Savez-vous ce qu’est l’œstrus ? Il s’agit de ce qu’on appelle communément les “chaleurs” chez les femelles des mammifères, une période d’attractivité sexuelle indiquant qu’elles sont prêtes à être fécondées. On a longtemps cru que, dans l’espèce humaine, l’évolution avait fait disparaître complètement l’œstrus mais, depuis quelques années, les chercheurs estiment, à certains signes discrets, que cette petite part de “bestialité” est encore présente, enfouie au plus profond de nous. En clair que les femmes envoient toujours, au moins inconsciemment, des signaux avant leur ovulation et que les hommes sont capables, tout aussi peu consciemment, de les percevoir. Cela se trahit par d’infimes changements dans la silhouette, l’odeur corporelle, l’attractivité du visage, la créativité verbale et la volubilité. Plus concrètement, une étude américaine, dont j’ai fait mon miel pour ma première chronique d'”Improbablologie” dans Le Monde, a prouvé que les femmes pratiquant des “danses de contact” dans les clubs masculins touchaient des pourboires bien plus conséquents lorsqu’elles étaient dans cette période bien particulière de leur cycle menstruel (eh oui, aux Etats-Unis, la femme en chaleur se mesure forcément en dollars…). A l’inverse, les danseuses prenant la pilule (qui empêche l’ovulation) avaient des revenus beaucoup plus réguliers dans le mois, mais, à l’arrivée, gagnaient moins d’argent…
Si l’œstrus existe toujours chez Homo sapiens, cela doit en théorie s’accompagner, imaginent les évolutionnistes, de mécanismes d’évitement permettant à la femme de ne pas attirer les partenaires avec lesquelles la reproduction serait risquée, et notamment les mâles de sa propre famille. La consanguinité, en favorisant l’expression de gènes délétères, est en effet un facteur de problèmes de santé et d’espérance de vie réduite pour la descendance. Une équipe de trois chercheuses américaines s’est donc demandé comment vérifier si, en plus du tabou de l’inceste, la femme en période d’œstrus disposait de stratégies d’évitement des hommes apparentés. Evidemment, ce qui est possible avec des cobayes animaux, à savoir les enfermer dans un espace réduit et enregistrer leurs moindres faits et gestes 24 heures sur 24, est plus compliqué à réaliser avec des humains. Ou alors il faut suggérer à Endemol et M6 de lancer un Loft Story familial avec inceste dans la piscine…
Ces chercheuses ont donc trouvé un autre moyen de mesurer les interactions sociales au sein d’une famille : la facture détaillée de téléphone portable. Comme l’explique l’étude publiée il y a un peu moins d’un an dans la revue Psychological Science, une cinquantaine de jeunes femmes ont ainsi fourni le décompte, à la seconde, de leurs appels émis et reçus. Elles ont également donné les dates de leurs cycles menstruels pour que l’équipe puisse corréler l’œstrus avec le listing téléphonique. Les chercheuses ont donc pu évaluer, au cours du temps, les variations dans la fréquence et la durée des appels passés par ces jeunes femmes à leurs deux parents. Si leur théorie était bonne, pendant les périodes de fertilité élevée, ces demoiselles passeraient moins de coups de téléphone à leurs pères que pendant les périodes où elles ne seraient pas fécondables. En revanche, les appels aux mères ne baisseraient pas.
Les résultats sont étonnamment conformes à cette prédiction. Au total, 921 appels, représentant 4 186 minutes de discussion ont été recensés. Hors de la période féconde, les jeunes femmes appelaient en moyenne leurs papas 0,5 fois par jour (contre 0,6 appel par jour aux mamans). Lors de l’œstrus, ce chiffre tombe à un peu plus de 0,2 coup de fil par jour (alors que les mères bénéficient d’un surplus, avec 0,8 appel quotidien). La durée moyenne de la conversation en est aussi modifiée : avec papa, on passe d’un peu plus de 2 minutes à 1 minute, et avec maman, de 3 minutes à plus de 3 minutes et demie. Idem lorsque les parents appellent. On peut donc, a priori, déduire l’œstrus d’une femme de sa facture détaillée de téléphone portable…
Pour les auteurs de l’étude, ces données sont la première preuve comportementale que, lors de leurs pics de fertilité, les femmes évitent les mâles apparentés. Les trois chercheuses excluent l’hypothèse selon laquelle, à ce moment de leur cycle, les jeunes filles auraient davantage besoin de parler à leurs mères et auraient donc moins de temps à consacrer à leurs géniteurs. De la même manière, l’idée qu’elles voudraient, pendant l’œstrus, se préserver de toute tentative de contrôle de leur vie sexuelle par les pères est écartée, tout simplement parce que les mères sont, historiquement et culturellement, d’aussi – ou de plus – redoutables gardiennes de la sexualité de leurs filles. Si cette idée était correcte, les mères aussi verraient les appels et la durée des conversations baisser durant la période féconde… Les chercheuses s’attendent à retrouver le même schéma d’évitement téléphonique avec les frères et les oncles. Nul doute que les factures de portable ont un avenir certain comme outils de recherche sur les relations humaines.
