Se servir un café à la seule force… de la pensée

 

Une personne paralysée se sert un café grâce à un bras robotisé qu'elle contrôle par la pensée

En matière d’interface cerveau-machine, les quinze dernières années ont été très fructueuses. Mais la dernière expérience réussie dans ce domaine franchit une étape décisive. En effet, pour la première fois, la personne paralysée équipée d’électrodes implantées dans son cerveau parvient à une maîtrise très fine du mouvement dans l’espace qu’elle imprime au bras robotisée. Elle le guide pour qu’il saisisse un thermos de café, la déplace pour l’approcher de sa bouche jusqu’à ce qu’elle puisse boire le café avec une paille et, ensuite, repose le thermos à sa place. Tout cela par la seule concentration de sa pensée.

 

Les chercheurs sont parvenus à obtenir le déplacement d’un bras robotique par un singe dès l’an 2000 (Miguel Nicolelis de la Duke University à Durham, en Caroline du Nord). L’équipe de John Donoghue, neurologiste à l’université Brown à Providence (Rhode Island), a obtenu un résultat identique en 2004. En 2006, elle a équipé des personnes paralysées avec des électrodes leur permettant de déplacer un curseur sur un écran d’ordinateur. La nouvelle expérience, réalisée par la même équipe de John Donoghue et publiée dans la revue Nature du 16 mai 2012, est encore plus spectaculaire car elle ouvre le champ des applications permettant aux handicapés moteurs, au delà de la faculté de s’exprimer, de pouvoir être assistés dans leur vie quotidienne par des machines qu’ils contrôlent par la pensée. La vidéo brute de l’expérience, reprise par le magazine Wired, est impressionnante et émouvante :

Cette version muette de la vidéo présente l’avantage de montrer l’intégralité du geste effectué par le bras robotisé actionné par le cerveau de Cathy Hutchinson, une patiente de 58 ans victime d’une attaque cérébrale il y a 15 ans et privée, depuis, de l’usage de tous ses membres et de la parole. Pour elle, ce simple geste est le premier qu’elle peut contrôler depuis cet accident. On note parfois une tension perceptible sur son visage et quelques petits mouvements de ses bras. Le geste du robot piloté par la pensée laisse pantois. Malgré quelques hésitations, il est d’une remarquable précision. On note que Cathy Hutchinson est gênée par la paille après avoir bu. Mais elle pense alors à faire pivoter le poignet du robot et le conduit ensuite sans problème jusqu’à ce qu’il repose le thermos. Son sourire final exprime bien ce qu’elle doit ressentir à cet instant.
Un autre patient, un homme de 66 ans également victime d’une attaque cérébrale, en 2006, ne peut bouger que sa tête et ses yeux. Voici l’exercice effectué en utilisant sa seule pensée :

Là encore, on peut mesurer la difficulté de l’exercice grâce aux multiples échecs dans la saisie de ces balles en mousse de 6 cm de diamètre fixées à l’extrémité de tiges souples. Les deux patients, Cathy Hutchinson et l’homme, anonyme et désigné par le nom T2 dans l’étude publiée, ont travaillé sur ce test. Sur 200 essais, ils ont réussi à atteindre et à toucher les balles dans 49% à 95% des cas. Dans les deux tiers des atteintes, la main est parvenue à serrer les balles entre ses doigts.

La brainGate est un réseau de 96 électrodes implantées dans le cortex moteur des patients

Pour réaliser ces tâches, les deux patients ont reçu un implant dans leur cerveau. Il s’agit d’une petite pastille carrée, baptisée BrainGate,  couverte par 96 électrodes fixées sur le cortex moteur des deux personnes. Ces électrodes captent les signaux directement émis par le cerveau et qui sont ensuite traités par un ordinateur qui les transforme en commandes pour les mouvements du bras robotisé dans l’espace. Cela signifie que les informations issues du cerveau doivent correspondre aux mouvement de chaque articulation du bras robotisé, soit l’épaule, le coude, le poignet et les doigts. C’est dire la complexité à la fois de l’effort mental des patients et du traitement informatique réalisé en temps réel.

D’après les chercheurs, il semble qu’aucun entraînement spécifique n’ait été nécessaire aux patients. Sans doute parce que les électrodes sont implantées dans une région dédiée au contrôle des mouvements du corps. Néanmoins,  Cathy Hutchinson a reçu cet implant il y a 5 ans, ce qui laisse supposer qu’elle a eu le temps de s’y accoutumer. Les chercheurs ne nient pas le manque de précision qui subsiste dans les gestes commandés par le cerveau. Néanmoins, cette expérience montre que des mouvements utiles dans la vie quotidienne peuvent être effectués par le seul contrôle de la pensée.

