franceinfo: la télévision venue du Web?

franceinfo dans le métro

Une photo publiée par Alice Antheaume (@alicanth) le

3… 2… 1… Top ! Jeudi 1er septembre, à 20h, la nouvelle franceinfo est officiellement lancée sur le canal 27 de la TNT – ou 77 sur la Freebox. Depuis l’immeuble de NextRadioTV, dans le Sud de Paris, la rédaction de BFM regarde sa concurrente faire ses premiers pas. «On ne voit pas bien les titres blancs sur le fond gris», commente l’un. «Bizarre, ce plan de profil avec la table à mi-cuisses», continue une autre. «Oui, mais bon, si on revoyait le lancement de BFM, en 2005, on aurait sans doute beaucoup à dire aussi. Ils vont ajuster au fur et à mesure», défend un historique de la chaîne.

Synergies de groupe

Après plusieurs heures de visionnage, une chose est claire : il y a, dans l’offre de franceinfo, la volonté de mettre les codes du Web à la télé. Et ce n’est pas une mince affaire quand il s’agit de réunir les forces de plusieurs entités qui, si elles ont en commun d’incarner le service public, n’en ont pas moins des façons de travailler très différentes :

Radio France connaît par cœur la hiérarchie des informations et la puissance de la voix mais est néophyte en mise en images ;

France TV est maître en puissance de l’image et en rythmique entre plateaux et illustrations mais ne sait pas encore articuler des informations en continu ;

France TV Info sait calibrer des contenus pour le petit écran des mobiles mais n’a pas encore l’habitude de travailler dans un dispositif si complexe ;

France 24 est volontiers tournée vers les standards anglo-saxons pour faire de la télévision, standards qui n’ont pas encore infusé dans la société française ;

et l’INA met en valeur le patrimoine médiatique français mais n’a pas encore la connaissance de la gestion d’un flux en continu.

Au centre du dispositif, figure un totem, sur lequel est visible le «live» permanent de feu France TV Info, l’application mobile lancée en novembre 2011, qui pousse le temps réel de l’information à son paroxysme et utilise les interactions avec l’audience comme des transitions narratives. Les présentateurs de franceinfo, installés dans la newsroom de France TV, y reviennent souvent, et montrent par là que les temporalités du Web sont devenues les leurs.

Le totem de la newsroom de franceinfo

Pushs, rappels de titres, reportages

Si la maison de la radio se charge des rappels de titre toutes les dix minutes, l’équipe de France TV Info se charge, elle, d’envoyer sous forme de notifications sur les téléphones les dernières informations urgentes survenues. Elle a d’ailleurs eu droit à sa première expérience de push dans ce grand dispositif dès mardi dernier, lors de la démission d’Emmanuel Macron de son poste de ministre de l’Economie.

Deux points engagez-vous

Quant aux discussions avec les internautes, elles sont, elles aussi, mises en majesté. Le nouvel habillage le martèle, avec ces fameux deux points sur lesquels on a beaucoup glosé, moi la première, mais qui sont un appel à l’interaction, à «liker, tweetez, commenter, partager».

Ces deux points, rondouillards, rappellent les petites boules qui s’affichent lorsque l’on discute par SMS ou messagerie instantanée et que l’on attend la réponse de son interlocuteur, en restant scotché à son écran, dans l’attente de la suite. Pour un peu, on n’est pas si loin du journalisme de conversation dont j’ai déjà parlé ici, à l’occasion du «chat» mobile de Quartz, inauguré en février 2016 et basé sur des outils de messagerie, un usage alors inédit pour le journalisme.

Outre ces deux points, il y a plusieurs lignes de synthés – les sous-titres, en quelque sorte – affichés en bas de l’écran :

Au niveau inférieur, les titres, rédigés de façon traditionnelle, avec la source de l’information mise entre parenthèses comme le fait l’AFP dans ses titres de dépêches.

Au niveau intermédiaire, le logo suivi de la dénomination de la rubrique diffusée (la chronique des sports, le journal du monde, l’eurozapping, un week-end très politique, etc.) ou du thème du reportage. Juste au-dessus peut aussi figurer l’icône de géolocalisation, reprise de celle de Google Maps, pour indiquer le lieu des événements.

L'icône de géolocalisation

Enfin, et c’est la section que l’on n’avait pas vue ailleurs, des bouts de phrase surlignés de jaune, de vert, de bleu, apparaissent ponctuellement, et affichent ici un commentaire, là une touche d’ironie, là encore une question sarcastique. Bref, c’est une ligne de «social TV» qui, contrairement aux autres niveaux qui comportent des informations factuelles, fait penser aux discussions, volontiers moqueuses, sur un programme postées sur Twitter ou de piques à propos de promesses politiques.

Emmanuel Macron le 4 septembre 2016 lors de l'émission "Questions politiques"

 

Nicolas Sarkozy à La Baule

En outre, franceinfo s’appuie sur un découpage très «séquencé», comme on dit à la télévision. C’est-à-dire que les rubriques, les reportages, les chroniques se succèdent sans qu’il y ait de liaison entre elles. Cette mécanique répond bien sûr à la nécessité de faire travailler plusieurs entités (Radio France, France TV, France 24, l’INA) à une même offre, avec chacun sa patte – même si l’on peut voir, à des détails, qu’il y a une lutte de visibilité entre ces maisons, comme lors de l’émission «Questions politiques», dimanche à 12.30, où les bonnettes des micros sont celles de France Inter.

Des séquences autonomes

Ce séquençage est une réponse à l’injonction impérieuse qui prévaut en ligne : puisqu’on ne sait pas où, quand ni dans quel contexte les contenus sont vus, il faut que chaque séquence soit autonome et exportable sur les réseaux sociaux, sans lancement ni explications orales introductives. Car, en 2016, la nécessité de produire des contenus partageables sur les réseaux sociaux, pour«engager les lecteurs», concerne bien sûr aussi franceinfo, toute nouvelle qu’elle soit.

Des têtes du Web

Autre inspiration venue du Web, la narration qui veut abolir les frontières et s’adresser à d’autres audiences que celles qui, jusque là, regardent France 2 – où la moyenne d’âge est de plus de 58 ans. Cela se traduit notamment dans des séquences de type «no comment », ces reportages tout image sans voix off qui pullulent dans le newsfeed de Facebook, et se lancent en autoplay pendant que vous êtes dans les transports en commun ou au bureau, sans écouteurs. Et puis, il y a aussi les «Draw my news» (dessine moi des informations), une série de mini-dessins animés, au langage universel et donc facilement lisible par n’importe quelle audience, jeune ou moins jeune, française ou internationale.

Enfin, et c’est sans doute ce qui représente l’innovation la plus louable, il y a une vraie volonté de mettre le numérique au cœur des sujets abordés. Lorsqu’Emmanuel Macron est interrogé, il l’est certes d’abord par des journalistes qui ont fait leurs armes sur des médias traditionnels (Nicolas Demorand, Nathalie Saint-Cricq, Carine Bécard et Arnaud Leparmentier), mais il l’est ensuite par un journaliste spécialiste du numérique (Damien Leloup, du Monde.fr).  Car oui, les enjeux de la surveillance, de la suprématie des mastodontes du Web américain, d’une mobilité et d’une éducation transformées par le numérique, sont des questions essentielles à poser  à des responsables politiques.

Les gribouillis de Snapchat sur écran télé

De la même façon, pour évoquer les pro-Nicolas Sarkozy qui ont retourné leur veste, jeudi soir, ou les 82 candidats à la présidentielle, vendredi soir, c’est Bastien Hugues, passé par Lefigaro.fr puis par France TV Info, qui s’y colle, à l’antenne, en appuyant sur de gros boutons d’une tablette géante servant d’écran, afin de mettre les infographies à l’honneur à la télévision, sur lesquelles on peut gribouiller au doigt levé, comme sur Snapchat. De quoi implémenter à la télévision une autre culture visuelle – le chercheur André Gunthert parle de saloper l’image sacrée.

