, à la fin, personne ne lit, cela ne colle pas avec la mission dévolue à votre enquête. Il n’y aucune pureté à produire de belles choses qui n’atteignent personne.

David Carr

A Upworthy, vous dites que vous êtes ce que vous mesurez. Que mesurez-vous?

Eli Pariser

Nous mesurons l’attention par minute plutôt que les pages vues et les visiteurs uniques. Comment savoir si les gens sont encore là à lire tel ou tel contenu ou est-ce qu’ils sont déjà partis? Les algorithmes voient la réalité à travers la réaction du public. Donc nous regardons nos contenus comme le ferait un algorithme. C’est une rupture par rapport à la hiérarchie éditoriale traditionnelle.

David Carr

Quand un journaliste dit à un autre journaliste qu’il a fait du bon travail, que c’est un bel article, ils se comprennent. Une machine peut-elle savoir si un article est de bonne qualité?

Eli Pariser

La qualité est subjective. La satisfaction des lecteurs et leur engagement (le fait qu’ils cliquent sur un contenu, qu’ils le commentent, qu’ils le partagent sur les réseaux sociaux) sont des preuves objectives qu’ils aiment ce qu’ils lisent. Il s’agit là de recommandation sociale pour savoir sur quoi les gens devraient passer du temps.

David Carr

Sérieusement? Vous pensez qu’un like est un signe objectif?

Eli Pariser

Un like, pas forcément. Mais un partage, si.

David Carr

Je suis influent sur Twitter. Mais c’est comme dire qu’un groupe de rock est important au Japon. Ce n’est pas rien, mais bon… N’est-ce pas la même chose pour Facebook et Twitter?

Eli Pariser

Il y a de nombreux réseaux sociaux, dont Twitter, Instagram, Tumblr. Mais l’algorithme de Facebook est plus important que le reste. Et pour cause, les chiffres sont un peu datés, mais un Américain moyen passe, chaque mois, 2 minutes sur Twitter et 7 heures sur Facebook.

David Carr

Comment faites-vous pour vérifier que les contenus que vous publiez ne sont pas des fakes? Pour ma part, je considère qu’Internet est un four auto-nettoyant…

Eli Pariser

Si on publie un fake, c’est une catastrophe pour nous. Car la seule chose qui compte, c’est la confiance de notre communauté.

David Carr

J’adore ceux qui disent cela et qui écrivent «nous sommes désolés» en tout petit lorsqu’ils se sont trompés.

Eli Pariser

On a une charte à Upworthy à ce sujet. Celle-ci stipule que l’on se doit de publier les corrections dans une typographie aussi grande que celle qui a servi à publier l’histoire originale. Et on doit mettre le même soin à rendre virales nos excuses que nos autres productions.

 Alice Antheaume

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Informer sur une tablette, la leçon de South by South West 2013

Crédit: Flickr/CC/MokshaDolphin

«Cela ne sert à rien de dupliquer, sur une tablette, les contenus prévus pour un journal imprimé», lance Mario Garcia à South by South West, le festival des geeks organisé chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Cela ne sert à rien, et pourtant, la majorité des éditeurs d’informations ont ce réflexe. Ils seraient plus avisés d’observer de près deux des activités préférées des propriétaires de tablettes: le fait de se pencher en avant, pour chercher dans l’instant une information, et le fait de se pencher en arrière, pour consulter au calme, et souvent le soir, des contenus. Comment les internautes lisent-ils des informations sur les tablettes? Et comment les éditeurs devraient, en conséquence, concevoir leurs applications? Mario Garcia, ex-journaliste, expert du design en fonction des supports, et Sarah Quinn, du Poynter Institute, ont donné un cours collectif intitulé “Storytelling in the age of the tabletle vendredi 8 mars à South by South West 2013.

