Les particules diesel flashées par un laser

Les rayons du soleil révèlent le nuage émis par une locomotive à bio-diesel

Comme les milliards de particules qui peuplent l’air que nous respirons, surtout en ville, les suies émises par les moteurs diesel font particulièrement débat depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) les a classées comme cancérogènes certains pour l’homme (lire l’article de Gilles Bridier à ce sujet). L’une des difficultés pour appréhender ce type de pollution atmosphérique réside dans son caractère invisible et souvent inodore. Or, on le sait bien, ce que l’on ne voit pas est moins inquiétant que ce que l’on voit. Pourtant, ces particules, dangereuses pour la santé, jouent également un rôle dans le changement climatique. D’où l’intérêt de pouvoir mieux les observer. C’est justement le but des travaux publiés par le Centre pour le laser à électrons libres (CFEL) de Hambourg dans la revue Nature de cette semaine.

Laser à rayon X

“Pour la première fois, nous pouvons réellement voir la structure de particules individuelles flottant dans l’air, leur habitat naturel”, déclare Henry Chapman, un chercheur de l’Électron-synchrotron allemand (DESY), membre du CFEL. Pour y parvenir, les scientifiques ont dû trouver un moyen plus efficace que la lumière visible  ou les rayons X. Finalement, la solution a été apporté par le plus puissant laser à rayon X actuel, le LCLS, issu de l’accélérateur SLAC fondé par le ministère de l’énergie américain (DOE) à Stanford. De tels lasers utilisent les électrons libres, c’est à dire non liés à un atome, produits par un accélérateur de particules. Au LCLS, ces électrons émettent ensuite des photons ayant la longueur d’onde des rayons X. A Hambourg, un système similaire est en cours de construction, le XFEL, qui doit entrer en service en 2015. Il existe également un projet de ce type en France en collaboration avec le Synchrotron Soleil.

Le principe du laser à électrons libres

Particules de moins de 2,5 microns

La partie dans laquelle les électrons ondulent mesure de 3 à 4 km, ce qui fait du laser à électrons libres un instrument qui n’est pas vraiment portatif… Néanmoins, les chercheurs du CFEL sont parvenus à une première sur les particules de moins de 2,5 microns (millièmes de mm) qui correspondent à celles qui pénètrent dans nos poumons et qui arrivent en seconde position, après le CO2, parmi les acteurs du réchauffement climatique. Pour l’expérience, les chercheurs ont fabriqué eux-mêmes des particules de suie à partir d’un morceau de graphite et ils les ont dispersées, mélangées à du sel, dans un flux d’air. C’est cet aérosol qui a été intercepté par le rayon laser à électrons libres. L’interaction entre les pulsations du laser et les particules ont produit une diffraction de la lumière que les scientifiques ont enregistrée. A partir de ces motifs de diffraction, ils sont capables de reconstituer la structure de la particule qui les a engendrés.

Les figures de diffraction rendent visible la structure de particules de suie

“La structure des particules détermine comment elle disperse la lumière”, explique Andrew Martin, un autre signataire de l’étude travaillant au DESY. “Et ce phénomène explique comment l’énergie solaire est absorbée par l’atmosphère terrestre et joue ainsi un rôle majeur dans les modèles climatiques. De même, il existe de nombreux liens entre ces particules d’environ 2 microns et les effets négatifs sur la santé”, note le chercheur. Grâce au laser à électrons libres, la forme et la composition de particules individuelles ont pu être analysées. Cela pourrait permettre de mieux comprendre comment elles interfèrent avec les fonctions des cellules dans les poumons.

Dimension fractale importante

L’équipe du CFEL a ainsi analysé 174 particules dont elle a également mesuré la compacité en utilisant une propriété appelée “dimension fractale” et qui décrit comment un objet rempli l’espace. Les chercheurs ont été surpris par les valeurs obtenues, supérieures à ce qu’ils attendaient. La preuve d’une compacité importante. De même, la structure des particules s’est révélée étonnamment variable ce qui révèle un nombre important de déformations dans l’air.

Réchauffement climatique et suies de moteurs diesel

Ces travaux laissent entrevoir la possibilité de mieux visualiser l’évolution de la formation des suies dans un moteur diesel, par exemple, et même d’analyser les premières étapes de la formation des cristaux de glace dans les nuages. Ils pourraient affiner les modèles climatiques qui en ont besoin en matière d’interaction entre l’énergie solaire et l’atmosphère terrestre. Pour les constructeurs automobiles, de précieuses informations sur les fameuses suies émises par les moteurs diesel pourraient permettre d’en réduire la quantité ou d’en atténuer la dangerosité pour la santé humaine.

Michel Alberganti

lire le billet

Une micro batterie sous le crâne alimentée par le cerveau

L’un des derniers freins au développement de l’homme bionique réside, à l’évidence, dans l’épineuse question de l’alimentation électrique des implants électroniques, en particulier lorsqu’ils sont situés dans le cerveau. Rien n’est plus disgracieux que des fils sortant du crâne ou des boitiers sans fil glissés sous le cuir chevelu. Au delà de l’aspect esthétique, qui a son importance lorsqu’on imagine un être humain augmenté, ces solutions requièrent un changement régulier des piles qui gâche un peu le rêve de tout Bioman qui se respecte. D’où l’intérêt des travaux d’une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge qui font l’objet d’une publication dans la revue PLoS one le 12 juin 2012.