L'inspiration de Snapchat

Là encore, il y a, avec ces nouvelles têtes venues du Web, méconnues du grand public, l’idée de dire que le numérique est un sujet comme un autre et qu’il a droit de cité sur une chaîne de télévision autrement que via cette obsession dépassée mais toujours vivace dans le monde audiovisuel qui veut croire que les jeux vidéo poussent à la violence et que c’était mieux avant le numérique.

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Alice Antheaume

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Faut-il bannir les sources anonymes du journalisme politique?

Crédit photo: Flickr/CC/Erik bij de Vaate

Crédit photo: Flickr/CC/Erik bij de Vaate

«Un proche» ; «un visiteur du soir» ; «un intime» ; «un ami» ; «un fidèle» ; «une ex-ministre»… Dans cet article sur un meeting de soutien à François Hollande, publié lundi dans Libération, figurent pas moins de onze sources anonymes sur 6.700 signes.

Le lendemain, dans un article paru dans Le Parisien évoquant comment Emmanuel Macron vole la vedette à Manuel Valls, il y a cinq sources non identifiées sur 2.300 signes.

L'article de Libération avec 11 sources anonymes

Crédit: AA

Derrière ces sources, des responsables politiques, élus ou non, qui veulent bien commenter mais pas être cités au grand jour. Or, sans mention de leur nom ni de leur fonction, impossible pour le lecteur de savoir qui parle et d’où. Impossible en outre d’être certain que ces multiples sources n’en seraient pas en fait qu’une seule. Exemple: «à l’Elysée», «un proche du président» et «un conseiller» peuvent renvoyer à la même et unique personne.

Sources verrouillées

L'article du Parisien avec 5 sources anonymes

Crédit : AA

Dans le papier de Libération de lundi, il y aurait en réalité 5-6 sources différentes, m’assure Grégoire Biseau, rédacteur en chef adjoint du quotidien, en charge de la politique. Il reconnaît que «la profusion de off est désastreuse» et plaide pour «un juste dosage» entre les citations anonymes et celles qui sont identifiées.

Pression présidentielle

Signe des temps? Si la question des sources synonymes est un vieux serpent de mer, elle n’en est que plus vivace à l’aube d’une campagne présidentielle, où le jeu politique semble très verrouillé. D’un côté, la parole officielle, cadrée, institutionnelle, souvent relue avant publication. De l’autre, des citations qui ont le mérite de mettre de la vie dans un récit, en évitant au journaliste le style indirect lourdingue, mais qui ne sont pas toujours assumées par leurs locuteurs.

Recourir ainsi aux sources anonymes est une solution de facilité, rétorque Gérard Leclerc, journaliste politique et ancien directeur de la chaîne LCP. «Cela participe d’une dé-responsabilisation à la fois des journalistes et des politiques! Qui me dit que c’est vrai? On assiste à un théâtre d’ombres du débat politique…»

Au New York Times, une récente charte interdit l’usage de sources anonymes, sauf pour quelques rares sujets liés à la sécurité du pays. A l’AFP, ce «doit être l’exception, et non la règle». Et d’insister: «avant d’accorder l’anonymat à une source, il faut se demander quelles sont ses motivations, et si une manipulation est possible».

Comment vérifier ces citations non sourcées?

Car ce sont bien là les risques: non seulement les propos relatés sont invérifiables, mais une langue bien pendue peut balancer n’importe quoi incognito et instrumentaliser le journaliste à qui elle confie ses commentaires en off. Pas forcément, modère Grégoire Biseau, qui rappelle que cela peut aussi «montrer autre chose que la parole officielle: une pointe d’ironie, un commentaire décalé, un élément éloquent au service de la non instrumentalisation».

Pour Gérard Leclerc, au contraire, on assiste ainsi au règne du politiquement correct. Un paradoxe à l’ère numérique. «Alors que tout se sait, tout se dit, qu’officiellement il n’y a plus de off, en réalité, il y en a partout», observe-t-il.

Un rapport de forces inégal

N’est-ce pas aussi la responsabilité d’un journaliste que de convaincre sa source qu’elle peut parler en «on»? Un combat perdu d’avance, regrette Grégoire Biseau. «On peut éventuellement négocier avec les députés mais il y a une sphère de pouvoir qui est inaccessible, à l’Elysée et à Matignon, où tout est ultra codifié». Le rapport de forces n’est pas en faveur des journalistes, continue-t-il. «Tu peux travailler une source pendant cinq ans et la perdre en une seconde pour avoir grillé une citation». La sanction est immédiate, puisque celle-ci, s’estimant trahie, peut «ne plus te parler pendant des mois et te mettre à la diète médiatique», raconte encore Grégoire Biseau. Or sans source, pas d’information qui vaille.

La politique du New York Times qui veut bannir les sources anonymes serait sans doute inapplicable au Royaume Uni, concède Roy Gleenslade, du Guardian. Ici, «pas d’anonymat garanti pour une source signifie pas d’article (…) C’est une malédiction et une bénédiction à la fois. A nous décider ce qui est quoi.» En France, même topo. Et, malheureusement, cela ne risque pas de changer avant la présidentielle de 2017.

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Alice Antheaume

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Le “chat” mobile de Quartz

Crédit: AA

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Apparue jeudi sur l’App Store, l’application mobile gratuite de Quartz, le pure-player américain né en 2012, est une petite bombe. Elle ne ressemble à aucune autre et met 1.000 kilomètres dans la vue des médias qui essaient de produire des informations calibrées pour le mobile.

Sa force? Offrir des informations via un système de chat par SMS, le même que celui que l’on utilise quand on converse sur iPhone avec ses contacts. “C’est une conversation continue sur les informations, comme si l’on chattait ensemble”, résume l’équipe. “On vous envoie des messages, des photos, des GIFS, des liens, et vous répondez”.

Derrière l’envoi des messages, un petit “news bot”, un algorithme donc, mais écrit par des journalistes humains, insiste Quartz, auquel le lecteur peut répondre pour infléchir la suite via des réponses pré-mâchées: “pourquoi?”; “Autre chose?”; ou un émoticône pour en savoir plus sur le sujet… Point de SMS publicitaires au milieu de la conversation, mais en guise de point d’orgue, un message sponsorisé par une marque de voitures.

Crédit: AA

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“La messagerie est-elle le futur de l’information? Quartz semble penser que oui”, écrit le site Fortune. L’intérêt, c’est qu’il n’y a besoin d’aucun apprentissage pour s’en servir. Car qui possède un smartphone sait forcément envoyer un SMS.

Joint par email, Zach Seward, le créateur de l’application et l’éditeur exécutif de Quartz, me confie qu’avant de miser sur les messages instantanés, une petite équipe a d’abord travaillé sur différentes possibilités et idées pour l’application, avec deux obligations : 1. mettre “de côté tous les concepts existants sur les applications d’informations” et 2. se demander à quoi pourrait ressembler le journalisme de Quartz s’il vivait de façon indépendante sur un iPhone. Comprendre: pas question de faire du copié-collé du site vers le mobile.

“Quand l’idée de l’interface sous la forme d’un chat est arrivée, elle a semblé tout de suite irrésistible”, reprend Zach Seward. “Et ce n’était pas que nous. Après l’avoir testée à l’extérieur, on a vu que que les gens avaient l’air d’aimer que cela soit à la fois très simple et engageant”.

