Coup dur pour les inconditionnels de l’énergie nucléaire. Dix huit mois après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement japonais a annoncé, vendredi 14 septembre 2012, sa nouvelle stratégie énergétique : « réaliser une société qui ne dépend plus de l’énergie nucléaire dans les années 2030 ». A terme, le Japon ne prévoit de conserver que son surgénérateur de Monju en l’utilisant pour le traitement des déchets nucléaires.
Le même jour, quelques heures auparavant, François Hollande avait annoncé, en ouverture de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre, que la centrale nucléaire de Fessenheim «sera fermée à la fin de l’année 2016», quelques mois avant l’expiration de son mandat. Ce calendrier semble satisfaire les écologistes, ravis, par ailleurs, de la décision d’enterrer l’exploration et, a fortiori, l’exploitation du gaz de schiste en France.
Le parallèle avec le Japon est instructif. Dix huit mois après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement de Yoshihiko Noda était soumis à une forte pression populaire. Il faut dire que le Japon l’avait échappé belle en mars 2011 lorsque la centrale de Fukushima-Daiichi a été dévastée par le tsunami et que des explosions ont projeté un nuage de particules radioactives dans l’atmosphère. Tokyo, située à 220 km au sud-ouest, n’a été épargnée que grâce à une direction favorable des vents. Depuis, l’exploitant Tepco, largement convaincu d’incompétence, lutte pour contrôler la centrale. Encore aujourd’hui, le réacteur N°4 et sa piscine contenant 264 tonnes de barres de combustible hautement radioactives reste un danger permanent.
Pour rassurer une population traumatisée par l’épée de Damoclès de Fukushima et, sans doute aussi, par la mémoire des bombes atomiques de la seconde guerre mondiale, le gouvernement a donc fini par prendre une décision courageuse. Pour la première fois, l’une des premières économies mondiales planifie sa sortie du nucléaire. Le Japon se donne moins de 30 ans pour y parvenir. Un délai qui semble raisonnable si l’on considère que le nucléaire fournissait 29% de la production électrique du pays en 2010.
Après le séisme du 11 mars 2011, tous les réacteurs japonais sont progressivement mis à l’arrêt. En mai 2012, plus aucun ne fonctionne et le Japon est alors sorti du nucléaire en… 14 mois. Mais cette situation n’est guère tenable économiquement et, en juin 2012, Yoshihiko Noda annonce la remise en service de deux réacteurs dans la centrale d’Ohi, dans l’ouest du Japon. Mais le mois suivant, en juillet dernier, les manifestations anti-nucléaires rassemblent des dizaines de milliers de Japonais à Tokyo.
C’est donc bien sous la pression de l’opinion publique japonaise que le gouvernement nippon a décidé de s’engager dans une sortie du nucléaire. Il y a une semaine, les discussions du cabinet du premier ministre Yoshihiko Noda laissaient pourtant entendre que le coût d’une telle stratégie s’élèverait à plus de 600 milliards de dollars. En face de ce coût, le Japon a pesé le risque d’un nouveau tremblement de terre majeur de magnitude 8 au cours des prochaines décennies. D’après les scientifiques, ce risque est évalué à 87% dans la région du Tokai, à 200 km au sud-ouest de Tokyo, pour les 30 prochaines années.
En prenant la décision de sortir définitivement du nucléaire avant 2040, le Japon se met en situation de devoir impérativement développer ses ressources en énergies renouvelables. Sans ces dernières, les importations de pétrole et de gaz pour compenser les 30% de son électricité nucléaire pèseront de façon insupportable sur son économie.
Avant de se mettre ainsi le couteau sous la gorge, le Japon occupait une place loin d’être ridicule dans l’industrie du solaire. Il se place en 5ème position mondiale en terme de surface de panneaux photovoltaïques installés, avec 5 GW en 2011, contre 2,8 GW en France. Cinq entreprises nippones (contre 400 en Chine…) fabriquent de tels panneaux. En 2009, le gouvernement a fixé comme objectif de parvenir à 28 GW en 2020 et à 53 GW en 2030. Il est très probable que ces chiffres seront revus à la hausse après la décision du 14 septembre. Le solaire devra contribuer à compenser le nucléaire. Avec 54 réacteurs, ce dernier représentait près de 30% de sa production d’électricité et il était prévu que cette part monte à 40%. En 2010, le Japon disposait de 282 GW de puissance électrique installée. Le solaire représentait donc moins de 2%. Mais l’objectif 2030 l’aurait fait passer à près de 20%, à puissance installée égale.
On voit donc que les ordres de grandeur ne présentent pas de difficultés insurmontables. Si l’on ajoute les 2,3 GW d’électricité éolienne nippone en 2010, le Japon dispose d’environ 7,5 GW d’électricité renouvelable. En trente ans, il lui faut multiplier ce chiffre par 4 pour compenser son électricité nucléaire. Cela semble très loin d’être impossible si l’on ajoute à cela l’impact des économies d’énergie. Certaines régions ont réduit de 15% leur consommation après le tsunami de mars 2011. Ainsi, la situation du Japon ne semble pas catastrophique. On connaît les capacités industrielles de ce pays et ses facultés de réaction dans l’adversité. La décision du gouvernement pourrait provoquer un électrochoc salutaire et un élan important vers le développement des énergies renouvelables.
