On n’attendait plus qu’eux pour savoir à quoi s’en tenir sur les spectaculaires conclusions de l’expérience hautement médiatisée menée, sous la direction du Pr Gilles-Eric Séralini, sur des rats nourris avec un maïs génétiquement modifié de Monsanto et l’herbicide RoundUp de Monsanto.
Le 19 septembre, soit le jour même où cette étude était publiée dans une revue scientifique et relayée par le Nouvel Observateur, le gouvernement avait curieusement saisi en urgence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Haut conseil des biotechnologies (HCB). Avec cette saisine, il s’agissait, en substance, pour les trois ministres directement concernés (Stéphane Le Foll, Marisol Touraine, Delphine Batho), de savoir à quoi s’en tenir sur un sujet hautement controversé. Plus d’un mois plus tard, ce lundi 22 octobre, ces deux institutions ont rendu leurs conclusions.
Michel Alberganti et Jean-Yves Nau
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Le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, “Les moissons du futur” a été diffusé ce soir, 16 octobre 2012, par Arte. En 2008, la journaliste avait défrayé la chronique avec son film précédent, “Le monde selon Monsanto“, enquête à charge mais remarquablement documentée sur la multinationale des semences, en particulier OGM, et des pesticides comme le Roundup. On s’attendait donc à une nouvelle bombe. Ce fut plutôt un pschitt… Pourquoi une telle déception ? Pourquoi Marie-Monique Robin s’est-elle enlisée dans un sujet qu’elle maîtrise pourtant fort bien, dont l’enjeu est planétaire et qui est d’une actualité brûlante avec l’affaire de l’étude Séralini ?
Il semble que la journaliste soit désormais victime d’une proximité avec son sujet telle qu’elle en oublie la mise en perspective. Avec ce nouveau documentaire, elle veut répondre à une critique, adressée sur le plateau de Mots Croisés, l’émission d’Yves Calvi sur France 2, début 2011. L’agriculture dite biologique, ou plutôt l’agroécologie, ne serait pas en mesure de nourrir la planète, selon le ministre de l’agriculture de l’époque, Bruno Le Maire, grand spécialiste du travail de la terre, et Jean-René Buisson, président de l’association nationale de l’industrie agroalimentaire, digne représentant… de l’industrie. Tous deux affirment alors que les pesticides sont incontournables. Le sang de Marie-Monique ne fait qu’un tour. Et la voilà partie, avec cameraman et preneur de son, pour un nouveau… tour du monde. Amérique du Sud, Afrique, Etats-Unis, Allemagne, Japon… Elle rencontre des fermiers qui nous démontrent, grâce à leurs années d’expérience, que l’agroécologie permet d’obtenir des rendements souvent égaux à ceux de l’agriculture issue de la révolution verte, celle qui utilise massivement engrais chimiques et pesticides pour faire pousser des plantes hybrides ou transgéniques.
Tout ces portraits et ces témoignages sont convaincants et enthousiasmants. Un peu longs aussi, et redondants. Plus de 90 minutes de documentaire, même sur Arte, c’est assez éprouvant. Mais il s’agit d’une véritable découverte pour un citadin. On apprend comment la culture simultanée de plusieurs plantes peut résoudre les problèmes d’herbes nuisibles et de ravageurs. Comment le maïs peut servir de tuteur à des haricots. Comment on enrichit le sol en azote en enfouissant des branchages au pied des plans cultivés. Comment on peut semer sans labourer. Comment un paysan japonais peut vivre en totale autonomie, énergie comprise (d’où vient l’électricité ?), et nourrir directement une trentaine de familles. Comment des Allemands se sont convertis au bio. Comment un Américain regrette d’utiliser des pesticides au milieu de son champ de maïs tout sec (en fait simplement mûr, sans doute), alors que celui des paysans bio est tout vert. Comment les canards labourent un champ de riz avant le repiquage…
L’émerveillement est total. Marie-Monique Robin nous décrit cet Eden retrouvé où l’homme et la nature sont en parfaite symbiose. Mieux encore, car désormais l’homme comprend la nature et il est capable de recréer cette harmonie massacrée par les tracteurs, les hélicoptères d’épandage et les moissonneuses-batteuses monstrueuses. Sérieusement, le documentaire rend perceptible la magie de l’équilibre écologique. Le témoignage final d’un Français (le seul ?), l’agronome Marc Dufumier (sic) achève de convaincre que tout cela est vraiment possible. Que la planète peut se nourrir sans Monsanto. Le débat qui suit ne parvient pas à briser le rêve. L’animatrice, Emilie Aubry, a beau poser la question banco :“Mais est-ce généralisable ?”, on reste sous le charme du “push-pull” et des canards laboureurs. D’autant que le contradicteur du plateau, Willi Kampmann, directeur du Bureau de Bruxelles du Deutscher Bauernverband (?) ressemble un peu trop à un VRP de l’industrie agroalimentaire.