L’engagement, ici, ne consiste pas à retenir les lecteurs le plus longtemps possible. “Notre objectif est que chaque session ne dure que quelques minutes, pour que vous soyez informés rapidement et divertis en même temps”. De quoi coller à l’utilisation des terminaux mobiles comme “tache secondaire”, comme le préconisait Mashable dès 2011, c’est-à-dire accomplie lorsque l’on fait autre chose, que l’on soit dans les transports, dans une file d’attente à la caisse du supermarché, ou dans un ascenseur. Des sessions d’informations sur mobile qui peuvent se terminer d’une seconde à l’autre: parce que l’ascenseur est arrivé, parce que l’on descend du bus ou du métro, parce qu’il est temps de mettre ses courses sur le tapis de la caissière….

Et, en effet, au bout d’un temps sur l’application de Quartz, un message prévient qu’il n’y a plus d’autres informations pour l’instant. Si on râle – ce qui est mon cas -, un autre message rétorque “pas de nouvelles, bonne nouvelle” et enchaîne avec une question de culture générale pour m’occuper – “quel est l’aéroport qui transporte le plus de voyageurs au monde: Atlanta ou Pékin?”.

Crédit: AA

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Comment vont réagir les lecteurs? Sont-ils avides d’informations à se mettre sous la dent ou saturés? Pour l’instant, nul ne le sait. Si Quartz ne donne pas le nombre de téléchargements à ce stade, les évaluations des premiers utilisateurs sont encourageantes.

Kevin Delaney, le rédacteur en chef de Quartz, prévient qu’ils vont apprendre des interactions – anonymisées – récoltées sur l’application “pour voir ce qu’il faut faire en plus ou en moins”.

En filigrane transparaît la crainte d’en faire trop. Ou, tout du moins, de fatiguer les lecteurs déjà très sollicités sur leur smartphones, notamment via les pushs.

Et pour cause, sur la seule matinée du 10 février 2016, entre 6 et 13 heures, mon seul smartphone a reçu 66 urgents de divers médias français, annonçant ici la victoire de Bernie Sanders et Donald Trump aux primaires républicaines dans le New Hampshire, là un accident de car scolaire dans le Doubs, et enfin la démission de Laurent Fabius du quai d’Orsay.

Quartz ne veut pas alimenter cette bataille du push qui se joue entre les médias pour squatter les écrans mobiles. “Vous allez adorer recevoir nos notifications. Nous ne vous les enverrons pas si ce n’est pas important et la plupart d’entre elles ne seront pas sonores, elles éclaireront juste votre téléphone en silence”.

Dans le monde, la moitié des propriétaires de téléphones autorisent l’envoi de pushs. Aux Etats-Unis, 33% les acceptent “toujours” ou “souvent”, 36% “parfois”, et seulement 31% “rarement” ou “jamais”, selon le rapport de Comscore. Fait notable, la France est le pays qui témoigne de la plus forte utilisation de ces pushs pour accéder aux informations publiées en ligne.

A quand une conversation sur les informations en français? “Pour l’instant, nous allons continuer en anglais, mais plus tard, qui sait?”, répond Zach Seward.

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Alice Antheaume

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7 prédictions pour le journalisme en 2016

Crédit: Flickr/CC/nicksie2008

Crédit: Flickr/CC/nicksie2008

Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.

* L’impact

C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.

* La vitesse

Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.

“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.

Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.

On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.

* Le light

Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.

Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?

* La multi-publication

Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.

Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.

CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.

Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.

Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.

The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.

Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.

* La vague américaine

Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.

Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.

Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.

Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.

* La vidéo

Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.

“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.

Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.

* Les doutes

Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.

Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.

Excellente année 2016 à tous !

Alice Antheaume

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Faux témoignages sincères: l’effet réseau

Crédit: Flickr/CC/Jean-François Gornet

Crédit: Flickr/CC/Jean-François Gornet

Sur l’antenne de RTL, dimanche soir à 19h, une auditrice affirme avoir “vu de ses yeux un homme charger son arme” à Paris. Un témoignage sincère, mais erroné, qui s’inscrit dans un contexte de psychose collective au lendemain des attentats survenus à Paris et à Saint Denis vendredi 13 novembre. “Lors de la seule soirée de dimanche dernier, plus de 7.000 tweets ont annoncé des fusillades à Paris”, fustige Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, lors de sa chronique sur la mécanique médiatique de vendredi matin. Des messages écrits à la va-vite indiquant des tirs, ici au Trocadéro, là place de la République ou encore aux Halles.

Résidant aux abords de la place de la République, près de la “war zone” comme la surnomment maintenant mes voisins, j’ai assisté dimanche soir au mouvement de panique de la foule. J’ai vu des jeunes courir ventre à terre se réfugier sous la porte cochère de mon immeuble. Larmes aux yeux, souffle court, ils hurlent: “on a vu les tueurs, on a entendu les tirs, cela a sifflé dans nos oreilles”. Ils sont cinq. Ils pleurent. Ils crient d’effroi. Ils répètent ces mêmes phrases à l’unisson, paniqués, sincèrement paniqués. Ce sont des témoins qui, en toute bonne foi, croient avoir VRAIMENT vu ces tueurs et avoir VRAIMENT entendu des tirs.

J’aurais pu les filmer avec mon smartphone. J’aurais pu publier leurs témoignages sur les réseaux sociaux. D’autant que j’avais moi-même entendu ce qui semblait être une explosion. En outre, j’avais là cinq témoins différents racontant la même histoire, donc l’information pouvait être ainsi recoupée.

Sauf que, quelques secondes plus tard, je recevais des SMS d’amis journalistes m’ordonnant de rester chez moi parce qu’une ampoule ou des pétards avaient claqué place de la République, que des policiers sur les dents avaient mis en joue leurs armes, déclenchant le mouvement de foule qui s’en est suivi.


Colère et grosse fatigue

Dans les rédactions, prises dans le tambour de la machine à laver depuis plusieurs jours, certains confrères s’en prennent aux réseaux sociaux. Y “circulent beaucoup plus de rumeurs infondées que d’informations vérifiées”, continue Jean-Marc Four, sur France Inter.

Je comprends bien sûr leur colère, dans la fébrilité de cette tragédie, mais je ne comprends pas pourquoi, cette fois-ci, elle porte sur les réseaux sociaux. Car, dans l’ensemble, il y a beaucoup moins d’errements en ligne, beaucoup moins de théories de complot que, par exemple, lors des attentats de Charlie Hebdo, il y a dix mois.

Leur agacement provient en fait de ces témoignages aussi sincères que faux, qu’ils craignent de relayer. Brice Dugénie, reporter à RTL, confie à l’antenne sa perplexité lors de la panique dans les rues de Paris de dimanche soir. “Je ne comprends pas exactement ce qu’il se passe (…) Je n’ai entendu aucun coup de feu, j’ai eu deux témoignages de personnes qui m’ont dit en avoir entendu”.

La rumeur est comme la panique: irrationnelle

En ligne, dans le climat de psychose actuelle, “la moindre rumeur, guettée avec avidité, a un impact immédiat et considérable”, écrit Grégoire Lemarchand, responsable des réseaux sociaux à l’AFP.

Méfiance, donc. “Dans ce genre de mouvement, la rumeur est un peu comme la panique, elle est irrationnelle, déraisonnable, tout le monde dit un peu n’importe quoi”, continue Brice Dugénie, au micro de RTL.

En France, le code pénal prévoit la condamnation des fausses informations – jusqu’à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende lorsqu’”une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise”. Mais seulement s’il y a une intention de manifeste de “faire croire”. Ce qui n’est pas le cas ici.

Derrière le tweet de ces citoyens, leur statut Facebook, leur SMS, ou même leur interview, nulle volonté de désinformer, mais le réflexe de protéger amis en particulier et followers en général d’éventuelles répliques au carnage qui a déjà provoqué la mort de 129 personnes.

