Pourquoi le pénis a-t-il cette forme ?

Phallus-impudicusAprès mon billet consacré à la fabrication des spermatozoïdes et à leur odyssée dans l’appareil génital féminin, une lectrice fort curieuse des choses de la nature me demande pourquoi le pénis a cette forme si caractéristique de champignon (voir la photo ci-dessus d’un Phallus impudicus, aussi appelé satyre puant…). Petite délurée, va… Puisque c’est ainsi, comme le chantait avec verve Pierre Perret, “tout tout tout, vous saurez tout sur le zizi. Le vrai, le faux, le laid, le beau, le dur, le mou qui a un grand cou, le gros touffu, le p’tit joufflu, le grand ridé, le mont pelé. Tout tout tout tout, je vous dirai tout sur le zizi.”

Avant de nous attaquer à la forme, répondons déjà à la question sensible de… la taille. N’en déplaise à tous les fabricants d’extenseurs de pénis, l’homme, comparativement à ses frères primates, est de loin le mieux doté et, étant donné les dimensions du vagin, n’a pas besoin d’être plus imposant qu’il n’est.

Size

Dans la figure ci-dessus sont figurées les tailles relatives des attributs sexuels masculins et féminins de cinq espèces de primates : le bonobo, le chimpanzé, l’homme, l’orang-outan et le gorille. C’est bien pratique car nous n’avons pas toujours les spécimens de ces cinq espèces dans une main et un mètre de couturière dans l’autre pour effectuer ce genre de mesures, surtout que je ne suis pas sûr de vouloir m’y risquer avec un gorille. Ce qui nous intéresse en particulier, c’est la première ligne. Les deux petits cercles inférieurs, on le devine, nous permettent de comparer la grosseur des testicules et, dans ce domaine, on s’aperçoit que le champion est le bonobo. En revanche, si l’on regarde les flèches, dont la longueur indique la taille du pénis, on constate non sans fierté qu’Homo sapiens est le roi du braquemart, avec un sexe en moyenne deux fois plus grand et plus gros que celui de son plus proche parent, le chimpanzé. Signalons, même si cela n’a pas grand rapport avec le sujet qui nous préoccupe, que, sur la deuxième ligne, la femme l’emporte devant toutes ses amies guenons par la taille de ses seins (j’imagine que, cette fois, c’est un lecteur et non pas une lectrice qui me réclamera bientôt un article sur le sujet…).

En plus de se distinguer par sa taille, le zizi humain se singularise par sa forme. Si vous n’en avez pas à disposition ou si vous êtes en train de me lire sur un iPad dans le métro et qu’il serait indélicat de vous livrer à un rappel d’anatomie dans les transports en commun, faites un effort de mémoire. Ou jetez de nouveau un œil sur le champignon du début si votre dernière confrontation avec la bébête remonte à trop loin. Chez l’homme, le gland est très marqué au point que le diamètre de la couronne, cette espèce de collerette qui sépare le gland du reste de la verge, est plus grand que celui du pénis lui-même. Chez nos frères singes, en revanche, cette rupture de continuité est nettement moins flagrante. Pourquoi ? Comment des millions d’années d’évolution ont-ils pu aboutir à cette forme particulière ?

Dans un article remarqué publié en 2003 dans Evolution and Human Behavior, le psychologue évolutionniste américain Gordon Gallup a émis une hypothèse audacieuse basée sur l’idée qu’il s’agit d’une stratégie développée par l’homme pour maximiser ses chances de devenir père (et donc de transmettre ses gènes) en refoulant mécaniquement du vagin le sperme qui pourrait y avoir été déposé – éventuellement par un autre mâle car, c’est bien connu, femme est volage – lors d’un précédent rapport sexuel. Les spermatozoïdes ayant en effet la capacité de survivre entre 48 et 72 heures, la compétition entre mecs pourrait aussi se jouer à l’intérieur même du corps féminin. Et Gordon Gallup, qui s’est rendu célèbre en concevant le test du miroir destiné à mesurer la conscience de soi chez les animaux, est allé au bout de son idée en effectuant des expériences grâce à des prothèses sexuelles. Pour ce faire, ses collègues et lui ont injecté dans des vagins artificiels différents mélanges liquides d’eau et de farine, dont la viscosité se rapprochait de celle du sperme. Puis, ils ont introduit des godemichés de formes différentes, deux reproduisant un pénis de manière réaliste, avec des couronnes plus ou moins marquées, et un sans couronne, plutôt genre concombre.

