Informer sur une tablette, la leçon de South by South West 2013

Crédit: Flickr/CC/MokshaDolphin

«Cela ne sert à rien de dupliquer, sur une tablette, les contenus prévus pour un journal imprimé», lance Mario Garcia à South by South West, le festival des geeks organisé chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Cela ne sert à rien, et pourtant, la majorité des éditeurs d’informations ont ce réflexe. Ils seraient plus avisés d’observer de près deux des activités préférées des propriétaires de tablettes: le fait de se pencher en avant, pour chercher dans l’instant une information, et le fait de se pencher en arrière, pour consulter au calme, et souvent le soir, des contenus. Comment les internautes lisent-ils des informations sur les tablettes? Et comment les éditeurs devraient, en conséquence, concevoir leurs applications? Mario Garcia, ex-journaliste, expert du design en fonction des supports, et Sarah Quinn, du Poynter Institute, ont donné un cours collectif intitulé “Storytelling in the age of the tabletle vendredi 8 mars à South by South West 2013.

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Comment les utilisateurs s’informent sur tablette 

  • Des lecteurs de l’intime aux lecteurs méthodiques

On distingue plusieurs catégories de lecteurs d’informations sur tablettes, d’après la dernière étude EyeTrack de Poynter qui, à l’aide d’une caméra sophistiquée, a pu analyser en simultané les mouvements oculaires que font les utilisateurs lorsqu’ils s’informent sur tablette et les points qu’ils fixent sur l’écran.
– 61% des sondés par Poynter sont qualifiés de «lecteurs intimes» («intimate readers»), c’est-à-dire qu’ils ne cessent de toucher l’écran pendant qu’ils lisent, quand les 39% restants sont des «lecteurs détachés» («detached readers»), qui, une fois qu’ils ont choisi le contenu qu’ils souhaitent lire, retirent leurs doigts de l’écran.
– il y a aussi les lecteurs méthodiques, qui décident ce qu’ils vont lire et s’en tiennent à leur décision, et les lecteurs qui fonctionnent comme des scanners et butinent ici et là des fragments de contenus. Les seconds, les butineurs, sont plus nombreux (52%) et plus implantés chez les 18-28 ans, quand les premiers, les méthodiques, appartiennent plutôt à la classe d’âge des 45-55 ans.

  • Le choix du premier contenu

Avant de choisir le premier contenu qu’ils vont lire sur tablette, les lecteurs fixent en moyenne 18 points sur la page d’accueil de leur application. Ceux qui ne finissent pas la lecture de leur article ont regardé seulement 9 points. Et sur le premier contenu qu’ils consultent, ils passent en moyenne 1 minute et demi, relève encore Sarah Quinn, reprenant les conclusions de l’étude Poynter.

  • Plus d’engagement?

Sur tablettes, les lecteurs seraient plus «engagés» que sur smartphones, prétend ce rapport réalisé par Adobe Digital Index en mars 2013. Même si la tablette est moins répandue dans le monde que le téléphone, elle génèrerait plus de trafic en ligne. En effet, un utilisateur de tablette surfe sur 70% de pages Web de plus que lorsqu’il utilise son smartphone.

Crédit: étude Adobe, mars 2013
  • A l’horizontal

70% des utilisateurs de tablettes préfèrent lire en version paysage plutôt qu’en version portrait, toujours selon l’étude EyeTrack de Poynter. Un argument supplémentaire pour implorer les éditeurs de ne pas reproduire, sur tablette, le format du journal imprimé. «Aucun lecteur ne sert d’une tablette comme d’un journal», martèle Mario Garcia.

  • Le triptyque de l’information

Les internautes attendent trois principes d’une application d’informations disponible sur tablette: 1. de la «curation», pour voir quels contenus les éditeurs ont sélectionnés pour eux 2. les dernières nouvelles disponibles, «breaking news» compris, et 3. des contenus issus du journal/magazine/programme de télé ou émission de radio si l’application est celle d’un média déjà installé dans le paysage. Conséquence: «vous pouvez mettre le PDF de votre journal, mais à condition que votre PDF soit mis à jour dans la journée», dit encore Mario Garcia, qui prévoit, dans les mois à venir, de plus en plus de «multi-editionning», comme le fait le New York Times, avec une édition du journal le matin, une édition le midi, et une édition le soir.

Comment les producteurs d’informations devraient concevoir leurs applications sur tablette

  • Trois types d’interfaces, une préférence

Crédit: Poynter

L’institut Poynter a testé les réactions des lecteurs sur trois applications différentes sur tablette. La première application s’inspire de l’interface de la BBC, à savoir une mosaïque d’images qui, lorsqu’on clique dessus, renvoient vers des contenus. La deuxième application, traditionnelle, ressemble à l’interface proposée le plus souvent par les journaux, avec une place majeure laissée au texte et aux titres, des rubriques en nombre, et une séparation par colonnes, qui donne une idée claire de la hiérarchie journalistique proposée par l’éditeur. La troisième et dernière interface ressemble à l’interface de Flipboard. Résultat du test: les utilisateurs interrogés par Poynter préfèrent à 50% la version numéro 1, qui leur donne l’impression d’avoir un buffet devant eux, à 35% le modèle hiérarchisé et à 15% l’équivalent de Flipboard.

  • Les yeux, le cerveau et les doigts

Sur tablette, une application d’informations a un seul impératif: parler à plusieurs sens. Elle doit s’adresser «à la fois aux yeux, au cerveau et aux doigts», avertit Mario Garcia. «Ne frustrez jamais les doigts de vos lecteurs! Il faut rendre les doigts heureux, leur proposer des points sur lesquels interagir de façon tactile».