Pierre Barthélémy
lire le billetSelon ABI Research, un cabinet d’études spécialisé dans les nouvelles technologies, il s’enverra plus de 7 000 milliards de SMS dans le monde au cours de l’année 2011. Etant donné que la population de la Terre aura, d’ici au 31 décembre, passé la barre des 7 milliards d’individus, cela fera une moyenne de 1 000 SMS par personne. Même s’il existe encore bien des récalcitrants (comme l’auteur de ces lignes…), il est indéniable que la pratique du texto se répand de plus en plus. Mais jusqu’où ? De la même manière que l’on a pu dire que Google et Internet modifiaient notre façon de lire, de mémoriser et de penser, peut-on prétendre que les SMS se sont immiscés dans notre cerveau au point d’y laisser une insidieuse empreinte ?
Si l’on en croit une étude réalisée par Sascha Topolinski et publiée dans le numéro de mars de Psychological Science, la réponse est oui. Pour le prouver, ce chercheur en psychologie à l’université allemande de Wurtzbourg a, avec ses étudiants, concocté une série de petites expériences aux résultats troublants. Dans la première, il était demandé à deux groupes comptant chacun plusieurs dizaines de personnes, de composer des suites de chiffres, pour le premier groupe sur un clavier d’ordinateur, pour le second sur un téléphone portable dont les touches ne comportaient que les chiffres, et pas les lettres associées selon le standard international E.161 (voir photo ci-dessous).
Après avoir entré les chiffres, les cobayes des deux groupes devaient ensuite regarder un écran sur lequel apparaissait un mot et devaient, le plus vite possible, dire si c’était un mot existant ou inventé. Il se trouve que, de temps en temps, les chercheurs glissaient des mots qui auraient pu être composés, en mode SMS, par la suite de chiffres qu’ils venaient de saisir. Par exemple, le 5683 qui figure sur la photo ci-dessus correspond au “code” du mot anglais “love” (“amour” en français, pour ceux qui sont encore plus réfractaires à la langue de Shakespeare que je ne le suis à l’utilisation des SMS). Dans la langue de Molière, cette suite peut donner le mot “joue” car les touches des téléphones ne sont pas bijectives : à une touche ne correspond pas une lettre mais trois ou quatre. Lorsque le mot “collait” à la suite de chiffres, ceux qui avaient tapé celle-ci sur un portable répondaient un peu plus vite que ceux qui l’avaient composée sur un clavier d’ordinateur. D’une certaine manière, l’action physique d’appuyer sur les touches d’un téléphone activait le mode SMS dans le cerveau des utilisateurs… Aucun n’a d’ailleurs deviné le but de l’expérience et les cobayes croyaient qu’il s’agissait d’un test d’ergonomie.