Et puis… Une fois le petit écran éteint, le rêve se dissipe assez rapidement. Qu’a-t-on vu ? Des agriculteurs exploitant des fermes de quelques hectares utilisant des méthodes à la fois très ingénieuses sur le plan agronomique et très rudimentaires, voire archaïques. Tout se fait à la main, ou presque. On voit des bœufs de labour… Une ferme nourrit quelques dizaines de familles… Le paysan japonais a beau calculer qu’il existe assez de surface cultivable dans son pays pour nourrir la population nippone, quelque chose ne va pas… Même si les rendements de l’agroécologie peuvent rivaliser avec ceux de l’agriculture intensive…
Ce qui ne va pas, c’est que le problème n’est pas de convertir les paysans actuels à l’agroécologie. Le problème, c’est de multiplier leur nombre par cent ou mille pour recréer des fermes de quelques hectares dont les champs ressemblent à de grands jardins. Bien sûr, il y a l’exemple de l’agriculteur allemand, converti dans les années 1970. Mais le documentaire de Marie-Monique Robin ne répond pas à la question essentielle de l’organisation humaine de la nouvelle agriculture qu’elle prône. Combien d’agriculteurs bio faut-il en France. Avec quelle taille d’exploitation pour éviter le recours aux machines polluantes ? Connait-on les solutions agroécologiques adaptées aux écosystèmes français ? Si le documentaire apporte une contestation passionnante sur l’argument du rendement, il nous laisse sur notre faim quant à la mise en oeuvre de l’Eden agricole. Pour Marie-Monique Robin, cela passe par une décision politique. Cela paraît bien court. Concrètement, comment la France, par exemple, peut-elle se convertir à l’agroécologie ? Le sujet du prochain documentaire de Marie-Monique Robin ? D’ici là, la France aura peut-être créé un institut national de la recherche agronomique qui pourra lui donner son avis sur la question…
Michel Alberganti
lire le billetSous la violence de l’attaque de Gilles-Eric Séralini, via le Nouvel Obs du 20 septembre 2012 divulguée la veille sur Internet, le géant Monsanto a d’abord fait le gros dos. Seule déclaration, en substance : “Nous analysons l’étude…”. Mais, très vite, des voix se sont “spontanément” élevées pour critiquer le travail du professeur de l’université de Caen, président du comité scientifique du CRIIGEN, organe ouvertement militant anti-OGM. Interrogé par l’AFP, ce dernier s’est plaint, lundi 24 septembre, des méthodes utilisées par Monsanto sans le citer :
“Je suis attaqué de manière extrêmement malhonnête par des lobbies qui se font passer pour la communauté scientifique. C’est le même lobby qui a permis l’autorisation de ces produits et qui est activé par les entreprises de biotechnologies”.
Le ton est donné. Il ne devrait guère s’adoucir avec la publication, mercredi 26 septembre, du livre de Gilles-Eric Séralini intitulé “Tous cobayes, OGM, pesticides, produits chimiques”. Au cinéma, ce même mercredi, sort le documentaire de Jean-Paul Jaud intitulé…, “Tous cobayes”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini. Le chercheur français, outre l’originalité qu’il revendique pour son étude de deux ans sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup, est certain d’établir un record difficile à battre dans son domaine (et même ailleurs). En huit jours, calendrier en main, il a réussi à :
Pour faire bon poids, sans tomber dans un excès qui pourrait être taxé de matraquage outrancier, il faut ajouter:
Résumons: un article scientifique, la une et 7 pages dans le Nouvel Obs, des centaines d’articles dans la presse et sur Internet et de “papiers” à la radio et à la télé, un livre, un film au cinéma, un documentaire à la télé et 2 DVD… Qui dit mieux ?
