L’US Army voulait dresser des corbeaux à trouver ben Laden

Pendant la décennie qu’a duré la traque d’Oussama ben Laden, finalement tué au Pakistan le 2 mai, les Etats-Unis ont tenté par d’innombrables moyens de localiser l’instigateur des attentats du 11-Septembre. Une des pistes étudiées est pour le moins étonnante puisqu’il s’agissait de… dresser des corvidés à reconnaître le responsable d’al-Qaïda. A l’époque des drones et autres satellites espions, se faire aider par des oiseaux pourrait paraître particulièrement saugrenue à qui ne connaît pas les talents singuliers des corbeaux et corneilles. Comme le montre la vidéo ci-dessous (en anglais mais des sous-titres en français sont disponibles), ces animaux possèdent un sens de l’adaptation surprenant, savent fabriquer des outils, disposent d’une excellente mémoire, communiquent entre eux et… sont très physionomistes :

 

John Marzluff est chercheur et enseignant à l’université de l’état de Washington. Il étudie les corvidés depuis plus de deux décennies et, il y a quelques années de cela, il s’est aperçu que des oiseaux sur lesquels son équipe travaillait semblaient reconnaître certains chercheurs en particulier. Pour vérifier que c’étaient bien les visages que ses volatiles préférés différenciaient (et non pas les vêtements, la silhouette, la démarche ou toute autre caractéristique humaine), John Marzluff a eu l’idée d’une expérience : avec deux de ses étudiants, ils allaient porter des masques de caoutchouc. Un masque d’homme des cavernes quand ils captureraient et bagueraient les corneilles d’Amérique, actes que les oiseaux prendraient comme une agression, un masque de l’ancien vice-président américain Dick Cheney le reste du temps.

Les “hommes des cavernes” attrapèrent sept corneilles sur le campus de l’université à Seattle. Au cours des mois qui suivirent, des masques furent distribués à des volontaires qui ne devaient rien faire d’autre que de se promener en suivant un itinéraire bien défini, sans déranger les corbeaux. Comment ceux-ci allaient-ils réagir en voyant déambuler leur “tortionnaire” ? Le reconnaîtraient-ils ? La réponse fut oui, au-delà de toute espérance. Non seulement, les corneilles qui avaient été prises se mirent à croasser vigoureusement en présence des hommes des cavernes quels que fussent l’âge, le sexe, la corpulence de la personne affublée du masque, mais, pendant les deux ans et demi qui suivirent, l’effet s’amplifia. A la fin de l’expérience, ce n’étaient plus les sept corneilles du départ qui harcelaient les hommes des cavernes, mais 47 des 53 corvidés présents sur le campus ! Les premiers oiseaux avaient renseigné leurs congénères, qui étaient capables de reconnaître l’ennemi même lorsqu’il portait un chapeau voire le masque à l’envers… Pendant ce temps, “Dick Cheney” ne provoquait aucune réaction spécifique. Après ce premier test, John Marzluff utilisa des masques plus réalistes fabriqués par un professionnel, avec les mêmes résultats.

Ceux-ci furent publiés dans la revue Animal Behaviour en 2010. A cette époque, le chercheur avait déjà cessé de recevoir un financement de… l’armée américaine. Comme le chercheur l’a expliqué à OPB News, les militaires l’avaient contacté quelques années plus tôt pour savoir si les corbeaux et corneilles présents en Afghanistan pouvaient les aider à localiser Oussama ben Laden ou bien des soldats isolés derrière les lignes ennemies. A la lumière des expériences qu’il a menées, John Marzluff est désormais persuadé que ces oiseaux auraient pu être utiles : “Ils ont une mémoire à long terme, des capacités très fines à établir des distinctions entre les personnes, et si un groupe de corbeaux avait appris à reconnaître ben Laden comme un ennemi, ils auraient certainement indiqué sa présence quand ils l’auraient vu.”

L’US Army n’a pas eu la patience d’attendre les résultats de John Marzluff. Pour trouver celui qui fut l’ennemi public numéro un des Etats-Unis, elle a eu recours à d’autres méthodes, plus éprouvées… où certains indicateurs s’appellent aussi des corbeaux.

Pierre Barthélémy

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Comment être sûr qu’il s’agit de ben Laden ?

Ils avaient tué le “Che” et ils l’avaient montré.

Après avoir exécuté Ernesto Guevara le 9 octobre 1967, les militaires boliviens ont convié des photographes, dont Freddy Alborta, lequel a pris ce cliché qui a fait le tour du monde. Mais même si l’image était forte, elle ne prouvait cependant pas tout et les Boliviens le savaient. Ils ont donc fait ensuite trancher les mains du cadavre, les ont mises dans du formol et envoyées en Argentine, le pays natal du révolutionnaire, pour que les empreintes digitales y soient comparées. Il n’y a eu aucune ambiguïté. Epilogue de l’histoire : trente ans après la mort de Guevara, sa dépouille a été retrouvée. Elle a été identifiée par comparaison de ses dents avec un moulage réalisé à Cuba et, bien sûr, par une comparaison de son ADN.

Autant les militaires boliviens ont “bien fait les choses” pour assurer le monde que leur cadavre était bien celui du  “Che”, autant on peut avoir l’impression (et j’insiste sur ce mot : ce n’est qu’une impression), en ces premières heures qui suivent l’annonce de la mort d’Oussama ben Laden, que les Américains ne sont pas sûrs de leur coup. Et ce pour quatre raisons, que je résume en quatre questions.