>> Lire ou relire les tendances de South by South West 2012 >>

Comment les utilisateurs s’informent sur tablette 

  • Des lecteurs de l’intime aux lecteurs méthodiques

On distingue plusieurs catégories de lecteurs d’informations sur tablettes, d’après la dernière étude EyeTrack de Poynter qui, à l’aide d’une caméra sophistiquée, a pu analyser en simultané les mouvements oculaires que font les utilisateurs lorsqu’ils s’informent sur tablette et les points qu’ils fixent sur l’écran.
– 61% des sondés par Poynter sont qualifiés de «lecteurs intimes» («intimate readers»), c’est-à-dire qu’ils ne cessent de toucher l’écran pendant qu’ils lisent, quand les 39% restants sont des «lecteurs détachés» («detached readers»), qui, une fois qu’ils ont choisi le contenu qu’ils souhaitent lire, retirent leurs doigts de l’écran.
– il y a aussi les lecteurs méthodiques, qui décident ce qu’ils vont lire et s’en tiennent à leur décision, et les lecteurs qui fonctionnent comme des scanners et butinent ici et là des fragments de contenus. Les seconds, les butineurs, sont plus nombreux (52%) et plus implantés chez les 18-28 ans, quand les premiers, les méthodiques, appartiennent plutôt à la classe d’âge des 45-55 ans.

  • Le choix du premier contenu

Avant de choisir le premier contenu qu’ils vont lire sur tablette, les lecteurs fixent en moyenne 18 points sur la page d’accueil de leur application. Ceux qui ne finissent pas la lecture de leur article ont regardé seulement 9 points. Et sur le premier contenu qu’ils consultent, ils passent en moyenne 1 minute et demi, relève encore Sarah Quinn, reprenant les conclusions de l’étude Poynter.

  • Plus d’engagement?

Sur tablettes, les lecteurs seraient plus «engagés» que sur smartphones, prétend ce rapport réalisé par Adobe Digital Index en mars 2013. Même si la tablette est moins répandue dans le monde que le téléphone, elle génèrerait plus de trafic en ligne. En effet, un utilisateur de tablette surfe sur 70% de pages Web de plus que lorsqu’il utilise son smartphone.

Crédit: étude Adobe, mars 2013
  • A l’horizontal

70% des utilisateurs de tablettes préfèrent lire en version paysage plutôt qu’en version portrait, toujours selon l’étude EyeTrack de Poynter. Un argument supplémentaire pour implorer les éditeurs de ne pas reproduire, sur tablette, le format du journal imprimé. «Aucun lecteur ne sert d’une tablette comme d’un journal», martèle Mario Garcia.

  • Le triptyque de l’information

Les internautes attendent trois principes d’une application d’informations disponible sur tablette: 1. de la «curation», pour voir quels contenus les éditeurs ont sélectionnés pour eux 2. les dernières nouvelles disponibles, «breaking news» compris, et 3. des contenus issus du journal/magazine/programme de télé ou émission de radio si l’application est celle d’un média déjà installé dans le paysage. Conséquence: «vous pouvez mettre le PDF de votre journal, mais à condition que votre PDF soit mis à jour dans la journée», dit encore Mario Garcia, qui prévoit, dans les mois à venir, de plus en plus de «multi-editionning», comme le fait le New York Times, avec une édition du journal le matin, une édition le midi, et une édition le soir.

Comment les producteurs d’informations devraient concevoir leurs applications sur tablette

  • Trois types d’interfaces, une préférence

Crédit: Poynter

L’institut Poynter a testé les réactions des lecteurs sur trois applications différentes sur tablette. La première application s’inspire de l’interface de la BBC, à savoir une mosaïque d’images qui, lorsqu’on clique dessus, renvoient vers des contenus. La deuxième application, traditionnelle, ressemble à l’interface proposée le plus souvent par les journaux, avec une place majeure laissée au texte et aux titres, des rubriques en nombre, et une séparation par colonnes, qui donne une idée claire de la hiérarchie journalistique proposée par l’éditeur. La troisième et dernière interface ressemble à l’interface de Flipboard. Résultat du test: les utilisateurs interrogés par Poynter préfèrent à 50% la version numéro 1, qui leur donne l’impression d’avoir un buffet devant eux, à 35% le modèle hiérarchisé et à 15% l’équivalent de Flipboard.