La situation de la France est bien différente. Avec nos 58 réacteurs, nous produisons 74% de notre électricité grâce à nos centrales nucléaires. La fermeture de Fessenheim (1,8 GW) représentera une perte inférieure à 3% des 63 GW nucléaires installés en France. A titre de comparaison, le solaire représentait, fin 2011, 2,8 GW de puissance installée et l’éolien 6,8 GW. Certes, la part de l’ensemble des énergies renouvelables dans la production française d’électricité n’était que de 12% en 2009 ce qui nous classait à la 13ème place européenne… Et le rapport sur l’éolien et le photovoltaïque remis au gouvernement le 13 septembre 2012 risque de ne pas provoquer d’enthousiasme démesuré. Les experts y déclarent: “ces contraintes interdisent d’envisager que les énergies éolienne et photovoltaïque, à elles seules, permettent la diminution de 75 % à 50 % du nucléaire dans le mix électrique français à l’horizon de 2025”. Voilà donc l’objectif affiché par François Hollande lors de la campagne présidentielle habillé pour l’hivers.
Contrairement au Japon sous la menace permanente de tremblements de terre dévastateurs, la France n’a pas le couteau sous la gorge. Grâce au nucléaire, elle bénéficie même d’un luxe mortel pour les énergies renouvelables. Le phénomène mine depuis 30 ans tout développement important d’une économie verte en France. Les deux décisions que François Hollande vient de prendre le 14 septembre, fermer Fessenheim et interdire le gaz de schiste, va lui permettre de satisfaire les écologistes à peu de frais politique. Coté économique, la France devra se contenter de l’espoir de devenir la spécialiste du démantèlement des centrales nucléaires. Un domaine dans lequel il lui reste toutefois à faire ses preuves. Aucune centrale nucléaire n’a été complètement démantelée sur son territoire à ce jour. Coté énergies renouvelables, nous pourrons continuer à tranquillement caracoler en queue de peloton. Pendant que le Japon se retrousse les manches pour sortir du nucléaire.
Michel Alberganti
lire le billet"Yama-uba et Kintarō", estampe d'Utamaro (1753-1806)
Le saturnisme est souvent décrit comme une maladie d’enfants défavorisés car il est fréquemment causé par l’ingestion d’écailles de peintures au plomb dans de vieux logements non-réhabilités. Dans le Japon impérial de l’époque d’Edo (1603-1868), ce pourrait bien être le contraire : une maladie d’enfants favorisés, ainsi que le révèle une récente étude publiée par le Journal of Archaeological Science.
Tamiji Nakashima (University of Occupational and Environmental Health, Kitakyushu) et trois de ses collègues ont analysé les ossements très bien préservés découverts sur le site d’un ancien temple bouddhiste zen à Kitakyushu. Seuls les restes des samouraîs et de leur famille y étaient conservés. Au total, les os de 11 hommes, 12 femmes et 38 enfants ont été étudiés. Et voici les concentrations en plomb retrouvées en moyenne : 14,3 microgrammes de plomb par gramme (μg/g) d’os sec chez les hommes, 23,6 μg/g d’os sec chez les femmes, 313 μg/g d’os sec chez les enfants de plus de 6 ans, 462,5 μg/g d’os sec chez les enfants de 3 à 6 ans et, enfin, 1 241 μg/g d’os sec chez les enfants de moins de 3 ans. Ce dernier chiffre est incroyablement élevé, surtout si on le compare à celui des adultes. D’où vient tout ce plomb ?
Les chercheurs avaient déjà constaté, au cours de précédents travaux portant sur les adultes, une différence significative entre hommes et femmes, ce qui les a conduits à soupçonner… les cosmétiques. Ceux-ci sont devenus très à la mode dans les franges aisées de la société japonaise pendant l’époque d’Edo, notamment sous l’influence des acteurs de kabuki. Et, en bonne place parmi les cosmétiques, figurait la céruse. A la même époque, ce cosmétique à base de carbonate de plomb faisait fureur à la cour des rois de France et d’Europe pour le teint blanc qu’il conférait, jusqu’à ce que ses effets nocifs le fassent, à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, disparaître de l’arsenal des fards.
Cette prise de conscience fut visiblement plus tardive au pays des samouraïs où les mères maquillées ont, pendant longtemps et sans le vouloir, empoisonné leurs enfants par simple contact, en concluent les auteurs de l’étude. Ces derniers poussent d’ailleurs leur réflexion plus loin et formulent l’hypothèse que, le saturnisme se traduisant notamment par des troubles mentaux et des retards cognitifs, les élites japonaises n’étaient pas, en raison de ces intoxications, les mieux armées pour bien réagir en période de crise. Ces chercheurs mettent notamment en avant le cas du 13e shogun, Tokugawa Iesada, décrit comme souvent malade et incapable de s’opposer aux pressions américaines qui contraignirent le Japon à rompre son isolationnisme en 1854. N’y aurait-il qu’un pas du maquillage à l’insécurité politique ?
Pierre Barthélémy
Post-scriptum du 6 octobre : le saturnisme est loin d’avoir disparu partout. En témoigne cette dépêche de l’AFP, reprise sur le site Internet du Soir, qui raconte qu’au moins 400 enfants empoisonnés au plomb sont décédés au Nigeria, en raison d’activités minières illégales.
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