C’était à prévoir. Dans un contexte anxiogène alimenté par des médias sur le mode “crise”, il fallait que, comme pour le 11-Septembre, la théorie du complot vienne mettre ses gros doigts dans la catastrophe japonaise. C’est un commentaire laissé sur mon billet précédent (consacré à l’hypothèse d’un méga-tsunami dans l’Atlantique) qui m’a mis la puce à l’oreille. Lefevre, un internaute, disait ceci (j’ai corrigé les fautes d’orthographe) : “Vous oubliez aussi les tsunamis causés par l’homme (Etats bandits, militaires, etc., voir Haïti et peut-être d’autres, et là on ne connait pas les limites).” Il ne m’a fallu que quelques secondes pour trouver, sur le site AboveTopSecret, repaire de nombreux conspirationnistes, ufologues et autres adeptes des sociétés secrètes, un texte dont le titre, en français, est “Le tsunami japonais a-t-il été créé par l’homme ?”
On sait depuis plusieurs années maintenant que certaines activités humaines (forages profonds ou lac de retenue d’un barrage, par exemple) ont la capacité de provoquer des petits tremblements de terre, dont certains ne sont pas anodins. Mais de là à créer un tsunami, il y a un pas de géant. Il faut donc trouver autre chose, un déclic plus puissant… et rien de mieux que l’armée pour cela. Pour étayer ses soupçons, le texte en question mentionne une expérience militaire peu connue, menée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Néo-Zélandais avec la coopération de la marine américaine et de conseillers scientifiques britanniques : le projet Seal. Son but, provoquer un tsunami grâce à des explosions sous-marines bien calculées. Quand il s’agit de trouver de nouvelles armées pour battre l’ennemi, les militaires ne manquent pas d’imagination.
D’après le rapport final du projet Seal, aujourd’hui déclassifié, que je me suis procuré (attention, le fichier est “lourd” : 93 MB), l’histoire commence en janvier 1944, en pleine guerre du Pacifique, lorsqu’un officier de l’armée de l’air néo-zélandaise dit avoir remarqué que les explosions en mer provoquent parfois des vagues importantes. Très vite, germe l’idée d’utiliser l’océan comme une arme contre… le Japon (cela ne s’invente pas). C’est dans ce but qu’après des tests préliminaires effectués en Nouvelle-Calédonie, environ 3 700 expériences, classées secrètes, sont menées entre le 6 juin 1944 et le 8 janvier 1945 par le chercheur australien Thomas Leech près de la péninsule néo-zélandaise de Whangaparaoa. Leur objectif officiel : déterminer le potentiel d’“inondations offensives par des vagues générées au moyen d’explosifs”. Les charges utilisées vont de quelques grammes à 300 kg de TNT. Les essais à grande échelle ont lieu en mer et ceux à petite échelle dans un bassin de tests de 365 m sur 60 construit pour l’occasion.
Le projet Seal se termine de manière un peu abrupte, en janvier 1945, “avant, écrit Thomas Leech, que tout le programme expérimental soit complété et que les problèmes scientifiques fondamentaux soient résolus”. Deux raisons sont avancées dans le rapport : des désaccords avec les Britanniques qui n’y croyaient pas vraiment et la progression des Alliés dans le Pacifique qui force le Japon à lâcher ses conquêtes les unes après les autres. N’étant plus une priorité, Seal est donc stoppé. Ce qui n’empêche pas Thomas Leech de faire la liste de ses premières conclusions. Tout d’abord, affirme-t-il, le concept d’“inondations offensives” est validé. Les expériences ont permis de découvrir que, contrairement à ce que l’intuition suggère, ce n’est pas parce que les explosifs seront placés tout au fond de l’océan qu’ils seront le plus efficaces. La bulle créée par la déflagration transmettra mieux son énergie à la masse d’eau si elle est créée assez près de la surface, dans une zone appelée “la profondeur critique”. Autre enseignement, une bombe unique sera inefficace : il faut savamment répartir plusieurs charges pour “soigner” la géométrie de l’explosion et fabriquer un train d’ondes plus destructeur. Le chercheur australien, qui rédige ce rapport final en 1950, ne se prive d’ailleurs pas d’imaginer l’utilisation de plusieurs bombes atomiques pour un maximum de puissance…
Thomas Leech note toutefois que si l’on peut, à l’aide d’explosifs, obtenir la même amplitude d’onde que pour un tsunami d’origine sismique, la longueur d’onde est nettement plus courte. Selon le géophysicien américain Jay Melosh, spécialiste des cratères d’impact et qui s’est donc intéressé, à ce titre, au tsunami que pourrait engendrer un astéroïde tombant dans l’océan, ce point est crucial. C’est leur très grande longueur d’onde qui permet aux vagues des tsunamis de ne pas se “casser” en arrivant près des côtes, comme le font les vagues dues à la houle. Par conséquent, un tsunami provoqué par des bombes ne pénétrerait que peu à l’intérieur des terres. En revanche, il pourrait être dangereux pour tous les bateaux naviguant dans les zones côtières, en créant de fortes turbulences à cet endroit.