Carburant: le glucose du liquide cérébro-spinal

Rahul Sarpeshkar, informaticien, et ses collègues du MIT et de la Harvard Medical School, annoncent avoir conçu une technologie qui permet de collecter de l’énergie électrique directement dans le cerveau. Il ne s’agit de rien de moins que d’une pile à combustible utilisant comme carburant le glucose du liquide cérébro-spinal. La pile fonctionne en retirant des électrons du glucose, c’est à dire en les oxydant. Cela marche dans une solution saline simulant le liquide cérébro-spinal. Ne nous emballons donc pas… Les scientifiques ignorent, pour l’heure, l’impact de cette puce sur le cerveau lui-même.

Une puce électronique minuscule dans la tête

Car, en fait, il s’agit bien d’une batterie sur puce. De 1 à 2 millimètres carrés, le composant oxyde le glucose avec son anode en platine et convertit l’oxygène en eau à la surface d’un réseau de nanotubes de carbone intégré à la cathode. Les électrons arrachés au glucose fournissent de l’électricité. L’intérêt du système est qu’il peut fonctionner, en théorie, indéfiniment. Du moins, tant qu’il y a du glucose dans le liquide cérébro-spinal. La première crainte qui vient à l’esprit concerne les effets d’une telle exploitation d’un liquide du cerveau… sur le cerveau lui-même.

Pas de perturbation du cerveau

D’après leurs calculs, les chercheurs estiment que la pile consommerait entre 2,8% et 28% du glucose qui est réapprovisionné en permanence. En effet, le cerveau produit de 500 à 1200 millilitres de liquide cérébro-spinal par jour. Soit un renouvellement complet des 150 millilitres qu’il contient toutes les 6 heures. Nous voici donc avec une production permanente du carburant de notre pile à combustible. Les scientifiques ont étalement analysé la consommation d’oxygène de la pile et ils estiment qu’elle ne devrait pas déstabiliser les niveaux nécessaires au cerveau. Mais rien ne vaut un essai sur un vrai cerveau…

Des fractions de microwatts

Pas question, si l’absence d’effets nocifs est confirmée, d’allumer une lampe frontale ou d’alimenter des lunettes de réalité augmentée. Encore moins de se projeter dans un monde virtuel à la Matrix… L’électricité produite ne dépasse pas les micro-watts (3,4 microwatts par centimètre carré en moyenne avec des pointes possibles à 180 microwatts par centimètre carré). Etant donné la taille réduite de la puce, elle ne produira que des fractions de microwatts. Mais cela pourrait être suffisant pour alimenter des implants permettant, par exemple, à des personnes paralysées de commander des systèmes leur permettant de réactiver la mobilité de leurs membres ou des équipements externes. On se souvient des expériences spectaculaires de contrôle d’un bras robotique par la pensée.

Michel Alberganti

lire le billet

L’obésité pèse lourd sur la biomasse de l’humanité adulte

Sur les plus de 7 milliards d’individus de la population mondiale, le poids des adultes atteindrait 287 millions de tonnes, selon les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Sur ce chiffre, le surpoids représenterait 15 millions de tonnes et l’obésité 3,5 millions de tonnes. L’étude publiée dans le journal BMC Public Health est motivée par le fait que les besoins en nourriture de la population humaine dépendent non seulement du nombre d’individus vivant sur Terre mais également de leur poids. Ainsi, alors que la masse corporelle moyenne est de 62 kg sur le globe, elle atteint 80,7 kg en Amérique du Nord. Cette région, qui compte 6% de la population mondiale représente 34% de la biomasse due à l’obésité. Avec 61% de la population mondiale, l’Asie, elle, ne contribue qu’à 13% de cette biomasse due à l’obésité.

935 millions d’habitants de plus

Si tous les pays avaient le même indice de masse corporelle (IMB) que celui des Etats-Unis, la biomasse humaine mondiale totale augmenterait de 58 millions de tonnes, soit l’équivalent de 935 millions d’habitants ayant une masse corporelle moyenne. “Nos résultats mettent l’accent sur l’importance de considérer la biomasse et non seulement la population mondiale lorsque l’on étudie l’impact écologique d’une espèce, en particulier celle des hommes“, note  Sarah Walpole, l’une des auteures de l’étude. Son collègue Ian Roberts ajoute que “tout le monde reconnaît que la croissance de la population humaine menace l’équilibre écologique mondial et notre étude montre que l’embonpoint est également un problème majeur. A moins de traiter les deux questions, nos chances sont minces”.

L’étude des chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine est basée sur des chiffres des Nations Unies et de la World Health Organization (WHO) datant de 2005. Ce qui introduit une sous-estimation de la masse mondiale du fait de l’augmentation de l’obésité au cours des dernières années. Les Nations Unies indiquent que la population mondiale atteindra 8,9 milliards de personnes en 2050.

Un corps lourd consomme plus d’énergie

Les chercheurs soulignent que l’activité physique brule la moitié de l’énergie fournie par la nourriture ingérée. La croissance de la masse corporelle induit une augmentation des besoins énergétiques car la mise en mouvement d’un corps plus lourd requiert plus d’énergie. Même au repos, un corps plus lourd consomme plus.

Il apparaît ainsi que l’obésité n’est pas seulement un problème de santé publique. Elle a également un impact direct sur les besoin de l’humanité en termes de ressources agricoles, entre autres. Le développement des pays émergents comme la Chine et l’Inde risque fort d’aggraver encore la situation créée en grande partie par les États-Unis. A moins que la raréfaction de la nourriture n’apporte une solution naturelle au phénomène. La question est de savoir si cela fera maigrir la population des pays riches ou mourir de faim celle des pays pauvres.

