Ceux qui l’ont eu comme animal de compagnie le savent. Le rat est aussi intelligent et affectueux qu’il a mauvaise réputation. Habitant des égouts, vecteur de maladie, martyrisé dans les laboratoires, porteur d’une queue dénudée peu ragoutante et de moustaches chatouillantes, il est l’un des mammifères les plus répandus sur Terre. Preuve de ses performances en matière d’évolution, on le trouve, avec les souris, sur tous les continents en dehors de l’Antarctique. Et il compte plus d’un millier d’espèces, soit près du quart de toutes les espèces de mammifères connus.
Des chercheurs de l’université de Liverpool se sont penchés sur l’une des caractéristiques majeures des rats: leur performance de rongeur. Pour cela, ils ont réalisé une comparaison approfondie entre le rat, l’écureuil et le cochon d’Inde. Leur étude, publiée dans le revue Journal of Anatomy fin 2011, propose une analyse des crane des trois animaux grâce à des modélisations virtuelles.“Depuis l’Éocène, il y a entre 56 et 34 millions d’années, les rongeurs ont adapté leur crânes et les muscles de leur mâchoire, et nous pouvons donc les qualifier d’espèce évolutionniste“, indique Philip Cox, co-auteur de l’étude. “Un sous-ordre des rongeurs, les Sciuromorphes qui comprennent les écureuils, ont commencé à se sont spécialisés dans le rongeage tandis qu’un autre, les Hystricomorphes, dans lequel on trouve les cochons d’Inde ou cobayes, ont opté pour le mastiquage. Un troisième sous-ordre, les Myomorphes, auquel appartiennent les rats et les souris, se sont adaptés à la fois au rongeage et au mastiquage”. Forts de ce constat, les chercheurs ont comparé les performances de leurs modèles informatiques des trois rongeurs dans les deux catégories: rongeage et mastiquage. “Nous nous attendions à ce que les rats soient plus polyvalents et moins efficaces dans chacune des tâches face aux spécialistes que sont les écureuils et les cochons d’Inde. Un peu comme l’on ne s’attend pas à ce qu’un nageur de triathlon batte un nageur spécialisé dans le 1500 mètres”, explique un autre auteur, Nathan Jeffery. C’était sous-estimer les Myomorphes ! “Les résultats nous ont montré que la façon dont les muscles des rats se sont adaptés au fil du temps a augmenté leurs capacités au point qu’ils surpassent les écureuils pour le rongeage et les cochons d’Inde pour le mastiquage”, constate Nathan Jeffery.
Pour les chercheurs, cette découverte explique en partie pourquoi les rats et les souris ont si bien réussi à s’adapter à toutes les circonstances mais aussi pourquoi ils sont aussi destructeurs. Leur comportement alimentaire leur permet de se nourrir efficacement à l’aide d’une très grande variété de matériaux. Un constat instructif à une époque où tant d’espèces sont menacées par les petits changement dans leur environnement provoqués par le réchauffement climatique. Pas de risque que les rats, eux, en soient victimes…
Michel Alberganti
Sans surprise, la firme Syngenta a vivement réagi aux résultats des expériences menées par une équipe de chercheurs français publiés dans la revue Science du 29 mars 2012 et donc nous avons rendu compte ici. La société suisse conteste essentiellement les doses utilisées lors de ces travaux. Dans un communiqué daté du 29 mars 2012, elle déclare au sujet de l’étude française :
L’étude affirme que la solution de sirop administrée aux abeilles contient une dose très faible d’insecticide, présentée comme « comparable à celle que les abeilles peuvent rencontrer dans leur activité quotidienne ». Syngenta conteste fortement cette affirmation : la concentration en thiaméthoxam du sirop administré aux abeilles est au moins trente fois plus élevée que celle du nectar de colza protégé avec du Cruiser OSR. (cf avis ANSES du 15 octobre 2010). Pour atteindre la quantité de thiaméthoxam retenue dans l’étude, l’abeille devrait consommer quotidiennement jusqu’à sept fois son propre poids en nectar.
