La science doit-elle être toujours suspecte ?

Après les “débats” qui se sont tenus sur ce blog quand j’ai publié mes billets sur le suaire de Turin (ici et ), je me suis dit que la science avait encore beaucoup de progrès à faire pour ne plus être un machin systématiquement suspect, un complot de sorciers modernes affairés à nuire à l’humanité. Dans notre histoire récente, jamais on n’a  autant remis en cause la notion de progrès, jamais les filières scientifiques n’ont été autant désertées, alors même que notre civilisation est de plus en plus techno-dépendante. La suspicion est partout et le débat souvent compliqué à mener parce qu’on s’enferme dans ses croyances en refusant de regarder les faits. Soupçons sur la réalité et la cause du réchauffement climatique, soupçons sur les organismes génétiquement modifiés, soupçons sur les nano-technologies,  soupçons sur les vaccins. Je ne dis évidemment pas que la société doit se prosterner devant les chercheurs et accepter tout ce qu’ils avancent sur ces sujets comme paroles d’évangile. Je prétends qu’il ne s’agit pas de politique, mais de science : le débat doit être mené en analysant les faits et non pas en s’arcboutant sur des opinions.

Quelqu’un le dit mieux que moi. C’est Michael Specter, un journaliste américain, ancien du New York Times, qui travaille aujourd’hui pour le New Yorker. En 2009, il a publié un livre intitulé Denialism, qui s’inquiète du courant de pensée consistant à rejeter systématiquement les produits de la science. Ce livre n’est pas encore traduit en français et j’espère, après en avoir lu quelques passages, qu’il le sera. En attendant, j’ai trouvé cette vidéo de Michael Specter, sous-titrée en français (cliquez sur “View subtitles”), dans laquelle il expose son point de vue. Vous pouvez ne pas être d’accord sur tout (je ne le suis pas forcément moi-même d’ailleurs) mais le débat, c’est d’abord écouter les autres et les faits qu’ils exposent…

Pierre Barthélémy

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Ma sélection #6

Prothese-de-jambeVous avez été amputé d’un membre ou bien votre muscle cardiaque a été abîmé après un infarctus ? Pas grave, vous répondra votre médecin dans quelques décennies ou quelques siècles. On va les faire repousser. La régénération arrive et c’est le New York Times qui en parle.

Le pire des effets du réchauffement climatique pour la Nature pourrait bien être… la manière dont l’humanité réagira à ce même réchauffement, explique un article du site Science Centric. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne faut rien faire mais que nous dev(r)ons, avant d’agir, bien peser les conséquences de notre adaptation au changement climatique.

C’est une surprise génétique. Les éponges, qui sont de bons candidats au titre de plus anciens organismes multicellulaires sur cette Terre puisque leurs premiers représentants vivaient il y a au moins 635 millions d’années, ont un génome étonnamment complexe, assez proche du nôtre tout compte fait. Il vient d’être décrypté et publié dans Nature.

Tout amoureux de BD revoit cette planche de On a marché sur la Lune dans laquelle Tintin glisse sur de la glace lunaire. Un des grands dadas des planétologues est de chercher de l’eau (indispensable à la vie) sur notre satellite. Et, depuis des années, les journalistes scientifiques suivent cette affaire en tournant la tête à droite puis à gauche, comme le public dans un match de tennis. Une fois l’eau est là, une autre fois elle n’y est plus. Le dernier coup, présenté par la revue Nature, vient du côté des “pas d’eau”.

– Si les championnats d’Europe d’athlétisme sont terminés, la saison des meetings bat encore son plein. On s’est beaucoup intéressé aux sprinters et aussi, sur Slate.fr, aux lanceurs de poids. Mais il y a une chose dont Yannick Cochennec ne vous a pas parlé : l’angle du lancer. A priori, le meilleur angle théorique est de 45°. Dans les faits, les meilleurs résultats sont obtenus avec des angles un peu plus aigus. Sur son blog, Nicola Guttridge explique pourquoi. Ce n’est pas une question de physique mais de physiologie.

Pierre Barthélémy

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Les cellules souches à l’assaut du diabète

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Aujourd’hui, c’était notre anniversaire. A la dernière de mes quatre enfants, qui fêtait ses quatre ans, et à moi… dont le gâteau était un peu plus garni en bougies. C’était la première fois depuis un mois et demi qu’elle mangeait une part de gâteau, depuis ce mois de juin où nous avons découvert qu’elle était diabétique. Nous avons passé huit jours à l’hôpital Necker, huit jours au cours desquels elle a compris que “Monsieur Pancréas ne travaillait plus”, que certains aliments lui étaient désormais interdits, qu’il fallait lui injecter de l’insuline matin et soir, que sa maladie était “sérieuse mais pas grave” et qu’elle devrait cohabiter avec elle toute sa vie. Toute sa vie, pour une petite fille de cet âge, cela peut paraître long mais, comme ma petite l’a aussi entendu, sa jeunesse lui donne une chance, celle du temps de la recherche.

