Après avoir abandonné son fameux projet de Guerre des étoiles, avec ses satellites destructeurs de missiles par laser, l’armée américaine semble miser sur les robots humanoïdes. Pas pour faire la guerre comme dans le film Star Wars avec ses armées de droïdes séparatistes. Le concours lancé le 10 avril 2012 par la Darpa affiche un objectif plus pacifique :
“Développer les capacités de la robotique terrestre pour exécuter des tâches complexes dans des environnements conçus par l’homme, dangereux et dégradés”.
La Darpa n’est autre que l’agence américaine qui développe les nouvelles technologies destinées à l’armée. La signification de l’acronyme est d’ailleurs très explicite: Defense Advanced Research Projects Agency. Avec ses 240 personnes, l’agence dispose d’un budget de plus de 3 milliards de dollars. Elle s’est illustrée dans le passé, lorsqu’elle s’appelait encore Arpa, avec le développement de l’ancêtre d’Internet, le réseau Arpanet. Sous la tutelle du ministère de la défense (DOD) américain depuis 1972, elle est devenue l’un des principaux pourvoyeurs de fonds de la recherche américaine, des travaux liés à la guerre bactériologique jusqu’aux techniques d’enseignement assisté par ordinateur en passant par les drones, le contrôle des machines par le cerveau et la robotique. Dans ce domaine, elle a lancé en 2004 un Grand Challenge doté de 2 millions de dollars pour stimuler la recherche en matière de véhicules sans conducteur tout terrain afin que l’armée américaine dispose d’un tel engin d’ici 2015.
2 millions de dollars
Le nouveau Robotics Challenge de la Darpa s’inscrit donc dans ce type particulier d’appel à contribution ouvert à tous. L’agence offre pas moins de 2 millions de dollars à “quiconque pourra aider à faire avancer l’état de l’art de la robotique au delà de ses capacités actuelles en matière de support à la mission de secours du DOD en cas de désastre”, précise-t-elle. L’originalité du concours réside en grande partie dans son ouverture à des candidatures extérieure au monde des spécialistes. La Darpa insiste lorsque précise sa position dans ce domaine: “Réaliser de véritables innovations en robotique, et donc remporter de challenge, imposera la contribution de communautés qui dépassent celle des développeurs traditionnels de robots”. La Darpa subventionne déjà les entreprises spécialisées. Sans rencontrer le succès escompté, semble-t-il. D’où ce recours à “tout le monde” qui peut permettre de débusquer un petit génie installé dans une université ou dans son garage. Il faudra bien cela pour respecter le cahier des charges très précis imposé par la Darpa.
8 tâches à accomplir
Ce cahier des charges ne va pas jusqu’aux trois lois de la robotique d’Asimov, mais il ne définit pas moins de 8 aptitudes imposées :
Centrales nucléaires
Rien de vraiment militaire dans un tel programme. On pense plutôt à l’intervention dans une centrale nucléaire détruite. Justement, la Darpa cite nommément le drame de Fukushima lors duquel elle estime que “les robots ont joué un rôle de support pour minimiser les émissions radioactives”. En fait, les Japonais ne disposaient pas de robots adaptés, justement, à l’intervention dans un bâtiment encombré de gravats et dans un environnement très fortement radioactif qui impose une électronique spécifique. Et c’est une entreprise américaine, iRobot, fabriquant également de l’aspirateur autonome Rumba, qui est venue à la rescousse.
Au delà des capacités actuelles
“Le travail réalisé par la communauté robotique mondiale, qui a amené les robots au point d’être capables de sauver des vies et d’améliorer l’efficacité des interventions, nous a conduit en envisager d’autres aptitudes”, explique Gill Pratt, le directeur de ce programme à la Darpa. Le Robotics Challenge va permettre de tester des avancées en matière d’autonomie supervisée en perception et en prise de décision, de capacité de déplacement à pied ou en véhicule, de dextérité, de force et d’endurance dans un environnement détruit par une catastrophe auquel le robot devra pouvoir s’adapter quel que soit le type de désastre, par essence imprévisible. On comprend ainsi le choix de la Darpa visiblement en faveur de robots humanoïdes. Les nouveaux ouvriers robotiques n’interviendront pas, comme leurs homologues industriels, dans une usine conçus pour eux. Ils devront se substituer le plus possible aux hommes qui seront, eux-aussi, à l’oeuvre. Pour cela, il leur faudra utiliser les mêmes outils et les mêmes véhicules. Cette robotique de substitution se révèle relativement nouvelle. Jusqu’à présent, les robots d’intervention tenaient plutôt de R2-D2. Il va leur falloir se rapprocher de C-3PO…
C’est la voie dans laquelle s’est déjà engagée la firme Boston Dynamics, issue du MIT, avec son robot Petman. Le voir évoluer, même sans tête, commence à donner ce petit frisson caractéristique des humanoïdes lorsqu’ils se meuvent d’une façon proche de la notre.
Michel Alberganti
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Cela devait arriver aux Etats-Unis, le pays de l’automobile, du GPS et de Google réunis. Le 16 juin, le gouverneur de l’état du Nevada a approuvé une loi demandant à son Department of Motor Vehicles (qui enregistre les véhicules et les permis de conduire) de mettre en place des règles autorisant l’utilisation de la voiture “autonome”. Comme le spécifie le texte, il s’agit d’“un véhicule à moteur qui utilise l’intelligence artificielle, des capteurs et les coordonnées GPS pour se conduire lui-même sans l’intervention active d’un opérateur humain”.