Mécanique de psychose

Pour les journalistes, il est difficile de garder cette mesure dans la sidération, mêlée de fatigue et de chagrin après ces derniers jours. Difficile aussi de questionner la véracité des paroles de tous ces gens, ébranlés comme jamais, traumatisés par l’ampleur des attentats.

Les réseaux sociaux ne sont que le miroir d’une mécanique bien connue en cas de drame collectif. La fébrilité provoque des erreurs de perception qui provoquent des témoignages erronés qui provoquent la rumeur, laquelle est partagée comme une traînée de poudre et génère encore plus de fébrilité.

C’est ce que le professeur de sociologie Gérald Bronner appelle “l’effet Esope” dans son livre La démocratie des crédules. On alimente ses angoisses par des recherches sur le Web qui confirment “l’obsédante intuition du pire”. Résultat, le “marché cognitif est biaisé”, parce que l’on veut savoir si l’on a raison d’avoir peur en allant chercher des informations qui font peur, et parce qu’il y a une surreprésentation d’alertes au détriment des témoignages rassurants. Or, pour Gérald Bronner, ces alertes instillent un “poison d’inquiétude” qui “épuise notre capacité collective à réagir en cas de dangers avérés”.

Alice Antheaume

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Tout le monde se lève pour… Snapchat

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James Bond y fait sa publicité. Le président de la République y ouvre son compte en novembre. Et si Snapchat, l’application aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, devenait un acteur incontournable dans le paysage médiatique sur mobile? Les contenus qu’y produit CNN “font des millions de vus chaque jour”, me soufflent les équipes de CNN. Même réaction du côté de Buzzfeed, qui évoque une “plate-forme incroyablement intéressante avec une portée immense”.

On n’en saura pas plus. Ni Buzzfeed, ni CNN, ni Fusion, ni Vice, qui figurent parmi les partenaires actuels de Snapchat Discover, la page dédiée aux informations, n’ont souhaité révéler de chiffres plus précis. Il faut donc se contenter de chiffres globaux. Lancé en janvier dernier, Snapchat Discover délivre chaque jour environ 160 sujets éphémères, d’une durée de vie de 24 heures. Des contenus vus par 60 millions de personnes chaque mois.

Les médias français dans les starting-blocks

“Snapchat est un réseau encore très jeune, qui a grandi extrêmement vite en très peu de temps”, excuse Ashley Codianni, responsable des publications de CNN sur les réseaux sociaux. Résultat, la plate-forme ne dispose pas encore d’outils de suivi de l’audience. “Je n’ai pas de données démographiques en temps réel, je ne sais pas si ceux qui nous lisent sont des hommes, des femmes, s’ils vivent en ville, ni quel âge ils ont”, reprend Ashley Codianni.

Pourtant, les éditeurs français rêvent d’en être. Lorsqu’Evan Spiegel, le patron de Snapchat, est venu en France il y a quelques semaines, il a rendu visite aux équipes du Monde dans l’idée de voir sur qui compter pour la suite. A priori, il n’y aura pas de page Discover pour la France, mais peut-être l’ouverture d’une “chaîne” auprès d’un média français, comme cela a été fait avec le britannique Daily Mail. A cette différence près que le Daily Mail rédige, comme les autres partenaires actuels de Discover, en anglais.

Dans les starting blocks pour cette éventuelle place française, que Snapchat ne confirme ni n’informe, Le Monde, Le Parisien et BFM TV sont très intéressés. Sauf qu’un nouvel entrant dans le cercle égale un sortant. Car la page est composée de 15 places, pas davantage, dont l’une peut être dédiée à une chaîne temporaire de contenus publicitaires – James Bond, Halloween, etc.

Enfin des jeunes !

Ce qui attire les candidats français, c’est que l’audience de Snapchat se connecte, pour la moitié d’entre elle, depuis un autre pays que les Etats-Unis. Surtout, ils espèrent y chasser une audience plus jeune que celle qu’ils touchent d’ordinaire – aux Etats-Unis, un tiers des jeunes de 18 à 34 ans possèdent un compte Snapchat. Une nouvelle lucarne pour ces éditeurs qui non seulement ne sont pas dans le périmètre des jeunes, mais ne sont même pas identifiés comme une source d’informations par ceux-ci.

“Ce qui est sûr, c’est que les utilisateurs n’ont aucune idée de ce qu’était CNN” avant de le découvrir sur Snapchat, selon Ashley Codianni. Cela fait la blague auprès des concurrents qui, dans le petit monde médiatique new yorkais, rient à l’idée que CNN détienne plus de spectateurs sur Discover que sur sa chaîne de télévision.

Julien Mielcarek, de BFM TV, l’a bien compris: “nous avons fait part à Snapchat de notre souhait de pouvoir travailler sur Discover si le service se lance auprès de médias francophones. L’enjeu est multiple, avec l’objectif évident de parler à un public plus jeune qui a moins l’habitude de regarder la télévision.”

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Le temps de consommation

Autre donnée, très regardée par les éditeurs: le temps de consultation, et donc le fameux “engagement” des lecteurs. D’après Snapchat, les meilleurs chaînes d’informations de Discover parviennent à scotcher leurs lecteurs de 6 à 7 minutes par jour, en moyenne.

“Notre audience passe de plus en plus de temps sur mobile et sur les plates-formes sociales. Snapchat est devenu un élément clé pour nous puisque nous savons qu’elle est utilisée par une audience jeune, diversifiée, qui y consacre une grande partie de son temps”, me confie Daniel Eilemberg, de Fusion.

Retour à la sélection humaine

Sauf que Snapchat n’est pas un réseau social comme les autres. Hors de question de se contenter d’y diffuser des contenus existants comme sur les réseaux sociaux, disent en substance les équipes de l’application. “Les (autres, ndlr) réseaux sociaux nous disent quoi lire en fonction de ce qui est le plus récent et le plus populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, pas sur les clics et les taux de partage, pour déterminer ce qui est important”. En clair, chez Snapchat, haro sur les algorithmes et vive l’humain. Mais l’humain coûte cher.

Côté éditeurs, c’est un investissement humain pharaonique. Pour produire sur Snapchat, Refinery29, un site de “style”, s’appuie sur une équipe de 10 personnes. Chez Fusion, 8 personnes sont missionnées pour ce faire. A CNN, 4 personnes y travaillent à temps plein. “La production sur Snapchat est très très chronophage”, souligne Ashley Codianni, arguant qu’aucun autre réseau social ne bénéficie de telles ressources dans ses équipes.

Or la production de contenus sur Snapchat requiert des compétences en graphisme et en animation qui ne sont pas l’apanage de tous les journalistes. En clair, il ne suffit pas de distribuer les liens en l’éditant avec un bon titre et une photo comme on le fait sur Facebook et Twitter. Il faut “construire un format qui met la narration en exergue”, tente d’expliquer Snapchat. Sachant que chaque éditeur produit entre 10 et 20 sujets originaux par jour sur Snapchat Discover, on comprend vite l’ampleur du travail.

Snapchat se considère comme un éditeur

D’autant que Snapchat a sa petite idée sur qui, parmi ses partenaires médias, peut produire quoi. Au début, par exemple, CNN produisait des sujets plutôt magazines, avant d’être encouragé à se concentrer sur le “breaking news”, pour donner aux utilisateurs la liste des 10 sujets importants du jour. Bref, ce qu’ils doivent savoir. Le présupposé de Snapchat est clair: a priori, les snapchatters ne consomment pas d’informations ailleurs. Néanmoins, l’un des utilisateurs de Snapchat Discover, interrogé par Business Insider, n’est pas dupe: “de ce que je peux en dire, la plupart des actualités et des vidéos sont juste du recyclage de ce que l’on peut trouver en ligne sur Vice ou ESPN”.