Même chez un géant américain des biotechnologies végétales comme Monsanto, qui emploie 20 600 personnes dans le monde et a réalisé 11,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011 avec un bénéfice net de près de 1,7 milliard de dollars (plus de 14% de marge nette), une telle volée de flèches empoisonnées provoque des démangeaisons désagréables. Pas étonnant que l’archer se trouve rapidement transformé en cible.
On imagine les services de communication de Monsanto France sur le pont. La réaction ne se fait pas attendre sur le site de la filiale française. Dès le 21 septembre, soit le lendemain de la sortie en kiosque du Nouvel Obs, on peut lire: “Monsanto répond concernant l’étude sur rat française”. Déclarant avoir “évalué l’étude”, le semencier n’y va pas de main morte pour la descendre en flamme dans un résumé en français et dans une réponse détaillée en anglais d’une dizaine de pages. Cette réponse cite un grand nombre d’articles de presse, essentiellement anglosaxons, qui tous, sont à charge pour la validité de l’étude. Voici trois exemples des critiques formulées :
Selon Monsanto, le protocole de l’expérience n’est pas conforme aux normes de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de rats étudiés. Gilles-Eric Séralini en a utilisé 10 par groupe au lieu des 50 demandés par l’OCDE. Ce point est l’un des plus récurrents dans les critiques de l’étude. Selon le chercheur français, les études réalisées pendant 3 mois seulement par Monsanto ont également utilisé des groupes de 10 rats. Le semencier ne dit pas le contraire. Il se contente de relever une contradiction dans les affirmations de Gilles Eric Séralini vis à vis des normes de l’OCDE. Astucieux.
L’étude française porte effectivement sur les effets du maïs NK 603 et du Round Up de Monsanto sur 200 rats répartis en groupes de 10. Le 25 septembre, Gilles Eric Séralini a défendu cette procédure en arguant du fait que ““toutes les études du monde sont faites là-dessus. Le NK 603 a été autorisé sur cette base. Si on ne peut pas tirer de conclusions, il faut aussi tout de suite interdire tous les OGM”. Il précise à l’AFP que “tous ceux qui ont aboyé [contre l’étude] sont à l’origine de l’autorisation de ces produits, et ils l’ont fait sur la base de tests sur la même souche de rat, avec des échantillons de 10 rats pendant seulement trois mois et pas avec autant de tests. C’est ridicule”. Pour autant, le chercheur se déclare conscient des limites de son travail comme il dit l’expliquer dans son livre. “On pourrait faire des groupes de 50 rats, mais c’est aux pouvoirs publics de financer, ça ne peut plus être un laboratoire indépendant qui finance 20 millions d’euros”, ajoute-t-il. L’étude réalisée avec son équipe a été financée à hauteur de 3 millions d’euros pour 200 rats étudiés pendant 2 ans, soit un coût de 15 000 euros par rat. S’il avait utilisé des groupes de 50 rats, il aurait eu besoin de 1000 rats. Au même coût, on arrive à 15 millions d’euros et non 20… Toujours est-il que l’on apprend, à cette occasion, le coût exorbitant de l’expérience sur les rats. Pas moins de 7500 euros par rat et par an… Même en intégrant le coût des croquettes, de l’hébergement, des soins et le salaire des personnels…
Monsanto relève l’absence ou le manque de données importantes dans la description des travaux de Gilles Eric Séralini. L’entreprise estime ainsi que l’origine et la qualité du maïs utilisé sont peu claires. Normal, le chercheur s’est procuré le maïs OGM Monsanto de façon clandestine au Canada. Pas terrible question traçabilité… Mais c’était le seul moyen trouve pour se procurer ce maïs sur lequel Monsanto interdit de faire des études sans son contrôle. Plus ennuyeux, l’entreprise souligne l’absence “de détails essentiels sur la préparation des rations et le niveau de consommation par les animaux”.
Dans ce domaine non plus, Monsanto ne fait guère dans la nuance : “L’analyse statistique concernant la mortalité ou l’incidence des tumeurs est complètement absente”. L’entreprise met également en avant la critique sur la race des rats utilisés dans une expérience sur 2 ans. “Les taux de mortalité et la fréquence des tumeurs dans tous les groupes de rats sont dans les normes historiques pour cette lignée de rats de laboratoire, qui est bien connue pour sa forte prédisposition aux tumeurs”. Alors que les rats Sprague Dawley sont utilisés par la plupart des laboratoires pour les expériences sur 90 jours, il semblent être moins adaptés aux études plus longues en raison de cette prédisposition aux tumeurs qui perturbe les observations.