  • Le nerf de la guerre est visuel

Les images sont devenues des principes de navigation au détriment des titres d’articles. C’est dur à encaisser pour les éditeurs, mais le titre d’un éditorial ne peut guère servir d’appel au clic. Sur tablette, l’application The Times of London a pris le parti de consacrer toute la surface de son application à une seule histoire qui est souvent une vidéo, et celle du Huffington Post propose une interface uniquement basée sur les images.

  • Boutons par défaut plutôt que nouveaux boutons

67% des sondés de l’étude Poynter utilisent les boutons de contrôle installés dans leur navigateur – comme les flèches pour revenir sur la page précédente – pour passer d’un contenu à l’autre, plutôt que des boutons créés par les développeurs dans une application. «Ils utilisent ce qu’ils connaissent», résume Sarah Quinn. Pas la peine, donc, pour les éditeurs de consacrer un temps déraisonnable à la création de telles fonctionnalités quand elles existent déjà par défaut sur le support.

Alice Antheaume

4 commentaires pour “Informer sur une tablette, la leçon de South by South West 2013”

  1. Je suis toujours avec intérêt ce blog et cela depuis un petit moment maintenant. Cependant, je ne cesse de m’étonner au fil des mois et de constater à quel point certains acteurs de la presse peuvent être à ce point largué par le monde de la technologie et par ses usages.

    Plusieurs billets sur ce même blog se sont attaché à montrer à quel point les futurs journalistes se doivent de posséder la double casquette de rédacteur/codeur afin de proposer aux lecteurs et à leur rédaction un contenu “optimisé” aux usages d’aujourd’hui. Qu’en est-il des décisionnaires et autres responsables de publication ? Ces personnes sont-elles aujourd’hui réellement capables de comprendre et de s’adapter ? De donner les moyens aux personnes compétentes d’offrir un contenu adapté ? – Il s’agit ici de véritables interrogations, il n’y a aucune ironie de ma part.

    Étant un lecteur assidu de la presse sur tablette, j’ai tendance à penser que ce n’est pas le cas. Je suis abonné à plusieurs publications, hebdomadaires et mensuelles.

    – Premier constat : elles sont toutes anglo-saxonnes. J’avais autrefois un abonnement auprès d’un grand quotidien français, mais le manque d’ergonomie, de lisibilité du journal sur la tablette a été rédhibitoire et m’a poussé à annuler purement et simplement mon abonnement auprès de ce quotidien pour revenir *occasionnellement* à sa version papier acheté en kiosque.
    – Deuxième constat : ces publications auxquelles je suis abonné ont toute abandonnées le format de la presse traditionnelle au profit d’une interface et d’un contenu adapté aux tablettes.
    – Troisième et dernier constat : toutes ces publications sont disponibles par le biais du kiosque officiel du système d’exploitation mobile, permettant de ce fait, la réception automatique des nouvelles parutions dès leur mise à disposition par l’éditeur.

    J’aimerais revenir tout particulièrement sur une publication très récente, un magazine US édité par un développeur indépendant : Marco Arment – oui un développeur et non pas un journaliste – étonnant. Ce magazine intitulé tout simplement “The Magazine” (http://the-magazine.org) a été lancé au mois d’octobre 2012. Cette publication qui paraît deux fois par mois, propose un abonnement mensuel de $1,99 pour 5 à 6 (longs) articles par numéro.

    “The Magazine” n’affiche pas la moindre publicité et annonce qu’il n’en proposera jamais, ne possède aucun investisseur extérieur, ne revend pas les informations personnelles de ses abonnés. Cette publication fonctionne uniquement à l’aide des revenus générés par les abonnements.

    Certains auraient pu penser – à juste titre – que l’affaire tournerait court. Aujourd’hui, le titre s’est adjoint les services d’un rédacteur en chef reconnu de la presse outre-Atlantique, paye ses contributeurs $800 par article – bien plus que ce que propose les grands quotidiens US, et ajoute du contenu et de la valeur ajoutée au fil des évolutions du titre grâce à l’excédent généré par les abonnements.

    Ce titre n’a qui n’a que 5 mois permet déjà à son créateur d’être bénéficiaire, d’en tirer un revenu, de payer un éditeur en chef, de payer grassement les intervenants et de compter plusieurs dizaine de milliers d’abonnés. Pourquoi ? Comment ?

    Des articles de qualités écrits par des membres reconnus dans leur domaine d’activité, une interface dévolue entièrement au texte et rien qu’au texte – pas de gif, pas de vidéo. En somme pas de distraction pour les doigts “à la recherche du bonheur”, le téléchargement automatique de chaque nouvelle parution en moins d’une minute montre en main, la possibilité pour les abonnés de partager l’intégralité d’un article autour de soit (faisant par la même occasion connaître “The Magazine” à un plus grand nombre de personnes susceptibles de s’abonner pour $1,99 par mois), etc. …

    Vous l’aurez compris, “The Magazine” représente pour moi ce que devrait être aujourd’hui une publication pour tablette. D’autres aussi semblent le penser et un certain nombre de projets liés à la Presse aux US commencent à s’inspirer “fortement” de cette interface tournée entièrement vers le lecteur et la mise en valeur de l’article lui-même.

    Je ne peux que vous encourager à jeter un oeil à “The Magazine”, disponible sur les appareils évoluant sous iOS. L’essai est gratuit et vous permettra de vous faire une opinion. L’application est épaulée depuis peu par un site internet http://the-magazine.org Vous trouverez également un texte écrit par Marco Arment exposant la philosophie du titre à l’adresse suivante : http://the-magazine.org/1/foreword

    Bonne lecture à tous et un merci à A. Antheaume pour les billets de ce blog.

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