Arrête avec ce jouet ! Tu nous casses les oreilles !

Ah ! les jouets pour les tout petits ! Les sapins de Noël en ont mis bas des flopées, comme chaque année. Tant qu’ils sont restés dans leur emballage cadeau multicolore, tout allait bien. Mais à peine déballés et les piles insérées, le vacarme a commencé. Soudain, la fête a changé de centre de gravité sonore. Les conversations se sont arrêtées. Les sifflements de sirène, la musique beuglante, les voix éraillées, les pianos métalliques désaccordés, les porte-clés hurleurs ont pris le relais. Et une prière particulière, en contradiction avec celle qui prévaut le reste de l’année, est née dans tous les esprits : pourvu que les piles ne durent pas trop longtemps…


Le bruit des jouets – Science Publique du 28… par franceculture

Si vous avez vécu cette scène, ou une variante, et si vous souffrez aussi, au cours de l’année, du bruit émis par les jouets de vos bambins, écoutez l’émission Science Publique que l’ai animée le 28 décembre 2012 sur France Culture. A partir d’un dossier réalisé par le magazine 60 millions de consommateurs, nous avons rassemblé des passionnés de l’éducation au son des jeunes oreilles. Ainsi qu’un représentant de l’industrie du jouet. Et nous avons écouté la musique de Tycho Brahé, compositeur qui, lui comme d’autres musiciens, intègre les sons émis par les jouets à ses morceaux. Car, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le bruit des jouets attire aussi certains adultes. Qu’ils soient compositeurs, collectionneurs ou bidouilleur du son, ils restent fascinés par ces sons qui, sans doute, éveillent des souvenirs enfouis de l’enfance. Et témoignent d’une époque.

Du nasillard, du saturé, du compressé…

A chaque génération, en effet, des sonorités particulières. Longtemps, les jouets ont produit des sons naturels. Depuis les années 1970, environ, le développement des circuits électroniques a bouleversé le marché. Les fabricants ont bien compris que l’attention des enfants est fortement attirée par le son. Et ils en abusent parfois. Ils négligent la qualité, faible coût oblige, au profit de l’intensité. Résultat : du nasillard, du saturé, du compressé. Le tout avec un volume dépassant souvent les 100 dB, voire les 115 dB. De quoi abimer les jeunes oreilles et, dans tous les cas, les priver d’une bonne éducation à la mélodie et à l’harmonie de la musique tout comme à la pureté de certains sons naturels.

D’autant que l’usage d’un jouet par un tout petit n’a rien à voir avec celui qu’en ferait un adulte. Un enfant peut coller une poupée ou une voiture  contre son oreille. Excellente préparation aux baladeurs hurlants… Pendant cette émission, nous avons débattu de ces thèmes et écouté à la fois les sons insupportables de certains jouets mais aussi ceux qu’un collectionneur conserve précieusement pour, parfois, les détourner et les triturer. Un psychiatre travaillant pour l’éditeur Fuzeau est également venu exécuter le bruitage avec des pots de yaourts de l’histoire racontée par un livre pour enfants.
Avis aux parents : eux “aussi” peuvent éduquer les oreilles de leurs bambins.

(Ré)écoutez l’émission Science Publique :

28.12.2012 – Science publique
Pourquoi le bruit des jouets nous casse-t-il souvent les oreilles ? 57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

Le super trotteur parlant, le Mickey chantant, l’ourson Culbuto, le singe Noé, la poupée mauve Willa, la Princesse royale Zhu Zhu Pet… Autant de jouets… sonores qui ont peut-être déjà, à l’occasion de Noël, envahit votre univers familial. Peut-être faites-vous ainsi partie des parents qui attendent avec impatience l’usure des piles des jouets de leurs enfants pour retrouver la quiétude du …

Michel Alberganti

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Mange tes carottes, elles viennent du McDo !