Donc, désolé pour tous les fans de complots, mais le tsunami du 11 mars n’est pas un monstre fabriqué par des militaires ou des terroristes. Et on ne peut pas plus incriminer, comme a pu le faire un internaute à l’humour douteux, la vengeance des cétacés contre le pays qui les chasse le plus.
Pierre Barthélémy
(Crédit photo : Reuters)
lire le billetComme vient de le confirmer tragiquement la catastrophe du 11 mars au Japon, l’immense majorité des tsunamis enregistrés dans le monde se produisent dans le Pacifique. L’océan Indien et la Méditerranée ont aussi eu leur lot, que ce soit avec le séisme de Sumatra en 2004 ou avec celui de 365 en Crète, qui ravagea Alexandrie. Pour ce qui concerne l’Atlantique, si l’on met de côté le tremblement de terre de Lisbonne de la Toussaint 1755 qui fut suivi d’un tsunami, peu d’événements majeurs sont à noter. Et pourtant, si l’on en croit plusieurs études, c’est peut-être là qu’un méga-tsunami se prépare. Plus précisément sur l’île de Palma (voir photo satellite ci-dessous), dans l’archipel des Canaries.
Comme l’expliquaient en 2001, dans un article publié par la revue scientifique Geophysical Research Letters, l’Américain Steven Ward et le Britannique Simon Day, le flanc ouest du volcan Cumbre Vieja, situé sur cette île, est instable et pourrait, à la suite d’une future éruption, s’écrouler dans l’océan. Dans le pire des scénarios que ces deux chercheurs ont retenu, c’est un énorme morceau long de 25 km, large de 15 et épais de 1 400 mètres qui se détacherait, soit un total de 500 kilomètres cubes de terres et de roches. Pour donner un ordre de grandeur, c’est à peu près l’équivalent du volume de 200 000 pyramides de Khéops. Beaucoup, donc.
Selon Ward et Day, si cette chose tombe dans l’océan, le déplacement de la masse d’eau va créer un méga-tsunami. Leur modélisation montre qu’un dôme d’eau de 900 mètres de haut se forme (soit un peu moins de trois fois la hauteur de la tour Eiffel), qui va donner naissance à un train d’ondes colossal. Les Canaries seraient évidemment les premières touchées. Hormis Palma, qui pourrait faire face à une vague de plusieurs hectomètres de haut, les îles d’El Hierro et de La Gomera verraient arriver des déferlantes pouvant dépasser les cent mètres. Ténérife serait également touchée par une vague de plus de 60 m. Le Sahara occidental constituerait la victime suivante, avec une montagne d’eau frôlant les cinq décamètres. L’île de Palma ayant fait bouclier, l’onde ne serait pas trop méchante avec les pays européens, les plus exposés étant l’Espagne et l’Angleterre, avec des vagues de 5 à 7 m. Vers l’ouest, en revanche, rien ne viendrait arrêter le tsunami et la déperdition due à la distance ne serait pas si grande qu’on pourrait l’imaginer. Ainsi, la simulation utilisée par les auteurs de l’étude montre que le sud de la Floride, Miami compris, serait noyé sous des vagues de 20 à 25 m !