A Fusion, on évite le recyclage et on mise sur du contenu original fait “exclusivement” pour Snapchat, comme la série appelée “Outpost”, composée de mini-documentaires en vidéo d’1 minute chacun, sur des territoires inexplorés, ou la série “Vergaland” réalisée en format vertical, sur la carrière du mannequin et vedette Sofia Vergara, vue par les yeux de son fils.

“Il est impératif que nous nous adressions à l’audience de Snapchat avec du contenu attrayant, fait sur mesure, pour chaque plate-forme”, explique Daniel Eilemberg, de Fusion. Même stratégie du côté de CNN qui, en plus des contenus sur Snapchat, publie des listes sur une application en vogue aux Etats-Unis, The List App.

Nouvelles narrations à étudier

Le Monde, de son côté, reste prudent et réfléchit à ce nouveau type d’écriture avant d’annoncer quoique ce soit. Chez BFM TV, l’inspiration de CNN est évidente. “Si on se lance un jour sur Discover, on retrouvera évidemment ce qu’est BFM TV et son ADN, le direct, mais aussi des aussi des thématiques et des angles qui ne sont pas traités à l’antenne, comme les coulisses de la fabrique de l’information”, développe Julien Mielcarek. “Il y a un vrai enjeu sur la forme, comme c’est notable avec CNN sur Discover: on retrouve de l’information évidemment mais dans une navigation et des codes graphiques très éloignés de ce qu’est habituellement CNN, avec un environnement carrément pop”.

Reste une équation à deux inconnues à résoudre:

1. le temps passé sur Snapchat s’additionne-t-il au temps passé sur les réseaux sociaux? Est-ce du temps exclusif?

2. faut-il investir en temps et en ressources humaines sur Snapchat, une plate-forme dont les retombées économiques sont encore inconnues?

Si les publicités insérées sur Discover sont très chères payées par les annonceurs, faisant de cette page un spot “très désiré” selon Fortune, les revenus générés sont partagés entre le média et Snapchat: si c’est Snapchat qui vend la pub, en insérant entre les contenus de l’éditeur une page d’une seconde, c’est 50% pour Snapchat, et 50% pour le média. Si c’est l’éditeur qui commercialise la pub, c’est 70% dans sa poche et 30% pour Snapchat.

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Alice Antheaume

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Le Figaro et CCM Benchmark: un mariage qui fait grincer des dents

Crédit photo: Flickr/CC/juditk

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En France, la compétition entre les médias en ligne est stoppée nette lorsque, le 1er octobre, Le Figaro rachète CCM Benchmark, le groupe qui détient les sites L’Internaute, Comment ça marche, le Journal du Net.

Nombreux sont les dirigeants des titres concurrents à tomber de l’armoire. Laurent Guimier, le directeur de France Info, reconnaît qu’il ne s’attendait pas à un tel faire-part. «Je savais qu’il y aurait une grosse annonce» ce jour-là de la part du Figaro, confie-t-il, mais «la rumeur annonçait plutôt une innovation sur la vidéo».

Prudent, il en a même soufflé un mot à Mathieu Gallet, le président de Radio France, pour qu’il ne découvre pas le pot-aux-roses, surtout au moment où les groupes de travail se réunissent chez France Télévisions et Radio France pour réfléchir à la future chaîne d’informations en continu.

Sauf que le secret a été bien gardé, même au sein du Figaro. Enguerand Renault, chef du service médias, a pourtant mis au frais une page entière du cahier saumon de l’édition imprimée datée du 2 octobre, mais les journalistes du quotidien n’ont pas eu connaissance de l’événement qui y serait relaté.

Gros poisson

Désormais, Le Figaro et CCM Benchmark veulent nager dans le grand bain. Avec 25 millions de visiteurs uniques par mois, et la moitié sur le mobile, ils comptent devenir le premier média numérique en France. En ligne de mire, ils visent Facebook et Google. Leurs armes? «Facebook, c’est le conversationnel; Google, la recherche et nous, notre valeur ajoutée sera le contenu éditorial», explique Benoît Sillard, le président de CCM Benchmark, à Libération.

Crédit: infographie Le Figaro

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Les autres titres comprennent vite qu’il va falloir sortir les rames pour rivaliser avec un groupe pouvant toucher un internaute sur deux. Dans les coulisses des rédactions, certains ironisent : «il ne nous reste plus qu’à racheter Orange!».

A France TV Info, l’appréhension est compensée par «la créativité rédactionnelle». «Nous pouvons diffuser, pour le moment, bien plus de vidéos que cet ensemble consolidé Le Figaro/Benchmark», analyse Célia Meriguet, directrice adjointe de l’information nationale sur les médias numériques de France TV.

Au Monde, le directeur Jérôme Fenoglio ne s’inquiète pas plus que cela. «Etre un immense groupe qui suscite des amas de clics n’est pas forcément cohérent», juge-t-il, «notre stratégie n’est pas de prôner le volume mais de rester sur le positionnement de notre groupe, le journalisme de qualité et l’information vérifiée». Entre les lignes, on comprend que, pour lui, Comment ça marche et L’Internaute ne produisent pas du contenu «Le Monde compatible».

Objectif pub

Sauf qu’outre l’aspect éditorial, l’objectif du rapprochement entre Le Figaro et CCM Benchmark est avant tout publicitaire. Marc Feuillée, le directeur général du Figaro, ne s’en cache pas, il évoque «des audiences qualifiées» et des «marques fortes».

«Les médias doivent faire face aux annonceurs et aux agences qui ont des problématiques de plus en plus mondiales et multimédias (…) Le nouveau groupe pourra apporter des messages publicitaires au plus grand nombre tout en étant de plus en plus ciblés», confirme Benoît Sillard, de CCM Benchmark, cité par Le Figaro.

Il s’agit bien sûr de proposer des offres combinées sur de multiples supports, de générer davantage de revenus, et de monter en puissance sur les technologies qui permettent de suivre l’audience, pour mieux savoir qui va voir quoi et quand, tant sur les publicités que sur les informations, afin de mesurer l’impact de toutes les productions.

Ce à quoi Jérôme Fenoglio, du Monde, rétorque qu’il y a d’autres critères que le volume aujourd’hui: le confort de lecture, le temps passé sur chaque page, le respect de la ligne éditoriale. «L’effet de masse, de volume, pose des soucis dont on est obligé de tenir compte comme la gestion des données, la protection de la vie privée, la question des Adblocks».

Concentration

«La concentration est en marche et, dans le cas du Figaro, c’est impressionnant», souffle Célia Mériguet, de France TV. «Personne ne peut prétendre à une aussi forte pénétration du marché français, hormis Google et Facebook».

Une logique de concentration déjà en vigueur dans la presse et les médias audiovisuels qui mène, fustige Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart, à un «écosystème pourri»: «sept milliardaires dont le coeur d’activité n’est pas l’information mais de vendre des armes, faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque, ont entre leurs mains 95% de la production journalistique», déclare-t-il.

Pour l’instant, le rapprochement n’est pas acté dans les classements des instituts de mesure de l’audience – Médiamétrie, OJD – très regardés par les annonceurs. Et pourrait ne jamais l’être. Si Le Figaro figure à la deuxième place du classement des sites d’informations et d’actualité de l’OJD, en septembre, L’Internaute, n’étant pas considéré comme tel, n’y est pas. En outre, pour que soient additionnées les audiences des sites du Figaro et celles de CCM Benchmark, il faudrait faire un gros travail de refonte sur les URL et sur l’imbrication des logos des différentes maisons, comme cela a été fait pour Rue89 et L’Obs, non sans mal.

