Passez votre permis de ne pas conduire

Cela devait arriver aux Etats-Unis, le pays de l’automobile, du GPS et de Google réunis. Le 16 juin, le gouverneur de l’état du Nevada a approuvé une loi demandant à son Department of Motor Vehicles (qui enregistre les véhicules et les permis de conduire) de mettre en place des règles autorisant l’utilisation de la voiture “autonome”. Comme le spécifie le texte, il s’agit d’“un véhicule à moteur qui utilise l’intelligence artificielle, des capteurs et les coordonnées GPS pour se conduire lui-même sans l’intervention active d’un opérateur humain”.

Est-ce à dire que l’on pourra bientôt, dans le désert du Nevada ou dans les rues de Las Vegas, s’endormir au non-volant, comme le fait Will Smith dans I, Robot ? Parier que la réponse est “oui” n’équivaut pas à prendre de gros risques et si cette loi est passée, ce n’est pas seulement parce que Google, qui teste une voiture sans conducteur depuis quelque temps, a fait du lobbying en ce sens, mais, plus simplement, parce que les prototypes sont au point, parce que la technologie est prête. Plusieurs exemples le prouvent.

Pour ceux qui voient des militaires partout, je signalerai le Grand Challenge de la Darpa, l’agence chargée de la recherche pour le compte de l’armée américaine, dont l’engagement dans la mise au point de voitures sans pilote remonte aux années 1980.  Ce défi a permis à plusieurs instituts et universités d’outre-Atlantique, comme Carnegie Mellon ou Stanford, de développer des projets. Ainsi, l’équipe de Stanford a-t-elle présenté Stanley (vainqueur du Grand Challenge en 2005) et Junior (deuxième en 2007). Dans la vidéo ci-dessous on peut voir Junior se garer dans un créneau en effectuant un tête-à-queue en marche arrière (ce que, pour ma part, je ne m’aventurerais pas à tenter, même avec la voiture de mon pire ennemi) ! La “manœuvre” nécessite de combiner un modèle dynamique classique (la voiture roule) avec un modèle nettement plus complexe (la voiture dérape).

Avec ses caméras et tous ses capteurs, Junior a vraiment la tête d’un prototype de chercheur mais son successeur est nettement moins moche. Pour construire Shelley, les ingénieurs de Stanford se sont en effet installés dans une Audi TTS. Il s’agit évidemment d’un partenariat avec la marque aux anneaux mais le choix de ce coupé sport s’explique aussi par le test, en 2010, de la voiture sans pilote sur le parcours de la mythique course de côte de Pikes Peak, une montagne du Colorado qui culmine à 4 301 mètres d’altitude. Faire évoluer un véhicule sans conducteur sur le terrain de jeu d’une des compétitions automobiles les plus exigeantes du monde, qui combine sections asphaltées et sections en terre au bord de précipices, tient de la gageure. Cela ressemble aussi à s’y méprendre à la démarche des concepteurs de logiciels d’échecs qui ont rapidement voulu confronter leurs produits aux meilleurs pousseurs de bois, dans les conditions de la compétition. Pour ses premiers essais à Pikes Peak, Shelley a gravi la montagne en 27 minutes, soit 17 minutes de plus que les meilleurs pilotes de rallye, qui conduisent des engins autrement plus puissants. On estime que, sur la même voiture, un champion automobile aurait mis 17 minutes. Combien de temps faudra-t-il à l’auto sans conducteur pour battre les Kasparov du volant ? Sur cette vidéo, on peut voir Shelley gravir Pikes Peak, à une vitesse plus que raisonnable :

Une chose est de rouler sur une route fermée pour les besoins d’une course, sur un parking désert ou dans un pré. Une autre est de s’insérer dans la circulation. C’est ce qui a été fait, toujours en 2010, lors d’une expérience hors du commun, le projet VIAC (pour VisLab Intercontinental Autonomous Challenge). Pendant trois mois, entre Milan et Shanghai, quatre camionnettes (électriques !) ont parcouru quelque 13 000 kilomètres sans conducteur. Bardées de caméras, de lasers et aussi de panneaux solaires pour alimenter les systèmes électroniques, ces deux paires de vans orange comprenaient leur environnement : ils détectaient les piétons, les cyclistes, les feux rouges et décodaient les panneaux de circulation. Ils évoluaient en duo selon la technique du convoi. Le véhicule de tête, bien qu’autonome, pouvait être repris en main par un conducteur à chaque fois que c’était nécessaire, notamment sur les routes d’Asie pour lesquelles il n’existait pas de carte géographique électronique. La camionnette de queue le suivait visuellement mais aussi grâce aux coordonnées GPS qu’il émettait, ce qui était utile lorsqu’un véhicule s’intercalait entre les deux. Une présentation vidéo du projet ici (en anglais) :

Si l’on excepte le fait que les vans ont oublié de s’arrêter à un péage en Serbie et qu’ils ont eu du mal à intégrer le style de conduite de certains automobilistes russes, il n’y a pas eu de problème majeur. Les promoteurs de la voiture sans conducteur mettent régulièrement en avant le fait que l’électronique contrôle déjà une partie des systèmes d’une auto, que les machines sont plus promptes à réagir que l’humain et qu’elles sont capables de suivre de très près et sans risque les voitures qui les précèdent, ce qui pourrait éliminer les bouchons sur les autoroutes. De plus, le système humain fait chaque année la preuve dramatique de son imperfection avec plus de 1,3 million de morts sur les routes. Et puis, dans un monde sans conducteur, plus de “boire ou conduire il faut choisir”, SMS illimités dans la voiture et, surtout, plus besoin de passer son permis.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : ce billet est dédié à mon ami Eric Azan qui prend sa retraite journalistique aujourd’hui, lui qui m’a mis le pied à l’étrier en me faisant entrer, en 1991, dans un “canard” de course automobile dont il était le rédacteur en chef technique… alors qu’il n’avait pas son permis de conduire.

6 commentaires pour “Passez votre permis de ne pas conduire”

  1. il est pas né celui qui me fera acheter une caisse comme ça. Déjà qu’on est bien emm**dé avec l’électronique dans nos voitures actuelles alors ces systèmes ont intérêt à être autrement fiable… sinon v’là la facture!!!

  2. Tant qu’on nous laissera le choix… car il y a un plaisir certain à conduire, lorsque ce n’est pas dans les bouchons.

  3. Un aspect qui n’est pas évoqué dans cet article c’est la consommation en carburant de ces “conducteurs”.
    Avec un peu d’apprentissage de conduite écologique il y aura à mon avis de substantielles économies à réaliser (plus utiles que de chercher à battre des pilotes de F1)…

  4. C’est bien de changer les voitures, mais il faudra quand même réfléchir à inciter à les utiliser plus intelligemment, les futures comme celles du “passé” (âge moyen du parc français : 8 ans)… Pour ça, pas besoin de révolution dans la machine, mais plutôt dans nos comportements : covoiturage, autopartage…

  5. Je suis impressionnée.. ce genre de voitures pourraient aussi être utile à des handicapés..
    ceci dit, j’ai une voiture basique, dont le tableau de bord est en train de s’effacer ( bien que nous le protégions du soleil l’été ).. je trouve cela trés limite…

  6. Franchement, il n’y a qu’a regarder les autoroutes à cette période de l’année pour réaliser que ce type d’avancé peut être un mixe intéressant entre la voiture et le train…

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