La gravitation reste la force la plus mystérieuse de notre univers. Pourtant, les plus grands physiciens en percent progressivement les énigmes depuis des siècles. Après Newton et sa pomme, c’est Einstein qui en a fait le centre de son œuvre avec sa théorie de la relativité générale qui n’est autre qu’une théorie de la gravitation. Malgré tout, il reste assez inconcevable qu’une plume et un marteau tombent à la même vitesse dans le vide. Les expériences de Galilée du haut de la tour de Pise, même si elles datent de la fin du 16ème siècle, n’y peuvent rien. La gravité reste à la fois le plus banal et le plus étrange des phénomènes dont nous faisons l’expérience quotidienne.
Rien de plus simple que sa définition: l’agent qui confère son poids aux objets ayant une masse. Sur Terre, la gravité colle nos pieds sur le sol et fait tomber la cruche à l’eau. A l’échelle humaine, il s’agit d’un équivalent du boson de Higgs à celle des particules élémentaires. J’entends d’ici les physiciens hurler devant un tel rapprochement. Pourtant, c’est justement ce qu’ils cherchent depuis près d’un siècle. Comment unifier la physique de l’infiniment petit (quantique) et celle de l’infiniment grand (relativité générale). Quelle loi sera valable dans ces deux univers qui semblent, aujourd’hui, aussi inconciliables que lorsque, avant de mourir il y a exactement 350 ans, Pascal écrivait dans ses Pensées au sujet de l’homme :
“Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti”.
C’est dire si le moindre progrès en matière de gravité est d’importance. Et, justement, les Chinois prennent le relais en affirmant que, d’après leurs calculs, ils ont découvert “les premières preuves expérimentales montrant que la gravité se déplace à la vitesse de la lumière”. Pour arriver à cette conclusion, Tang Keyun, chercheur à l’Institut de géologie et de géophysique dépendant de l’Académie chinoise des sciences (ACS) et son équipe ont étudié, entre autres, le phénomène des marées terrestres.
Dans un article publié dans la version en ligne de la revue Chinese Science Bulletin de décembre 2012, les chercheurs expliquent qu’il sont partis de la loi de la gravitation de Newton dans laquelle la gravité agit de façon instantanée. Pourtant, la théorie de la relativité restreinte d’Einstein indique que la vitesse de la lumière ne peut être dépassée. “La vitesse de la gravité doit donc être finie”, en déduisent les chercheurs. D’autant que la relativité générale du même Albert Einstein laisse entendre que des ondes gravitationnelles devraient se déplacer à la vitesse de la lumière. Difficile à vérifier dans un laboratoire. La gravité ne peut être arrêtée ou isolée. Elle est partout…
Les chercheurs chinois ont commencé leurs travaux en… 1997. Ils ont mené 6 observations sur les éclipses totales ou partielles du soleil et sur les marées terrestres. Résultat : les vitesses de gravitation enregistrées varient de 0,93 à 1,05 fois la vitesse de la lumière avec une approximation de 5%. Soit une mesure clairement centrée sur la vitesse de la lumière. Une chance. Pas de vitesse supérieure à la vitesse de la lumière comme on a pu le croire, un temps, avec les neutrinos du CERN. Néanmoins, si la mesure expérimentale de la vitesse de la gravité est certainement un exploit, elle ne nous renseigne guère sur sa nature profonde. “Qu’est ce que la gravité ?” reste une question fondamentale. La réponse vaut un prix Nobel assuré.
En attendant, en 2013, nous pourrons faire l’expérience de l’absence, ou presque, de ce phénomène grâce au film Gravity d’Alfonso Cuaron, avec Sandra Bullock et George Clooney en perdition dans leur scaphandre dérivant vers l’immensité de l’espace…
Michel Alberganti
lire le billetCertaines histoires donnent à réfléchir. Celle qui suit en fait partie. Il y a quelques années, l’Américain Brian Dunning et son ami John Countryman exploraient la Gunsight Mine, une mine abandonnée en Californie, non loin de la vallée de la Mort. Etant donné que certains passages semblaient dangereux, ils se contentèrent de progresser dans trois des nombreux niveaux de la mine. Au bout d’un moment, les deux hommes s’arrêtèrent pour déjeuner. Pressentaient-ils que l’endroit avait quelque chose d’étrange ? Quoi qu’il en soit, ils tournèrent une vidéo : on y voit Brian ramasser des gravillons, se relever et tenir les petits cailloux à un bon mètre du sol puis, doucement, ouvrir la main. Au lieu de retomber par terre, les graviers s’envolèrent vers le plafond de la mine.