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Alice Antheaume

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Petits, petits… Venez vous informer par ici

Crédit: Flickr/CC/mgoulet

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Aux Etats-Unis, NBC a investi 200 millions de dollars dans le groupe Vox Media et la même somme dans Buzzfeed, dont la moitié de l’audience est composée de 18-34 ans, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels. En France, RTL a lancé Girls, «le site qui parle à toutes les filles connectées». Les Echos s’apprêtent à mettre en ligne un projet baptisé Les Echos Start à destination des 20-30 ans. France 24 projete de lancer Mashable en français auprès d’une audience de jeunes actifs. Enfin, Prisma Media travaille à l’entrée de Business Insider sur le marché français, une «marque puissante attirant un public jeune», selon son éditeur Martin Trautmann.

Autant d’exemples de médias traditionnels, confrontés à des audiences vieillissantes, qui se positionnent sur une offre parallèle pour séduire une foule rajeunie. Mirage?

Avec Mashable France, qui devrait voir le jour en janvier 2016, France 24 pourrait s’inspirer de ce que Le Monde a fait avec Le Huffington Post afin de toucher une audience qui n’est aujourd’hui pas du tout dans ses radars.

L’ambition est la même pour Les Echos Start, dont le lancement est prévu mi-septembre: «c’est un nouveau média qui aide les jeunes à réussir leur entrée dans la vie active», m’explique son éditrice Julie Ranty. Comment intégrer une grande entreprise? Comment rejoindre ou monter une start-up? Faut-il s’expatrier? Voilà quelques unes des questions qui seront traitées dans les grandes largeurs. Un positionnement qui, estime Julie Ranty, «correspond au besoin numéro 1 des jeunes tout en capitalisant sur l’expertise des Echos du monde des entreprises».

Etre vieux et s’adresser à des jeunes

Voici donc le coeur du problème. Il y a un divorce – ou plutôt une non rencontre – entre Les Echos, qui souffre auprès des jeunes d’une réputation de quotidien très spécialisé en finance réservé aux patrons du CAC 40 et autres «costards cravates», et les nouvelles générations. Comment modifier l’image de dinosaure que se traînent des titres historiques? Comment faire pour devenir «plus accessible»?

Lorsque NBC prend part à l’aventure d’un pure player comme Vox ou Buzzfeed, il devient tout de suite beaucoup plus sexy et regagne de l’attrait auprès des nouvelles générations, salue le Los Angeles Times.

Faut-il parler le jeune? Surtout pas!, sourit Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. Interrogée dans L’interview numérique, diffusée sur lemonde.fr, elle encourage les rédacteurs à écrire «de façon pédagogique» et à «évite(r) toute condescendance (…) On essaie d’écrire pour donner envie, avec des formats innovants» et des sujets qui entrent «en résonance avec le quotidien» des lecteurs.

Question de ton et de formats

«Parler le jeune? Ce serait une énorme erreur», surenchérit Alexandre Malsch, le fondateur de Melty, dont l’audience a 24 ans en moyenne. «C’est une question de sincérité, il faut écrire simplement et s’adresser à ton lecteur comme si tu t’adressais à ton pote». Ecrire simplement ne veut pas dire écrire à la va-vite. Car l’audience de Melty, si elle est juvénile, n’en est pas moins exigeante. «Si tu écris qu’une série télévisée a 28 épisodes au lieu de 31, tu prends cher. On doit être hyper sérieux, même sur du divertissement».

Jean-Bernard Schmidt, le co-fondateur de Spicee, prône un «ton plus direct, parfois plus insolent, davantage d’incarnation» et des codes qui correspondent à ceux de l’audience visée, en utilisant par exemple, pour des mini fictions qui racontent l’actualité, les canons des dessins animés. Sur ce nouveau site qui propose des «vidéos qui piquent», des cocardes «gratos» aux couleurs fluo aident à repérer les contenus disponibles gratuitement, surfant sur les ressorts marketing d’un site de rencontres comme Adopteunmec.com.

Il y a «un public qui cherche de plus en plus à s’informer en vidéo sur le digital mais qui ne trouve pas encore ce qui lui convient dans la jungle du Net», continue Jean-Bernard Schmidt. Celui-ci a bien compris que si nos cadets désertent les médias traditionnels, c’est qu’ils n’y trouvent pas leur compte. Place, donc, aux vidéos et aux contenus visuels forts, lesquels se partagent à l’envi sur les réseaux sociaux – aux Etats-Unis, 83% des jeunes ont un compte Facebook, en France, ils sont 78% – et s’affichent à merveille sur les écrans des téléphones.

Allez directement à la case mobile sans passer par la case ordinateur

Car pour toucher cette génération, mieux vaut sauter la case ordinateur et passer directement au mobile. C’est de leur smartphone dont les 16-24 ans ne peuvent pas se passer pour s’informer, rappelle Henry Blodget, le rédacteur en chef de Business Insider, lors de la conférence DLD organisée à Munich, en Allemagne, en janvier. Loin, très loin, de la télévision qui demeure le réflexe des populations plus âgées.

Or des formats adaptés au mobile ne reposent pas sur les mêmes codes que ceux fabriqués pour un site d’informations vu depuis un ordinateur. Pour Evan Spiegel, le président de Snapchat, les adolescents ne rêvent ni de Facebook ni de télévision. Ils s’informent à la vitesse d’un swipe et apprécient les notifications et autres pushs sur leur mobile. Aux Etats-Unis, 85% des jeunes ont un smartphone, en France, près de 68%.

La cible rêvée des annonceurs

L’objectif est clair: drainer du trafic sur une cible qualifiée, qui a souvent suivi des études supérieures, au pouvoir d’achat en devenir, pour plaire aux annonceurs. Une cible qui est loin de constituer une niche. Selon NPR, la génération des millennials constitue la plus importante part de la population américaine (plus de 28%), devant les baby-boomers, la plus éduquée aussi (34% d’entre eux ont au moins un BAC+3) et la plus indépendante au regard de l’âge moyen du premier mariage (27 ans pour les femmes, 29 ans pour les hommes). Tellement indépendante d’ailleurs que, malgré un temps considérable passé en ligne, elle recourt volontiers à des Adblocks pour empêcher les publicités de s’afficher.

N’est pas jeune qui veut

Sauf que tous les médias du monde veulent savoir comment s’adresser aux adolescents. Le vouloir ne suffit pas. Et il y a parfois de beaux ratages. Au lancement du Post.fr, en septembre 2007, tout avait été conçu pour toucher un public jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher.

Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «on faisait des opérations marketing visant les spectateurs de la Star Academy, mais quand, quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. Il n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Ici, des retraités, là des fans de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle de 2007…

Question de timing

Plus que le ton ou les formats, pour Alexandre Malsch, le secret réside avant tout dans la temporalité. De fait, l’algorithme de Melty aide les rédacteurs du site à produire des contenus correspondant aux envies des internautes au bon moment en scannant les mots clés cherchés en ligne (sur les moteurs de recherche, sur les réseaux sociaux) à l’instant T.

Même topo chez Spicee qui veille à caler sa production sur les usages de son audience. «L’idée est de proposer des programmes qui s’adaptent à la façon de vivre, aux temps de disponibilité et au moment de consommation», me confie Jean-Bernard Schmidt, qui tient à séquencer les contenus. «Chaque document vidéo est proposé en version complète mais aussi découpé par épisodes, avec des bonus».

Qui dit jeune public dit audience volatile. A Melty, dont le coeur de cible est âgé de 18 à 30 ans, les équipes savent que leur audience décroche un jour. Ou plutôt, elle se connecte «le temps d’un cycle qui correspond au temps de vie d’un produit culturel», reprend Alexandre Malsch, sachant que lorsque le produit culturel s’appelle Justin Bieber ou Grey’s Anatomy, le cycle peut durer plusieurs années. Mais ensuite, l’audience grandit et part vers d’autres horizons…

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Alice Antheaume

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Le “pound”, le nouveau pèse-contenu de Buzzfeed

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Comment savoir si un article fait le tour du Web? Comment suivre son parcours et mesurer son effet sur l’audience? Pour répondre à ces questions, Buzzfeed vient de dégainer un outil de mesure, baptisé “pound“, l’acronyme de Process for Optimizing and Understanding Network Diffusion – processus d’optimisation et de compréhension de la diffusion en ligne, en VF.

