Facebook a inondé le Web de ses outils «sociaux». Parmi ceux-ci, un petit rectangulaire de quelques pixels bleus est apparu sur la Toile, avec un pouce levé vers le ciel et cette mention, «j’aime». Ce bouton «like», une petite bombe numérique, va probablement modifier les pratiques des internautes en général, et des journalistes en particulier. Liste des premières impressions après trois semaines d’utilisation.
Les sites Web sont désormais constellés de «j’aime». Une semaine après l’apparition de ces outils sociaux sur Facebook, 50.000 sites les avaient déjà intégré à leur système; aujourd’hui, on en compte plus de 100.000 selon les chiffres cités par Allfacebook.com. En outre, près d’un milliard de «j’aime» est enregistré chaque jour sur les serveurs de Facebook. En revanche, aucun bouton pour dire «je n’aime pas».
Pour tous les journalistes qui ont vu l’essor des commentaires – souvent acerbes – et votes assassins sous leurs articles, c’est déroutant. Comme si, désormais, tous les lecteurs ne pouvaient que vivre dans l’amour des contenus proposés. Et si, a contrario, ils n’aiment pas les articles? Ils ne peuvent cliquer nulle part pour le dire, sinon à laisser, comme jusqu’alors, un bon vieux commentaire sous l’article concerné. Facebook a bien prévu un bouton «dislike» sur les pages de son réseau social, mais il ne s’exporte pas.
«Quand la police a découvert une bombe dans une voiture à Times Square, à New York, c’était très étrange de voir plein de gens “liker” les différents articles sur le sujet qui apparaissaient dans ma timeline», raconte Cécile Dehesdin, étudiante à l’école de journalisme de la Columbia, aux Etats-Unis, et auteure du Médialab de Cécile. De fait, les mots bombe, attentat, terrorisme, ne font pas partie du champ sémantique de «j’aime». Cette distorsion entre faits parfois graves et réactions est un problème pour nombre d’éditeurs, comme le souligne Jennifer Martin, directrice des relations publiques pour CNN Worldwide, pour qui il est très compliqué de voir des utilisateurs dire qu’ils «aiment» un article qui parle d’un fait tragique ou d’un sujet polémique. Ils ont alors préféré utiliser le bouton «recommander», qui tient plus du registre intellectuel, plutôt que le bouton «like», qui fait référence à du sentiment.
Conséquence ou pas? Pour l’instant, en France, rares sont les sites à avoir pour l’instant intégré le «like»à ses pages, sauf lepost.fr et ecrans.fr. Sur lefigaro.fr, on trouve en bas de chaque article un bouton «j’aime» mais il fait partie de la plate-forme communautaire du Figaro, il n’est pas relié à Facebook. (1)
Est-ce qu’un internaute clique sur «j’aime» pour dire qu’il aime le contenu ou qu’il aime l’article? C’est une question de journaliste plutôt que d’internaute, pense Marie-Amélie Putallaz, journaliste animatrice de communautés à lexpress.fr. Avant de se raviser: sur lepost.fr, plusieurs lecteurs se sont émus que l’on puisse cliquer sur«j’aime» sous un article parlant d’un viol collectif. «Le bouton “like” représentait dans ce cas une énorme source de confusion, m’explique Aude Baron, journaliste à lepost.fr. Qu’est-ce que cela voulait dire? J’aime le viol? Ou j’aime cet article? La formule peut mettre très mal à l’aise.»
Beaucoup estiment que le bouton «like» encourage la participation des internautes sur les sites Web d’infos. Car un clic pour «liker» prend une demi-seconde quand l’identification sur un site Web d’info pour commenter, puis la rédaction de ce commentaire nécessite beaucoup plus de temps. Et d’engagement, donc. A ce titre, le bouton «like» est ultra efficace. Et peut faire réagir des internautes qui, jusque là, n’interagissaient pas avec les contenus – ou n’étaient pas inscrits sur les sites d’infos. «On demande aux internautes de s’inscrire pour commenter, mais ils peuvent toujours le faire sous pseudo. Alors que pour dire “j’aime” via le bouton, ils donnent leur vrai nom, tels qu’ils se sont inscrits sur Facebook, reprend Aude Baron. Cela va casser le principe d’anonymat.» Même avis de Marie-Amélie Putallaz: «Tout le monde n’a pas forcément envie d’apparaître sur un site d’info avec son identité réelle. Par ailleurs, je ne suis pas sûre que ce seront les mêmes catégories d’internautes qui commenteront, voteront ou cliqueront sur “j’aime”.»