Je dois bien reconnaître que, jusqu’à ce jour de juin où j’ai appris la maladie de ma fille, je ne me suis jamais beaucoup intéressé aux travaux sur le diabète et je laissais les articles traitant du sujet à mes collègues journalistes médicaux. Aujourd’hui, tout a changé. Le mot “diabète” et sa version anglaise me sautent aux yeux dans les revues spécialisées et il est possible que, à l’avenir, j’en parle plus que de raison dans ce blog mais je suis certain que vous me le pardonnerez.

Ma fille souffre du diabète de type I, qu’on avait l’habitude d’appeler “diabète insulino-dépendant” ou “diabète juvénile”. Il s’agit d’une maladie auto-immune : pour une raison que l’on ignore, l’organisme détruit les cellules bêta des îlots de Langerhans, situées dans le pancréas, qui produisent l’insuline. Cette hormone sert de clé pour permettre l’assimilation du glucose par notre organisme, dont il est le carburant. Par conséquent, sans insuline, sans cette clé, le glucose reste emprisonné dans le sang. Ce qui provoque une hyperglycémie et, surtout, affame les cellules de notre corps. Celui-ci se retourne vers ce qui lui reste comme combustible, c’est-à-dire les graisses. Mais leur consommation a pour effet d’augmenter l’acidité du sang. Il y a un siècle, avant que l’on ne découvre l’insuline, les diabétiques finissaient par tomber dans un coma mortel.

Bien sûr, le coma n’est plus un risque, du moins dans les pays développés. Bien sûr, le traitement par injections d’insuline a donné aux diabétiques une vie quasiment normale. Mais ce n’est pas une guérison et le “quasiment” que j’ai utilisé dans la phrase précédente est lourd de contraintes. La recherche d’une guérison passe par la réintroduction des cellules bêta des îlots de Langerhans. Greffes de pancréas ou d’îlots (dans le foie) ont été tentées mais elles riment avec un traitement anti-rejet, sans oublier que les pancréas, comme les autres organes, ne courent pas les rues.

L’autre solution, c’est l’utilisation de cellules souches et, comme vient de le montrer une étude américaine parue le 27 juillet dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences américaine, il s’agit d’une voie possible et prometteuse. Des chercheurs ont utilisé la technique des cellules souches induites. Schématiquement, elle consiste à prélever des cellules de peau, à remettre leur “programme” à zéro pour qu’elles se comportent comme des cellules souches embryonnaires et se différencient en n’importe quel type de cellules. Cette équipe américaine a ainsi obtenu, avec des souris, les fameuses cellules bêta qui, exposées à du glucose in vitro, ont produit de l’insuline. Déjà un beau résultat en soi. Mais ces médecins sont allés plus loin en injectant lesdites cellules dans la veine porte de rongeurs diabétiques et regardé ce que cela donnait.

Le résultat fait plaisir à voir. En quelques jours, ces cellules bêta de rechange, installées dans le foie des souris, ont fait retomber la glycémie à un taux normal qui s’est maintenu pendant les quatre mois qu’a durés l’expérience (et quatre mois, c’est long pour une souris puisque cela représente un sixième à un cinquième de sa vie). La preuve par le graphique que j’ai extrait de l’étude. La courbe du bas donne la quantité de glucose dans le sang chez les souris traitées, celle du haut chez les souris diabétiques non traitées :

Diabete-cellules-souchesEvidemment, me direz-vous, il reste à vérifier que cela fonctionne aussi bien chez l’homme et que les cellules reprogrammées ne vont pas se mettre à faire n’importe quoi. Il faudra probablement des années de recherches et d’essais pour valider cette piste qui ne nécessite pas de traitement anti-rejet puisque les cellules originelles viennent de le propre peau du receveur. Peut-être cela prendra-t-il vingt ans. Mais, dans deux décennies, ma fille n’aura que vingt-quatre ans et sa vie de femme devant elle…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : je ne voudrais pas terminer cet article sans évoquer une piste non pas de guérison, mais de traitement moins contraignant. Il s’agit de ce qu’on appelle le “pancréas artificiel” : un système astucieux combinant un capteur de glycémie sous-cutané relié à un logiciel capable d’interpréter les données et d’injecter l’insuline (via une pompe) en fonction des besoins de l’organisme. Ce système a été testé avec succès en Angleterre récemment. Comme vient de l’annoncer une équipe de bio-ingénieurs américains, la partie “capteur” est opérationnelle puisqu’un prototype wifi a fonctionné sans souci pendant 500 jours sur des cochons, qui sont de très bons analogues de l’homme (au moins sur le plan physique)…