“Le pound est une nouvelle technologie développée par Buzzfeed qui va nous permettre de suivre l’itinéraire d’un article partout”, m’explique Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. “Supposons que nous publions un article, que quelqu’un partage ensuite sur Facebook. Vous le voyez, vous likez, vous vous dites “j’ai envie d’écrire un truc dessus”, vous faites un post de blog à ce sujet, quelqu’un le voit, tweete l’article…”

L’itinéraire d’un contenu

Toutes les “propagations” d’un contenu vont ainsi être mesurées, y compris l’échange de liens dans les messageries instantanées et les emails.


Et c’est bigrement complexe. Car ces propagations ne sont pas linéaires. Elles suivent des chemins sinueux, qui ressemblent à des “forêts” sur le Web, décrit Dao Nguyen, la directrice de publication de Buzzfeed. L’itinéraire de chaque contenu est ainsi représenté par une forêt composée d’arbres de toutes formes et de toutes tailles – ils peuvent être grands, petits, gros, fins, etc. “La structure de la forêt et de ses arbres nous apprend de façon très détaillée comment chaque contenu se diffuse en ligne”.

Crédit: Buzzfeed

Crédit: Buzzfeed

Bien sûr, le pound correspond aux spécificités de l’audience de Buzzfeed, dont 75% du trafic provient des réseaux sociaux. Mais cet indice a surtout deux intérêts :

1. en analysant la radiation des contenus en ligne, les équipes vont engranger de l’expertise pour savoir comment toucher des cercles au-delà du cercle des “premiers lecteurs évidents”, sourit Cécile Dehesdin. Et donc déployer une toile encore plus étendue d’influence.

2. les statistiques recueillies vont aussi servir aux annonceurs, très preneurs de données de diffusion de leurs campagnes publicitaires, et de données sur la façon dont les utilisateurs consomment les contenus, notamment dans le cadre du “native advertising”.

Bref, pas de données, pas de chocolat. “Un média sans données pour les publicités ciblées n’a aucune chance de survie”, prévient Jeff Sonderman, le directeur adjoint de l’American Press Institute.

Le nouvel or noir des annonceurs

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. Pour les contenus publicitaires, “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici et qui fait appel à 15 collaborateurs pour produire des contenus sponsorisés. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

C’est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France. Si L’Express et La Croix se dotent de leurs propres plates-formes d’analyse des données (DMP, Data management platform), toutes deux financées en partie par le fonds Google de l’innovation pour la presse, c’est pour se créer des “opportunités” commerciales, non seulement pour la publicité mais aussi pour des abonnements.

A terme, le risque est de voir cohabiter deux catégories de médias en ligne: les gros poissons, qui ont la technologie pour développer leurs propres indices de suivi de l’audience, comme le fait Buzzfeed, et les petits calibres qui devront se contenter des indices déjà existants et moins ciblés.

La mesure de l’impact

Outre Atlantique, ce type de journalisme porte même un nom, le “journalisme d’impact”. Un concept plus large que la simple mesure d’audience et du trafic, précise Dick Tofel, le président de Pro Publica, car elle recoupe aussi la notion d’engagement des lecteurs et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société.

C’est ce qu’a expérimenté, à son échelle, un étudiant en journalisme de CUNY (City University of New York), après avoir écrit un article sur Pedro Rivera, 48 ans, à la fois père et grand père, habitant dans le Missouri, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d’origine, le Mexique, par les autorités américaines.

“Avant”, confie cet apprenti journaliste, “je mesurais le succès de mon travail en fonction du nombre de partages que j’obtenais sur les réseaux sociaux, du nombre de célébrités qui tweetaient mon article, et du trafic que cela drainait (…) J’ai découvert que l’on pouvait obtenir un bien meilleur résultat, un résultat qui n’a rien à voir avec les statistiques”. En l’occurrence, les services d’immigration américains ont décidé de laisser Pedro Rivera tranquille, sans doute parce que son histoire, publiée sur Quartz avec le titre “Obama avait promis d’expulser les traîtres, pas les familles – ce n’est pas ce qu’il se passe”, a été lue. Et entendue.

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Alice Antheaume

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12 conseils pour les futurs journalistes

Crédit: Flickr/CC/nez

Comment devenir journaliste en 2015? Et faut-il le devenir? A ces questions, Félix Salmon, l’éditeur de Fusion, passé par Reuters, répond que “la vie n’est pas belle pour les journalistes”. Il déconseille même aux jeunes de s’orienter vers ce métier.

“Si vous aimez faire autre chose (que le journalisme, ndlr), si vous êtes bons dans un autre domaine, vous devriez sans doute songer à changer d’orientation.”

Pas d’accord, et même pas d’accord du tout – mais comme on aime les débats à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, on a invité Félix Salmon à donner la leçon inaugurale le 28 août prochain, et il a gentiment accepté. En attendant, voici 12 conseils destinés aux étudiants qui rêvent d’en faire leur profession. Et ils ont bien raison car c’est l’un des plus beaux métiers du monde.

1. Préparez-vous à ne jamais vivre la même journée

C’est le principal avantage de cette profession. Aucune journée ne ressemble à une autre quand on est journaliste puisque c’est l’actualité qui dicte l’emploi du temps et le volume des contenus produits. Le matin, on part sur un sujet dont on ignore souvent tout et, à la fin de la journée, on a publié un (ou plusieurs) contenu(s) qui en explique les enjeux. Au passage, on a appris plein de choses. Magique!

En outre, le journalisme constitue un poste d’observation formidable des mutations sociétales. Un paradoxe, estime un chercheur américain dont je tairai le nom, qui balance.

“Ce qui est incroyable avec les journalistes, c’est qu’ils sont censés raconter les évolutions de la société dans leurs articles, mais qu’ils sont incapables de voir sous leur nez le changement de leur propre métier.

>> Les questions que se posent les jeunes journalistes >>

2. Ne vous auto-censurez pas

Ne se sentant pas légitimes, beaucoup d’étudiants s’interdisent malheureusement de postuler à un stage en rédaction, voire à une école de journalisme. Or il ne faut rien s’empêcher, tout simplement pour ne rien avoir à regretter. Et si les aspirants journalistes n’ont pas obtenu de stage dans un média, même après les avoir demandés, ce n’est pas grave. L’expérience ne se résume pas au logo d’une organisation rédactionnelle posé sur un CV.

Ce qui compte, c’est d’expérimenter à sa mesure, de tester des petites choses en ligne, comme faire une photo par jour sur son compte Instagram avec une légende pertinente, monter un blog et apprendre à dialoguer avec les internautes, produire des vidéos sur Dailymotion ou YouTube en forme de zapping, apprendre le code, lancer un journal étudiant, une newsletter, monter une application, etc.

Tout cela a une valeur aux yeux des professionnels et prouve que vous avez déjà les mains dans le cambouis, et des idées en tête.

>> Découvrir le cahier de vacances pour apprentis journalistes >>

3. Ne pensez pas que “c’est bouché, comme métier”

Non, ce n’est pas “bouché”. En 2014, il y a, sur 36.317 cartes de presse octroyées en France, 1.748 “premières demandes”. Dix ans plus tôt, en 2004, les “premières demandes” s’élèvent à 2.090, sur 36.520 carte de presse octroyées. Ces chiffres – qui ne prennent pas en compte les journalistes qui exercent leur métier sans carte de presse – montrent qu’il n’y a pas eu de réelle dégringolade. Le marché est donc toujours capable absorber des nouveaux entrants.