Cette modélisation et ses résultats ont donné lieu à de nombreuses critiques qui les trouvaient exagérés. Pourtant, l’idée d’une vague de plusieurs centaines mètres de haut n’est pas folle. Le 8 juillet 1958, dans la baie de Lituya, en Alaska, un mur d’eau de plus d’un demi-kilomètre d’altitude, créé par un glissement de terrain consécutif à un tremblement de terre, a dévasté un fjord, comme le raconte la vidéo ci-dessous :
La conformation très particulière de cette baie ne ressemble toutefois pas à celle de l’océan ouvert. La principale question qui s’est posée après la publication de l’étude de Steven Ward et Simon Day était de savoir si la vague initiale pouvait traverser l’Atlantique en conservant une telle ampleur. En 2008, une modélisation différente et plus poussée, intégrant davantage de paramètres, a été publiée dans le Journal of Geophysical Research. Réalisée par une équipe norvégienne, cette étude estime pour commencer que le volume des 500 km3 retenu comme limite supérieure dans l’éventuel glissement de terrain de La Palma n’est pas imaginable et qu’il vaut mieux prendre 375 km3 comme barre haute. De plus, ses auteurs montrent que la propagation du tsunami ne se ferait pas aussi bien que Ward et Day l’avaient assuré.
Malheureusement, pour les îles Canaries, cela ne changerait pas grand chose, avec des vagues gigantesques synonymes d’apocalypse. Pour les autres régions, les estimations sont revues à la baisse, mais pas forcément de manière drastique. Voici les chiffres : Sahara occidental, 37 m ; Sénégal, 13,9 m ; Portugal, 7,8 m ; Cap Vert 33 m ; Madère, 40 m ; Açores 29 m ; Guyane, 14,7 m ; nord du Brésil, 15,3 m ; Floride 9,5 m ; nord des Etats-Unis 4,6 m. Autant dire que les îles de l’Atlantique seraient dévastées, ainsi que les côtes nord-est du continent sud-américain. Pour ce qui est de la Floride, même si la vague attendue a diminué de plus de la moitié, elle reste effrayante quand on sait que cette péninsule n’est pas très élevée au-dessus de la mer.
Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il s’agit là des chiffres correspondant au scénario le plus pessimiste. Il se peut que le volume de terrains décrochés soit nettement inférieur car au cours du dernier million d’années, plusieurs de ces événements se sont produits avec des volumes compris en moyenne entre 50 et 200 km3. Il se peut aussi que ce glissement de terrain ait lieu seulement dans plusieurs milliers d’années, voire davantage. Comme le disait, non sans humour, le Danois Niels Bohr, un des pères de la mécanique quantique et Prix Nobel de physique en 1922, “la prédiction est un exercice très compliqué, spécialement quand elle concerne le futur.”
Pierre Barthélémy
(Crédit de la photo d’ouverture, prise dans le Pacifique ce 13 mars :
REUTERS/U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 3rd Class Dylan McCord)
lire le billetLe manchot empereur est à l’Antarctique ce que l’ours polaire est à l’Arctique : l’animal emblématique. Mais, autant les signaux d’alarme concernant la possible extinction d’Ursus maritimus sont tirés depuis quelques années, notamment en raison du réchauffement climatique qui fragilise la banquise autour du pôle Nord mais aussi de la pollution des océans, autant l’alerte sur la survie à court ou moyen terme du manchot empereur n’avait pas encore été lancée. La fiche d’Aptenodytes forsteri dans la Liste rouge de l’UICN est d’ailleurs classée dans la catégorie la moins alarmante, celle des préoccupations mineures.
Cela pourrait bien changer au cours des années à venir. En effet, une étude britannique publiée le 28 février dans PLoS One fait état de la première disparition d’une colonie de manchots empereurs. Certes, il ne s’agit que d’un petite communauté, qui n’a jamais dépassé, depuis qu’on l’a découverte en 1948, les 250 individus mais sa réduction rapide depuis les années 1970 ne laisse pas d’inquiéter. Située dans les îles Dion, à l’ouest de la péninsule Antarctique (voir la carte ci-dessous), la colonie ne comptait plus que 85 membres en 1978 et moins d’une vingtaine au tournant du siècle. La dernière fois que l’on a essayé de la recenser, sur une photographie aérienne à haute résolution prise en 2009, il ne restait plus aucun oiseau sur la banquise.
