Un jour comme un autre dans une rédaction en ligne. Un journaliste envoie à ses collègues, par messagerie instantanée, le lien vers une information qu’il juge intéressante. A la réception de son lien, ses collègues lui assènent: «old!». Old comme… vieux.
Façon de disqualifier cette information qui «tourne depuis au moins 2 heures sur les réseaux sociaux», justifient les intéressés. Et qui, en somme, serait donc (déjà) trop datée pour être publiée sur un site d’infos en temps réel.
Sous ses airs de jeu potache, l’emploi du véto «old» dans les rédactions dénote une exigence de tempo et de vérification qui s’exacerbe.
«C’est pénible de voir sur Twitter des informations qui ont plus de 48h, lues déjà des dizaines de fois», lâchent ces producteurs de contenus numériques. Inutile, selon eux, de publier des redites de l’actualité sans plus value.
Avec l’accélération du temps réel de l’information, accru par les «lives», ils prônent le «tempo» de l’information. Le tempo, c’est publier LA bonne information au bon moment. Le cœur de la guerre sur le terrain du journalisme numérique.
«Il y a une question d’adéquation entre le moment où tu donnes l’information et la qualité de l’information», explique Emmanuelle Defaud, chef des informations à France TV Info. «Dans le temps T, tu peux donner une information qui vient de sortir, en restant sur des faits bruts. 24h ou 48h plus tard, il te faut un angle sur cette même information: tu ne peux pas donner juste le fait, tu dois le décrypter.»
Le temps du factuel précède le temps des explications, du décryptage, de l’analyse. Ce n’est pas spécifique au numérique mais, à l’ère du temps réel sur le Web, tout retard à l’allumage sur le premier temps, celui de l’information factuelle, risque de paraître anachronique.
Pardon si c’est «old»
Désormais, des utilisateurs de Twitter en viennent à (presque) s’excuser de mentionner une information dont ils pressentent qu’elle a déjà été relayée, en ajoutant le terme «old» à leurs tweets, ou en précisant «j’avais raté cela»… Tant et si bien que le mot «old», qui devrait figurer dans la novlangue des journalistes en ligne, est devenu un hashtag sur Twitter et n’est pas utilisé que par des journalistes.
«Old» est donc le nouveau tacle entre journalistes et utilisateurs connectés. L’apparition du mot «old» dans les rédactions montre que le journalisme, tel qu’il se pratique en ligne, s’inscrit dans une culture du partage. Les journalistes partagent des informations, s’envoient des photos, des liens vers vidéos, des gifs animés, commentent des messages repérés sur les réseaux sociaux, publient des liens, en guise de statut, depuis leur messagerie instantanée. Bref, ils vivent, comme leurs lecteurs, dans une omniprésence de liens.
Premier
Dans cette culture du partage, un bon journaliste est le premier à donner un lien. Sa mission consiste à découvrir la «bonne histoire» avant les autres, qu’il s’agisse d’une histoire produite ailleurs (sur un site concurrent ou sur les réseaux sociaux) et dont le journaliste se ferait le «détecteur», ou d’une histoire dont il serait témoin sur le terrain – un usage que veut maintenant récompenser le prix Pulitzer avec sa catégorie breaking news, dont les critères ont été modifiés afin de rendre compte «aussi vite que possible, des événements qui se passent en temps réel et au fur et à mesure».
L’enjeu, c’est donc d’être à l’origine de la chaîne.
MISE A JOUR (15h25): Signalé par des commentateurs de WIP (merci à eux), l’existence d’un outil intitulé Is it old? (est-ce que c’est vieux?) qui permet de savoir si le lien que l’on s’apprête à envoyer à ses collègues a déjà été twitté ou pas.
Remonter l’histoire d’un lien
Pas de miracle, mieux vaut être accro au réseau. Outre la connaissance des faits, la capacité à enquêter et à raconter une histoire, le journaliste en ligne doit savoir établir l’historique d’un lien. Où a-t-il été publié pour la première fois? Par qui? Quand? Qui est la première source? La réponse à ces questions suppose de savoir remonter le temps, à la minute près, sur le Web et les réseaux sociaux, à la recherche de la première source.
Une compétence fondamentale dans l’univers numérique, et dont s’enorgueillissent volontiers les journalistes en ligne, habitués à traquer les dates, les heures, les minutes, de publication et/ou de mise à jour et à retrouver la trace de personnes réelles derrière des pseudonymes.
Journalistes fact-checkés
Vigilance obligatoire. Car il n’y a pas que les politiques qui soient soumis au fact checking. Les journalistes en ligne aussi, et ce, le plus souvent par leurs pairs. Ces «old» qui ponctuent la vie des rédactions, c’est une forme de vérification de la pertinence du sujet. Et voir son sujet taxé de «old» n’arrive pas qu’aux autres.