Michel Alberganti

lire le billet

Des moustiques OGM “malaria free”

Le moustique Anopheles (Cellia) stephensi a été génétiquement modifié pour tuer le parasite de la malaria

Les moustiques sont responsables de 300 à 400 millions de cas de malaria (ou paludisme) et de la mort d’un million de personnes par an dans le monde, principalement des nouveaux-nés, de jeunes enfants et des femmes enceintes. D’où l’intérêt des travaux menés par Anthony James et ses collègues de l’université de Californie et de l’institut Pasteur à Paris sur la création d’une version du moustique Anopheles (Cellia) stephensi, une espèce présente en Inde et au Moyen-Orient, capable de bloquer le développement du parasite de la malaria grâce à une modification génétique. L’espoir des chercheurs réside dans la transmission de cette caractéristique de générations en générations de moustiques. Ils ne précisent pas le délai nécessaire pour obtenir un début de réduction du nombre de cas d’infection chez l’homme.

L’équipe d’Anthony James a publié cette avancée dans la revue  Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) du 11 juin 2012. Elle y explique que l’avantage de sa méthode est de pouvoir être appliquée à des dizaines d’espèces différentes de moustiques qui transportent et transmettent le parasite de la malaria, le Plasmodium falciparum. Dont ceux qui sévissent en Afrique.

La souris a servi de modèle

Les chercheurs ont travaillé à partir de la souris. Celle-ci, lorsqu’elle est infectée par la forme humaine de la malaria, produit des anticorps qui tuent le parasite. Anthony James a analysé les composantes moléculaires de cette réponse du système immunitaire de la souris. Et il a conçu des gènes capables de produire les mêmes molécules chez le moustique. Les anticorps libérés par les moustiques génétiquement modifiés tuent le parasite et évite toute propagation de la maladie lors de leurs piqures sur des êtres humains. “Nous constatons une complète disparition de la version infectieuse du parasite de la malaria”, note Anthony James. D’après lui, “le processus de blocage à l’intérieur de l’insecte qui transporte la malaria peut réduire significativement le nombre de cas de cette maladie et son taux de morbidité”. Son équipe n’en est pas à sa première modification génétique d’un moustique. Elle a également travaillé sur la réduction de la transmission de la dengue et d’autres maladies du même type.

Il reste donc à évaluer l’impact de tels moustiques OGM sur des populations de milliards d’insectes. Combien faut-il en produire pour accélérer la transmission héréditaire des gènes modifiés? Quelle est la vitesse de propagation du gène? A partir de quel moment les effets sur la transmission de la maladie se feront-ils sentir? Un bel espoir qui demande à être validé sur le terrain.

Michel Alberganti

lire le billet

Réapprendre à marcher après une paralysie des jambes

Cette vidéo montre comment les chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont réussi à restaurer la marche chez des rats dont la moelle épinière avait subi une lésion provoquant la paralysie des membres inférieurs (paraplégie). Publiée dans la revue Science du 1er juin, l’étude menée par le Français Grégoire Courtine montre les résultats spectaculaires obtenus grâce à une injection d’un cocktail de produits chimiques et à la stimulation électrique de la moelle épinière lésée. Cinq années de travail ont été nécessaires pour aboutir à cette restauration des facultés motrices des membres inférieurs. Il s’agit d’une démonstration spectaculaire de la plasticité du système nerveux. «Grâce aux effets combinés des stimulations et d’un entraînement avec un dispositif de soutien vertical, nos rats retrouvent la marche volontaire en quelques semaines. Ils peuvent rapidement se mettre à courir, à monter des marches ou à éviter des obstacles», explique Grégoire Courtine dans un article publié sur le site de l’EPFL.

Stimulation électrochimique

Le traitement commence par l’injection dans la partie de la moelle épinière située en dessous de la lésion d’un cocktail chimique qui stimule les neurones coordonnant les mouvements de la marche. Dix minutes plus tard, les scientifiques appliquent une stimulation électrique de la même région de la moelle épinière. En 2009, des travaux précédents de Gérard Courtine, mais également de Reggie Edgerton, professeur à l’université de Californie Los Angeles (UCLA), avaient montré qu’il est possible de restaurer les mouvements des membres paralysés par des stimulations électrochimiques. Mais cette marche n’était alors pas commandée par le cerveau. Le plus important restait donc à faire: reconnecter les neurones situés sous la lésion avec ceux du cerveau. C’est l’exploit réalisé par l’équipe de Gérard Courtine.

Marche volontaire rétablie

Les scientifiques sont partis du constat que la moelle épinière semblait capable de commander les mouvements des pattes inférieures de façon autonome. C’est à dire sans ordres provenant du cerveau. Cela laissait poindre l’espoir que de très faibles signaux pourraient être suffisants pour rétablir un contrôle volontaire de la marche. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont remplacé le tapis roulant sous les pattes du rats par un robot qui n’apporte plus qu’un simple maintien de l’équilibre. Un carré de chocolat est alors suffisant pour motiver l’animal. Au bout de quelques temps, avec le maintien de la stimulation électrochimique, la marche volontaire s’est rétablie.

Les fibres nerveuses contournent la lésion

C’est alors que le plus extraordinaire phénomène se produit: des fibres nerveuses ne mettent à repousser pour contourner la lésion ! “Nos rats sont devenus des athlètes, alors même qu’ils étaient complètement paralysés quelques semaines auparavant. Je parle d’une récupération à 100% des capacités de mouvements volontaires», déclare Gérard Courtine. On imagine facilement les espoirs qu’une telle expérience peut susciter pour l’homme. Les essais de phase 2 sur l”être humain devraient commencer d’ici deux ans. Entre temps, les chercheurs de l’EPFL vont coordonner le projet NeuWalk, doté de 9 millions d’euros.