1/ Où sont les images ? Il est évident qu’elles existent mais elles sont tenues secrètes pour le moment. Même si elle ne provient sûrement pas de l’armée américaine, la première photo diffusée par les médias (voir ci-dessous) est un montage grossier. Autant dire que cela commence mal, que tout le monde se demande où sont les vrais clichés et pourquoi on ne les a pas montrés.

2/ La reconnaissance faciale, c’est fiable ? Une dépêche de Reuters a rapidement annoncé que les Etats-Unis avaient “utilisé des techniques de reconnaissance faciale pour identifier le chef d’Al Qaïda”. Tout comme les empreintes digitales ou la reconnaissance de l’iris, il s’agit d’une technique biométrique. On part du principe que le corps de chacun est unique et que ses caractéristiques le sont également. L’idée est donc d’analyser le visage d’une personne et d’en mesurer les points les plus marquants comme l’écartement des pupilles et la structure osseuse, qui ne varient pas avec le temps et que la pilosité n’altère pas. Tout comme le font les logiciels travaillant sur les empreintes digitales, lesquels dressent la carte des points d’arrêt ou des carrefours des lignes papillaires, les programmes de reconnaissance faciale établissent la topographie du visage et la lisent comme un réseau de points en relation les uns avec les autres. Plus il y a de caractéristiques morphologiques, plus faible est la chance de confondre deux individus… mais plus forte est la probabilité de ne pas identifier celui que l’on cherche. Je me souviens ainsi notamment de la difficulté qu’avait eue la CIA à identifier Saddam Hussein (un personnage dont les photos ne manquaient pourtant pas) lors d’une intervention télévisée, le 20 mars 2003, après les premiers bombardements sur Bagdad. S’agissait-il du dictateur irakien ou d’un de ses prétendus sosies ? Pas si évident que cela à dire car, à l’époque, les logiciels de reconnaissance du visage n’avaient pas des performances optimales si le sujet n’était pas parfaitement face caméra et si l’éclairage était mauvais. En huit ans, la technologie s’est énormément perfectionnée et les taux d’erreurs se sont considérablement réduits. Néanmoins, on n’atteint pas encore les performances des empreintes digitales, surtout si la personne que l’on souhaite identifier a pris une balle dans la tête qui lui a fait éclater les os du crâne… Si jamais l’identification du cadavre du commanditaire des attentats du 11-Septembre ne devait tenir qu’à cela, il y aurait beaucoup de chances que le doute subsiste longtemps.

3/ En attendant l’ADN ? Comme on a pu le dire récemment sur le site de Slate au sujet des corps de la famille Dupont de Ligonnès, la méthode reine pour l’identification de quelqu’un, dans les séries policières et dans la vraie vie, est celle de l’ADN. Comment cela fonctionne-t-il ? Hormis chez les vrais jumeaux qui ont le même matériel génétique, l’ADN de chacun est en quelque sorte sa signature biologique unique. Bien que tous les humains partagent une grande partie de ce matériel (et c’est pourquoi ils font tous partie de la même espèce), certaines séquences sont spécifiques à chacun. Ce sont ces séquences-là que l’on compare. En ayant le corps d’Oussama ben Laden, les Américains ont de quoi faire autant de tests ADN qu’ils le veulent. A condition d’avoir un point de comparaison fiable : d’autres échantillons de ben Laden ou ceux de parents proches. Pour schématiser, il faut prendre quelques cellules de la dépouille ; les placer dans un produit qui en brisera la membrane et permettra d’extraire l’ADN contenu dans le noyau cellulaire ; multiplier les séquences spécifiques de l’ADN grâce à une méthode de biologie moléculaire nommée réaction en chaîne par polymérase ; analyser un nombre suffisant de ces séquences pour que la probabilité statistique de confondre deux personnes tombe aux alentours de zéro. En général, il faut environ 24 heures pour réaliser l’ensemble de ces opérations, dont beaucoup sont automatisées. Il est néanmoins possible d’aller plus vite en cas d’urgence. Mais les Américains sont-ils pressés de confirmer ou veulent-ils tout vérifier deux fois pour être sûrs ? Si la Maison Blanche annonce dans les prochaines heures que l’analyse ADN confirme l’identification d’Oussama ben Laden, cela devrait suffire et il ne devrait pas y avoir de point n°4 à ce billet.

4/ Sauf que. Où est le corps ? “Vae victis”, disait-on jadis. Et, de Vercingétorix à Che Guevara, on a une longue tradition d’escamotage des cadavres des vaincus, souvent pour éviter que leur tombeau ne devienne un lieu de pélerinage et pour limiter leur glorification post-mortem. Mais, dans un monde où les théories du complot se créent plus vite que ne s’enflamme une traînée de poudre, la meilleure preuve de la mort de ben Laden reste son cadavre, et la possibilité pour des experts indépendants de prélever des échantillons et de mener leurs propres analyses ADN. Cependant, comme le raconte le New York Times, la dépouille du chef d’al-Qaida a été immergée en mer. Il n’y avait sans doute pas meilleur moyen pour entretenir le doute sur la réalité du décès de ben Laden.

Quand on sait que certains croient que l’homme n’est pas allé sur la Lune alors que nous détenons des quintaux et des quintaux de cailloux lunaires qui ne sont pas venus à pied, quand on sait que certains pensent qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001, alors qu’on a retrouvé l’ADN de la plupart des passagers et membres d’équipage du vol 77 dans les décombres, on voit quel poids peuvent avoir les preuves scientifiques face aux complotistes modernes.

Pierre Barthélémy

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