Syngenta s’appuie sur l’avis publié par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en 2010. L’Agence a réagi dès le 30 mars 2012 avec un communiqué indiquant qu’elle “examine les résultats de l’étude publiée dans Science”. Le gouvernement le lui a d’ailleurs explicitement demandé avant de prendre une décision au sujet de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Cruiser. La décision à venir fera suite à une série d’autorisations souvent invalidées par le Conseil d’Etat au cours des dernières années. De son coté, l’Union nationale de l’ apiculture française (UNAF) s’est exprimée par un communiqué daté du 30 mars 2012 dans lequel son président, Olivier Belval, déclare :
« Cette étude pose la question de la pertinence du processus d’homologation des pesticides, de la validité des tests abeille, de la compétence et de l’indépendance des groupes d’experts. L’UNAF demande instamment un rendez-vous avec le Ministre de l’Agriculture pour exiger le retrait immédiat de l’AMM du Cruiser OSR et de l’ensemble des pesticides néonïcotinoides tueurs d’abeilles ! Le temps n’est plus aux études mais à l’action politique courageuse ! »
Michel Alberganti
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L’affaire défraie la chronique depuis longtemps : comment expliquer les hécatombes subies par les ruches en France et dans de nombreux pays ? Bien entendu, les pesticides utilisés par l’agriculture se sont très vite trouvés dans le collimateur des apiculteurs et des écologistes. Pourtant, les doses retrouvées dans les abeilles se révélaient sublétales, c’est à dire inférieures à celles qui provoquent la mort de l’insecte. Et pourtant, la population des ruches diminuait. Que se passait-il ? Les soupçons se sont portés sur les effets neurologiques des insecticides lorsque les apiculteurs ont remarqué que certaines abeilles ne mourraient pas à l’intérieur de la ruche mais à l’extérieur. Comme si elles n’avaient pas pu revenir au bercail. On connaît pourtant l’extraordinaire sens de l’orientation de ces insectes. Que se passait-il ? Pour le savoir, il fallait suivre les abeilles ayant ingéré une dose sublétale de pesticide et observer leur comportement. Pas facile…
C’est pourtant exactement ce qu’a réussi à faire une équipe française composée de chercheurs de l’INRA et du CNRS et d’ingénieurs des filières agricoles et apicoles (ACTA, ITSAP-Institut de l’abeille, ADAPI) menée par Mickaël Henry (Inra) et Axel Decourtye (Acta). Les résultats de leur expérience sont publiés dans le revue Science du 29 mars 2012. Cette équipe a équipé le thorax de 650 abeilles avec des puces RFID de quelques millimètres. Il s’agit de la technologie utilisée dans les passes Navigo sans contact donnant accès au métro parisien. En passant à proximité de chaque puce, il est possible de recueillir par radio un signal à l’aide d ‘un lecteur. Ce qui permet de détecter les entrées et les sorties de la ruche de chaque abeille équipée. Une partie des insectes “pucés” reçoit une très faible dose, largement inférieure au seuil létal, d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, un insecticide de la famille des « néonicotinoïdes », le thiaméthoxam, la molécule utilisée, entre autres, par le Cruiser, insecticide commercialisé par le groupe suisse Syngenta. La dose utilisée est, selon les chercheurs, comparable à celle qu’une abeille peut ingérer au cours de son activité de butinage du nectar des fleurs d’une culture traitée au Cruiser, comme le colza. Un autre groupe, témoin, ne reçoit pas de dose de thiaméthoxam.
Les 650 abeilles sont ensuite relâchées à environ 1 km de leur ruche, une distance qu’elles atteignent couramment au cours de leur butinage. Les chercheurs attendent ensuite leur retour. Ils peuvent ainsi comparer la proportion des abeilles ayant reçu une dose d’insecticide qui ont retrouvé la ruche avec la même proportion chez celles qui n’en avaient pas reçu. Résultat: le Cruiser est bien responsable du non-retour d’un nombre important d’abeilles. D’après les calculs des chercheurs, l’insecticide induit une mortalité de 25% à 50% contre 15% pour les abeilles non intoxiquées. La très faible dose de thiaméthoxam multiplie donc par deux ou trois le taux de décès normal des abeilles.