Un espoir immense

Ces travaux apparaissent très prometteurs. Ils confirment les découvertes multiples des scientifiques sur les extraordinaires capacités plastiques du cerveau et du système nerveux. Il n’est donc plus impossible d’imaginer que des personnes paralysées puissent retrouver le contrôle de la motricité de leurs membres. Nul doute que les chercheurs vont susciter de très nombreuses attentes. Il leur reste à confirmer leurs promesses chez l’homme.

Michel Alberganti

.

lire le billet

Se servir un café à la seule force… de la pensée

 

Une personne paralysée se sert un café grâce à un bras robotisé qu'elle contrôle par la pensée

En matière d’interface cerveau-machine, les quinze dernières années ont été très fructueuses. Mais la dernière expérience réussie dans ce domaine franchit une étape décisive. En effet, pour la première fois, la personne paralysée équipée d’électrodes implantées dans son cerveau parvient à une maîtrise très fine du mouvement dans l’espace qu’elle imprime au bras robotisée. Elle le guide pour qu’il saisisse un thermos de café, la déplace pour l’approcher de sa bouche jusqu’à ce qu’elle puisse boire le café avec une paille et, ensuite, repose le thermos à sa place. Tout cela par la seule concentration de sa pensée.

 

Les chercheurs sont parvenus à obtenir le déplacement d’un bras robotique par un singe dès l’an 2000 (Miguel Nicolelis de la Duke University à Durham, en Caroline du Nord). L’équipe de John Donoghue, neurologiste à l’université Brown à Providence (Rhode Island), a obtenu un résultat identique en 2004. En 2006, elle a équipé des personnes paralysées avec des électrodes leur permettant de déplacer un curseur sur un écran d’ordinateur. La nouvelle expérience, réalisée par la même équipe de John Donoghue et publiée dans la revue Nature du 16 mai 2012, est encore plus spectaculaire car elle ouvre le champ des applications permettant aux handicapés moteurs, au delà de la faculté de s’exprimer, de pouvoir être assistés dans leur vie quotidienne par des machines qu’ils contrôlent par la pensée. La vidéo brute de l’expérience, reprise par le magazine Wired, est impressionnante et émouvante :

Cette version muette de la vidéo présente l’avantage de montrer l’intégralité du geste effectué par le bras robotisé actionné par le cerveau de Cathy Hutchinson, une patiente de 58 ans victime d’une attaque cérébrale il y a 15 ans et privée, depuis, de l’usage de tous ses membres et de la parole. Pour elle, ce simple geste est le premier qu’elle peut contrôler depuis cet accident. On note parfois une tension perceptible sur son visage et quelques petits mouvements de ses bras. Le geste du robot piloté par la pensée laisse pantois. Malgré quelques hésitations, il est d’une remarquable précision. On note que Cathy Hutchinson est gênée par la paille après avoir bu. Mais elle pense alors à faire pivoter le poignet du robot et le conduit ensuite sans problème jusqu’à ce qu’il repose le thermos. Son sourire final exprime bien ce qu’elle doit ressentir à cet instant.
Un autre patient, un homme de 66 ans également victime d’une attaque cérébrale, en 2006, ne peut bouger que sa tête et ses yeux. Voici l’exercice effectué en utilisant sa seule pensée :

Là encore, on peut mesurer la difficulté de l’exercice grâce aux multiples échecs dans la saisie de ces balles en mousse de 6 cm de diamètre fixées à l’extrémité de tiges souples. Les deux patients, Cathy Hutchinson et l’homme, anonyme et désigné par le nom T2 dans l’étude publiée, ont travaillé sur ce test. Sur 200 essais, ils ont réussi à atteindre et à toucher les balles dans 49% à 95% des cas. Dans les deux tiers des atteintes, la main est parvenue à serrer les balles entre ses doigts.

La brainGate est un réseau de 96 électrodes implantées dans le cortex moteur des patients

Pour réaliser ces tâches, les deux patients ont reçu un implant dans leur cerveau. Il s’agit d’une petite pastille carrée, baptisée BrainGate,  couverte par 96 électrodes fixées sur le cortex moteur des deux personnes. Ces électrodes captent les signaux directement émis par le cerveau et qui sont ensuite traités par un ordinateur qui les transforme en commandes pour les mouvements du bras robotisé dans l’espace. Cela signifie que les informations issues du cerveau doivent correspondre aux mouvement de chaque articulation du bras robotisé, soit l’épaule, le coude, le poignet et les doigts. C’est dire la complexité à la fois de l’effort mental des patients et du traitement informatique réalisé en temps réel.

D’après les chercheurs, il semble qu’aucun entraînement spécifique n’ait été nécessaire aux patients. Sans doute parce que les électrodes sont implantées dans une région dédiée au contrôle des mouvements du corps. Néanmoins,  Cathy Hutchinson a reçu cet implant il y a 5 ans, ce qui laisse supposer qu’elle a eu le temps de s’y accoutumer. Les chercheurs ne nient pas le manque de précision qui subsiste dans les gestes commandés par le cerveau. Néanmoins, cette expérience montre que des mouvements utiles dans la vie quotidienne peuvent être effectués par le seul contrôle de la pensée.

