Il y a quelques jours, l’équipe d’Emmanuel Martinod, de l’hôpital Avicenne de Bobigny, a annoncé avoir réalisé, en octobre 2009, la première greffe d’une bronche artificielle, confirmant s’il en était besoin que les chirurgiens français, qui ont déjà innové avec la première double greffe des mains et celle du visage, s’y entendaient en matière de transplantation. Même si ces opérations soulèvent des débats éthiques, on est loin de traiter les chirurgiens qui les effectuent de docteurs Frankenstein. Cela n’a pas toujours été le cas : les rapprochements ont parfois été faits avec le personnage inventé par Mary Shelley, notamment lors des tentatives de greffe… de têtes.
Ce n’est sans doute pas la page la plus glorieuse de la science mais la tenir dans l’ignorance du public n’est pas non plus une bonne solution. Bien sûr, ces expériences n’ont pas été effectuées sur des humains. Dans les années 1950, le Soviétique Vladimir Demikhov, pionnier de la transplantation d’organes, greffa ainsi le haut du corps d’un chiot (tête, pattes avant et avant du corps) sur le cou d’un chien adulte, connectant les principaux vaisseaux sanguins du petit sur le système cardio-vasculaire du grand. La survie de la chimère ainsi obtenue était en général de quelques jours et chaque entité de ce chien à deux têtes respirait, bougeait, mangeait… Demikhov avait pour objectif de parvenir à la greffe de cœur chez l’homme, qui fut réalisée pour la première fois par le chirurgien sud-africain Christiaan Barnard en 1967, mais pas de remplacer une tête par une autre.
Ce fut l'”œuvre” de l’Américain Robert White. Né le 21 janvier 1924 (jour anniversaire de la décapitation de Louis XVI), ce chirurgien commença à faire parler de lui en 1962 en extrayant le cerveau d’un singe et en le maintenant en “vie” pendant plusieurs heures, grâce à un circuit sanguin artificiel. Une expérience dont il publia la méthode dans la prestigieuse revue Science. Deux ans plus tard, il transplanta le cerveau d’un chien dans le cou d’un autre sans être capable de prouver que la “conscience” de l’animal était toujours présente. Pour répondre à la question, il eut l’idée de greffer la tête d’un singe A sur le corps d’un singe B. L’expérience fut réalisée en 1970, il y a donc plus de quatre décennies. Voici, ci-dessous, un reportage réalisé sur le sujet par Jim Fields en 2007, où un Robert White très âgé (il est mort en 2010), revient sur les lieux de ses expérimentations et raconte. D’emblée, je précise deux choses : ce film de 14 minutes est en anglais non sous-titré (un documentaire analogue sous-titré en français est visible ici) et, surtout, certaines scènes sont à déconseiller fortement aux personnes sensibles.
Sur le plan purement technique, l’opération “réussit” en ce sens que la tête greffée sortit vivante de l’anesthésie, que l’animal, quoique tétraplégique (on ne savait pas et on ne sait toujours pas reconnecter une moelle épinière), avait l’usage de ses sens et une activité cérébrale. Au point que Robert White, dans son rôle de médecin qui veut sauver des vies, se mit à imaginer une transplantation de tête chez des humains, en récupérant les corps de personnes en état de mort cérébrale pour les donner à ceux dont le cerveau fonctionnait bien mais dont le corps était en train de lâcher. Cela resta une idée. Mais, comme on le voit dans le documentaire, le chirurgien américain, bien des années plus tard, pensait toujours que la greffe de tête (que l’on devrait plutôt appeler greffe de corps sans tête) deviendrait réalité au cours du XXIe siècle.