En observant ce coït synthétique, les chercheurs se sont vite aperçus que le pseudo-sperme injecté au début de l’expérience était à 91 % déplacé derrière la couronne, comme ramoné vers l’entrée du vagin. En revanche, en l’absence de collerette, ce chiffre tombait à 35 %. Evidemment, plus le pénis artificiel était enfoncé profondément et plus les mouvements de va-et-vient étaient énergiques, plus la couronne évacuait de “sperme”. Ce phénomène pouvait-il “coller” avec l’hypothèse de départ ? Pour le dire clairement, quand l’homme avait des raisons de penser que sa compagne avait pu avoir des rapports sexuels avec d’autres (soit qu’elle ait reconnu l’avoir trompé, soit qu’il ait été absent pendant quelques jours), mettait-il plus d’ardeur ? Afin de le savoir, Gallup et ses collègues ont réalisé deux sondages anonymes auprès de plus de 200 étudiants, filles et garçons confondus. Les personnes interrogées ont majoritairement convenu qu’après une infidélité de sa compagne ou une absence, le “mâle”, lors de l’acte charnel, augmentait à la fois la profondeur de la pénétration et le rythme de ses coups de reins… CQFD.

L’hypothèse de la compétition spermatique pour expliquer la forme si particulière du pénis humain a donc semblé très convaincante suite à cette étude pour le moins originale. Néanmoins, dans une lettre publiée en 2009 dans les Archives of Sexual Behavior, le gynécologue américain Edwin Bowman a remis en cause cette théorie. Ce praticien est d’accord pour dire que la couronne sert en quelque sorte à faire du ménage sur les parois du vagin. Mais, pour lui, il ne s’agit pas d’éliminer d’éventuels spermatozoïdes concurrents, parce qu’ils sont probablement soit déjà morts, soit déjà plus avancés dans l’intimité féminine. Si nettoyage il y a, c’est celui des sécrétions vaginales acides, souvent mortelles pour les spermatozoïdes. Selon Edwin Bowman, le pénis s’est adapté au vagin afin de préparer le terrain et de donner le plus de chances possibles aux gamètes qui vont s’y aventurer. C’est bien la preuve que, depuis des millions d’années, un vrai dialogue entre les sexes est possible…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour finir, je ne résiste pas à l’envie d’insérer le clip du Zizi de Pierre Perret…

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Pourquoi l’homme fabrique-t-il tant de spermatozoïdes ?

Spermatozoide

Ami lecteur (et pas lectrice, désolé…), toi qui suis régulièrement ce blog en installant ton ordinateur portable sur ton giron, repose tout de suite cet engin sur une table, un bureau, un plan de travail, n’importe quoi qui fera écran entre tes bijoux de famille et lui. Car, comme vient de le répéter la directrice de la Division d’endocrinologie reproductrice à la Loyola University (Chicago), “la chaleur générée par les ordinateurs portables peut endommager la production et le développement des spermatozoïdes”. Une cause supplémentaire à la baisse de la spermatogénèse constatée depuis quelques décennies.

On pourrait néanmoins se dire que, au vu des 100 millions de spermatozoïdes qu’un homme “normal” fabrique environ chaque jour dans ses deux usines à gamètes, une perte de quelques millions n’est qu’anecdotique. Pas si sûr. Tout d’abord, si la tendance actuelle se poursuit, certains pays comme le Danemark, riquent d’avoir, d’ici à la fin du siècle, les pendeloques en capilotade et quelques soucis concernant le renouvellement de leur population. Surtout, si la quantité compte tellement, c’est parce que l’adage “beaucoup d’appelés, peu d’élus” est particulièrement vrai concernant les spermatozoïdes, une fois qu’ils ont été lâchés dans le corps féminin.

Pour paraphraser Corneille, on dira qu’ils partirent 250 millions, en espérant qu’un seul arrive à bon port. 250 millions de gamètes sur la ligne de départ, un seul à l’arrivée, ce n’est plus un parcours du combattant, c’est un génocide. A côté de ça, le débarquement des troupes alliées en Normandie décrit avec un réalisme sanglant par Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan ressemble à une distrayante chasse aux papillons. Comme le montre cet amusant documentaire (ici découpé en trois parties) où les spermatozoïdes ont été grossis 34 000 fois pour être joués par des figurants, les cellules masculines de la reproduction doivent affronter le milieu acide du vagin, le labyrinthe mortel du col de l’utérus, les globules blancs de madame, ne pas se perdre en route ni dépenser trop d’énergie, arriver dans la bonne trompe de Fallope avec le bon timing et, surtout, avoir de la chance.