Même s’ils ne peuvent l’affirmer avec certitude, les auteurs de l’étude font peser la grande majorité de leurs soupçons sur le réchauffement climatique qui, s’il n’agit guère en règle générale sur le sixième continent, a des effets bien visibles sur la partie occidentale de la péninsule antarctique, où se trouvent les îles Dion. Les relevés effectués dans la zone montrent une augmentation sensible tant de la température moyenne générale que de la température moyenne pendant l’hiver, saison durant laquelle les manchots empereurs viennent se reproduire sur la glace de mer située devant le continent. Cette région est d’ailleurs celle où la banquise résiste le moins bien au changement climatique : depuis plusieurs années maintenant, elle se forme de plus en plus tard et se disloque de plus en plus tôt. Etant donné que tout le cycle de la reproduction des manchots empereurs s’effectue sur cette mince couche de glace et en est dépendant, des chercheurs ont déjà avancé que le réchauffement climatique pourrait, par ce biais, avoir un impact sur les populations. Il pourrait jouer négativement sur les populations de poissons, de krill et de calmars dont se nourrissent les manchots, tout en favorisant les skuas et autres pétrels, oiseaux qui chassent les jeunes empereurs…
L’étude de PLoS One ne prétend pas être catégorique sur la “culpabilité” du réchauffement dans la disparition de cette colonie, bien que de lourdes charges pèsent sur le suspect. D’autres causes sont évoquées (maladie ou conditions météorologiques exceptionnelles) mais elles apparaissent comme moins plausibles et aucun élément objectif ne les étaye. Les influences du tourisme (en augmentation dans cette partie de l’Antarctique qui est la plus accessible, depuis la pointe méridionale de l’Amérique du Sud) ou de la pêche industrielle ont été écartées.
Première à disparaître, la colonie des îles Dion a des chances d’être vite considérée comme un cas d’école. Des colonies plus grandes ne seraient pas à l’abri de subir le même sort. Une étude franco-américaine publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences des Etats-Unis en 2009 a mis en relation des modèles démographiques avec les projections climatiques du GIEC et montré que la colonie de Pointe Géologie, en Terre Adélie, qui est sans doute la colonie de manchots empereurs la plus étudiée du monde et compte environ 3 000 couples, risquait d’être réduite de 95 % à l’horizon 2100.
Le problème, c’est qu’Aptenodytes forsteri a beau être le plus grand et le plus fort des manchots, ce n’est pas un rapide côté adaptation. Comme on a pu le voir dans le film La Marche de l’Empereur de Luc Jacquet, cet oiseau est philopatrique : en clair, il a tendance à revenir se reproduire là où il est né, sur la glace de ses aïeux. Et il n’est pas forcément capable de s’apercevoir que le climat a changé et que la banquise où il a pondu va disparaître avant que son poussin ne puisse aller dans l’océan. Il arrive bien sûr que la colonie change ses habitudes et déménage de quelques kilomètres, quand un glacier s’est décroché du continent là où elle se reproduit d’ordinaire. Mais procéder par sauts de puce risque de ne pas être d’une très grande efficacité lorsque le problème devient global… C’est le syndrome du poisson rouge dont un gamin imbécile a fêlé le bocal : la bestiole aura beau se réfugier au fond, quand il n’y aura plus d’eau, elle mourra.
Pierre Barthélémy
Je me pose la question à chaque fois que je le vois passer, sur son traîneau volant, dans son grand manteau rouge : quel est l’indice de masse corporelle du Père Noël ? Le brave homme n’a jamais le temps de se laisser peser ni mesurer mais je suppose, à sa silhouette, que son IMC est supérieur à 25, voire 30, ce qui fait de ce barbu aux joues rougies par le froid, un candidat idéal au régime. Malheureusement, le Père Noël est trop occupé pour prendre rendez-vous chez le diététicien et il va falloir réfléchir un peu pour comprendre les causes de son obésité. Car, oui, reconnaissons-le, Santa Claus mange trop, et surtout trop gras (et en plus de cela, il ne fait de l’exercice qu’un seul jour par an).