Pour la deuxième expérience, Sascha Topolinski a voulu aller plus loin. Il a demandé à un autre groupe de volontaires de composer des suites de chiffres sur le téléphone puis d’évaluer si la combinaison de ces chiffres était agréable ou pas. Dans un pré-test effectué sans portable, les cobayes n’avaient vu aucune différence significative entre ces combinaisons. Tout a changé dès qu’il a fallu tapoter des touches de téléphone. Les combinaisons 242623, 373863, 54323, 787263, 87286, 87383, 94373 et 242763 ont été plus appréciées que les suites 26478, 24267, 37825, 35363, 57473, 534243, 7245346 et 8375878. Il faut dire que les premières, en langage SMS, correspondaient aux mots allemands signifiant “chance”, “ami”, “amour”, “plage”, “rêve”, “fidélité”, “prairie” et “charme”, tandis que les secondes codaient pour des mots à connotation négative : “crainte”, “chaos”, “pression”, “malheur”, “crise”, “cadavre”, “bave” et “perte”. Encore une fois, les participants à l’expérience, avec un clavier sans lettres, n’avaient aucun moyen de deviner, si tant est qu’ils y aient pensé, les mots qu’ils pouvaient bien taper… C’est un peu comme si les suites de mouvements réalisées pour entrer les combinaisons de chiffres renvoyaient, dans les profondeurs du cerveau, au souvenir du sentiment ressenti lorsque ces combinaisons avaient été saisies par le passé. Ce que Sascha Topolinski nomme l’“incarnation cognitive”. Des études ont montré que demander à quelqu’un de sourire va induire une sensation d’amusement, qu’un poing levé engendrera une sensation de pouvoir et que des mouvements lents seront associés à l’idée de vieillesse.
Dans une troisième et dernière expérience qui complète les deux précédentes, les participants devaient composer huit numéros de téléphone, correspondant à huit sociétés (fictives) : un fleuriste, une agence matrimoniale, une boutique de cadeaux, etc. Pour quatre des sociétés, le numéro de téléphone codait, en langage SMS, pour l’activité, par exemple 25863 (“blume”, fleur en allemand) pour le fleuriste, 54323 (“liebe”, amour) pour l’agence matrimoniale, etc. Pour les quatre autres, les combinaisons de chiffres ne renvoyaient à aucun mot. A chaque fois, les cobayes étaient mis en relation avec un répondeur qui donnait des variantes du même message, seule changeant la description de l’activité. Au bout des huit appels, les participants devaient noter l’attractivité de la société sur une échelle allant de 0 à 10. Sans grande surprise au vu des résultats précédents, quand l’activité était codée dans le numéro de téléphone, la note était légèrement meilleure, quelle que fût, d’ailleurs, l’activité. L’entreprise de pompes funèbres était ainsi plus appréciée quand le mot “cadavre” en langage SMS était caché dans son numéro de téléphone !
Les effets, faibles, de ce phénomène d’incarnation cognitive semblent néanmoins significatifs. Appuyer sur les touches du téléphone active inconsciemment, dans le cerveau de ceux qui pratiquent l’art du texto, des concepts concordant avec les combinaisons saisies. De quoi donner des idées aux spécialistes du marketing. Longtemps ont été privilégiés les numéros de téléphone faciles à retenir. Peut-être le temps est-il venu des numéros codés, intégrant des messages subliminaux en langue SMS…
743773 Barthélémy
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– Je ne suis pas un inconditionnel des anniversaires mais certains valent la peine qu’on en parle. Il y a 30 ans, une étrange épidémie fait son apparition aux Etats-Unis. La pandémie due au virus du sida va tuer au moins 25 millions de personnes depuis 1981. Aujourd’hui, les antirétroviraux, dans les régions du monde où ils sont facilement disponibles, ont fait reculer la maladie en stoppant la prolifération du virus dans l’organisme. Mais ce n’est en aucun cas une guérison et, comme l’a rappelé Barack Obama le 2 juin, il ne faut pas baisser la garde. Time fait la liste des jalons qui ont marqué ces trois dernières décennies.
– Pendant ce temps-là, en Europe, les autorités sanitaires courent après une forme dangereuse de la bactérie E. coli, qui a tué 19 personnes.
– Au cas, peu probable, où cela vous aurait échappé, l’OMS a classé les téléphones portables, ainsi que les sans-fil, dans la catégorie des produits “peut-être cancérogènes”.
– Le Temps consacre un long article au projet Desertec qui consiste à implanter d’immenses centrales solaires dans les zones désertiques d’Afrique du Nord et du Proche-Orient puis d’acheminer l’électricité produite en Europe. Dans un contexte énergétique tendu (post-Fukushima, pétrole de plus en plus rare, gaz de schiste controversés), l’idée gagne des soutiens.
– Comment, dans un contexte de réchauffement climatique, la planète a de plus en plus de mal à produire de quoi nourrir les hommes. Une enquête du New York Times. La BBC évoque également le problème. Cela n’a pas grand chose à voir mais une énième étude montre que les récifs coralliens souffrent énormément de la montée des températures. Au fait, 2010 a été l’année où l’homme a émis le plus de dioxyde de carbone…
– C’était le dernier vol d’Endeavour. Et quand Atlantis aura effectué son ultime voyage en juillet, les navettes spatiales américaines prendront leur retraite.