A entendre le ramdam qui entoure la taxe soda présentée par François Fillon, on s’est dit un instant que le gouvernement avait dû frapper un coup de massue sur la tête des industriels de l’alimentation et prélever au moins un euro par litre de boisson sucrée. Que nenni ! La taxe honnie, instaurée sous le prétexte de lutter contre l’épidémie d’obésité, ne représenterait qu’une hausse d’un centime par canette… Autant dire qu’à ce compte, l’obésité a encore de beaux jours devant elle. Pas besoin d’être grand clerc pour constater que cet impôt sur les sodas est ridiculement faible et ne servira qu’à faire rentrer quelques dizaines de millions d’euros dans les caisses de l’Etat sans modifier d’un chouïa les habitudes alimentaires des Français. Non seulement cette taxe n’aura absolument aucun effet sur le problème de santé publique qu’elle prétend combattre mais elle se trompe de cible.

La cible, ce ne doit pas être le compartiment à pièces rouges du porte-monnaie des parents, parce que c’est déjà trop tard : leurs enfants ont déjà envie “de manger gras, salé, sucré”, pour paraphraser l’hypocrite message de prévention qui assortit toutes les publicités pour les aliments destinés aux enfants. Comme l’ont montré plusieurs études, le monde de la réclame a tout compris : dès l’âge de 3 ans, les enfants sont capables d’identifier des marques, et les publicités qui leur sont destinées ont pour but, non pas l’achat immédiat, mais de modeler le cerveau des têtes blondes ou brunes, afin d’en faire, à vie, des consommateurs de la marque.

Cela va même plus loin. Chez les enfants, la force de la marque et la persuasion de la publicité sont telles qu’ils trouvent meilleurs les produits estampillés de cette marque par rapport aux mêmes produits sans logo. Et par “mêmes”, j’entends “parfaitement identiques”. De ce point de vue, une expérience américaine publiée en 2007 dans les Archives of Pediatric & Adolescent Medicine a présenté des résultats édifiants. Les “cobayes” étaient 63 enfants californiens âgés de 3 ans et demi à 5 ans et demi, qu’on appellerait en France des élèves de maternelle et que l’on nomme des “preschoolers” outre-Atlantique. Ils étaient issus de familles à bas revenus, majoritairement latino-américaines. L’idée, simplissime, consistait à leur faire comparer de la nourriture identique, mais présentée pour la moitié dans un emballage McDonald’s et, pour l’autre moitié, dans un emballage sans marque. Les auteurs ont choisi McDonald’s sans préjugé mais tout simplement parce que c’est le plus gros annonceur du secteur alimentaire aux Etats-Unis et que les enfants, en raison du marketing intensif de la marque, étaient le plus à même de reconnaître son logo. Pour éviter tout biais, les chercheurs n’ont pas fait figurer sur les emballages McDo le personnage sympathique de Ronald McDonald, les aliments étaient servis dans un ordre aléatoire et les enfants ne voyaient pas le visage de la personne qui les interrogeait.

Leur furent donc présentées cinq paires d’aliments : deux morceaux de hamburgers, deux nuggets de poulet, deux sachets de frites, tous venant de McDonald’s, ainsi que deux verres de lait et deux portions de carottes, des produits que McDo ne commercialise pas et que les enfants ne pouvaient pas avoir mangés dans ses fast foods. Les enfants devaient d’abord dire s’ils trouvaient que les produits étaient identiques et, si cela n’était pas le cas, lequel des deux ils préféraient. Quand les enfants ne savaient pas ou ne voulaient pas répondre, les chercheurs faisaient comme s’ils trouvaient les produits équivalents. Le cas du hamburger a été un peu particulier : 29 des 63 enfants ont préféré celui avec l’emballage McDonald’s, 22 celui avec un emballage neutre (alors qu’il provenait du même restaurant…) et 9 ont dit qu’ils avaient le même goût ou n’ont pas répondu. Pour les quatre autres catégories d’aliments, la victoire de la marque a été sans appel, y compris pour les carottes qu’on ne sert pas au McDo… Les frites dont l’emballage portait le fameux “M” (une nouvelle “Marque jaune” ?) ont ainsi été plébiscitées par plus des trois quarts des bambins.