Bien entendu, ces progrès rappellent l’objectif ultime des chercheurs dans ce domaine. Lorsqu’il devient possible de capter de tels signaux dans le cerveau, il est envisageable d’imaginer le remplacement du bras robotisé… par les membres des patients eux-mêmes. Cela reviendrait à court-circuiter les parties du système nerveux qui ne fonctionnent plus. Et d’établir une nouvelle liaison entre le cerveau et les membres. Les chercheurs progressent indéniablement dans cette direction. Mais le chemin sera encore long.

Michel Alberganti

lire le billet

Parler de soi, c’est bon comme faire l’amour ou manger

Depuis qu’il est facile de s’exprimer grâce à Facebook, Twitter, les blogs et autres moyens électroniques, on peut de demander pourquoi tant de personnes éprouvent le besoin d’utiliser ces outils pour parler d’elles-mêmes. D’où vient ce puissant désir de raconter sa vie, de donner son avis sur tout, de s’exposer au regard de tous ? Comment expliquer le recours permanent au “moi, je…” qui scande également l’expression orale ? Plusieurs études scientifiques se sont penchées sur ces interrogations. Le résultat est concluant: parler de soi excite le système mésolimbique, qui, dans le cerveau, libère de la dopamine.

Shoot de dopamine

Grâce à l’imagerie cérébrale, les chercheurs ont pu mettre en évidence que cette activité actionne le processus de récompense primaire, tout comme le sexe ou la nourriture. On peut noter que ce système mésolimbique est souvent associé aux addictions à différentes drogues. Parler de soi engendre donc rien de moins qu’un shoot de dopamine. De quoi expliquer que certains soient accros. Les autres, sans doute, ignorent encore ce plaisir qui a l’avantage social de ne pouvoir s’exercer en solitaire. Pour parler de soi, il faut l’une, voire les deux oreilles d’un “autre”. Les réseaux sociaux démontrent que cet autre peut être à la fois distant et multiple. Si, dans ce cas, il ne répond pas directement, il doit néanmoins manifester son écoute d’une quelconque manière. D’où les “J’aime” de Facebook ou le nombre de Retweet de Twitter. Les dialogues électroniques se révèlent donc être une succession de discours univoques sur soi adressés à tous. Les réponses sont d’autant plus rares qu’il n’y a pas vraiment de questions…

80% des conversations sur les réseaux sociaux

On comprend mieux pourquoi les êtres humains consacrent de 30 à 40% de leurs conversations quotidiennes à transmettre aux autres des informations sur leurs propres expériences ou leurs relations personnelles. Les études ont montré que ce taux monte à 80% dans les billets de médias sociaux comme Twitter. Il ne s’agit alors, pour l’émetteur, que de relater sa dernière expérience en date. Parfois, souvent, on ne peut plus banale: “Je sors de chez moi”, “J’arrive au bureau”. “Il pleut, je suis trempé”

Dans la dernière étude sur ce phénomène, publiée le 7 mai 2012 dans les Proceedings of the National Academy of Science des Etats-Unis (PNAS), deux chercheurs de l’université d’Harvard, Diana Tamir et Jason Mitchell, ont affiné l’analyse des réactions du cerveau humain dans différentes conditions d’expérience. Ainsi, ils ont découvert une activité supérieure dans le système de récompense chez les participants qui recevaient une petite somme d’argent (2 $). En revanche, les deux groupes (avec ou sans argent à la clé) ont réagi de la même façon lorsque les chercheurs ont comparé l’activité cérébrale des participants exprimant leurs propres opinions ou leurs goûts et lorsqu’ils parlaient des opinions et des goûts des autres. Sans surprise, leur cerveau est nettement plus stimulé dans le premier cas.

Activités du cerveau des participants pendant les tests

Renoncer à de l’argent pour parler de soi

Diana Tamir et Jason Mitchell sont allés encore plus loin. Ils ont mesuré la quantité d’argent à laquelle les participants étaient prêts à renoncer pour avoir le plaisir de révéler des informations sur eux-mêmes. L’étude, semble-t-il, n’est pourtant pas financée par les psychanalystes… Les 37 participants devaient choisir entre trois tâches: parler de leurs opinions et de leurs comportements (“Aimez-vous les sports d’hivers comme le ski?”), juger le comportement d’une autre personne (“Barak Obama aime-t-il faire du ski?”) ou répondre par oui ou par non à un questionnaire factuel (“Léonard de Vinci a peint la Joconde”). A chacun des 195 choix faits par les participants était associée une récompense variable (0.01 $ à 0.04 $), sans qu’il existe de corrélation systématique entre le montant de la récompense et le type de choix. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer, une fois de plus, la préférence des participants pour les exercices leur permettant de parler d’eux-mêmes. Lorsque la récompense était équivalente pour les trois types de choix, les participants ont choisi ces tâches dans 66% des cas face aux tâches où ils devaient parler des opinions des autres et dans 69% des cas face aux questions factuelles. Plus probant encore, en moyenne, les participants ont sacrifié 17% de leurs gains en préférant parler d’eux-mêmes face à d’autres choix rapportant plus. “Tout comme des singes prêts à renoncer à leur jus de fruit pour voir le mâle dominant ou des étudiants prêts à donner de l’argent pour voir des personnes séduisantes du sexe opposé, nos participants ont accepté de renoncer à de l’argent pour penser à eux et parler d’eux”, concluent les chercheurs.