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Voir sans cône ni bâtonnet

Docteur-MouseSi vous avez reconnu la bestiole figurant sur l’image ci-dessus, c’est probablement parce que vos yeux fonctionnent assez bien. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde mais une étude parue dans la revue Neuron du 15 juillet, à défaut de rendre la vue aux aveugles et malvoyants, ouvre un nouvel axe de recherche pour les aider. Avant tout, ce travail vient bousculer une idée reçue selon laquelle les cônes et les bâtonnets seraient les seuls photorécepteurs à tapisser notre rétine.

Pour ceux qui auraient oublié leurs cours de sciences naturelles (on dit SVT aujourd’hui, je sais…), un petit rappel peut s’avérer nécessaire. Contrairement à ce que certains croient, les images du dehors ne se contentent pas d’entrer dans votre tête par vos yeux… C’est un petit peu plus compliqué que cela. Quand la lumière a traversé votre œil puis le multicouche qu’est votre rétine, elle termine son chemin sur les quelque 120 millions de bâtonnets, ceux qui vous font voir (en noir et blanc) dans la quasi obscurité, et les quelque 7 millions de cônes, qui vous ont permis de passer à la télé couleur. D’où la formule mnémotechnique de mon invention, un peu bancale, mais qui me sert depuis un quart de siècle : Cône comme Couleur et Bâtonnet comme… Black and white. Une fois que les photons, les particules de lumière, les frappent, que se passe-t-il ? Les pigments photosensibles que contiennent cônes et bâtonnets changent momentanément de forme, ce qui induit une cascade de réactions chimiques aboutissant à la création d’un signal électrique qui va courir tout droit dans le cerveau.

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Et, jusqu’à présent, on pensait que sans cônes ni bâtonnets, point de salut, point de vue. Mais, depuis le début des années 2000, on sait que nous (je parle des mammifères, hommes compris) calons notre horloge biologique interne sur la lumière du jour SANS l’aide des cônes et des bâtonnets, grâce à un autre photopigment appelé mélanopsine, contenu dans les cellules ganglionnaires de la rétine, les premières que la lumière touche quand elle arrive au fond de notre œil (voir schéma ci-dessus). C’est précisément à cette mélanopsine et à ces cellules ganglionnaires que se sont intéressés les auteurs de l’étude publiée dans Neuron. Sans entrer dans les détails extrêmement pointus de leur travail, on peut résumer ainsi leur recherche : en ayant désactivé les cônes et les bâtonnets de souris, ces biologistes basés aux Etats-Unis ont prouvé que les animaux “aveuglés” étaient toujours capables de se diriger par la “vue”, de reconnaître des structures, et que cette prouesse était due aux cellules ganglionnaires photosensibles, dont le rôle ne se réduit pas à régler l’horloge biologique ou à ajuster le diamètre des pupilles en fonction de la lumière. Un des tests réalisés a consisté à faire nager des souris dans un circuit plein d’eau en forme de Y et, au carrefour où le bassin se divisait en deux, à leur indiquer, grâce à une image, la branche au bout de laquelle une plateforme les sortirait de la piscine. Les rongeurs privés de cônes et de bâtonnets mais qui avaient conservé leur mélanopsine, ont réussi, avec un bon entraînement, à trouver la sortie. Les souris sans cône, sans bâtonnet et sans mélanopsine, n’y sont pas parvenues, si ce n’est par hasard (je vous rassure, on ne les laissait pas se noyer).

Sur le plan fondamental, c’est donc une vraie découverte. Les chercheurs soupçonnent le couple mélanopsine-cellules ganglionnaires d’être le reste d’un système de vision archaïque qui aurait été supplanté par nos amis les cônes et les bâtonnets. Quoi qu’il en soit, sur le plan pratique, un des auteurs de l’étude, Samer Hattar, professeur assistant de biologie à la Johns Hopkins University, estime “qu’en théorie du moins, [ce résultat] signifie qu’une personne aveugle pourrait être entraînée à utiliser ses cellules ganglionnaires photosensibles de la rétine pour réaliser des taches simples qui nécessitent une acuité visuelle faible”. Pour avoir lu quantité d’articles et de communiqués de presse censés faire naître ou renaître l’espoir chez des malades, j’apprécie la prudente réserve du docteur Hattar.

Pierre Barthélémy

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