Au cours d’une période de floraison, une simulation mathématique réalisée à partir des résultats de cette expérience montre que, si une majorité d’abeilles est intoxiquée par le Cruiser, la colonie entière peut chuter de 50% à 75%. Une telle hécatombe met la ruche entière en péril en la privant des réserves alimentaires nécessaires et en réduisant la production de miel. L’action du Cruiser semble donc enfin comprise. Elle ne tue pas les abeilles mais elles les désoriente au point de les rendre incapables de retrouver le chemin de la ruche. Ainsi égarées, elles ne peuvent survivre. La colonie toute entière se trouve désorganisée et les chercheurs pensent qu’elle se retrouve ainsi plus vulnérable aux agressions des virus et autres pathogènes (varroa, Nosema).
Face à un résultat aussi probant, le ministère de l’Agriculture a réagi dès le 29 mars au soir en indiquant qu’il envisageait l’interdiction de l’usage du pesticide Cruiser de Syngenta. Il a déclaré attendre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur cette étude d’ici fin mai, “avant la nouvelle campagne de semences en juillet”, selon un responsable interrogé par l’AFP. En cas de confirmation des résultats de l’équipe française, l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR, utilisé sur le colza, serait retirée. La France rejoindrait alors l’Allemagne et l’Italie qui ont déjà interdit le thiamethoxam.
Michel Alberganti
A (ré)écouter sur France Culture, l’émission Science Publique que j’ai animée sur ce sujet en novembre 2011:
04.11.2011 – Science publique
Un monde sans abeilles?
Tandis que les apiculteurs accusent les insecticides de l’agriculture, comme le Cruiser de Syngenta Agro, les scientifiques du CNRS et de l’INRA sont sur la piste d’un cocktail mortel constitué par l’association fatale d’un champignon parasite des abeilles et d’infimes doses d’insecticides…
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Ce n’est pas tous les jours que les sites d’actualités techniques mentionnent des principes de géologie ou se soucient de la date de naissance d’un naturaliste du dix-septième siècle ! Il aura pourtant suffi pour y arriver que Google décide de consacrer le doodle (versions redessinées du logo) de sa page d’accueil à Nicolas Sténon (de son vrai nom Niels Stensen), éminent anatomiste et géologue danois, à l’occasion du 374e anniversaire de sa naissance.
lire le billetQuoi de plus naturel et de plus important en société que de reconnaître le visage de ses congénères ? Les personnes atteintes de prosopagnosie peuvent en témoigner… La capacité à reconnaître les visages se retrouve sans surprise chez les primates mais aussi chez des animaux moins connus pour leur vive intelligence : les moutons, par exemple, sont très physionomistes.
Une nouvelle étude vient de démontrer que cette compétence est encore plus partagée qu’on ne le pensait : des entomologistes américain l’ont trouvé chez certaines guêpes. Dans le cadre de sa thèse, Michael Sheehan s’est intéressé à Polistes fuscatus, une espèce de guêpes vivant en sociétés moins hiérarchisées que de classiques abeilles, avec plusieurs reines au lieu d’une seule.
Pour tester leur coup d’œil, il a placé ces guêpes dans des labyrinthes aux branches identifiées par des portraits de différentes individus. Avec de l’entraînement, les cobayes ont vite appris à rejoindre les zones-cibles avec fiabilité, ce qui démontre leur capacité à faire la différence entre les plusieurs photos d’identité proposées.
On n’oublie pas un visage
Tout cela est bel est bon, mais ne suffit pas à conclure : cela prouve simplement que les guêpes ont une bonne vue et une bonne mémoire, rien de plus. C’est pourquoi une autre série d’expériences les a mises à l’épreuve dans des circonstances identiques, à ceci près que les indications étaient données par des symboles géométriques simples, aux différences bien plus marquées que les subtiles variations entre deux minois hyménoptères. Résultat : l’apprentissage est moins efficace et bien plus lent. La même chose se produit lorsqu’on leur présente des images de chenilles, leurs proies favorites, ou même de visages de guêpes retouchés numériquement ; ce sont donc bien les traits des individus qui sont le mieux reconnus.