Les chercheurs ont ensuite corrélé ces résultats avec les informations que les parents avaient fournies sur les familles. Ce ne sera une surprise pour personne que d’apprendre que plus les enfants fréquentaient les restaurants McDonald’s, plus ils préféraient les aliments contenus dans les emballages frappés de la double arche jaune. Mais les médecins se sont aussi aperçus que plus il y avait de postes de télévision à la maison, plus les enfants aimaient ce qui sortait des sacs McDo (voir ci-dessous)…

Dans leurs conclusions, les auteurs de l’étude sont sans ambiguïté : “Nos découvertes vont dans le même sens que des recherches passées en démontrant qu’une stratégie de marque précise peut changer les préférences du goût de jeunes enfants. (…) Ces résultats apportent des éléments supplémentaires pour recommander de réguler ou d’interdire la publicité ou le marketing pour les aliments et boissons à haute valeur calorique et faible valeur nutritive, voire tout marketing dirigé vers les jeunes enfants. Cette démarche a été défendue sur la preuve que la publicité destinée aux jeunes enfants est intrinsèquement trompeuse parce que la plupart des enfants de moins de 7 ou 8 ans sont incapables de comprendre l’intention persuasive de la publicité.” Cela dépasse, et de très loin, le seul cas de McDonald’s. Chaque année, les enfants américains achètent eux-mêmes pour près de 30 milliards de dollars d’aliments et boissons qui leur sont “destinés”, ce qui fait un peu plus d’un dollar par enfant et par jour. Depuis 1994, plusieurs centaines de nouveaux produits alimentaires visant la jeunesse ont été mis sur le marché aux Etats-Unis. On comprend mieux pourquoi l’épidémie d’obésité est particulièrement puissante dans ce pays. Si le gouvernement français a la réelle intention de combattre l’obésité, ce n’est pas en instaurant une taxe ridiculement faible sur les sodas ou en faisant accompagner les messages publicitaires de slogans hypocrites (du genre “bougez plus”) qu’il aura une chance d’y arriver. C’est en interdisant pour de bon, comme l’ont fait certains pays comme l’Australie ou les Pays-Bas, les publicités vantant les “mérites” des aliments pour enfants.

Pierre Barthélémy

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Harry Potter, c’est magique pour éviter l’hôpital

Avec la sortie sur les écrans, ce mercredi 13 juillet, du second volet de Harry Potter et les reliques de la mort, la saga cinématographique du jeune sorcier se termine. Ceux qui n’ont pas lu tous les livres de J. K. Rowling vont enfin savoir qui sortira vainqueur de l’affrontement final entre Harry et Lord Voldemort (même si quelque chose me dit que tout le monde connaît déjà le dénouement en détail…). Quant aux enfants qui ont dévoré les sept ouvrages de Joanne Rowling, ils ignorent sans doute que le petit pensionnaire de Poudlard a sauvé quelques-uns d’entre eux de l’hôpital, voire de la mort…

Comment ? Aucun sort, aucune potion, aucun coup de baguette magique dans tout cela, juste le charme de la lecture. Dans son dernier numéro de l’année 2005, le très sérieux et très auguste British Medical Journal (BMJ pour les intimes) a publié dans ses colonnes une petite étude signée par quatre médecins travaillant pour le département de chirurgie orthopédique et traumatique de l’hôpital John Radcliffe à Oxford. A l’origine de cet article se trouve un des membres de ce quatuor médical, Keith Willett. En juillet 2005, après avoir eu un week-end de garde (les 16 et 17 juillet) particulièrement tranquille et constaté, à la maison, que trois de ses cinq enfants étaient scotchés sur le canapé à lire Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, sorti le 16 juillet à 0 heure, ce médecin britannique a formulé une étrange hypothèse. Et si les parutions des livres de J. K. Rowling, en tenant les gamins at home, avaient un effet préventif sur les accidents divers et variés résultant des activités de plein air de ces chers bambins (vélo, skateboard, cricket trop près de la batte, etc.) ?

Pour le savoir, les médecins sont donc allés farfouiller dans les statistiques de leur hôpital pour ce fameux week-end du 16 et du 17 juillet 2005 et aussi pour celui du 21 et du 22 juin 2003, date de la sortie en librairie, au Royaume-Uni, de l’opus précédent, Harry Potter et l’Ordre du phénix. Ils ont comparé le nombre d’admissions d’enfants de 7 à 15 ans aux urgences de leur service de ces week-ends là avec celles des autres week-ends de juin et juillet 2003, 2004 et 2005. Ils ont aussi pris la peine de vérifier auprès de la météo si le temps avait ou non été particulièrement maussade, ce qui explique en général les fluctuations des admissions pour ce genre de traumatismes.