Payer pour être lu

Un tel constat pourrait donner des idées à Facebook, entre autres. Si ses utilisateurs sont si accros à la possibilité de parler d’eux, seraient-ils prêts à payer pour cette drogue ? En fait, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook y pense déjà. Comme vous avez pu le lire sur Slate.fr, le site néo-zélandais Stuff a révélé une première tentative. Un test propose une nouvelle fonction, Highlight, qui, pour 2 $ permet  à un billet d’être davantage vu par les “amis”. Même si Facebook s’en défend pour l’instant, la tentation de faire payer le shoot d'”égo-dopamine” risque d’être très forte à l’avenir.

Michel Alberganti

 

 

lire le billet

L’aura : la voir ou pas

Interprétation électronique de l'image d'une aura

Au moment où, malgré une aura plus flamboyante que celle de son adversaire, Nicolas Sarkozy a été battu par François Hollande à l’élection présidentielle, des chercheurs espagnols publient dans la revue Consciousness and Cognition une étude qui concerne le sens propre de la notion d’aura. Ce sens est défini par le dictionnaire Larousse par: “Bande de lumière entourant les êtres humains, que pourraient voir les médiums et dont la couleur varierait selon l’état spirituel du sujet”. Ce phénomène est utilisé par les guérisseurs, mais aussi par des charlatans, qui promettent de soigner leur clients par des méthodes non conventionnelles. Jusqu’à présent, la vision de l’aura était associée, au mieux, à des croyances spirituelles sans fondement scientifique.

Synesthésie

Óscar Iborra, Luis Pastor and Emilio Gómez Milán, du département de psychologie expérimentale de l’université de Grenade, apportent une toute nouvelle explication. Selon eux, la vision de l’aura est provoquée par le phénomène neurologique de synesthésie. Ce dernier se traduit par une association anormale entre deux sens dans le cerveau. Ainsi, certaines personnes voient chacune des lettres de l’alphabet dans une couleur particulière. On se souvient du poème Voyelles d’Arthur Rimbaud, qui n’était pourtant pas reconnu comme synesthète. Un grand nombre de compositeurs de musique célèbres (Duke Ellington, György Ligeti, Franz Liszt, Olivier Messian, Michel Petrucciani, Nikolaï Rimski-Korsakov, Jean Sibelius…) percevaient la musique et les sons sous des formes colorées. A l’inverse, le peintre Wassily Kandinsky associait les couleurs à de la musique.

Les chercheurs espagnols précisent que la synesthésie résulte d’un défaut de câblage dans le cerveau créant des liaisons synaptiques supplémentaires, par rapport à celles des cerveaux standards. “Ces connexions établissent des associations entre des zones qui, normalement, ne sont pas interconnectés”, indique Emilio Gómez Milán. Le scientifique estime que l’aptitude des guérisseurs à voir les auras de leurs patients pourraient relever d’une telle synesthésie.

“El Santón de Baza”

Pour parvenir à cette hypothèse, Emilio Gómez Milán et son équipe ont interviewé plusieurs synesthètes dont le guérisseur de Grenade Esteban Sánchez Casas, connu sous le nom de “El Santón de Baza” (le saint de Baza, ville proche de Grenade). Alors que de nombreuses personnes attribuent des pouvoirs supranormaux à ce guérisseur, dont l’aptitude à voir l’aura des autres, les chercheurs ont diagnostiqué chez lui une double synesthésie. D’abord une association entre les visages et les couleurs. La zone du cerveau effectuant la reconnaissance des visages est reliée à celle qui traite les couleurs. Ensuite une synesthésie contact-miroir. Lorsque El Santón est en face d’une personne qui ressent une douleur, il éprouve la même sensation. S’ajoute à cela une faculté d’empathie très élevée qui le rend très sensible à ce que ressentent les autres. Et, enfin, un trouble schizothypique, proche de la schizophrénie et comportant une légère paranoïa et des délires. La combinaison de ces trois dons ou caractéristiques, si elles permettent d’éviter le recours au paranormal, ne peuvent classer El Santón dans la catégorie des gens ordinaires…  Pour autant, cela n’explique pas le pouvoir du guérisseur de soigner ses clients.

Ressentir la douleur des autres

“Ces aptitudes apportent aux synesthètes la capacité de donner aux autres la sensation d’être compris. Elles leur procurent également une compétence particulière pour ressentir certaines émotions et des douleurs chez les autres”, affirment les chercheurs. Leurs résultats aboutissent au constat d’un effet essentiellement placebo des guérisseurs sur leurs clients, bien qu’ils aient une réelle aptitude à voir l’aura et à ressentir la douleur des autres. Ainsi, certains guérisseurs sont capables de faire croire à leurs clients qu’ils ont la capacité de les soigner. En réalité, pour ce qui les concerne, il s’agit d’une auto-persuasion. La synesthésie n’ayant rien d’un pouvoir extrasensoriel, elle se traduit par une perception subjective et enjolivée par les couleurs de la réalité.

Effet placebo

Cette étude pourrait donc révéler la relation particulière qui se tisse entre le guérisseur et son client. Le premier voit réellement l’aura du second. Il ressent ses douleurs et il est persuadé qu’il peut les soigner. Le client, lui, est également convaincu que le guérisseur peut le soigner. Résultat: dans certains cas, cela marche. Tout ce passe comme si l’effet placebo était amplifié par les fortes croyances qui habitent aussi bien le guérisseur que le patient. L’aura, et l’aptitude à la voir, contribuerait à renforcer la confiance du guérisseur dans ses pouvoirs. Ce processus démontrerait qu’une illusion partagée peut avoir des effets réels sur la guérison. Et l’aura perdrait alors un peu de son… aura. Elle serait réduite à la fonction de vecteur d’un mirage… Mais un vecteur efficace.