– Au Chili, l’éruption du volcan Puyehue provoque l’évacuation de 3 500 personnes.
– Pour terminer : il y a peu, je vous parlais de ces corbeaux que l’armée américaine avait envisagé d’utiliser pour retrouver Oussama ben Laden ; aujourd’hui, la police allemande dresse des vautours pour retrouver des cadavres dissimulés dans la nature. Retrouveront-ils le corps du leader d’al-Qaïda ?
Pierre Barthélémy
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Sans être un fan des téléphones portables (j’ai acheté mon premier mobile il y a quelques mois, contraint et forcé, après avoir résisté pendant des années) ni un client régulier des grandes chaînes d’hôtels de luxe, j’ai quand même été arrêté par cette information et la vidéo qui va avec : depuis début novembre, l’hôtel Clarion de Stockholm expérimente, pour quatre mois, un nouveau type d’accueil grâce auquel on évite le passage par la réception (et tout contact avec le personnel humain, c’est mieux).
Le principe est simple : comme toute personne civilisée du troisième millénaire, vous disposez d’un téléphone portable. Lorsque vous réservez votre chambre, vous donnez votre numéro. Peu avant votre arrivée, lorsque vous descendez de votre jet privé en provenance des Bahamas, vous recevez un SMS vous demandant de vous enregistrer en appuyant sur l’écran de votre smartphone. Ceci fait, vous savez quelle chambre vous est attribuée. Une fois à l’hôtel, vous y montez directement, en snobant le comptoir où la plèbe fait la queue pour avoir sa clef ou sa carte d’accès. Devant votre chambre, vous approchez votre portable de la serrure, vous dites “Sésame, ouvre-toi”, et la porte s’ouvre toute seule. Comme une petite vidéo (en anglais) vaut mieux qu’un long discours, voici la démonstration par l’exemple :
Evidemment, pour que la miracle s’accomplisse, il faut un téléphone portable d’un genre un peu particulier, acceptant la communication en champ proche, une technologie similaire à celle des passes sans contact Navigo des transports en commun franciliens. Pour son expérimentation, l’hôtel Clarion en a fourni à ses bons clients, évidemment… Ceux-ci n’ont même pas besoin de se rendre au comptoir pour régler la note : en partant, il leur suffit de passer leur portable devant une borne et c’est payé (et il n’y a personne pour leur demander s’ils ont ou non vidé le mini-bar). Le communiqué de presse du Clarion ne dit pas combien de salaires d’employés de l’hôtel on pourra économiser à la fin du test ni quel accueil ces derniers feront aux clients qui auront oublié leur téléphone dans leur chambre. Si le propriétaire du portable le perd ou se le fait voler, il prévient l’hôtel qui désactive le code d’entrée.
De manière plus générale, le téléphone cellulaire a vocation à devenir une extension à tout faire du corps humain, particulièrement dans ce domaine du contrôle d’accès. Pour le dire simplement, au lieu de se trimbaler un trousseau de clés souvent imposant (le mien compte un transpondeur pour l’accès à mon immeuble, la clé de mon appartement, de ma boîte à lettres, de la porte de ma cave, de mes antivols de vélo, du local à vélos de mon immeuble, sans oublier ma clé de voiture…), on pourra peut-être bientôt se contenter de son portable qui, de toute manière, devient aussi précieux que ses clés. Sauf pour moi qui ne sais pas toujours où il se trouve, mais j’imagine que c’est une question d’habitude. Dans cette petite animation-démonstration, Assa Abloy, le leader mondial des systèmes d’ouverture de porte, qui a équipé l’hôtel Clarion, a franchement l’air de penser que le mobile sera le passe-partout de demain (et j’imagine que les Arsène Lupin du futur seront des as de l’informatique) :
Quand j’étais petit, il y avait, au-dessus de mon lit d’enfant, l’icône de mon saint patron. Il portait à sa ceinture le trousseau de clés ouvrant et fermant les portes du Paradis. D’où ma question du jour : Saint Pierre, aujourd’hui, il a un Nokia, un Samsung ou un iPhone ? A vous de répondre…
Pierre Barthélémy
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