Néanmoins, soyons clair: si l’absence de commentaire est le degré 0 du participatif, et que le commentaire est le niveau 1, le «like» est le degré 0,5 de l’apport d’un internaute. Un apport quantitatif (tant de personnes ont vu et aimé cet article), mais nullement qualitatif (l’internaute n’apporte pas d’informations supplémentaires pour enrichir le contenu).
Autre point non négligeable, relevé par Jonathan Dube (ABCnews.com), cité par Poynter: depuis l’intégration des outils sociaux de Facebook sur son site, il a vu une augmentation de 250% des citations des contenus d’ABCnews sur Facebook. En mars, juste avant que n’apparaisse les outils sociaux de Facebook, le réseau social aux 450 millions d’inscrits générait déjà du trafic sur les sites d’infos – en France, en moyenne, pour un site français d’actualité, Facebook générait près d’une visite sur 100 toutes sources confondues.
Et maintenant? «Nous préparons l’intégration du bouton “like” dans les pages de lexpress.fr, mais l’apport de trafic n’est pas notre intérêt premier, me confie Marie-Amélie Putallaz. Même si Facebook apporte du trafic, ce volume reste pour l’instant infiniment moindre qu’un article bien placé sur Google News, ou d’un mot-clé bien référencé sur Google. Pour Marie-Amélie Putallaz, l’intérêt, c’est le principe de recommandation. C’est-à-dire «le chemin qu’empruntent les internautes pour lire les articles. A terme, plutôt que de regarder les trois titres de la tête de “home page” d’un site d’info, je vais regarder les trois articles que mes amis ont lus.»
Le phénomène n’est pas nouveau: Facebook avait déjà commencé à s’immiscer dans notre façon de consommer de l’actu. Mais il confirme la décrue des entrées par la page d’accueil au profit de chemins annexes, notamment via les réseaux sociaux. D’autant que les publicitaires le savent bien: les internautes cliquent d’autant plus facilement sur un lien qu’il est envoyé par un ami. «En voyant instantanément quels articles sont populaires auprès de leurs amis, les utilisateurs sont plus disposés à passer du temps sur ces contenus – et le temps passé sur des sites Web est très prisé par les annonceurs, bien plus que le nombre de pages vues» ou de visiteurs uniques, souligne le site Social Beat.
Pour Philippe Berry, journaliste high-tech à 20minutes.fr, il n’est pas dit que le bouton «like» soit aussi percutant que l’on veut bien le dire. «Sur les sujets très technophiles, comme sur Techcrunch, les internautes interagissent davantage en retweetant les articles qu’en likant les articles sur Facebook». Même avis de sa collègue Charlotte Pudlowski, qui se demande «si ça ne va pas encourager les journalistes Web à faire encore plus de LOL, puisque ce sont le plus souvent ces articles-là (vidéos, buzz, petites phrases, ndlr) qui sont “likés”, plutôt que les analyses de géopolitique compliquées».
Dernier point – et non le moindre. Et si le bouton «like» poussait les journalistes et éditeurs à écrire les articles différemment? C’est la question que pose CNN, sous le titre «Le cauchemar de Google: que les like remplacent les liens». Petit rappel: Google indexe les contenus en fonction du nombre de liens qui pointent vers ce contenu, et en fonction du nombre de liens que contient ce contenu. Un système sur lequel ont travaillé tous les sites Web d’infos pour être le mieux référencés possible dans le moteur de recherche. «Facebook parle des “like” comme de liens sociaux – mieux qu’un lien car c’est lié à un utilisateur spécifique, explique Pete Cashmore, le patron de Mashable. Si l’usage des boutons “like” décolle, c’est vraiment une très mauvaise nouvelle pour Google, puisque son algorithme utilise les liens entre les sites pour déterminer leur place dans son indexation». Pete Cashmore va plus loin: Google et les autres moteurs de recherche n’ayant pas accès à tous les «like», la société la mieux positionnée pour indexer le Web pourrait être… Facebook».
Conséquence pour les éditeurs de sites Web: si Facebook dicte les prochaines règles de référencement, plutôt que Google, tout sera à refaire, en terme de développement éditorial et de SEO.
(1) la fonction existait sur la partie magazine Slate.fr avant d’être désactivée pour des raisons techniques. Elle devrait revenir bientôt.
Le bouton «like» change-t-il votre façon d’interagir avec les contenus? Si oui, comment?
Alice Antheaume
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par math. math a dit: Au Pays des bisounours avec Facebook… https://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2010/05/17/like-ou-pas/ […]
facebook est le cancer d’internet, adblock permet de filtrer les “like” de facebook comme cela je ne les vois plus 😀
Très bon article ! J’ai d’ailleurs cliqué sur le bouton J’aime à la fin de votre article LOL
En temps que professionnel du SEO, c’est votre dernier paragraphe qui a retenu principalement mon attention.