Outre la découverte du lien entre aura et synesthésie, le travail des chercheurs espagnols a le mérite de débusquer un effet placebo là où on ne l’attendait pas. Il explique ainsi la part de succès de certains guérisseurs. Et il renforce le constat de la puissance de l’effet placebo, encore très insuffisamment exploité par la médecine officielle.

Michel Alberganti

 

lire le billet

Le stress des mères pèse sur l’obésité des enfants

Pourquoi l’alimentation des bébés de familles à faibles revenus favorise-t-elle l’obésité ? Cette question se pose aux États-Unis où les chercheurs des Pediatric Academic Societies se sont réunis à Boston pour leur meeting annuel le 28 avril 2012. Alors que l’American Academy of Pediatrics déconseille l’ajout de céréales infantiles  dans les biberons des enfants, cette pratique semble développée dans les foyers à faibles revenus, principalement d’origine sud américaine. Les mères de 254 enfants ont été interrogées pour savoir si elle mettaient des céréales infantiles dans le biberon de leurs bébés afin qu’ils dorment plus longtemps ou qu’ils fassent des nuits complètes. En France, l’introduction de céréales dans les biberons sous la forme de farines n’est pas déconseillée par la diététicienne à la Clinique du poids Dorothée Krief sur le site Infobébés. Elle la préconise à partir de l’âge de 4 mois avec une augmentation progressive en fonction de l’âge.

Les chercheurs américains ont aussi collectés des informations sur l’âge, la langue, le pays d’origine, le statut marital, le niveau d’éducation, les revenus, les symptômes de dépression des mères ainsi que sur l’âge, le sexe et la perception par les mères de réactions émotionnelles intenses des bébés. Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une partie d’un projet plus large intitulé Bellevue et qui suit les enfants entre la naissance et la scolarisation.

24% des mères mettent des céréales dans le biberon

Les résultats montrent que 24% des mères mettent des céréales dans le biberon de leurs bébés, ce qui augmente les risques d’obésité. Celles qui présentent des symptômes de dépression sont 15 fois plus susceptibles de le faire que celles qui n’en ont pas. Le principal auteur de l’étude, Candice Taylor Lucas, professeur associé de pédiatrie à l’université de médecine de New York note que: “La dépression est très courante chez les mères à faibles revenus et cela rend plus difficile de les engager à suivre des pratiques bénéfiques”. Par ailleurs, les femmes célibataires sont plus enclines à ajouter des céréales dans les biberons et que celles qui considèrent leur bébé comme ayant des réactions émotionnelles intenses adoptent 12 fois plus cette pratique que les autres. Candice Taylor Lucas conclue que l’étude montre que les facteurs de stress chez les mères ayant de faibles revenus (dépression, famille monoparentale et problèmes de comportement des bébés) induisent des pratiques alimentaires qui favorisent l’obésité. “Il est important d’apporter un support à ces parents en matière d’alimentation saine si nous voulons mettre un terme à l’épidémie d’obésité enfantine“.

La peur de ne pas avoir assez à manger

Lors du même meeting à Boston, Rachel Gross, professeur assistant au département de pédiatrie de l’école de médecine, Albert Einstein et à l’hôpital pour enfants Montefiore de New York a présenté une étude qui pointe un autre facteur favorisant l’obésité: la peur de ne pas avoir assez à manger. Là encore, ce sont les familles à faibles revenus qui apparaissent les plus vulnérables à la sensation d’une “insécurité alimentaire”. C’est d’ailleurs chez elles que les problèmes d’obésité sont les plus fréquents. Pour Rachel Gross, il est donc important d’identifier les causes de ce comportement associé à de faibles revenus. Avec ses collègues, elle a interviewé 201 mères, principalement hispaniques, dans cette situation et ayant des enfants de moins de 6 mois au sujet de leur comportement alimentaire. Les questions portaient sur le contrôle de la quantité de nourriture prise par les enfants, sur l’alimentation au sein, l’ajout de céréales dans les biberons et la prise de conscience des risques d’obésité.

Les risques du contrôle par les parents

Les résultats montrent d’un tiers des mères font état d’une insécurité alimentaire. “Nous avons découvert que ce sentiment influence le contrôle des pratiques alimentaires des enfants”, note Rachel Gross. “Ces contrôles concernent à la fois la restriction lorsqu’un enfant manifeste qu’il a encore faim et la pression qui consiste à insister pour que l’enfant mange encore alors qu’il est rassasié”. Les chercheurs pensent que les parents qui cherchent à agir ainsi sur la prise de nourriture de leur bébé perturbent l’aptitude de l’enfant à réguler sa sensation de faim et conduit à une suralimentation et à une prise de poids excessive.

L’étude montre également que les mères en situation d’insécurité alimentaire sont plus conscientes des risques de surpoids que celles qui n’ont pas ce problème. Rachel Gross en conclue que les politiques publiques ne devraient pas uniquement s’intéresser aux problèmes de sous nutrition et de malnutrition mais qu’elles devraient aussi prendre en compte que les familles en situation d’insécurité alimentaire peuvent engendrer des problèmes d’obésité.

En résumé, ces deux études pointent l’impact du stress des mères, qu’il s’agisse de dépression ou de peur de manquer de nourriture, sur l’obésité. Il ne s’agit pas d’une énorme surprise tant il est bien connu que les problèmes psychologiques influencent fortement les pratiques alimentaires.