Certaines des expériences de Robert White ont vraiment aidé la science à avancer, en ce sens que ses techniques de préservation des greffons par refroidissement ont été reconnues. Militant pour le droit à la vie à tout âge, fervent catholique et membre de l’Académie pontificale des sciences, il s’était impliqué dans les questions d’éthique au point de fonder le comité de bioéthique du pape Jean Paul II. Cela ne l’empêcha pas d’être vivement critiqué par les défenseurs des droits des animaux en raison de ses expériences “extrêmes”. Parler de ses expérimentations animales aujourd’hui fait toujours courir le risque de juger le passé avec les lumières du présent. Nous vivons à une époque où l’on légifère pour restreindre au maximum la mise à mort d’animaux au nom de la science. Il y a un demi-siècle, où l’on envoyait allègrement des chiens ou des singes agoniser dans l’espace, les critères et les règles étaient bien différents, tout comme l’acceptation de ces sacrifices animaux par la société.
En gardant en tête ce préambule, je vous propose de répondre à deux questions : 1/ la mort d’animaux de laboratoire se justifie-t-elle si elle a pour but de sauver de nombreuses vies humaines ? 2/ Si oui, les expériences de Vladimir Demikhov et Robert White entrent-elles dans cette catégorie ? A vos claviers.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : puisque je constate aux commentaires que ce genre de débat vous intéresse, je signale à tout hasard que, ces 11 et 12 mars, se tient à la Cité des sciences de Paris un colloque intitulé “Le savant, le politique et le citoyen” . Il sera essentiellement axé sur la place que doit prendre le chercheur dans la gouvernance mondiale du climat, notamment après l’échec de la conférence de Copenhague en décembre 2009 et la montée en puissance des climatosceptiques. Je participerai samedi à la dernière table ronde du colloque, qui sera consacrée au rôle des médias et d’Internet.
lire le billet– On compte au moins cinq épisodes d’extinctions massives d’espèces dans l’histoire de la Terre, la dernière étant celle qui a conduit à la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années. Depuis plusieurs années, certains chercheurs avancent l’idée que nous sommes en train de provoquer la sixième grande extinction du vivant.
– Le gouvernement indien a annoncé un vaste plan de reforestation et d’amélioration de la qualité de ses forêts. Il y consacrera plus de 10 milliards de dollars sur dix ans.
– La NASA a échoué à lancer le satellite Glory qui devait étudier les particules en suspension dans l’atmosphère. Nature fait remarquer qu’après le satellite OCO (censé mesurer les concentrations de dioxyde de carbone), c’est la deuxième fois en deux ans que la NASA perd au décollage, et avec la même fusée, un instrument d’étude du climat.
– Dans la même thématique, le CNRS a mis en ligne un dossier interactif sur le climat de la Terre.
– La Commission européenne souhaite interdire aux pêcheurs de rejeter à la mer les prises indésirables, une pratique qui leur permet de n’intégrer à leurs quotas que les poissons rentables. On estime que chaque année, pour la seule mer du Nord, un million de tonnes de poissons (en général morts) retournent d’où ils viennent.
– C’est une équipe de chirurgiens français qui a pour la première fois greffé une bronche artificielle. Une opération qui a permis d’éviter l’ablation totale d’un poumon chez un patient atteint d’un cancer.
– Un nouvel article sur un champignon qui prend le contrôle du cerveau de certaines fourmis et les transforme en zombies.
– Pour terminer : les pleurs du soir (ou de la nuit), les couches à changer, les régurgitations, les maladies infantiles, le baby blues, l’ado qui traîne des pieds pour tout, le couple qui bat de l’aile… Oui, vous avez reconnu les joies d’être parent (j’ai quatre enfants, je sais de quoi je parle). Pourtant, pourtant… nous continuons à nous reproduire et, quand nous le faisons, nous exagérons la joie de la paternité et de la maternité. En fait, nous nous leurrons nous-mêmes en nous donnant l’illusion d’un bonheur plus grand qu’il n’est. A lire dans Time avant d’aller chanter une énième berceuse au gnafron qui hurle dans son berceau.
Pierre Barthélémy
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