Même si l’échantillon est restreint, puisqu’il se cantonne à un seul hôpital, les résultats s’avèrent assez parlants. En moyenne, les urgences de chirurgie orthopédique accueillent 67,4 enfants de 7 à 15 ans par week-end à cette période de l’année. Lors des deux week-ends Harry Potter, respectivement 36 et 37 enfants (sans doute analphabètes ou insensibles aux aventures du petit sorcier) sont venus se faire plâtrer. Evidemment, on aimerait bien élargir ces statistiques à l’échelle du pays pour voir si Oxford, ville universitaire célèbre, fait figure d’exception culturelle ou si la magie Potter s’est répandue sur tout le royaume d’Elisabeth II.

Cela dit, cet effet bénéfique possède un revers plus obscur. Les auteurs, avec un humour tout britannique, encouragent les romanciers de talent à écrire davantage d’ouvrages pour la jeunesse, dans l’optique de prévenir les graves traumatismes (sans doute une manière tordue d’encourager J. K. Rowling à poursuivre les aventures du jeune Potter…). Mais, dans le même temps, ils se demandent si, avec la pratique plus intensive de la lecture, le risque ne serait pas plus élevé de produire davantage d’enfants obèses ou, au contraire, rachitiques par manque de sport, et d’entraîner une recrudescence des maladies cardio-vasculaires.

Pour en revenir à Harry Potter, on aimerait aussi savoir, auprès des hôpitaux proches de la gare de King’s Cross, à Londres, combien d’enfants sont arrivés aux urgences, tête en sang et bras cassés, après avoir vainement essayé de prendre le quai 9¾ (qui est réellement signalé dans la gare). Et, personnellement, j’exige les statistiques de traumatismes consécutifs aux matches de quidditch. Une panne de balai volant est si vite arrivée…

Pierre Barthélémy

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La sélection du Globule #46

– En concluant que le rythme de disparition des espèces était réel mais surestimé, une étude publiée dans Nature crée une polémique sur l’érosion de la biodiversité.

La Chine reconnaît que le barrage des Trois Gorges, le plus grand du monde, pose un certain nombre de problèmes humains (le sort du 1,3 million de personnes déplacées reste à améliorer) et environnementaux (comme des glissements de terrain, de la pollution ou un manque d’eau en aval). Pékin a annoncé un plan contre ces effets indésirables, explique Le Monde.

– Les climatosceptiques mettent souvent en avant les “centaines” d’études scientifiques allant dans leur sens pour dire que le consensus parmi les scientifiques n’est pas aussi général qu’on veut bien le dire. Le blog The Carbon Brief a réalisé une analyse de ces articles, pour s’apercevoir que 20 % d’entre eux étaient l’œuvre de seulement 10 personnes et que, sur ces 10 auteurs les plus prolifiques, 9 étaient liées… au pétrolier ExxonMobil. Autre enseignement, les climatosceptiques embrigadent contre leur gré un certains nombre de chercheurs dont le travail va en réalité dans le sens du réchauffement climatique. Mécontents, ceux-ci leur demandent ensuite d’être retirés de leurs références… en vain la plupart du temps. Enfin, 15% des articles sont publiés dans Energy and Environment, un journal dont les articles ne sont pas tous revus par des pairs, contrairement à la règle des revues scientifiques. Une analyse qui montre bien sur quels ressorts fonctionne le climatoscepticisme.

– Dix planètes sans étoiles viennent d’être découvertes, rapporte Le Figaro en citant un travail publié dans Nature. Ces orphelines ont probablement été éjectées des systèmes solaires où elles se sont formées.

– Toujours dans le cosmos, une nouvelle méthode confirme l’existence de la mystérieuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers. Mais on en n’a pas identifié sa nature pour autant…

Avec la mort d’Oussama ben Laden puis l’affaire DSK, on en aurait presque oublié le Japon et les conséquences nucléaires du tsunami du 11 mars. A Fukushima, la situation ne s’améliore pas.