Mais attention, cette virtuosité semble être l’exception plutôt que la règle: les guêpes de l’espèce proche Polistes metricus sont bien moins bonnes pour se repérer grâce aux visages, qui sont d’ailleurs beaucoup moins variés que chez P. fuscatus. La logique évolutive de cette différence tient à la structure sociale de chaque espèce. Avec une seule reine toutes les guêpes P. metricus d’un même nid sont des sœurs et ne sont pas en compétition pour la reproduction, tandis que dans une colonie à plusieurs reines comme celles de P. fuscatus, les liens familiaux sont moins serrés et la compétition est rude…
Pour se repérer dans une hiérarchie aussi complexe, il est donc important de faire la différence entre ses camarades, ce qui est facilité par la plus grande diversité physique entre les individus. D’après Michael Sheehan, « si les guêpes ne peuvent pas se reconnaître, il y a plus d’agressivité ».
De la pratique du référendum en monarchie absolue
Les abeilles domestiques n’ont qu’une seule reine, mais cela ne les empêche pas d’avoir à trancher lorsqu’il s’agit de prendre une décision aussi fondamentale que l’emplacement de la ruche. Lorsqu’une colonie se cherche un point de chute, la reine se pose en compagnie de la majorité des ouvrières sur un arbre accueillant ou un apiculteur qui passait par là pendant que des éclaireuses quadrillent les environs à la recherche du coin idéal*. Une fois toutes les informations collectées, comment la colonie choisit-elle sa nouvelle résidence?
Le processus ressemblerait presque à une campagne électorale : chaque éclaireuse entreprend de faire la publicité de son petit paradis avec une danse bien déterminée pour encourager ses camarades à aller explorer le site, jusqu’à ce que le groupe le plus enthousiaste l’emporte numériquement et que tout l’essaim déménage.
Ce processus rappelle beaucoup la façon dont un grand groupe de neurones parvient à se synchroniser sur un type d’activité donné., mais les neurophysiologistes savent que la résolution de ces situations tient à une propriété du câblage des neurones : l’inhibition croisée. Des chercheurs américains sont donc partis à la recherche d’un équivalent dans le mécanisme de prise de décision des abeilles : est-ce que les abeilles défendant leur lieu cherchent aussi à bloquer la danse de recrutement des autres éclaireuses ?
La réponse tient en une vidéo :
Suivez bien des yeux l’abeille marquée en rose et tendez l’oreille : elle ne se contente pas d’émettre une espèce de bruit de buzzer qui correspond à un signal « stop », elle accompagne chacun de ces avertissements par un vigoureux coup de tête sur l’abeille concurrente, marquée en bleu et jaune. À la longue, ce comportement finit par inhiber la danse des factions minoritaires.
L’inhibition croisée se retrouve donc à l’échelle du neurone comme à celle de la colonie et permet aux abeilles d’éviter le triste sort de l’âne de Buridan. Même avec deux options de qualité équivalente, une très faible différence se trouvera amplifiée par ce mécanisme jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Et une ruche de plus, une !
* Pour plus de détails indémodables sur la vie d’une ruche, je reporte le lecteur amateur de dessin naturaliste vers le n° 28-29 de La Hulotte, détenteur du titre (certes peu contesté) de journal le plus lu dans les terriers.
Fabienne Gallaire
Sources
Specialized Face Learning Is Associated with Individual Recognition in Paper Wasps. M. J. Sheehan, & E. A. Tibbetts. (2011). Science, 334 (6060) : 10.1126/science.1211334
Stop Signals Provide Cross Inhibition in Collective Decision-Making by Honeybee Swarms. Thomas D. Seeley & al. Science. 8 décembre 2011 : 10.1126/science.1210361
C’est un des articles qui a fait le “buzz” du début de la semaine sur le site Internet du Monde. Son titre : “Pour sauver la planète, mieux vaudrait que les Américains cessent de se reproduire”. Le papier racontait qu’une association américaine de défense de l’environnement profitait de l’effet “7 milliards d’habitants” pour demander aux personnes habitant aux Etats-Unis de réfléchir à deux fois avant de procréer, étant donné qu’elles ont le plus fort impact en termes d’émissions de gaz carbonique. On pouvait y voir une série d’affichettes vantant les mérites des préservatifs pour la préservation (justement !) d’espèces animales, le tout avec des slogans à rimes dont voici un exemple traduit en français par mes soins : “Enveloppez soigneusement… Sauvez l’ours blanc.”