Penchons-nous un instant sur son alimentation. Ce n’est un secret pour personne, pas même pour les petits enfants, le Père Noël vit quelque part dans le cercle polaire arctique, non loin du pôle Nord. Pour le moment, Wikileaks n’a pas encore divulgué les coordonnées géographiques exactes de sa maison, mais cela ne saurait tarder. Dans cette région du monde, pas grand chose ne pousse et c’est pour cette raison que le Père Noël se nourrit essentiellement de viande et de poisson, car son budget “végétaux” passe quasi intégralement dans le fourrage de ses rennes.
Qu’y a-t-il donc à manger dans la région ? Côté pêche, ses poissons préférés sont l’omble chevalier et la morue polaire. Mais le Père Noël a aussi un faible pour le hakarl, une spécialité culinaire islandaise à base de viande de requin du Groenland. Cela vous a un goût de vieux fromage pourri et une forte odeur d’ammoniaque car il faut dire que le requin sue son urine au lieu de l’excréter par un orifice… Côté chasse, le gibier ne manque pas et le Père Noël se fait souvent aider de ses lutins pour le tuer : des oiseaux comme le goéland bourgmestre, la macreuse à ailes blanches, différentes espèces de guillemots, le fulmar boréal, des animaux à quatre pattes comme le renard arctique ou un petit ours polaire de temps en temps (ne le dites pas au WWF…) et des mammifères marins bien gras, comme l’orque, le béluga, la baleine boréale ou le phoque annelé.
Le problème, c’est que ces animaux, quasiment tous situés au sommet de la pyramide alimentaire, stockent dans leur organisme beaucoup de produits chimiques. Car si l’Arctique est une région apparemment immaculée avec ses grands espaces glacés et un nombre réduit d’habitants humains, une quantité considérable de polluants venus d’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord et d’Asie s’y retrouve, apportée là par les vents et les courants marins. Absorbés par les végétaux et animaux situés tout en bas de la chaîne alimentaire, ces produits la remontent en se concentrant dans l’organisme des prédateurs. Ce jusqu’au Père Noël qui est LE super-prédateur du coin.
Une équipe de chercheurs canadiens, norvégiens et danois a rassemblé, dans une vaste analyse publiée en 2009 par la revue Science of the Total Environment, un très grand nombre d’études réalisées sur le sujet au cours des dernières années. L’ensemble fait une cinquantaine de pages et, si on peut regretter que ces scientifiques n’aient pas pu mettre la main sur un des lutins du Père Noël pour lui faire subir un check-up complet voire le disséquer, il donne une bonne idée de ce que risquent ceux qui prélèvent leur nourriture sur la faune arctique. Si l’on prend l’exemple de l’ours polaire, qui est un bon analogue de Santa Claus, étant donné que les deux ont à peu près le même régime alimentaire, la même toison blanche et la même corpulence, il y a de quoi se faire du souci pour l’état de santé du Père Noël.
Ursus maritimus est devenu un cas d’école pour ce qui concerne l’accumulation des polluants organiques persistants, connus sous leur acronyme de POP. Non content de devoir se débrouiller avec le réchauffement climatique qui fragilise la banquise et réduit sa période de chasse, l’ours polaire est sûrement un des quadrupèdes les plus contaminés par des produits toxiques sur la planète. Parmi ces produits, on trouve le tristement célèbre PCB, le non moins connu DDT, le PFOS ou le HCH. Les effets de ces molécules sur la santé de l’ours et, partant, sur celle du Père Noël, sont multiples : problème de régulation des vitamines ; perturbation du système endocrinien touchant les hormones thyroïdiennes et les hormones sexuelles ; conséquences sur la fertilité et les organes de la reproduction, le foie, les reins, le système immunitaire et les os.