«On peut se faire happer par quelque chose qui est viral, mais vieux, donc il faut faire attention à bien connaître l’histoire dont on parle», reprend Emmanuelle Defaud, en citant l’exemple d’une photo ayant beaucoup circulé sur Facebook au mois d’octobre 2011. Celle-ci, signée Reuters, montrait des araignées, chassées par les eaux, venues tisser leurs toiles sur un arbre. «Vue et partagée au moment des inondations en Inde, on a d’abord cru qu’il s’agissait d’une très forte photo de cette actualité avant de…. comprendre que cette photo datait en fait de 2010 lors des inondations au Pakistan».
S’écrier «old», c’est donc faire rempart (collectif) contre la tentation de la viralité. Histoire de ne pas «être suiviste, mais informé».
Si vous aimez cet article (et que vous ne le trouvez pas déjà «old»), merci de le partager sur Twitter et Facebook.
Alice Antheaume
Article intéressant, mais je me faisais la réflexion : c’est très français, comme phénomène, non ? Je fais le rapport avec la Belgique et ce genre de réaction est beaucoup plus rare..
Ce truc de qualifier une info de old ou repost ça vient pas avant tout des sites comme reddit et autres communautés plus ancienne ? Ça me semble pas bien récent comme phénomène.
Et sinon, le Plus du Nouvel Obs avait dit un peu la même chose non ? – http://leplus.nouvelobs.com/contribution/309498-comment-twitter-fait-il-de-nous-des-ringards.html
J’ai une réponse toute prête pour ce genre de remarque : olidie…but goldie !
Intéressant mais pourquoi ne pas évoquer les agences de presse, qui n’ont pas attendu le web pour se débattre avec les exigences “de tempo et de vérification” ?
Article complet et qui va droit au but, trés intéressant. Voilà, un mystère éclairci pour une toute nouvelle Twitteuse.
j’adore : article twitté 80 fois 🙂
relevant :
petit outil utile :
http://isitold.com/
Comment faire un article sur le #old sans mentionner cet outil très pratique et dont la fréquentation explose : http://isitold.com/ ?
Et c’est dans ces moments là où l’utilisation du site http://www.isitold.com/ permet de régler les contentieux! =)
D’ou le site http://isitold.com/
qui me fait dire que cet article a ete twitte 74 fois au moment ou j’ecrit, alors #old ou pas?
Mush a raison, le concept de basher une personne qui fourni un contenu déjà vu est aussi ancien que le net. Les communautés virtuelles ont souvent un mot / une expression pour cela, qui permet de faire passer rapidement le message. Il semble que les journalistes “live” aient trouvé le leur.
Votre article est #old en fait 🙂
[…] notion de « old » : Lire l’article Les prévisions de ComScore pour 2012 : Lire l’article Quelques chiffres sur Pinterest : Lire […]
Petit problème. La disqualification induite par le “old” introduit une uniformisation de la consommation, de la diffusion voire de la pensée. Cela interdit la différence de tempos propres à chaque individus.
Surtout, cela part du présupposé que chacun fonctionne suivant les mêmes critères de veille permanente sans tenir compte du fait que les lecteurs n’obéissent pas nécessairement à ces critères.
En gros, on est toujours le “old” de quelqu’un et toujours le “young” de quelqu’un d’autre.
[…] vieux, toute donnée publiée, diluée, partagée. Sur Twitter, le hashtag #old est « le nouveau tacle des journalistes en temps […]
Merci pour ce trés intéressant papier.
Pour reprendre l’idée de Pierre Serisier (on est toujours le “old” de quelqu’un), je pense à Jules Renard, qui disait : “On est toujours l’imbécile de quelqu’un”.
Quand on n’est pas une agence de presse pour qui être la première sur l’info est vital, jouer à “trop vieux, trop cuit” c’est un peu un concours de vanité.
Si vous êtes un pro, c’est à dire si vous passez des heures chaque jour sur les médias sociaux, vous faites spontanément le tri entre le déjà vu et le nouveau.
Mais tous les gens qui lisent les tweets ne sont pas des pros et ils ne lisent pas tous à la même heure. Merci pour eux de répéter un peu.
C’est d’ailleurs pour cela que Buffer existe et prospère; cette remarquable machine à resservir du “old” plusieurs fois par jour.
[…] entre l’instant où l’information est produite, celui où nous en avons connaissance et sa pertinence. Lorsque la photographie est célébrée par le WPP, l’instant dont elle rend compte […]
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