Est-ce à dire que l’on pourra bientôt, dans le désert du Nevada ou dans les rues de Las Vegas, s’endormir au non-volant, comme le fait Will Smith dans I, Robot ? Parier que la réponse est “oui” n’équivaut pas à prendre de gros risques et si cette loi est passée, ce n’est pas seulement parce que Google, qui teste une voiture sans conducteur depuis quelque temps, a fait du lobbying en ce sens, mais, plus simplement, parce que les prototypes sont au point, parce que la technologie est prête. Plusieurs exemples le prouvent.
Pour ceux qui voient des militaires partout, je signalerai le Grand Challenge de la Darpa, l’agence chargée de la recherche pour le compte de l’armée américaine, dont l’engagement dans la mise au point de voitures sans pilote remonte aux années 1980. Ce défi a permis à plusieurs instituts et universités d’outre-Atlantique, comme Carnegie Mellon ou Stanford, de développer des projets. Ainsi, l’équipe de Stanford a-t-elle présenté Stanley (vainqueur du Grand Challenge en 2005) et Junior (deuxième en 2007). Dans la vidéo ci-dessous on peut voir Junior se garer dans un créneau en effectuant un tête-à-queue en marche arrière (ce que, pour ma part, je ne m’aventurerais pas à tenter, même avec la voiture de mon pire ennemi) ! La “manœuvre” nécessite de combiner un modèle dynamique classique (la voiture roule) avec un modèle nettement plus complexe (la voiture dérape).
Avec ses caméras et tous ses capteurs, Junior a vraiment la tête d’un prototype de chercheur mais son successeur est nettement moins moche. Pour construire Shelley, les ingénieurs de Stanford se sont en effet installés dans une Audi TTS. Il s’agit évidemment d’un partenariat avec la marque aux anneaux mais le choix de ce coupé sport s’explique aussi par le test, en 2010, de la voiture sans pilote sur le parcours de la mythique course de côte de Pikes Peak, une montagne du Colorado qui culmine à 4 301 mètres d’altitude. Faire évoluer un véhicule sans conducteur sur le terrain de jeu d’une des compétitions automobiles les plus exigeantes du monde, qui combine sections asphaltées et sections en terre au bord de précipices, tient de la gageure. Cela ressemble aussi à s’y méprendre à la démarche des concepteurs de logiciels d’échecs qui ont rapidement voulu confronter leurs produits aux meilleurs pousseurs de bois, dans les conditions de la compétition. Pour ses premiers essais à Pikes Peak, Shelley a gravi la montagne en 27 minutes, soit 17 minutes de plus que les meilleurs pilotes de rallye, qui conduisent des engins autrement plus puissants. On estime que, sur la même voiture, un champion automobile aurait mis 17 minutes. Combien de temps faudra-t-il à l’auto sans conducteur pour battre les Kasparov du volant ? Sur cette vidéo, on peut voir Shelley gravir Pikes Peak, à une vitesse plus que raisonnable :
Une chose est de rouler sur une route fermée pour les besoins d’une course, sur un parking désert ou dans un pré. Une autre est de s’insérer dans la circulation. C’est ce qui a été fait, toujours en 2010, lors d’une expérience hors du commun, le projet VIAC (pour VisLab Intercontinental Autonomous Challenge). Pendant trois mois, entre Milan et Shanghai, quatre camionnettes (électriques !) ont parcouru quelque 13 000 kilomètres sans conducteur. Bardées de caméras, de lasers et aussi de panneaux solaires pour alimenter les systèmes électroniques, ces deux paires de vans orange comprenaient leur environnement : ils détectaient les piétons, les cyclistes, les feux rouges et décodaient les panneaux de circulation. Ils évoluaient en duo selon la technique du convoi. Le véhicule de tête, bien qu’autonome, pouvait être repris en main par un conducteur à chaque fois que c’était nécessaire, notamment sur les routes d’Asie pour lesquelles il n’existait pas de carte géographique électronique. La camionnette de queue le suivait visuellement mais aussi grâce aux coordonnées GPS qu’il émettait, ce qui était utile lorsqu’un véhicule s’intercalait entre les deux. Une présentation vidéo du projet ici (en anglais) :
Si l’on excepte le fait que les vans ont oublié de s’arrêter à un péage en Serbie et qu’ils ont eu du mal à intégrer le style de conduite de certains automobilistes russes, il n’y a pas eu de problème majeur. Les promoteurs de la voiture sans conducteur mettent régulièrement en avant le fait que l’électronique contrôle déjà une partie des systèmes d’une auto, que les machines sont plus promptes à réagir que l’humain et qu’elles sont capables de suivre de très près et sans risque les voitures qui les précèdent, ce qui pourrait éliminer les bouchons sur les autoroutes. De plus, le système humain fait chaque année la preuve dramatique de son imperfection avec plus de 1,3 million de morts sur les routes. Et puis, dans un monde sans conducteur, plus de “boire ou conduire il faut choisir”, SMS illimités dans la voiture et, surtout, plus besoin de passer son permis.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : ce billet est dédié à mon ami Eric Azan qui prend sa retraite journalistique aujourd’hui, lui qui m’a mis le pied à l’étrier en me faisant entrer, en 1991, dans un “canard” de course automobile dont il était le rédacteur en chef technique… alors qu’il n’avait pas son permis de conduire.
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