Chaque année, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publie sa liste rouge des espèces menacées. Aux dernières nouvelles, l’ours polaire était classé dans la catégorie “Vulnérable” mais le Père Noël n’apparaissait nulle part. Pourtant, il est urgent de se préoccuper de sa santé : tant qu’il n’aura pas formé son successeur, il n’y aura que lui pour remplir nos chaussons dans la nuit du 24 au 25 décembre…
Pierre Barthélémy
C’est un cliché qui a la peau aussi dure qu’une baleine. La mer serait “le monde du silence”. L’expression, incontestablement belle, vient du titre du film réalisé par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, qui obtint la Palme d’or au Festival de Cannes 1956. Pourtant, rien de vrai là-dedans car océan rime avec boucan, surtout depuis que l’homme s’y promène. Au bruit naturel que font les animaux, les vagues, la pluie, les séismes et volcans sous-marins s’est ajouté un vacarme anthropique : moteurs de bateaux, bien sûr, mais aussi sonars en tout genre, coups de canon de l’exploration pétrolière, plateformes et éoliennes offshore. Comme un beau dessin vaut mieux qu’un long discours, voici la carte des activités humaines en mer du Nord, extraite d’un rapport de 2008 du Fonds international de protection des animaux consacré à la pollution sonore des océans. Même sans la légende, c’est assez parlant.
Le hic c’est que l’homme fait du bruit pile poil dans les fréquences qu’utilisent les mammifères marins pour communiquer, se localiser ou chercher de la nourriture. On voit bien, dans le diagramme ci-dessous, extrait d’un rapport très complet du Laboratoire d’applications bioacoustiques (LAB, Université polytechnique de Catalogne), que les activités humaines (en orange) dominent, en décibels, le niveau sonore des mammifères marins (en vert) dans les longueurs d’onde qu’ils utilisent. Je vous invite aussi à écouter ce que cela donne en vrai sur le site listenforwhales.org du Cornell Lab of Ornithology.
C’est un peu comme si, à la maison, un camion traversait votre salon tous les quarts d’heure, un marteau-piqueur vous accompagnait lors du dîner en famille et un arbitre de foot sifflait au milieu de vos conversations et autres ébats amoureux… Comment réagiriez-vous ? Je l’ignore. Mais pour ce qui est des cétacés, on commence à y voir un peu plus clair. Certains n’y survivent pas : soit ils succombent à des hémorragies pour être remontés trop vite en surface, soit ils s’échouent, complètement désorientés (Science & Vie de mai 2009). Et pour les autres ? On savait déjà que, chez les baleines à bosse, le mâle allongeait son chant nuptial s’il était confronté à un certain type de sonar, sans doute pour avoir plus de chance d’être entendu. On vient désormais d’apprendre, dans un article publié le 7 juillet par la revue Biology Letters, que les baleines franches de l’Atlantique Nord haussaient le ton lorsque le bruit de l’océan se faisait plus fort.
Rassurant ? Pas vraiment. En conclusion, les auteurs de l’étude écrivent ceci : “Le niveau sonore des océans continuera probablement à augmenter en raison des activités humaines et il y a une limite physique au niveau sonore maximal qu’un animal peut produire. Quand les niveaux de bruit de fond dépasseront les capacités des baleines franches à les compenser, soit la portée de la communication des baleines sera réduite, soit ces animaux devront attendre jusqu’à ce que le bruit faiblisse pour s’appeler. Les baleines franches se servent de ces appels pour des interactions sociales vitales ; par conséquent, une réduction dans l’espace ou dans le temps de ces communications acoustiques pourrait avoir de sérieuses répercussions pour la survie et la reproduction d’une espèce située dans un environnement marin hautement urbanisé.”
La baleine franche de l’Atlantique Nord a la mauvaise idée de vivre le long de la côte est américaine . Se nourrissant dans le golfe du Maine et allant mettre ses petits au monde dans les eaux de la Georgie et de la Floride, elle emprunte des voies maritimes plus que fréquentées. L’espèce figure dans la catégorie en danger de la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sa population totale tourne autour de 300 individus. Pas sûr que crier plus fort lui permettra d’être entendue par les responsables américains du trafic maritime…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : n’allez pas croire, après le post précédent sur Nemo, que je sois obsédé par les poissons. Simplement, les chercheurs commencent aussi à se demander quelles conséquences a sur eux l’augmentation du bruit des océans. J’en veux pour preuve une étude parue en mai sur le sujet.