  • Les yeux, le cerveau et les doigts

Sur tablette, une application d’informations a un seul impératif: parler à plusieurs sens. Elle doit s’adresser «à la fois aux yeux, au cerveau et aux doigts», avertit Mario Garcia. «Ne frustrez jamais les doigts de vos lecteurs! Il faut rendre les doigts heureux, leur proposer des points sur lesquels interagir de façon tactile».

  • Le nerf de la guerre est visuel

Les images sont devenues des principes de navigation au détriment des titres d’articles. C’est dur à encaisser pour les éditeurs, mais le titre d’un éditorial ne peut guère servir d’appel au clic. Sur tablette, l’application The Times of London a pris le parti de consacrer toute la surface de son application à une seule histoire qui est souvent une vidéo, et celle du Huffington Post propose une interface uniquement basée sur les images.

  • Boutons par défaut plutôt que nouveaux boutons

67% des sondés de l’étude Poynter utilisent les boutons de contrôle installés dans leur navigateur – comme les flèches pour revenir sur la page précédente – pour passer d’un contenu à l’autre, plutôt que des boutons créés par les développeurs dans une application. «Ils utilisent ce qu’ils connaissent», résume Sarah Quinn. Pas la peine, donc, pour les éditeurs de consacrer un temps déraisonnable à la création de telles fonctionnalités quand elles existent déjà par défaut sur le support.

Alice Antheaume

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Nouveaux médias: 8 tendances à South by South West 2012

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Le Woodstock des geeks. C’est le surnom du festival interactif South by South West, organisé chaque année à Austin, au Texas. Pendant cinq jours, s’y tient un nombre considérable de conférences sur l’avenir des technologies et médias de demain.

Le quotidien des participants? Avaler des tacos au petit déjeuner, hésiter entre cinq sessions programmées à la même heure aux quatre coins de la ville, chercher une prise pour recharger les batteries de son ordinateur/téléphone, apporter son café/cupcake/bière dans la salle où Jill Abramson parle du futur du New York Times, se demander si Mashable va être racheté ou pas par CNN, polémiquer sur les sans-abris devenus bornes de WIFI ambulantes et rater la conversation, dans une salle bondée à craquer, entre Sean Parker, le co-fondateur de Napster, et Al Gore, ex vice-président des Etats-Unis.

Que retenir de cette édition 2012 de South by South West? Résumé en huit tendances.

1. Quand réseaux sociaux et géolocalisation donnent naissance à…

Cela s’appelle, en anglais, de l’«ambient social networking», c’est-à-dire, en mauvais français, du réseautage «ambiant». En clair, via une nouvelle génération d’applications mobiles comme Sonar ou Highlight, on reçoit des alertes sur son smartphone dès que ses amis (ou amis d’amis) de Facebook/Twitter sont dans les parages. Objectif: «révéler les connections cachées» que l’on raterait chaque jour, et ce, en temps réel, «dans la paume de sa main», promet le slogan de Sonar…

Fini le temps des «check in» sur Foursquare pour dire «je suis à l’Ecole de journalisme de Sciences Po en ce moment». Avec ces applications, qui tournent 24h/24, pas besoin de lancer l’interface ni de cliquer sur un bouton pour géolocaliser sa position et celle de ses amis. S’il ne devait y en avoir qu’une, c’est la tendance 2012, c’est instantané, cela use beaucoup de batterie et cela risque de faire hurler les défenseurs de la vie privée, comme le résume Pete Cashmore, le fondateur de Mashable, sur CNN.