Au-delà de ces publicités, on a pu constater, au fil des dernières années, une multiplication des campagnes médiatiques pour, je cite, “sauver la planète”. Pour “sauver la planète”, ne mangeons plus de viande car une vache élevée, c’est x hectolitres d’eau, y tonnes de CO2, z flatulences et éructations remplies de méthane. Pour sauver la planète, préférons le vélo à l’auto sur les petits trajets. Pour sauver la planète, isolons bien nos maisons et ne les chauffons qu’à 19°C. Pour sauver la planète, préférons des appareils électro-ménagers moins gourmands en électricité ou des ampoules basse consommation. Pour sauver la planète, recyclons nos déchets. Pour sauver la planète, lavons-nous moins souvent et nos vêtements aussi. Pour sauver la planète, consommons local. Pour sauver la planète, sortons du capitalisme (pour reprendre le titre d’un livre de mon confrère du Monde, Hervé Kempf). Etc.
A lire tous ces slogans, j’ai envie de dire une chose. Ceux qui les ont écrits se trompent de sauvetage. Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver en agissant ainsi, mais bien l’humanité et, plus précisément, si l’on enlève l’hypocrisie, notre style de vie très confortable : je doute en effet que la majorité des humains mangent de la vache tous les jours, roulent en voiture, chauffent leurs maisons, aient quantité de grille-pain, de mixers et de machines à laver. Pour être très clair : la planète n’est pas à sauver parce qu’elle n’est pas en danger. Même si certains considèrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène, marquée par la capacité de l’homme à bouleverser son écosystème, à le polluer, à modifier la composition atmosphérique, à détruire massivement des espèces et des ressources naturelles, à créer des tremblements de terre, la planète n’en a cure. Pour la simple raison qu’elle a connu des révolutions bien plus profondes, des changements climatiques drastiques, cinq grandes extinctions de masse, des hivers nucléaires sans nucléaire mais avec volcans, des perturbations orbitales, des bombardements de météorites ou d’astéroïdes, des glaciations incroyables des dislocations de continents, et qu’elle s’en est toujours remise. La vie a toujours repris ses droits même lorsque, il y a 250 millions d’années, 96% des espèces marines ont disparu ainsi que 70% des vertébrés terrestres.
Pourquoi ? Parce que ce système naturel qu’est la Terre s’ajuste aux conditions qui lui sont imposées. Dans le cas du réchauffement climatique, la planète retrouvera, dans quelques siècles, un équilibre. Simplement, il sera bien loin de celui que nous connaissons et nos descendants risquent d’y laisser des plumes : parce que les extrêmes climatiques seront plus fréquemment atteints, parce que les villes côtières seront fragilisées par la montée des océans quand elles ne disparaîtront pas, parce que l’accès aux ressources naturelles de base telles que l’eau potable et la nourriture sera nettement plus problématique voire une source de conflits, parce que les services rendus gratuitement par la nature seront réduits en raison de la perte de biodiversité.
Invoquer la sauvegarde de la planète pour inciter les gens à un mode de vie plus respectueux de l’environnement est un argument défectueux. Ne pas expliciter qu’en ayant dépassé les limites de notre biosphère nous mettons en péril la survie même de notre propre espèce s’avère une manière de fermer les yeux sur nos responsabilités et sur les défis qui nous attendent. Comme une façon étrange de nous extraire de notre écosystème et d’oublier que nous constituons l’une des “cibles” des changements globaux, parce que nous sommes fragiles. C’est bien l’humanité qu’il faut sauver. La planète, elle, se sauvera toute seule.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est une disparition discrète, presque silencieuse, qui fait rarement la “une” des médias. Depuis environ trente ans, entre 30 et 40 % des populations d’amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons) ont subi un déclin très rapide. Des dizaines, voire des centaines, d’espèces sont soit très menacées soit déjà rayées de la carte. On ne connaît le principal coupable, un champignon microscopique nommé Batrachochytrium dendrobatidis (Bd pour les intimes), que depuis 1998. Cette année-là, j’avais rapporté dans Le Monde la minutieuse enquête qui avait permis à treize scientifiques de trois continents d’identifier ce champignon comme le responsable des “vagues de la mort” qui ravageaient les forêts tropicales. Une biologiste américaine, Karen Lips, de retour d’une campagne au Panama, racontait : “Je sortais le matin et voyais les grenouilles assises par terre le long du ruisseau. Elles avaient l’air parfaitement vivantes, comme si elles dormaient.” Mais les grenouilles, dont la couleur avait pâli, étaient mortes et toutes rigides. Leur peau souple avait durci comme du cuir séché.