Une manière ludique de voir à quel point chaque étape est meurtrière, où une proportion considérable de survivants disparaît, consiste à vous adonner à “The Great Sperm Race”. Dans ce jeu en ligne qui s’apparente à une sorte de Pacman gynécologique, tout commence là où les hommes croient que c’est fini, c’est-à-dire après l’éjaculation : vous incarnez un spermatozoïde parmi tant d’autres et devez franchir tous les obstacles jusqu’au Walhalla. Et vous vous apercevez, chiffres à l’appui, que si un ou deux pour cent millions arrive tout près du but (l’ovule), c’est le bout du monde. Alors, oui, avec des pertes aussi monstrueuses, produire beaucoup compte. Raison de plus pour ne pas nous les casser, comme le chantait Brassens.

Pierre Barthélémy

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Au commencement était le spermatozoïde

Depuis 600 millions d’années, le même gène, installé chez la plupart des animaux, assure la production des gamètes mâles

Au-commencement

Sans vouloir poser de question indiscrète, avez-vous déjà comparé les appareils reproducteurs masculins de l’espèce humaine et de la mouche ? Non ? Quel manque de curiosité… Quand on observe ces délicates machines, les différences sautent aux yeux, la faute à la sélection naturelle qui, depuis l’ancêtre commun de ces deux espèces, a fait valser les choses presque aussi vite que les gouvernements de la IVe République. Pourtant, une équipe américaine de la Northwestern University (Chicago, Illinois) vient de prouver, dans une étude parue le 15 juillet dans la revue en ligne PLoS Genetics, que le gène codant une protéine indispensable à la fabrication des spermatozoïdes n’avait pas varié d’un iota depuis 600 millions d’années. Et qu’on le retrouvait chez tous les bilatériens. Comme son nom l’indique (ce n’est pas si fréquent dans la classification du vivant), la grande famille des bilatériens regroupe toutes les bestioles dotées d’une symétrie bilatérale, ce qui englobe, en plus de nous-mêmes, le lombric, le vautour, la veuve noire ou la hyène. Tous ces charmants animaux sont, à des degrés divers, nos cousins. Pour paraphraser Kennedy, dites : “Je suis un bilatérien.”

Et tous autant que nous sommes (enfin, nous, les mâles…), nous fabriquons des spermatozoïdes. Certains, comme la mouche, dans des tubes, d’autres, comme George Clooney, dans des testicules, grâce à une protéine nommée… Boule (cela ne s’invente pas et je n’y suis pour rien). Les auteurs de l’étude l’ont retrouvée dans la population diversifiée que voici (le nom de chaque espèce apparaît en passant le pointeur de la souris sur la photo) :

Pour la petite histoire, on retiendra qu’Eugene Xu, un des chercheurs en question, s’en fut, pour les besoins de la cause, acheter une truite arc-en-ciel au marché aux poissons de Chicago. Mais, lorsqu’il la déballa, quelle ne fut pas sa consternation en s’apercevant que la bête avait été éviscérée. Il retourna au marché. J’aurais bien voulu contempler la tête du poissonnier quand Eugene lui lança : “J’ai besoin des testicules !” Vain effort. Pour pallier ce manque, le scientifique dut se résoudre à… partir à la pêche, ce qui ne fut sans doute pas la partie la moins agréable de son travail.

Avec 600 millions d’années au compteur, ce qui le fait remonter au précambrien, le gène Boule est un vieux briscard qui a résisté à tout, à commencer par la pression de l’évolution. En réalité, son mode de protection est la sélection négative : si une mutation intervient, l’individu qui la portera sera automatiquement stérile (et ne pourra donc transmettre la mutation). L’équipe américaine l’a testé en modifiant le gène en question chez des souris mâles. Quand Boule n’est pas intact, la production de spermatozoïdes ne va pas à son terme. A l’inverse, Eugene Xu avait,  dans une précédente publication, montré que le gène Boule humain, implanté chez des mouches dont le gène homologue avait muté, remettait en marche la spermatogénèse… Tous ces résultats pourraient donc avoir un grand intérêt dans la lutte contre l’infertilité… mais aussi pour les recherches visant à mettre au point un contraceptif masculin !

Pierre Barthélémy

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