Graphène, le projet du XXIe siècle pour l’Europe

Avec le Human Brain Project qui sera piloté par la Suisse, le projet Graphène a remporté le second Future Emerging Technology (FET) Flagship accordé par la Commission européenne le 28 janvier 2013, à Bruxelles. Soit un financement total d’un milliard d’euros sur 10 ans pour le développement de ce matériau confié à l’université technologique Chalmers, à Göteborg en Suède. Si le choix de ce projet visant l’industrialisation du graphène n’est guère surprenant, il est notable que, après la Suisse, ce soit un “petit” pays européen qui ait été choisi pour piloter un programme disposant d’un financement aussi important. D’autant que l’université la plus logique aurait sans douté été celle de Manchester où travaille Andre Geim qui a obtenu le prix Nobel de physique en 2010 avec son collègue, d’origine russe comme lui, Konstantin Novoselov pour la découverte du graphène ou du moins pour la première mise en évidence expérimentale de l’existence de ce matériau.

1°/ Qu’est-ce que le graphène ?

On le décrit souvent comme le premier matériau en deux dimensions. Ce qui est presque vrai étant donné que sa troisième dimension, l’épaisseur, est égale à la taille d’un seul atome de carbone. Le graphène est donc un matériau plan qui se présente, au microscope, sous la forme d’un réseau hexagonal à 6 atomes parfaitement pur et ordonné. Il forme ainsi un grillage. Pour arriver à l’observer, de longues années de recherche ont été nécessaires alors qu’il existe à l’état naturel… dans les cristaux de graphite. Autrement dit, dans les mines de crayon à papier… Mais de là à isoler une couche unique. Les techniques ont longtemps buté sur la réduction du nombre de couches superposées. Les chercheurs sont parvenus à 100, puis à 10. ils étaient au bord du découragement lorsque, en 2004, André Geim et ses collègues ont réalisé “la” découverte grâce à un bel exemple de sérendipité. Sans vraiment y croire, les chercheurs ont utilisé la bande adhésive d’un rouleau de scotch pour y coller des débris de graphite présents sur une table. Ensuite, ils ont plié cette bande dont la face adhésive était couverte de graphite. En la dépliant, ils en ont réduit l’épaisseur. Et ainsi de suite… Au final, il ne restait plus qu’une couche de graphite. André Geim avait réalisé la découverte qui lui vaudrait le prix Nobel.

2°/ Quelles sont ses propriétés ?

Matériau unique par sa structure, le graphène l’est aussi par ses propriétés. Malgré sa très faible épaisseur, il se révèle extraordinairement résistant et dur tout en conservant une assez grande souplesse. Surtout, c’est le meilleur conducteur de l’électricité connu à ce jour. Il surpasse tous les métaux dans ce domaine. Les chercheurs pensent que sa structure et sa pureté jouent un rôle important. Sans atteindre la supraconductivité, le graphène offre, à température ambiante, un conducteur inégalable.

Mais l’originalité du graphène va bien au delà. Soumis à un champ électrique, il devient le siège de phénomènes quantiques. C’est-à-dire qui ne relèvent pas de la physique classique. Les scientifiques rêvent donc de l’utiliser pour étudier des  phénomènes de la mécanique quantique relativiste qui restait essentiellement le domaine des astrophysiciens ou des physiciens des particules utilisant des instruments gigantesques comme le LHC du Cern qui traque le boson de Higgs. Demain, ils pourront peut-être travailler sur les trous noirs… dans un vulgaire laboratoire, un crayon à la main et du graphène sous leur microscope.

3°/ Quelles sont ses applications ?

Le graphène pourrait devenir le silicium du XXI siècle. Ses caractéristiques de conduction, entre autres, intéressent fortement les fabricants de puces électroniques qui buttent, aujourd’hui, sur les limites du silicium en matière de miniaturisation. Plus les microprocesseurs sont petits, plus ils chauffent. Plus le matériau utilisé est conducteur, moins leur température sera élevée. André Geim estime ainsi que, grâce au graphène, la fameuse loi de Mooore qui prévoit un doublement de la performance des puces tous les 12 à 18 mois, trouvera un second souffle. C’est dire les enjeux industriels du graphène. La maîtrise de sa production peut ouvrir la voie à de nouvelles générations d’ordinateurs.

Le graphène, qui est transparent, pourrait également révolutionner les technologies de fabrication des écrans souples ou des cellules photovoltaïques. Il est également utilisable pour réaliser des capteurs chimiques.  Sans doute d’autres applications viendront s’ajouter à ces perspectives. Comme dans le textile, par exemple.

En fait, le graphène n’est autre que la version plane des nanotubes de carbone. Autrement dit, ces derniers sont constitués de feuilles de graphène mises sous forme cylindrique. Ces nanotubes sont également promis à une multitude d’applications. C’est donc bien une nouvelle génération de matériau qui surgit. Après celle du silicium, l’ère du carbone s’ouvre aujourd’hui. Que l’Europe tente d’y jouer un rôle majeur est donc bien une excellente nouvelle.

Michel Alberganti

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Tee-shirts intelligents en graphène ?

Une représentation du graphène

Son nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant, d’ici quelques années, il pourrait devenir aussi célèbre que le plastique ou le silicium. Il s’agit du graphène. On discerne une parenté avec le graphite et on a raison. Il s’agit d’un matériau absolument révolutionnaire, un cristal constitué par une seule couche d’atomes de carbone. Oui, vous avez bien lu. Une seule couche d’atomes, ce qui en fait le matériau le plus fin possible. On exprime aussi cette finesse ultime en parlant de premier matériau en deux dimensions (2D). Cela peut paraître abusif mais, bon, une hauteur d’un seul atome, soit environ 0,14 nanomètre (10-9 m), ce n’est vraiment pas grand chose.

Un sandwich très conducteur

Les caractéristiques du graphène sont extrêmement nombreuses et toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Dernière en date à être exploitée, au stade du laboratoire pour l’instant, sa conductivité. Si elle est bonne, deux chercheurs de l’université d’Exeter ont trouvé le moyen de l’améliorer encore. Monica Craciun et Saverio Russo ont mis au point un sandwich composé de deux couches de graphène entre lesquelles ils ont inserré une couche de molécules de chlorure de fer. Le résultat, baptisé GraphExeter est une alternative à l’oxyde d’indium-étain, matériau conducteur très utilisé en électronique mais qui devient fort coûteux à cause de sa raréfaction. Son approvisionnement pourrait de tarir en 2017. En prime, le GraphExeter est… transparent et flexible.

Electronique “portable”

Le GraphExeter pourrait ainsi servir dans une multitude d’application: des panneaux solaires dont ils pourraient augmenter l’efficacité de 30% à l’électronique “portable” (wearable, en anglais) au sens où elle pourrait s’intégrer aux vêtements. Demain, la grande mode sera peut-être le tee-shirt intelligent qui affiche des messages ou l’heure… Ou qui intègre un ordinateur, des écouteurs et des lecteurs MP3. Le portable qui devient vraiment portable et libère les poches… Déjà, les scientifiques de l’université d’Exeter ont mis au point une version du GraphExeter qui peut se pulvériser sur des tissus, des miroirs ou des vitres. Ainsi, le graphène pourrait changer notre vie. Au moins celle des geeks…

Michel Alberganti

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