Bd est un champignon. Les amphibiens meurent donc… d’une mycose. Celle-ci se développe dans la peau et la rend épaisse. Or, les amphibiens respirent, boivent par la peau et c’est aussi au travers de cette membrane que se fait l’absorption de certains sels minéraux. En perturbant tous ces échanges, Bd provoque des arrêts cardiaques ou des asphyxies chez les animaux.
Etant donné le déclin sans précédent que connaissent les amphibiens, les scientifiques recherchent des moyens d’enrayer l’épizootie et de combattre le champignon qui en est responsable, lequel s’est propagé un peu partout dans le monde. Il n’est d’ailleurs pas impossible que, dans certains cas, ce soient les biologistes eux-mêmes qui l’aient emmené dans certaines forêts reculées, à la semelle de leurs bottes… On a remarqué que des espèces résistaient mieux à Bd en raison de la présence, sur leurs corps, d’une bactérie jouant le rôle d’un antifongique. Lorsqu’on la rajoute sur la peau de grenouilles qui en sont dénuées, celles-ci sont ensuite protégées quand on les met en contact avec le champignon. Mais autant cette solution fonctionne bien en laboratoire, autant il est compliqué de l’appliquer dans la nature.
Une autre parade possible serait la lutte biologique : faire tuer le tueur de grenouilles par un autre organisme vivant, en l’occurrence par un être lui aussi très petit, un zooplancton. Dans une étude publiée le 25 août par la revue Biodiversity Conservation, une équipe de l’université de l’Oregon explique qu’aucun des efforts entrepris pour éradiquer le champignon dans les zones contaminées n’a été suivi de succès. Il serait donc plus réaliste, selon elle, de se contenter de contrôler Bd, dont les effets pathogènes sont moindres tant que ses spores ne sont pas suffisamment nombreux. Et, pour ce faire, ces chercheurs américains comptent sur une daphnie, un minuscule crustacé dont ils ont prouvé qu’il mangeait les spores aquatiques du champignon. L’idée serait donc d’augmenter artificiellement la présence de ces daphnies, déjà présentes dans les milieux naturels, non pas pour éliminer totalement le champignon, ce qui relève de la gageure, mais juste pour faire baisser sa densité, ce qui suffirait à protéger les amphibiens.
Encore faudra-t-il faire des essais en grandeur nature, d’une part pour vérifier que les daphnies sont aussi bons prédateurs sur le terrain qu’en laboratoire et, d’autre part, pour s’assurer que l’augmentation du zooplancton ne s’accompagnera pas de conséquences néfastes. L’histoire des luttes biologiques est en effet ponctuée de catastrophiques effets indésirables. Un des plus beaux exemples concerne… un amphibien, le crapaud buffle, introduit en Australie dans les années 1930 pour détruire les insectes qui s’attaquaient aux cannes à sucre. Non seulement l’animal n’a pas été très efficace dans sa lutte contre les coléoptères, mais il a aussi (et surtout) fait décliner des espèces locales de reptiles…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : pour ceux que les amphibiens et les menaces qui pèsent sur eux intéressent, je conseille le livre Evolution, extinctions : le message des grenouilles, écrit par deux spécialistes du Muséum national d’histoire naturelle, Alain Dubois et Annemarie Ohler.
– Les causes du mystérieux déclin des abeilles seraient en cours d’identification, selon Le Monde. Le coupable : une synergie mortelle entre un pesticide et un parasite intestinal de l’insecte pollinisateur.
– La crise alimentaire relance la recherche sur le blé, nous dit Le Figaro. Et notamment celles sur un blé génétiquement modifié résistant à la sécheresse.