2. La face cachée des réseaux sociaux

Conséquence du point précédent: il a été question, à South by South West comme ailleurs, du côté obscur du «partage social». Le mot «peur» a même été utilisé. La peur du pouvoir que ceux qui font les réseaux ont sur les utilisateurs. «Les gens ne veulent plus être surpris», considère Amber Case, fondatrice de la plate-forme Geoloqi. «Ils veulent qu’on leur dise exactement comment leurs données vont être utilisées et pour combien de temps».

Et si la transparence à tout prix ne rendait pas plus honnête? C’est ce qui fait peur à la chercheuse Danah Boyd, dont Marie-Catherine Beuth a résumé l’intervention sur son blog. «Le sentiment d’être surveillé – et d’avoir cette peur-là – est une façon de contrôler les gens.»

3. Curation et agrégation, l’alpha et l’oméga

Comme en 2011, en 2012, les mots curation et agrégation ont été très souvent prononcés à South by South West. Les deux désignent une sélection de contenus, la curation étant un choix fait par la main humaine alors que l’agrégation résulte d’un algorithme. Lors d’une table ronde intitulée «The curators and the curated» (les éditeurs et les édités), David Carr, journaliste au New York Times – et personnage du film A la une du New York Times, a rappelé que la curation était vieille comme le journalisme. «La une du New York Times est un acte de curation de tous les jours, et montre quelles sont les six histoires les plus importantes de la journée», explique-t-il.

Quoi de neuf sur le sujet de la curation, alors? Pour Carr, savoir partager, en ligne, des contenus de qualité est devenu une compétence journalistique à part entière, peut-être motivée par le narcissisme dans la mesure où le sélectionneur aime à afficher ses choix sur les réseaux sociaux.

Qu’importe, cette compétence a d’autant plus de valeur qu’elle s’inscrit dans un contexte où les contenus pertinents ne sont pas évidents à trouver. Ou à retrouver. Selon Maria Popova, la fondatrice de Brain Pickings, seul le plus récent serait visible en ligne, les moteurs de recherche n’étant pas pensés pour vraiment chercher des contenus vieux mais bons – ce qu’elle appelle la «newsification» du Web. «Effectuer une sélection de sujets repérés via des statistiques (avec des machines, donc, ndlr) sans faire appel à la curiosité humaine de quelqu’un, cela signe, pour moi, la fin du journalisme», assène-t-elle.

Autre nouveauté dans ce domaine: la création d’un code de la curation, aux Etats-Unis, afin de mentionner la source d’un lien, d’une idée, d’un article. «Nous essayons d’encourager tout le monde à créditer automatiquement l’auteur d’une découverte», précise Maria Popova, «et de standardiser la façon d’écrire la source de cette découverte». Et ce, avec deux symboles notamment, l’un qui concerne une source directe, et l’autre qui renvoie vers une source indirecte d’inspiration.

Est-ce que l’on ne s’intéresse qu’à des sujets que l’on verrait de toutes façons sur le Web? Ou est-ce que la sérendipité – la découverte de contenus par hasard – fonctionne vraiment? David Carr est décidément devenu un apôtre de la curation: «je ne lirai jamais de mon propre chef l’actualité internationale, mais lorsqu’un journal en fait ses titres, je la lis, parce que je fais confiance à l’avis de ce tiers».

4. Vive le long format

Qui a dit que le Web était le règne du court et du bref? Jill Abramson, la directrice de la rédaction du New York Times, en est sûre: «il est faux de dire que les longs formats ne marchent pas sur Internet». Selon Max Linsky, fondateur de Longform, où figure chaque jour une sélection de longs (voire très longs) articles d’actualité, «99% de nos lecteurs vont jusqu’au bout du papier, il y a une vraie opportunité à miser sur des formats de 10.000 signes au moins».