Sur un plan général, je vous avoue que je ne serais pas mécontent de voir arriver un jour un vrai concurrent pour Google.
Sur le fond, tout ne sera pas a refaire, ce sera juste une évolution logique de notre métier.
A ce sujet, vous abordez essentiellement l’angle du journalisme dans votre article (ce qui se comprend), mais ce bouton est aussi une formidable machine de buzz (pardon, on dit maintenant ramdam) pour les sites e-commerce.
L’aspect “caution des amis”, puisque le lien est diffusé dans leur timeline sur FB, est loin d’être négligeable.
Merci de ce brillant article !
Étonnant de voir comme une si petite chose peut avoir tant de conséquences !
Unlike existe en partie car seuls les utilisateurs du plugin le voient :
http://www.facebook.com/fbosf
Je ne cliquerais jamais sur “J’aime” de facebook –
Facebook en connais déjà suffisamment à notre sujet de là à connaitre notre navigation web… déjà qu’il y a Google..
Un peu de vie privée !
Comment désactiver les boutons “J’aime” facebook http://bit.ly/at0vjx (korben.info) – le script : http://bit.ly/dAhyqC (sur userscripts.org)
La bonne question est dans le titre mais ne figure pas dans ce bon billet : “ou pas”. Contrairement à Yahoo Answers, par exemple, Facebook ne permet pas de “Dislike” mais de “Unlike”, autrement dit on ne peut pas ne pas aimer mais on peut ne plus aimer. Autant dire que c’est une participation forcée vers l’adhésion ou poussé à l’abstention. Soit un “trucage” s’il s’agissait de scrutin. Une pratique répandue dans certains pays où l’on votait souvent avec un seul candidat ou une seule motion. La recommandation se voit sérieusement amputée de sa pertinence.
A noter FaceNews, qui fait une sélection de l’actualité recommandée par nos amis à partir de leurs “like”. http://www.facenews.fr
Puisqu’on peut tracer ce que chacun “like”, et ce que son graphe social “like”, la question du profilage des goûts des individus (consommation, mais aussi actualité, politique, comportement personnel…) devient encore plus importante. Aussi, apparaître publiquement sur un site comme ayant “like” le sujet en question pose ouvertement le problème de l’identification et de l’association de son nom à un sujet.
Je corrige : “ne figure pas assez dans ce bon billet” 😉
Comme l’évoque plus haut Enikao, le problème principal réside dans le profilage que cette option simplifie grandement, notamment si elle est massivement adoptée par les media, bloggers et webmasters sur leur site web.
oui/non, like/dislike, true/false, très facile ensuite de faire des relations pour trouver des ‘noeuds’ sociaux entre utilisateurs et/ou comportements/intérêts en terme de traitement informatique, ce qui forcément arrange tout le monde.
Côté seo, je ne vois pas trop ce que ca va changer, c’est juste un critère de popularité comme ceux déjà existant, on s’est adapter à pire que ca, on évoluera si besoin avec ces nouveaux critères.
Niveau anonymat, un profil anonyme est toujours très facile à créer sur Facebook, c’est pas la norme clairement, mais aucune barrière à cela aujourd’hui.
En fait, plus j’y réfléchis et plus je me dis que cette option est surtout destinée à faciliter et augmenter de manière encore plus forte la viralité déjà présente sur les réseaux sociaux, et notamment FB…
Vous n’avez qu’a installer un des plugin de Facebook en particulier le “activity feed” pour comprendre que l’information de Facebook est aussi accesible par Google via son API. (http://developers.facebook.com/docs/reference/plugins/activity).
Bien que les liens hypertextes demeure le signal le plus important de la qualité d’une page Web (et donc de sa visibilité sur Google), le moteur semble désormais s’attacher à de nombreux autres facteurs pour déterminer si une page ou un site Web est important.
Ces signaux secondaires proviennent en grande partie des grands sites de médias sociaux, comme Twitter, Facebook, Digg, Delicious, etc.
Pour être bien classé dans Google à l’avenir, vous devrez adopter une approche globale, holistique et organique, et faire la promotion de votre entreprise dans autant de supports populaires que possible. À cet effet, les mentions, citations, liens, recommandations et « j’aime » qui concerne votre marque seront certainement un des bénéfices à retirer de votre présence dans les médias sociaux.
Voici un article sur mon blogue à ce sujet: http://www.orenoque.com/20100512370/reseaux-sociaux/referencement-facebook-remplace-t-il-google.html
[…] son bouton “like”, Facebook continue d’innonder le Web de ses outils sociaux. Le réseau de Mark Zuckerberg […]