Bien entendu, ces progrès rappellent l’objectif ultime des chercheurs dans ce domaine. Lorsqu’il devient possible de capter de tels signaux dans le cerveau, il est envisageable d’imaginer le remplacement du bras robotisé… par les membres des patients eux-mêmes. Cela reviendrait à court-circuiter les parties du système nerveux qui ne fonctionnent plus. Et d’établir une nouvelle liaison entre le cerveau et les membres. Les chercheurs progressent indéniablement dans cette direction. Mais le chemin sera encore long.

Michel Alberganti

5 commentaires pour “Se servir un café à la seule force… de la pensée”

  1. Magnifique expérience et le sourire de la patiente en dit long sur l’effort de concentration que son exploit lui a demandé.
    Quel est le rôle de l’opérateur en arrière plan sur l’image?
    Une autre question me vient à l’esprit.
    Comment une surface d’électrodes aussi petite peut-elle “saisir” les mouvements du bras et de la main alors que selon Hitzig et Fritsch les zones du cortex moteur spécialisées dans ces organes sont “assez” éloignées les unes des autres?

  2. @patricedusud. Oui, je me suis posé la même question… Je pense que cette personne suit, sur un écran, les mouvement du bras robotisé. S’il truquait l’expérience en manipulant lui-même le bras, je pense qu’il n’aurait pas été dans le champ de la caméra. cette vidéo a été réalisée par l’université elle-même. Pas ailleurs, d’autres équipes travaillent sur les mêmes principes. L’équipe de l’université Brown est simplement un peu plus avancée sur les autres après une dizaine d’années de travail dans ce domaine.
    Pour la taille du réseau d’électrodes, il faut tenir compte d’une réalocation de l’usage des zones du cerveau. Il est peu probable, pour la raison que vous invoquez, que les patients exploitent exactement les neurones correspondant aux mouvements qu’ils faisaient auparavant pour les appliquer à ceux du bras robotisé. Pour ce qui est de la main, dont seule la fonction de fermeture des doigts est exploitée, il est possible que la patiente fasse appel à une stimulation correspondant à un mouvement du bras, comme de contracter le biceps, par exemple.
    Dans d’autres expériences, les électrodes captent des signaux qui n’ont rien à voir avec le contrôle direct des mouvements des membres. Un patient peut penser à tourner la tête à droite, ou à toute autre chose, pour déplacer un curseur à droite sur un écran. Tout devient alors une question d’entrainement empirique. Les chercheurs peuvent rarement maîtriser la fonction exacte des neurones avec lesquels les électrodes entrent en contact. Le patient le découvre a posteriori en testant différents types de pensées.
    Enfin, au sujet de votre soupçon, je pense que, si l’expérience était truquée, le manipulateur aurait dégagé la paille plus rapidement lorsque la patiente a fini de boire… Ou bien, cela signifierait qu’il est un peu pervers ou un truqueur particulièrement raffiné…
    En tout état de cause, vous avez raison de rester vigilant. Les chercheurs aussi peuvent être malhonnêtes. Toutefois, dans ce cas, je ne parierais pas sur cette hypothèse.

  3. @Michel Alberganti
    Merci de votre réponse documentée.
    Votre cerveau bayésien a fait une inférence effectivement probable sur le rôle que je pouvais donner à l’opérateur.
    En fait ma question était vraiment une interrogation, une curiosité sur les graphiques et/ou données que surveillent l’opérateur.
    S’agit-il des impulsions électriques issues du cortex de la patiente ou des commandes qu’elles génèrent pour commander le bras ou les deux?
    A-t-il un rôle de réglage des paramètres opérationnels comme la sensibilité à l’amplitude des signaux?
    En ce qui concerne la correspondance entre les signaux de contrôle du bras générés par la patiente et les zones Hitzigienne du cortex moteur, on doit effectivement plutôt faire l’hypothèse d’un apprentissage, d’une colonisation d’une partie du cortex moteur pour réaliser ce couplage assez impressionnant.
    Ce qui manque à ma curiosité c’est un peu plus d’explications sur le “couplage” cerveau et bras de contrôle. Le contenu cybernétique de l’expérience.
    On voit bien sur l’expérience une certaine lenteur qui peut être interprétée comme un temps de calcul assez long et/ou encore la nécessité d’atteindre un certain seuil dans les signaux générées par la patiente dont on voit bien la concentration pendant l’expérience.
    Bien sûr la course à la publication, la recherche légitime de crédit, la tout aussi légitime avidité de notoriété doivent rendre prudent mais ne justifie pas que l’on mette en doute l’honnêteté des chercheurs.
    Ils publieront peut-être des résultats plus “scientifiquement documentés” qu’une simple vidéo bien que les “secrets” de l’algorithmique sous-jacente ont évidemment une certaine valeur économique à protéger.

  4. @patricedusud Vos questions sont légitimes. Les réponses sont probablement, au moins pour certaines, contenues dans la publication scientifique parue dans Nature. Malheureusement, le texte complet n’est accessible qu’aux abonnés…

  5. […] l’article Publié dans Brèves prospectives | Marqué avec […]

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