De façon assez perverse, Monsanto lance une autre critique dans son analyse détaillée. L’entreprise reconnaît d’abord que les études sur 90 jours ne sont pas équivalentes à celles qui couvrent toute la durée de vie (environ 2 ans) des rats. Un bon point pour Gilles-Eric Séralini. Mais cela se gâte rapidement. Monsanto note que les auteurs de l’étude française détectent des tumeurs par palpation des rats dès le quatrième mois de l’expérience. “Etant donné que les tumeurs mettent un temps considérable pour parvenir à un stade de détection par palpation, et étant donné que seule une minorité de tumeurs atteint en général une taille importante, des tumeurs, même non détectables par palpation, auraient dû être constatées dans les expériences à 90 jours avec le NK-603. Or, cela n’a pas été le cas”.
Ces quelques exemples de critiques suffisent pour montrer que, comme l’on pouvait s’y attendre, Monsanto a décidé d’attaquer frontalement le travail de Gilles-Eric Séralini. Au delà du battage médiatique qui aura son effet sur le grand public, le chercheur français ne pourra éviter la confrontation sur le fond. La prochaine étape est, bien entendu, le verdict des autorités françaises (ANSES, HCB) et européennes sur l’étude. Après la semaine de gloire médiatique, Gilles-Eric Séralini devra se battre pied à pied sur le terrain scientifique.
Michel Alberganti
lire le billetGilles-Eric Séralini, GES pour les intimes, prend un gros risque avec le dernier chapitre en date de sa croisade anti-OGM. Et la France, aussi, en soutenant ses résultats avant même qu’ils ne soient vérifiés et en envisageant, si vite, comme le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en déplacement à Dijon, une demande de l’interdiction pure et simple des OGM en Europe.
Gilles-Eric Séralini dirige l’équipe qui a publié l’étude «Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize» montrant que des rats nourris aux OGM et au Roundup meurent beaucoup plus vite que les rats du groupe de contrôle recevant une nourriture sans OGM ni Roundup.
Moins de 24 heures après la divulgation des résultats de l’étude dans la revue Food and Chemical Toxicology, la déclaration de Jean-Marc Ayrault confirme l’impression d’affolement que le gouvernement a donné après l’orchestration à grand spectacle de la révélation, par le Nouvel Obs daté du 20 septembre, des résultats obtenus sur des rats.
Une médiatisation hors du commun pour une publication scientifique de chercheurs, certes français, dans une revue de renommée moyenne (facteur d’ impact de 3, loin de celui des principales revues: 38 pour The Lancet, 36 pour Nature, 31 pour Science, 16 pour PLoS Medecine…). Food and Chemical Toxicology est donc une revue, à comité de lecture certes, mais plutôt spécialisée et dont l’autorité n’a rien de comparable avec celle des grands journaux scientifiques. Elle n’atteint pas, non plus, le facteur d’impact de Toxicology and Applied Pharmacology (4,4). La publication, encore absente du site de la revue, de l’article cosigné par Gilles-Eric Séralini ne peut donc pas être considérée comme totalement validée.
D’ailleurs, le gouvernement appelle les autorités compétentes –l’agence de sécurité sanitaire (ANSES) et l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)– à vérifier l’étude au plus vite. Cela induit une analyse des données brutes et des résultats publiés mais ne permet pas de refaire l’expérience qui a pris deux années aux chercheurs français.
Les réactions à l’enquete montrant les dangers… par Maxisciences
Au stade actuel, moins de deux jours après «l’événement», un premier bilan se dessine. Avec des points forts, des points faibles et des zones d’ombres.
Désormais, il faut attendre l’avis des autorités saisies par le gouvernement sur la nouvelle étude. Dans l’intervalle, la campagne médiatique de Gilles-Eric Séralini et de ses soutiens va se poursuivre. Il semble donc que l’on ait mis la charrue avant les bœufs, avec tous les risques d’accidents que cela comporte. Si jamais l’étude était invalidée, la carrière de Gilles-Eric Séralini ne s’en remettrait pas et la France serait ridicule. Si elle est confirmée et que des dangers pour l’homme peuvent en être déduits, Gilles-Eric Séralini deviendra le héros de la lutte contre Monsanto et la diablerie des OGM.
Michel Alberganti
Photo: Gilles-Eric Séralini. REUTERS/Yves Herman
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