Si vous avez vu Le Monde de Nemo, film d’animation des studios Pixar sorti en 2003, vous vous souvenez certainement des mille dangers qu’affronte le poisson-clown Marlin parti à la recherche de son fils Nemo, capturé par un plongeur. Les deux bestioles vêtues d’orange et de blanc survivent aux requins, aux méduses, aux mouettes, aux filets des pêcheurs, ainsi qu’à Darla, affreuse petite humaine qui a la mortelle habitude de secouer les poissons qu’on lui offre. Eh bien, tous ces périls ne sont que de la gnognotte si l’on considère ce qui attend Nemo et ses congénères dans les décennies qui se profilent. L’ennemi de demain a pour nom CO2 et il est très méchant.
Pour s’en persuader, il suffit de lire l’étude qui vient d’être publiée dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences américaine. Emmenée par l’Australien Philip Munday, une équipe internationale a réalisé une expérience à se faire dresser les nageoires sur le dos. Elle est partie du principe que la concentration en dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère allait continuer de grimper tout au long du siècle, en raison de notre consommation toujours croissante d’énergies fossiles. Cette concentration est actuellement d’environ 390 parties par million (ppm) et elle augmente de plus en plus vite.
Ce taux de CO2 devrait atteindre les 500 ppm dans quarante ans et, selon les projections, entre 730 et 1 020 ppm d’ici à la fin du siècle. Le rapport avec nos poissons ? On y arrive. Le dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère se dissout pour partie dans les océans, ce qui a pour conséquence de les acidifier. De nombreux chercheurs ont déjà signalé que ce phénomène aurait des conséquences dramatiques sur la calcification des coraux et d’autres organismes marins. Mais quels en seront les effets pour Nemo et, à plus large échelle, pour les poissons, se sont demandés Philip Munday et ses collègues ? Pour le savoir, ils ont réalisé une expérience sur des larves de poissons-clowns. Celles-ci se servent de leur odorat et de signaux chimiques captés dans l’eau pour se repérer et aussi pour détecter… la présence de prédateurs. L’expérience a consisté à élever des larves dans des environnements correspondants à des taux de CO2 de plus en plus hauts (390, 550, 700 et 850 ppm), afin de mimer les conditions de vie actuelles et futures de ces animaux. Puis, les chercheurs ont glissé les bestioles dans un circuit en Y. Arrivés à l’embranchement du Y, elles étaient confrontées à deux flux d’eau. Le premier contenait la signature chimique d’un prédateur (un poisson nommé vieille étoiles bleues), la seconde rien de particulier. Les larves à 390 ppm ainsi que celles à 550 ppm ont soigneusement évité le premier “bras” de mer pendant tout le temps de l’expérience. Il en a été de même, au début, pour les larves à 700 ppm. Mais, après quatre jours, leur comportement a commencé à changer puisque certaines passaient 30 à 45 % de leur temps dans le flux d’eau chargé de l’odeur du prédateur. Quant aux larves à 850 ppm, le résultat a été stupéfiant : elles ont évité la branche “dangereuse” un jour durant, avant d’être irrésistiblement attirées par elle au fur et à mesure que l’expérience se déroulait. Au bout de huit jours, elles y barbotaient pendant 94 % de leur temps !
L’expérimentation a été renouvelée avec une autre espèce de poisson de récifs et a donné les mêmes résultats. Même s’ils ignorent exactement ce qui est à l’œuvre, les chercheurs pensent que la modification de l’environnement induite par l’augmentation du taux de CO2 a des conséquences profondes sur le système nerveux des poissons et perturbe tout une série de fonctions, incluant, dit l’étude, “la discrimination olfactive, les niveaux d’activité et la perception du risque”. Lors d’une expérience précédente, dont les résultats ont été publiés en 2009, Philip Munday avait déjà prouvé que les larves de poissons-clowns exposés à un taux de CO2 élevé ne retrouvaient plus le chemin de leur “maison”.
850 parties par million de dioxyde de carbone, c’est peu ou prou la valeur que nous atteindrons à la fin du siècle. Il est peu probable, estiment les scientifiques, que ces espèces de poissons puissent s’adapter aussi vite à un taux aussi haut. A moins que leurs prédateurs soient aussi perturbés qu’elles, il y a fort à parier que le renouvellement de leurs populations subisse une chute brutale. Alors, la prochaine fois que votre enfant vous demandera de prendre la voiture pour aller à l’école située à 500 mètres, dites-lui de penser à Nemo…
Pierre Barthélémy
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