Une fois rentré chez lui, Brian Dunning posta cette vidéo sur Youtube, où elle se retrouva rapidement dans la catégorie des anomalies gravitationnelles aux côtés de ces films étranges où, dans ce qui est apparemment une descente, la voiture au point mort remonte la pente, comme ici, sans qu’il y ait le moindre trucage :
Il semble qu’il existe plusieurs collines de ce genre dans le monde, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, aux Philippines, au Ladakh, etc. Elles sont généralement dotées de noms pittoresques comme Gravity Hill ou Magnetic Hill et, comme dans la série Fringe, il semble que le continuum spatio-temporel y éprouve quelques faiblesses. Pour en revenir à la vidéo de Brian Dunning, il s’agissait évidemment d’une farce, la caméra et la main ayant été retournées pour faire croire à une inversion de gravité. Mais les internautes ne l’ont pas tous interprétée comme une blague de potache. Comme l’explique Brian Dunning sur son site Skeptoid.com, consacré à la démystification des “phénomènes paranormaux”,“des gens intelligents ont commencé à m’envoyer des courriers électroniques me demandant s’il y avait quelque phénomène magnétique ou un fort vent dans la mine.” Sans le savoir, ce chercheur en informatique avait tendu un ressort très puissant qui fait que notre cerveau va chercher des causes irrationnelles ou surnaturelles pour “comprendre” un phénomène dont il n’a pas l’explication logique ou dont l’explication ne le convainc pas.
Dans le cas des voitures qui remontent les pentes en étant au point mort, il n’y a malheureusement pas de mystère, d’antigravité ou de phénomène magnétique paranormal : en réalité, les voitures descendent des routes dont le décor trompe notre cerveau et nous fait croire qu’elles montent. L’illusion d’optique est exactement la même que celle que l’on retrouve dans les maisons inclinées, où l’on a l’impression que l’eau coule de travers, que les gens marchent sur les murs, etc. Ainsi, pour la Gravity Hill du comté de Bedford, en Pennsylvanie, une équipe est allée avec un GPS aux deux bouts de la route “mystérieuse”, pour se rendre compte que, par rapport au “bas” de la pente, le soi-disant “haut” était en réalité plus bas d’environ 4 mètres, ce qu’on pouvait d’ailleurs constater sur une simple carte topographique, à l’aide des courbes de niveau.
Comme j’ai pu moi-même m’en apercevoir dans les commentaires qui ont accompagné mon billet prémonitoire sur la difficulté qu’aurait l’administration américaine à convaincre une partie du public de la mort réelle d’Oussama ben Laden, une frange de la population est encline à ne pas se satisfaire du discours scientifique et technique et à chercher, pour le remplacer, des explications surnaturelles ou des complots. C’est à ce curieux phénomène psychologique que l’on doit la vague des soucoupes volantes après la Seconde Guerre mondiale, avec notamment l’affaire de Roswell, l’idée que les attentats du 11-Septembre sont l’œuvre de l’administration Bush ou le simple fait que les médiums ont pignon sur rue.
La tendance à la crédulité est une chose. Le négationnisme scientifique en est une autre qui n’en est souvent pas très éloignée. Si l’on sort du paranormal et de la conspiration paranoïaque pour se diriger vers des thématiques a priori plus scientifiques, la situation n’est pas meilleure malgré les contrôles et vérifications auxquels sont en général soumises les études scientifiques (il y a toujours des fraudes qui passent mais elles sont exceptionnelles et assez rapidement détectées) : le climatoscepticisme, la croyance dans le lien vaccin contre la rougeole-autisme et les théories créationnistes ne se sont jamais aussi bien portés, et ce en dépit de toutes les preuves que les chercheurs ont amassées. Celles-ci n’ont, au bout du compte, guère d’importance, en raison d’un second phénomène psychologique : chez certains, pour des raisons politiques ou culturelles, il est purement impossible de reconnaître la parole de l’expert et le consensus scientifique sur ces sujets. Cet effet a été particulièrement mis en évidence aux Etats-Unis dans une partie de l’électorat républicain qui fait un blocage au sujet de la responsabilité humaine du réchauffement climatique, lequel remet en cause un pan de son système de valeurs.
De plus, et j’ai pu le constater ces jours-ci en lisant les commentaires de deux de mes derniers billets, ces personnes, pour qui l’objectivité d’un fait mesuré est souvent mise sur le même pied qu’une opinion, vont chercher, sur des sites Internet ou sur des forums (mais surtout pas dans les revues scientifiques), les informations ou les interprétations qui conforteront leurs idées. Elles n’agissent pas en personnes rationnelles qui veulent comprendre, mais en avocats qui veulent convaincre. Elles ne cherchent pas des faits vérifiables, mais des arguments. D’où l’échec assuré des tentatives de persuasion, même si elles se basent sur les données scientifiques les plus solides.
Voilà, “ces lieux mystérieux où la gravité s’inverse” existent bien. Ce sont des cerveaux.
Pierre Barthélémy
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