Pour rester dans le monde de l’atome, Interpol vient de lancer une unité de prévention du terrorisme radiologique et nucléaire.

– Une étude britannique révèle qu’à force de passer beaucoup de temps devant les écrans, les enfants d’aujourd’hui sont moins musclés et incapables de réaliser certaines tâches physiques que les générations passées effectuaient.

– Pour terminer (mais pas définitivement…) : ce samedi 21 mai devait être, selon certains, le jour du Jugement dernier. “Caramba ! Encore raté !”, pourrait-on s’exclamer en plagiant le perroquet moqueur de l’Oreille cassée. “Encore”, parce que ce jour du Jugement dernier a été annoncé bien des fois. Petite liste de cinq prédictions erronées.

Pierre Barthélémy

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Comment le sexe vient aux jouets

Il n’aura pas échappé à ceux qui suivent ce blog avec assiduité que je viens de déménager. Ma grande famille (nous avons deux garçons et deux filles) a quitté Paris pour une non moins grande maison charentaise qui présente notamment l’avantage d’avoir une salle de jeux. Tous les cartons contenant de quoi amuser nos quatre bambins y ont donc atterri. Il y avait donc des cartons étiquetés “Jeux des garçons” et ceux marqués “Jeux des filles”… Un sexisme tout autant inconscient qu’assumé (les parents ne sont pas à un paradoxe près), qui reflète, me suis-je dit très vite, celui de la société, qu’elle soit de consommation ou pas.

Pour me conforter dans mes certitudes, j’ai trouvé ce billet de Crystal Smith, une Canadienne qui vient de publier The Achilles Effect, un livre montrant l’influence de la “culture pop” sur la construction de la masculinité chez les jeunes garçons. Sur son blog, elle a rassemblé dans des “nuages de mots” le vocabulaire promotionnel utilisé par les marchands de jouets pour vendre des petites autos, des panoplies de Spiderman ou de cow-boy, des figurines de chevaliers, des robots, des circuits et autres bidules pour mâles en herbe. Au total, Crystal Smith a intégré 658 mots extraits de 27 spots télévisés et voici ce que cela donne :

Même si l’on n’est pas parfaitement anglophone, l’image est suffisamment parlante. Pour faire bonne mesure et ne pas léser la gent féminine, Crystal Smith s’est livrée au même exercice en retenant 432 mots de 32 pubs conçues pour allécher les petites filles :

Comme cela se passe de commentaires, je suis allé défaire d’autres cartons et j’ai fini par mettre la main sur mon échiquier. Etant donné que j’étais d’humeur sexiste, je me suis rendu compte que je n’avais toujours pas appris à jouer à ma fille de huit ans alors que ses frères connaissaient la marche des pièces et les règles du jeu bien avant cet âge-là. Je me suis également rappelé cette conversation que j’avais eue, il y a quelques années, avec une collègue du Monde qui avait découvert que je tenais un blog sur les échecs. Elle m’avait demandé pourquoi aucune femme n’était jamais devenue championne du monde tous sexes confondus, étant donné que les échecs sont un des rares sports où ces dames peuvent soit jouer entre elles, soit se confronter à ces messieurs. En bref, elle voulait savoir pourquoi les échecs, où seule l’intelligence est censée entrer en ligne de compte, étaient un jeu masculin.

La réponse machiste (“c’est normal, les hommes sont plus intelligents que les femmes”) ne tient pas, pour deux raisons : la première, c’est qu’elle est fausse ; la seconde, c’est que, contrairement à un cliché qui a la peau dure, avoir un gros QI n’est pas nécessaire pour devenir un champion d’échecs… Les réponses “biologiques” (“les femmes se fatiguent plus vite au cours d’une partie” ou “c’est une question d’hormones car il faut être agressif dans ce jeu de stratégie guerrière”) n’ont guère plus de fondement. En réalité, si peu de femmes brillent aux échecs, c’est tout simplement parce qu’elles sont très peu nombreuses à jouer : dans n’importe quel tournoi, 95% des participants, si ce n’est plus, sont des hommes. Et comme l’a très bien montré une étude britannique, même si, sur le plan statistique, deux groupes de population ont le même niveau moyen et la même variabilité, les individus enregistrant les meilleures performances ont toutes les chances de provenir du groupe le plus nombreux : “Plus grande est la différence de taille entre les deux groupes, plus grande est la différence prévisible entre les champions des deux groupes.”