Les statistiques de l’insertion professionnelle des diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’une des quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, sont encourageantes: toutes promotions confondues, 95% des diplômés travaillent, soit en CDI (46%) soit en CDD (23%) soit en piges régulières (26%).

Crédit: Flickr/CC/Images money

4. N’ayez pas (trop) peur pour votre futur salaire

Félix Salmon évoque “un très grand nombre de journalistes au talent incroyable qui ont du mal à joindre les deux bouts” aux Etats-Unis. En France, le salaire moyen d’un journaliste en CDI est de 3.790 euros bruts par mois, d’un journaliste en CDD de 2.506 euros bruts par mois, d’un pigiste de 2.257 euros bruts par mois.

A noter, “un journaliste diplômé d’un cursus reconnu en CDI ou CDD gagne en moyenne 12% de plus qu’un journaliste diplômé d’un cursus non reconnu” selon le rapport de l’Observatoire des métiers de la presse.

5. Ne croyez pas que vous allez faire du journalisme assis

Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes travaillant sur des sites de presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne.

Après, cela tient aussi à la force de proposition des journalistes. La règle est simple pour sortir, soufflent les rédacteurs en chef: il suffit de ne pas rester pas bras croisés lors des conférences de rédaction, à attendre que le “flux” tombe, et de proposer des sujets percutants. Si la proposition est bonne, c’est sûr, le journaliste peut sortir faire le sujet.

Crédit: Sciences Po

6. Acceptez d’évoluer en cours de carrière

Quel point commun entre un présentateur de JT, un journaliste de PQR et un journaliste travaillant pour un pure player? Le journalisme est une “profession très éclatée”, analyse Cyril Lemieux, sociologue à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le 17 février. Une heureuse spécificité qui permet de connaître plusieurs vies professionnelles, au gré des employeurs, des réorganisations internes et, surtout, des changements de pratiques à l’ère numérique.

Guy Birenbaum, aujourd’hui à France Info, est un bon exemple: d’abord maître de conférences, il est devenu éditeur puis journaliste – sans carte de presse – et écrit toujours des livres. “Je ne suis jamais exactement ce que je suis censé être”, confie-t-il lors d’une master class. Avant d’envoyer une pique à ses confrères…

“Quand j’étais éditeur, je trouvais qu’il valait mieux déjeuner avec des journalistes que de lire leurs papiers.”

“Après 40 ans, il faut arrêter d’être journaliste”, m’avait prévenue un rédacteur en chef à mes débuts à Télérama. A l’époque, lui avait déjà la cinquantaine et, aujourd’hui, il travaille toujours.

Journaliste un jour, journaliste toujours? “Les journalistes ont le sentiment d’être liés par une culture commune et restent attachés à ce métier jusqu’à leur retraite, même s’il y a des sorties de la profession, vers la communication ou vers la politique”, observe encore Cyril Lemieux.

Et pour cause, il y a une interrogation légitime sur le rythme de vie imposé par ce métier, qui peut donner parfois le sentiment d’être comme un hamster dans une roue lancée à toute berzingue et qui peut lasser à force.

7. Sachez escalader les montagnes russes, entre adrénaline et grosse fatigue

Le vrai indice du bonheur chez journalistes? Selon Cyril Lemieux, c’est lorsqu’ils sont fiers de ce qu’ils produisent collectivement. Et c’est souvent le cas dans les périodes de breaking news intenses.

Mais cela provoque en contrecoup, comme après les attentats de janvier à Paris, un épuisement général qui “laisse des traces physiquement et moralement”, reconnaît Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM TV, lors d’une conférence à Sciences Po le 12 février.

Et Céline Pigalle, la directrice de l’information de Canal+, surenchérit…

“L’extrême fatigue de ce métier est liée à l’impossible réplication de ce que l’on a appris dans une situation antérieure. On doit remettre en jeu nos choix et nos pratiques à chaque nouvelle situation.”

8. Comprenez qu’aimer voyager ne conduit pas forcément au journalisme

“Je veux être journaliste parce que j’aime voyager”, entend-t-on parfois de la bouche des étudiants. Or aimer les voyages n’est pas un argument suffisant pour faire ce métier. Contrairement à ce que vit Tintin dans ses “aventures”, le journaliste ne fait pas de tourisme. Il peut – et doit – aller sur un terrain parce qu’il y a un enjeu et une “histoire” à raconter, non pour se faire plaisir.

9. Aimer écrire non plus….

“Pratiquement tout le monde peut écrire. Le fait que vous puissiez écrire ne vous aidera sans doute pas à faire la différence”, note Ezra Klein, le co-fondateur de Vox Media.

En revanche, ce qui peut faire la différence, c’est la capacité à trouver des nouveaux codes narratifs, en faisant des reportages avec son smartphone, en plongeant dans des tableurs remplis de données pour réaliser des enquêtes, en jonglant entre temps réel et long format, en créant des graphiques interactifs, en sachant dialoguer avec l’audience, en collaborant avec des robots de l’information. Voire en créant sa propre start-up d’informations.

10. Prenez l’habitude d’avaler des informations

Quelle est l’actualité du jour? Quel angle proposeriez-vous sur cette actualité? Quel sujet aimeriez-vous couvrir? Ces questions sont celles que les professionnels posent souvent aux étudiants. Une façon de vérifier, notamment lors des entretiens, leur appétence pour les informations.

Pour devenir journaliste, il faut être incollable sur l’actualité et montrer que vous la butinez sous toutes ses formes et provenant d’une multitude de sources (médias traditionnels, pure-players, réseaux sociaux, etc.)  – ne vous contentez pas du traditionnel triptyque trop souvent cité par les étudiants, à savoir France Inter/Rue89/France 2.

11. Acceptez de ne pas être très populaire

“Un journaliste est un homme qui vit d’injures, de caricatures et de calomnies”, a prévenu Delphine de Girardin, citée par Serge July dans son Dictionnaire amoureux du journalisme.

C’est en grande partie vrai, et notamment en ligne, où les journalistes font l’objet d’invectives de toute sorte, qu’ils encouragent parfois d’ailleurs, et du harcèlement des trolls.

Corollaire ou non, les journalistes ne sont pas très aimés, déplore Eric Mettout, le directeur de la rédaction adjoint de L’Express, citant un sondage “assassin” d’Ipsos pour Le Monde et France Inter selon lequel “23% des personnes interrogées font confiance (aux journalistes), 77% se méfient, dont 27% absolument”.

12. Quittez votre déprime

Certes, “le journalisme est une profession inquiète”, comme le constate le sociologue Gérald Bronner lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.

Et pour cause, la responsabilité des producteurs de contenus face à des dilemmes complexes est grande: faut-il par exemple parler des rumeurs, pour les démentir, au risque de leur donner de l’écho?

“Il faut vérifier les faits mais aussi se demander en toute honnêteté: quels sont ses a priori narratifs sur l’histoire que l’on s’apprête à couvrir?”, conseille Gérald Bronner.

Pas de raison de déprimer pour autant, puisque l’ère numérique permet d’explorer des voies journalistiques inédites et accélère les carrières.

“Il n’y a jamais eu autant de possibilités de grandir rapidement”, encourage Will Oremus, de Slate.com, citant les exemples de Ben Smith, le rédacteur en chef de Buzzfeed, qui, à 38 ans, vient d’interviewer Barack Obama, ou d’Ezra Klein, de Vox Media, âgé de 30 ans. “Ceux qui sont prêts, ou juste désireux de créer, doivent être jugés sur la valeur qu’ils produisent aujourd’hui plutôt que par les noms listés sur leur CV ou le nombre d’années d’expérience”.

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Alice Antheaume

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