Aux chercheurs on demande de plus en plus de trouver, et surtout de trouver vite. Pourtant, certaines expériences demandent une vie de scientifique, entre leur conception, leur financement, leur mise en œuvre, l’obtention et l’analyse des résultats. Je pense en particulier à certaines missions astronomiques spatiales comme Cassini-Huygens, imaginée en 1982 : presque 30 ans plus tard, Cassini, lancée le 15 octobre 1997, travaille toujours autour de Saturne, de ses anneaux et de ses satellites.
Mais ceci n’est rien encore à côté de certaines “manips” qui, elles, exigent plusieurs vies. La plus connue de ces expériences au très très long cours est celle dite de la goutte de poix, lancée en 1927 à l’université du Queensland de Brisbane (Australie). Il y a 84 ans, donc, Thomas Parnell (1881-1948), professeur de physique dans cette université, imagina une expérience pour déterminer si certaines matières (comme la poix, que l’on croit solide à température ambiante puisqu’on la casse avec un marteau) sont solides ou liquides. Pour ce faire, il fit fondre une espèce de bitume et le fit couler dans un entonnoir en verre bouché à son extrémité. C’était en 1927. Pendant trois ans, il laissa reposer : quand on prépare une expérience censée durer un ou deux siècles, on n’est pas à cela près. En 1930, il déboucha l’entonnoir et attendit.
Comme l’expliqua plus tard John Mainstone, un des successeurs de Thomas Parnell, l’expérience exige beaucoup de patience : “C’est bien pire que de regarder l’herbe pousser, ou la peinture sécher.” Et, au bout de quelque temps, une goutte commença à se former, très lentement, au bas de l’entonnoir. Elle finit par tomber en décembre 1938. Les sept gouttes suivantes se détachèrent respectivement en 1947, 1954, 1962, 1970, 1979, 1988 et 2000, soit, si l’on se reporte aux présidents de la République française, sous Vincent Auriol, René Coty, Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. Coïncidence incroyable : chaque président français en exercice depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, quelle qu’ait pu être la durée de son mandat, a eu droit à une goutte de poix et à une seulement. Pendant longtemps, celle-ci a mis une centaine de mois à tomber, soit environ 9 ans, mais, en 1988, la climatisation fut installée à l’université du Queensland pour rafraîchir les locaux pendant les chauds étés australiens et la huitième goutte mit plus de douze années à se détacher, montrant à quel point la viscosité de la poix, 230 milliards de fois supérieure à celle de l’eau, était liée à la température ambiante.
A l’heure qu’il est, personne n’a jamais vu en direct la goutte tomber. Une webcam a bien été installée il y a plus de dix ans mais, par malchance, elle était en panne le jour où la huitième goutte a chu, en 2000. La neuvième ne devrait pas tarder à se détacher de l’entonnoir, sans doute pour fêter la présidence de Nicolas Sarkozy… Si vous ne voulez pas rater cet événement, vous pouvez vous connecter à la webcam et la laisser en permanence dans un coin de votre écran. Voici ce que cela donne (animation garantie) :
Plus sérieusement, même si John Mainstone a reconnu qu’attendre la chute de la gougoutte était un exercice plutôt pénible, ce même scientifique a aussi affirmé : “Aussi étrange que cela puisse paraître pour le non-initié, il y a de la physique fascinante dans cette expérience, dont certains d’entre nous espèrent qu’elle continuera pendant au moins un autre siècle.”
Ceci dit, l’expérience de la goutte de poix est dépassée en longévité par deux autres : la pile sèche de Clarendon à l’université d’Oxford (aussi connue sous le nom de sonnette électrique d’Oxford) et l’horloge Beverly de l’université d’Otago à Dunedin (Nouvelle-Zélande). La première date officiellement de 1840 (sous le règne de Louis-Philippe Ier) mais il se peut qu’elle soit plus ancienne. Il s’agit de deux piles sèches montées en série, chacune surplombant une petite sonnette. Entre les deux est suspendue une petite sphère qui est successivement attirée puis repoussée par les sonnettes électriquement chargées et les fait tinter depuis plus d’un siècle et demi. On ignore de quoi sont constituées les piles et on attend simplement de voir quand elles seront déchargées… A moins que la petite sphère, qui a déjà frappé les sonnettes plus de 10 milliards de fois, s’use avant.