Cela tiendrait moins de la longueur du papier à lire, que à 1. la qualité de l’histoire et 2. la quantité de contenus sélectionnés. «Nous sélectionnons actuellement trois contenus par jour, nous visons le nombre de huit par jour, reprend Linsky, «mais nous avons compris que la limite a du bon. Il faut une quantité quotidienne “digérable” par les lecteurs».

5. Alerte, tsunami de photos

500 millions de photos sur Instagram (dont l’application iPhone a déjà été téléchargée 27 millions de fois, et une application Android se prépare), 6 milliards sur Flickr, et 250 millions sont partagées chaque jour sur Facebook. Ces chiffres continuent à grandir. Comment expliquer cet engouement?

«Ce que l’on boit, ce que l’on achète, ce que l’on photographie est bien sûr éphémère, mais il y a de la valeur dans l’éphémère», estime Verna Curtis, de la division photographie de la bibliothèque du Congrès américain, lors d’une table ronde à Austin sur le sujet. «Nouvelle vraie valeur», l’expression photographique ferait «prendre conscience des moments» de la vie, s’enthousiasme Richard Koci Hernandez, photographe professionnel, qui enseigne à l’école de journalisme de Berkeley.

«La photo est une façon de montrer le monde sans recourir aux mots», théorise à son tour Kevin Systrom, le patron d’Instagram. Pratique, dit-il, lorsque les utilisateurs ne parlent pas la même langue. Au delà de ce système de communication universel, bonne nouvelle pour le journalisme, les photos permettent de raconter des histoires comme personne. «C’est l’âge d’or du storytelling, pour les professionnels comme pour les non-professionnels», explique Koci Hernandez. A condition de pouvoir filtrer, dans ce stock de photos partagées chaque jour, ce qui est intéressant ou pas – voir le point numéro 3.

«Si 10.000 personnes prennent des photos du même endroit/de la même chose au même moment, c’est un signal, on sait alors qu’il se passe quelque chose…», commente Kevin Systrom. Ce qu’il s’est passé notamment à la mort de Steve Jobs, le 5 octobre 2011: Instragram a alors été submergé de photos hommages au créateur d’Apple.

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Publier une photo sur un réseau social et n’obtenir aucun «like» ni commentaire. Qui ne l’a pas expérimenté? Même le fondateur d’Instagram confie, gêné: «si dans les premières minutes qui suivent la publication, ma photo ne récolte pas un certain nombre de likes, j’ai tendance à la supprimer».

Tyrannie du «like»? «Je ne crois pas», répond Koci Hernandez, qui se dit néanmoins inquiet que la crédibilité en ligne soit liée au nombre d’interactions générées: «En tant que créateur d’image, il ne faut pas se sentir rejeté si notre image n’est pas approuvée, par des likes ou des commentaires, autant de fois que voulu.»

6. La recette de la vidéo en ligne

Comment réaliser un carton sur YouTube? Cette question est revenue lors de plusieurs sessions à South by South West. Le concept de vidéo virale est un «mythe», déplore Mitchell Reichgut, le patron de Jun Group. «Les vidéos qui font le plus de clics sont le résultat de stratégies de communication soigneusement pensées et bien financées – pas le simple fait d’amis qui partagent des vidéos entre amis».

Pas seulement!, avance Prerna Gupta, présidente d’une start-up appelée Khush. A son actif, des vidéos postées sur YouTube ayant fait plus de 100 millions de pages vues. Sa recette tient en six éléments clés: musique, surprise, le côté dit «mignon», seins, humour et célébrité. C’est la suite de sa formule, résumée par Forbes, qui concerne les journalistes.

