Le débriefing numérique #1

Crédit: Flickr/CC/wiredforsound23

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Chiffres sur les médias en ligne et les applications mobiles, formats éditoriaux innovants, bons liens, citations des acteurs du journalisme, coulisses de conférences… Ce qu’il ne fallait pas rater ces derniers jours se trouve dans “le débriefing numérique”, un nouveau rendez-vous à retrouver sur WIP, deux fois par mois.

# Barack Obama pour la première fois chez Buzzfeed et Vox

Après Barack Obama chez les YouTubeurs, voici Barack Obama au pays des pure-players. Le président américain a accepté de se faire interviewer par Vox Média et Buzzfeed en février 2015, et ce, pour la première fois. Une étape importante dans l’histoire des ces jeunes organisations journalistiques américaines, qui leur fait franchir un cap dans la construction de leur crédibilité. “Vox et Buzzfeed sont maintenant considérés comme des rédactions sérieuses”, écrit le New York Times, jouant au grand frère.

Côté communication politique, cette initiative montre que le président américain cherche à toucher la cible de “millennials”, ces jeunes de 18 à 35 ans. Banco, puisque la vidéo où Barack Obama fait l’acteur devant la caméra de Buzzfeed a déjà atteint 3,7 millions de vues à l’heure où j’écris ces lignes. Sur Vox, le format a tapé dans l’oeil des commentateurs, mixant textes, infographies et vidéos dans un même ensemble.

En France, François Hollande avait accordé une interview à Slate.fr, deux jours avant d’être élu le 6 mai 2012 – interview qu’il avait relue et amendée le jour de l’élection “alors qu’il savait qu’il était élu”.

# Les dessous de Swiss Leaks

Dimanche 8 février 2015, Le Monde dégaine les résultats d’une enquête internationale sur les bénéficiaires du système d’évasion fiscale de la banque HSBC. Le fruit d’un travail de presque un an sur un tentaculaire tableur regroupant 60.000 fichiers, et qui a donné lieu à une série de papiers, publiés pour la partie française par Le Monde, et pour les autres pays par d’autres médias, le tout coordonné par l’ICIJ, le consortium international des journalistes d’investigation.

“En avril 2014, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont reçu une clé USB qui contenait tous les noms des clients de la filiale suisse d’HSBC”, raconte Alexandre Léchenet, journaliste du Monde.fr qui a participé à l’opération sur le plateau de “La politique c’est Net” sur Public Sénat. “Ils ont essayé d’imprimer tout ce qu’ils avaient récupéré, mais ils ont cassé l’imprimante et se sont rendu compte qu’ils ne pourraient pas travailler seuls sur les fichiers”.

C’est alors que Le Monde a décidé de “partager” son futur scoop en recourant à l’ICIJ, basé à Washington, une sorte de “hub”, selon les mots d’Alexandre Léchenet. Avant l’été dernier, les journalistes français sont donc allés aux Etats-Unis pour remettre en mains propres – car c’est encore le moyen le plus sûr – les fichiers à l’ICIJ, avec qui ils avaient déjà travaillé en avril 2013 pour une autre enquête, baptisée “Offshore Leaks”.

Travailler avec l’ICIJ, c’est démultiplier les ressources – rédactionnelles et techniques. En effet, ce consortium sait avec quel journaliste travailler dans tel ou tel pays, et a déjà mis en place des outils pour que tous les enquêteurs – 154 journalistes issus d’une cinquantaine de médias dans le cas de Swiss Leaks – puissent collaborer, dont une plate-forme de conversation chiffrée et sécurisée. C’est l’étape supérieure de la rédaction secrète que j’avais décrite dans ce WIP.

Comme Le Monde était “apporteur de l’affaire”, ils ont négocié avec l’ICIJ que le nom de leur journal soit systématiquement cité à chaque fois qu’il était question de Swiss Leaks.