Quant à l’horloge Beverly, elle est tout aussi fascinante. Inventée en 1864 (sous Napoléon III) par Arthur Beverly, elle ne se remonte pas. Il ne s’agit évidemment pas d’un mouvement perpétuel, impossible à réaliser, mais son mécanisme assez extraordinaire s’appuie pour fonctionner sur les seules variations de la température et de la pression atmosphérique ! Il lui est arrivé de s’arrêter, soit parce que ces variations étaient insuffisantes, soit pour réparation, mais elle est toujours repartie.
Voilà, c’était le centième billet de ce blog. J’espère que lui aussi durera longtemps…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : un grand merci à mon fils aîné, 13 ans, né le jour du lancement de Cassini-Huygens, qui m’a donné l’idée de cet article.
lire le billetPour vivre plus vieux, courons au rez-de-chaussée. Non, non, je n’ai pas fumé la moquette, je n’invente rien, on le savait déjà et une très jolie expérience vient de nous le confirmer. Mais avant de la décrire, expliquons de quoi nous parlons.
Il y a cent cinq ans, en 1905, un certain Albert Einstein publiait dans Annalen der Physik un article où il exposait sa théorie de la relativité restreinte. Une théorie qui heurtait le sens commun car elle réduisait en bouillie le caractère absolu de l’espace et du temps. Pour faire simple, avec la vitesse, les longueurs se contractent et le temps se dilate. L’illustration la plus célèbre de la théorie de la relativité restreinte est une très jolie expérience de pensée. Imaginons deux frères jumeaux. L’un monte dans une fusée hyper-méga-rapide et s’en va faire un grand voyage interplanétaire à une vitesse proche de celle de la lumière. L’autre reste sur Terre et regarde pousser les haricots de son jardin. Et que se passe-t-il ? Quand l’astronaute revient, il a moins vieilli que son frère jardinier : pour lui, le temps s’est écoulé moins vite. Les secondes, les minutes et les heures n’ont donc pas la même valeur suivant que l’on se déplace ou pas. Cela a été vérifié expérimentalement de nombreuses fois, avec notamment, au début des années 1970, des horloges atomiques embarquées dans des avions de ligne.
Mais ce n’est pas tout. En 1915, dix ans après la relativité restreinte, Einstein en remit une couche en exposant sa théorie de la relativité générale, qui devait supplanter la théorie de la gravitation universelle de Newton. Elle expliquait que la gravitation n’était pas une force mais la traduction de la courbure de l’espace-temps par la masse des objets célestes (planètes, étoiles, etc). Conséquence de tout cela : plus on est proche d’un corps très massif, comme une planète par exemple, plus le temps passe lentement. Ainsi, les satellites GPS, qui naviguent à plus de 20 000 kilomètres d’altitude, tiennent-ils compte à la fois du ralentissement du temps induit par leur vitesse et de l’accélération du temps due à leur distance à la Terre !
Et nous ? Les effets relativistes sont-ils mesurables pour nous, à notre petit niveau d’homme et non pas dans des avions allant à des centaines de kilomètres par heure ou dans des satellites perchés sur des orbites lointaines ? Eh bien, la réponse est oui, comme viennent de le prouver quatre chercheurs américains et deux horloges atomiques optiques, dans un article publié par la revue Science le 24 septembre. Les horloges en question sont d’une précision extrême et c’est nécessaire, étant donné que les effets relativistes, avouons-le, sont infimes à notre petite échelle. Dans un premier temps, les chercheurs du National Institute of Standards and Technology ont simulé, pour une des deux horloges (l’autre servant de référence), un mouvement d’une vitesse de 10 mètres par seconde, soit 36 km/h. Ce qui revient à se demander de combien le temps ralentirait pour Usain Bolt s’il parvenait à sprinter toute sa vie. Une minuscule variation a pu être mesurée. Rapportée à une vie d’homme de 80 ans, cette variation nous donne un gain de temps de, hem… 1,5 millionième de seconde. Pas terrible, Usain.
Dans une seconde expérience, nos chercheurs ont voulu voir s’il était possible de détecter une différence en posant leurs horloges sur deux barreaux d’échelle séparés de 33 centimètres. En s’éloignant de la Terre de si peu, y a-t-il vraiment un changement ? Encore une fois, la réponse est oui. La variation est encore plus petite : sur 80 ans, l’horloge la plus basse gagnerait 0,1 millionième de seconde par rapport à sa voisine du dessus…
Mais bon, en cumulant les deux, en courant comme un dératé dans son rez-de-chaussée, entre la télé et le grille-pain, on devrait en mettre plein la vue au feignant qui se prélasse sur sa terrasse du 10e étage. En théorie, on devrait.
Pierre Barthélémy
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