  • Relier sa vidéo à l’actualité, cela «aide»
  • De même que susciter l’attention du public dès les 10 premières secondes, pas après
  • ainsi que faire alliance avec un autre producteur de vidéos sur YouTube dont le compte serait plus suivi
  • et obtenir que la vidéo soit relayée par au moins un blogueur reconnu. «Vous pouvez réaliser la plus formidable des vidéos, mais si vous ne l’envoyez pas à un noyau de contacts, elle ne deviendra pas virale. Gagnez l’attention d’un blogueur actif, et le reste suivra»
  • Enfin, et c’est peut-être le plus important, insiste Prerna Gupta, il faut penser à l’édition de la vidéo, et notamment, aux captures d’écran choisies pour servir d’«aperçu». Celles-ci, présentes lorsque l’on n’a pas encore cliqué sur le bouton lecture de la vidéo, dans le lecteur, ou même dans les vidéos dites «relatives», indexées dans la colonne de droite, doivent être percutantes pour susciter l’envie de voir – et donc le clic.

«On dit dans toutes les conférences que le contenu est roi», confirme Martin Rogard, directeur général de Dailymotion, lors d’une master class donnée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, «mais concernant les vidéos, le contenu ne suffit pas. Il y a aussi la façon dont la vidéo est conçue qui compte. Ainsi que sa diffusion sur toutes les plates-formes et sur tous les navigateurs.»

7. Retour de flamme graphique

Pinterest, qui se présente comme un tableau de liège virtuel, l’a prouvé: c’est le retour en grâce des interfaces qui changent. Et si celles-ci sont esthétiquement belles, pour ne pas dire épatantes, c’est encore mieux, car cela donne envie aux utilisateurs d’y rester plus longtemps.

C’est le cas de Flipboard, cette application iPad (et maintenant sur iPhone) qui permet de feuilleter son compte Facebook ou Twitter (et quelques autres médias) comme si c’était un magazine de luxe: son design a été salué de façon unanime par les conférenciers d’Austin comme étant un très bon moyen de «scotcher» ses lecteurs.

8. Les commentaires, la plaie?

Si les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker.

«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité». Comment y remédier? Tentatives de réponses dans ce WIP.

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Alice Antheaume

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Les commentaires dans l’impasse?

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Si les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker, invité à tenir à tenir une conférence, «l’échec des commentaires», au festival South by South West (SXSW), à Austin.

«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité».

Capter l’intelligence des foules? Raté!

«A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», commence Nick Denton. Quant au ratio commentaires utile/inutile, il s’avère désolant. «Si deux commentaires pertinents émergent, c’est qu’il y en a huit hors sujets ou toxiques», comptabilise le patron de Gawker.

Mary O’Hara, journaliste au Guardian, se dit elle aussi déçue par le niveau des commentaires. Lors d’une autre conférence de South by South West, elle a fustigé les préjugés qu’ont ceux qui commentent ses articles. «Mon nom de famille rappelle celui de vieilles familles catholiques irlandaises. Sans même avoir lu mes papiers, des lecteurs prétendent que mon travail est biaisé, juste parce qu’ils ont des croyances sur mon patronyme.»

Et cela n’arrive pas que dans la partie dédiée aux commentaires des sites de contenus. Sur Facebook aussi, et Twitter également.

>> Lire aussi ce WIP, écrit en 2010, sur les communautés des sites d’infos qui ont migré sur les réseaux sociaux >>

Inhibition face à l’innovation

L’heure serait donc grave. Pour Nick Denton, les journalistes, anticipant les railleries qu’ils pourraient provoquer, en viendraient à «avoir peur d’écrire certains articles». Bref, la crainte de recueillir des commentaires négatifs provoquerait même, dans les rédactions, de «l’inhibition», les journalistes se censurant pour éviter les tacles. Telle serait la véritable tragédie des commentaires.

Impossible, pour autant, de laisser en rade ceux qui ont pris l’habitude de commenter, souvent plus dans l’optique de passer le temps que pour vraiment débattre.

Surtout qu’ils sont nombreux. Entre 1.100 et 1.300 commentaires quotidiens sont écrits en moyenne sur lemonde.fr; 15.000 pour Le Figaro, sans compter les réactions sur les réseaux sociaux. 250 millions de messages sont désormais postés chaque jour sur Twitter.