La politique c’est net par publicsenat

# BFM TV et iTélé main dans la main

Surprise, BFM TV et iTélé ont annoncé une offre de publicité commune, jeudi 12 février 2015, lors d’une conférence à Sciences Po. “Les marques pourront acheter une campagne hebdomadaire de 120 ou 140 spots, qui seront diffusés simultanément sur les deux chaînes (…), vendu(s) 75.000 euros les trente secondes d’images”, explique Les Echos. Quant aux revenus, ils “seront partagés entre les deux régies au prorata de l’audience”.

L’initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Si les régies des médias en ligne peuvent offrir des “packs” publicitaires couplés (par exemple sur lemonde.fr, le Huffington Post et nouvelobs.com, qui ont les mêmes actionnaires), c’est très rare lorsque ces médias sont des télévisions – imaginez que TF1 et France 2 s’allient – et encore plus rare lorsque ces médias n’appartiennent pas au même groupe – iTélé appartient au groupe Canal+, BFM TV au groupe NextRadioTV).

Cette conférence a aussi été l’occasion d’un débriefing sur la couverture éditoriale des deux chaînes d’information continues françaises après les attentats de janvier 2015. Pour Céline Pigalle, directrice de l’information de Canal+, il y a un “avant” et un “après” ces événements. “Avant nous brassions des informations produites par les autres, désormais nous sommes aux avant-postes (…) Même les JT des 20 heures ont repris les codes des chaînes d’information en continu”.

En cause: la cascade infernale d’informations, de théories du complot, en ligne, pendant les attentats. “Nous avons tous été très troublés par cette immédiateté. Le digital nous emporte. Alors que n’importe qui peut distribuer des informations, il faut plus que jamais de la responsabilité et du professionnalisme dans le tamis des journalistes”, a continué Céline Pigalle.

Pour son homologue Hervé Béroud, de BFM TV, ces journées de janvier ont été une “sortie de crash test, inédit en termes de gravité et d’ampleur. Avec 70h de direct en continu, nos rédactions ont été mises à l’épreuve comme jamais”.

# David Carr, une dernière dose d’humour, un sac à dos et puis s’en va

Quelle tristesse que d’apprendre que David Carr est mort à 58 ans à la rédaction du New York Times jeudi 12 février 2015. Ce journaliste spécialiste des médias, aux allure du professeur Tournesol, a été le héros du film A la une du New York Times. Revenu de loin après des années d’addiction à la cocaïne, il avait confié vivre “aujourd’hui une vie que je n’ai pas méritée. Mais nous passons tous sur cette terre avec le sentiment que nous sommes des imposteurs.”

Pour ma part, je l’avais rencontré lors de plusieurs conférences aux Etats-Unis où il animait de façon à la fois désinvolte et hilarante des discussions sur la “curation” ou sur les algorithmes, qu’il surnommait “ces bêtes-là”, laissant ses interlocuteurs totalement perplexes.

Une diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Léa Khayata, a eu le chance de l’interviewer en vidéo pour lui demander ce qu’il portait dans son sac à dos. “Il y a plus de matériel dans ce sac que dans toute une rédaction”, commence-t-il, avant de montrer son iPad, “l’ami du reporter”, ouvert sur la série Downton Abbey, une clé pour connecter son ordinateur à la 3G, des carnets de note, une grande feuille de papier, des stylos – “on n’a jamais assez de stylos”, confie-t-il -, un dictaphone, un téléphone sur lequel est écrit son nom, un portefeuille pour recueillir les cartes professionnelles, un livre qu’il ne lira jamais et un roman pour montrer qu’il n’est pas un “nerd”, des lunettes, une casquette pour ne pas avoir froid et un parapluie.

A lire et à garder

Si vous avez des bons liens, des informations sur le journalisme numérique qui pourraient figurer dans le prochain débriefing numérique, n’hésitez pas à m’interpeller sur Twitter

Alice Antheaume

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