Comme me l’a expliqué la meilleure joueuse d’échecs de tous les temps, la Hongroise Judit Polgar (en photo ci-dessus dans une partie l’opposant au champion du monde, l’Indien Anand) qui fut n°8 mondiale, si les filles sont si peu nombreuses dans la discipline, c’est uniquement pour des raisons sociologiques : les stéréotypes guerriers et virils du jeu (même si la dame est la pièce la plus puissante…) dissuadent les parents d’inscrire leurs demoiselles dans les clubs d’échecs. Judit et ses deux sœurs constituent l’exception à la règle, leur père ayant décidé de fabriquer des championnes pour prouver que le talent n’est pas inné mais qu’il s’acquiert à force d’entraînement…

On pourrait donc croire aisément que si le sexe vient aux jouets et aux jeux, c’est sous l’influence de la société, de ses clichés bien ancrés dans les esprits et du marketing hyper-efficace des fabricants de joujoux. Si, dans un magasin, votre garçonnet se précipite vers les petites voitures ou si votre petite fille est aimantée par le rayon poupées, si l’attirance pour tel ou tel type de jouet fait partie des comportements sexués les plus robustes de l’espèce humaine, c’est sous l’effet d’un conditionnement social intensif et permanent, renforcé par les publicités à la télévision qui incitent les enfants à s’identifier à leurs alter egos de réclames. Oui, sans doute. Mais il n’y a peut-être pas que cela et cet article serait bien trop consensuel et trop attendu s’il s’arrêtait là.

Le meilleur moyen de savoir jusqu’à quel point s’exerce l’influence culturelle et sociétale sur le choix des jeux consiste à présenter ces mêmes jeux à des individus sans aucune référence de ce type. C’est ce qu’a fait une équipe américaine en offrant deux familles de jouets (jouets à roues d’un côté, peluches de l’autre) à… une tribu de macaques rhésus, le tout sous l’œil d’une caméra. Le nombre d’interactions de chaque individu du groupe avec les jouets et le temps passé à les manipuler ont été scrupuleusement notés. En moyenne, les mâles ont beaucoup plus tripoté les camions, voitures et autres wagons que les Winnie l’ourson et les Scoubidou en peluche (9,77 interactions contre 2,06 !). Les femelles ont “évidemment” préféré les peluches mais la différence est bien moins marquée : 6,96 interactions avec les jeux à roues et 7,97 avec les peluches.

Pour expliquer ces préférences des macaques rhésus pour des objets qui n’ont à priori aucune connotation sexuée pour eux, les auteurs de l’étude émettent l’hypothèse que les hormones sexuelles mettent en place “des préférences pour des activités spécifiques, qui à leur tour structurent une préférence pour des jouets qui facilitent ces activités”. Pour caricaturer, les petits mâles primates, qu’ils soient humains ou macaques, sont conditionnés par leur testostérone pour faire des courses de monster trucks, tandis que les petites femelles des mêmes espèces sont programmées par leurs ovaires pour coiffer leurs poupées. Je vous laisse méditer cela, j’ai d’autres cartons à déballer.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : étant donné le nombre de commentaires qui sous-entendent que ma conclusion est celle d’un gros macho, je précise que ce n’est que la caricature ironique de l’hypothèse audacieuse avancée par l’étude en question. J’aurais sans doute dû être plus explicite parce que le deuxième ou le troisième degrés n’ont pas l’air de bien passer. De mon point de vue, l’explication est multifactorielle : on se trompe sans doute en ne retenant que le contexte socio-culturel, et on se trompe tout aussi sûrement en ne retenant que le biologique. C’est ce que montrent à la fois l’exemple des joueuses d’échecs et celui des macaques rhésus…

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