Parmi ces millions de messages, une partie (non quantifiée) réagit à des contenus produits par des journalistes, et une partie (plus rare) peut même servir d’alerte sur l’actualité, comme l’a prouvé Sohaib Atha, également présent à South by South West, ce Pakistanais qui a, le premier, entendu un hélicoptère tourner, lors du raid ayant provoqué la mort de Ben Laden, il y a un an, et l’a tweeté.

Explosion de commentaires

«Un commentaire est posté toutes les 6 secondes sur notre site», m’explique Thomas Doduik, directeur des opérations au Figaro. «Bien entendu avec de tels volumes, tout n’est pas du même niveau. Mais je n’imagine pas un site d’infos qui ne donnerait pas la parole à son audience. Cela fait partie intégrante de l’expérience de consommation de l’information, qui depuis plusieurs années, n’est plus du haut vers le bas mais se construit avec cette audience».

Le problème, c’est que, plus l’audience des sites augmente, plus il devient difficile d’organiser les discussions autour des contenus, de façon à ce que le «meilleur» arrive en haut du panier, sans que cela ne prenne un temps démesuré.

Le nouveau système de Gawker

Gawker, après avoir tenté de taguer ses commentaires (cf ce précédent WIP), va donc lancer un nouveau système de gestion de commentaires dans six semaines.

Comment cela va-t-il fonctionner? Le premier lecteur qui commente un contenu détiendra la responsabilité du fil de discussion qui s’en suivra. Et aura le droit de modérer les autres, d’inviter des experts à participer, et de maintenir la discussion autour d’une seule idée – ce que Denton appelle le «commentaire fractionné». De quoi augmenter le nombre de pages vues. Car cela veut dire plusieurs fils de discussions sous un même article, donc plusieurs modérateurs, et des URL dédiées.

«L’idée principale de ce nouveau système, c’est de sentir propriétaire de la discussion», car, résume Denton, «sans la contrainte de la responsabilité», cela part dans tous les sens.

Le rêve de Denton derrière cette refonte? Que des personnalités citées dans les articles de Gawker, comme Dov Charney, le fondateur d’American Apparel, viennent eux-mêmes se défendre dans les commentaires. Il réfléchirait également à la possibilité d’avoir des «commentateurs invités», comme il y a des blogueurs invités ailleurs.

Leçons du passé

Au final, Nick Denton semble tirer deux leçons des systèmes de commentaires existants:

  1. La «gamification» des systèmes de modération – le fait de donner des points aux commentateurs qui gravissent des échelons et obtiennent ainsi de plus en plus de pouvoirs – ne donne par les résultats escomptés. «Les meilleurs commentateurs se contrefichent d’avoir des badges (comme sur Foursquare, ndlr) et de passer des niveaux», estime Nick Denton.
  2. Les bons commentateurs ne sont pas des habitués de cet exercice. La plupart du temps, les meilleures contributions sont signées par des lecteurs qui viennent commenter pour la première fois et le font de façon anonyme, note encore Denton.

La médiocrité des commentaires, juste retour de bâton?

Et si la médiocrité des commentaires était le fruit du ton quelque peu cavalier employé par Gawker?, demande l’un des participants. Réponse de l’intéressé: «C’est vrai que de gentils sites tenus par de gentilles personnes encouragent un bon comportement. Mais ce n’est pas comme si l’auteur d’un article donnait le ton à tous les commentaires. Parfois, ce sont les commentaires qui donnent le ton à l’auteur.»

Trop facile? Evidemment que «les lecteurs ne rédigent pas de dissertations bien argumentées dans la section commentaires», écrit Dave Thier, qui collabore à Forbes. Pour ce dernier, gérer les commentaires sur des sites populaires est une tâche «difficile, mais pas impossible».

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Alice Antheaume

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