Michel Alberganti

 

lire le billet

Boire pour oublier, ça marche… trop

~~~

Une nouvelle étude le confirme: la consommation de boissons alcoolisées peut affecter la mémoire. Une équipe de chercheurs de l’université de Stanford menée par une Française, Anne Lise Pitel, a approfondi les travaux précédents pour identifier l’impact des états alcooliques sur différents types de mémoire. Parmi les résultats, il apparaît que la capacité de reconnaissance des visages peut être perturbée.

Bien avant d’atteindre le stade d’amnésie profonde du syndrome de Korsakoff, certains troubles apparaissent et concernent la mémoire associative, celle qui nous permet de mettre un nom sur un visage. En analysant les cerveaux de patients grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), les chercheurs ont pu observer que ces troubles sont corrélés avec l’utilisation de différentes parties du cerveau.

L’alcool n’affecte que certains types de mémoire. “La consommation chronique touche essentiellement la mémoire épisodique et la mémoire de travail”, note Edith Sullivan, professeur au département de psychiatrie et de sciences du comportement à l’université de Stanford et référent de cette étude. La mémoire épisodique enregistre les événements de la vie personnelle associés à un contexte temporel et spatial particulier. Elle ne semble pas avoir de limites.

Mémoire épisodique

Anne-Lise Pitel donne ainsi un exemple de cette mémoire épisodique: “Quand je suis allée à Paris avec mon mari, j’ai mangé une excellent ratatouille au dîner dans un très joli restaurant. Je peux me souvenir du lieu, de la façon dont j’étais habillée et du fait que je me suis brûlée la langue lorsque j’ai goûté le plat”. Edith Sullivan indique que “de tels souvenirs sont propres à chaque individu. Lorsque l’alcool affecte cette mémoire périodique, il peut devenir difficile de se souvenir d’une liste de courses, d’un chemin pour se rendre à un nouveau restaurant, d’une association d’un visage et d’un nom dans un nouveau travail”.

La mémoire de travail, elle, fonctionne différemment. C’est une mémoire à court terme qui dispose d’une capacité limitée. Elle permet d’enregistrer temporairement et d’utiliser des informations qui sont rapidement oubliées à moins d’être enregistrées dans la mémoire à long terme. Les personnes alcooliques souffrent de déficits dans ce type de mémoire qui peut aller jusqu’à l’incapacité de mémoriser un numéro de téléphone pendant le temps nécessaire pour le composer.

Associations visage-nom

L’un des intérêts de cette nouvelle étude réside dans le fait qu’elle s’est concentrée sur des processus cognitifs de la vie quotidienne. Les chercheurs ont constitué deux groupes: le premier constitué de 10 personnes alcooliques (8 hommes et 2 femmes) et le second comprenant 10 personnes non alcooliques (5 hommes et 5 femmes). Il leur a été demandé de mémoriser soit des associations visage-nom, soit des visages et des noms indépendants.

Deux régions différentes du cerveau pour le même exercice

Cervelet en bleu

Les deux groupes ont rencontré plus de difficultés à mémoriser des associations que des visages et noms isolés. Mais les performances des alcooliques se sont révélées inférieures dans les deux catégories d’exercice. Et l’une des trouvailles les plus remarquables de ce travail réside dans l’observation du fonctionnement des cerveaux dans les deux groupes. Pour effectuer les mêmes exercices de mémorisation d’associations nom-visage, alcooliques et non alcooliques ont fait appel à des régions cérébrales différentes. Les alcooliques ont utilisé des régions du cervelet quand les non alcooliques se servaient de leur système limbique.

 


Plus étonnant encore: les alcooliques ne sont pas toujours pénalisés. Les chercheurs ont en effet proposé un autre exercice aux deux groupes. Il s’agissait, lors que la mémorisation du couple nom-visage, d’associer à cette information un jugement concernant l’apparence honnête ou malhonnête de la personne. Ainsi, les participants devaient passer d’une mémorisation superficielle à une mémorisation plus profonde. Le résultat montre que les performances des deux groupes, alcooliques et non alcooliques, sont alors similaires. Néanmoins, là encore, les alcooliques se sont révélés inférieurs lorsqu’on leur a demandé de reconnaître une association nom-visage donnée ou d’identifier quel visage avait été vu plus tôt dans l’exercice. Preuve qu’il existe bien une différence entre la mémorisation légère et profonde entre les deux groupes et que c’est la première qui est la plus affectée par l’alcoolisme.

Un handicap au travail et à la maison

Anne-Lise Pitel conclut que “les capacités de mémorisation limitées pour les alcooliques peuvent constituer un handicap dans la vie quotidienne. Au travail, ceux qui doivent réaliser des travaux à forte charge cognitive peuvent rencontrer des difficultés à apprendre de nouvelles tâches. A la maison, les problèmes de mémoire peuvent être interprétés comme un désintérêt pour la vie familiale et engendrer des conflits. Enfin, du point de vue clinique, la mémoire épisodique altérée des alcooliques peut nuire aux programmes de désintoxication. En effet, un traitement réussi doit passer par l’acquisition de nouvelles connaissances sur le sens, la prise de conscience et les conséquences de l’addiction et de la drogue. Il fait également appel à la capacité à revivre des épisodes précédents de prise de boisson afin d’être capable d’anticiper et de reconnaître des situations à risques”.

Double peine

Double peine, donc, pour les alcooliques. Ils perdent une partie de leur mémoire lorsqu’ils boivent et cette altération les handicape également lors de leur désintoxication. En buvant, on n’oublie donc pas seulement ses malheurs passés. On perd une partie de sa mémoire future. Essayons de ne pas l’oublier, tant qu’il est encore temps…

Michel Alberganti

lire le billet