– En attendant, le génome de la pomme de terre a été séquencé, ce qui pourrait permettre la création de variétés améliorées.
– Certains membres républicains de la Chambre des représentants veulent supprimer le James Webb Telescope, qui devrait, dans quelques années, prendre la succession du célèbre télescope spatial Hubble. Certes le projet est pharaonique, coûteux et en retard, mais l’arrêter serait une catastrophe pour nombre d’astronomes qui ont déjà poussé Hubble à ses limites.
– L’Autorité de sûreté nucléaire a autorisé, sous conditions, l’exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) pour dix ans de plus. En attendant les résultats des “stress tests” commandés après la catastrophe de Fukushima. Autant dire, souligne Libération, que la poursuite de l’exploitation de la centrale n’est pas encore assuré. Et puisqu’on évoque Fukushima, voici le lien vers le blog de Laurent Horvath sur le site du Temps, qui suit au jour le jour l’actualité de la catastrophe nucléaire japonaise.
– Le New York Times propose une solution au problème des espèces invasives : mangeons-les !
– Nous tuons plus de 100 millions de requins chaque année soit pour leurs ailerons, soit pour rien. Time lance donc un adieu aux squales mal aimés.
– J’avais, il n’y a pas si longtemps, consacré un billet aux étonnantes capacités des corbeaux à reconnaître les visages humains. Au point que l’armée américaine avait envisagé de s’en servir pour retrouver Oussama ben Laden. On apprend aujourd’hui que les pigeons aussi sont physionomistes.
– Pour finir : une nouvelle hypothèse sur ce qui a causé la mort de Mozart. Composant la nuit et dormant le jour, le génie n’aurait pas assez vu la lumière du Soleil, ce qui aurait causé un déficit en vitamine D. Mais aucun élément concret n’est là pour confirmer cette hypothèse émise par deux médecins dans une lettre envoyée au journal Medical Problems of Performing Artists.
Pierre Barthélémy
lire le billet
– Le protocole de Kyoto sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre prend fin en 2012. Mais son remplaçant n’est pas sûr de voir le jour : les Etats-Unis, le Japon, le Canada et la Russie ne veulent pas d’un nouvel accord contraignant. Le réchauffement climatique a de très beaux jours devant lui.
– Mon ancien collègue du Monde, Jérôme Fenoglio, est retourné au Japon, plus de deux mois après le tsunami meurtrier du 11 mars et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui l’a suivi. Il s’est rendu, avec le photographe Hirashi Narayama, dans les vallées et montagnes dont on croyait qu’elles seraient épargnées par la radioactivité mais qui, en réalité, ne le sont pas. Un portfolio bref, mais touchant. Le reportage au long cours est ici.
– Selon le Muséum national d’histoire naturelle et l’Union internationale pour la conservation de la nature, plus d’un quart des oiseaux nicheurs français seraient menacés de disparition.
– Si la planète Mars est si petite (un peu plus de 10 % de la masse de la Terre), c’est peut-être parce qu’elle s’est formée très rapidement et est restée ensuite dans un état embryonnaire.
– Le New York Times raconte l’émouvante destinée post-mortem de Julio Garcia, mort en 2010, dont les organes ont été transplantés dans les corps d’au moins 8 personnes (on ignore si les cornées on été données à une ou deux personnes). Un an après, sa famille a rencontré une partie des receveurs.
– Toujours dans le NYT, l’incroyable histoire de deux sœurs siamoises reliées par le crâne, les Canadiennes Krista et Tatiana Hogan. Incroyable parce que les cerveaux des deux fillettes semblent eux aussi reliés : ce que l’une perçoit, l’autre le ressent…
– Comment la police scientifique britannique a, plus de vingt ans après les faits, résolu deux doubles meurtres.
– Les rennes de l’Arctique peuvent voir dans la partie UV du spectre électro-magnétique, qui est inaccessible à l’œil humain. Peut-être une adaptation au “white-out” (un brouillard blanc des régions enneigées où la visibilité est parfois de moins d’un mètre), qui permet à ces animaux de se repérer et de détecter nourriture et prédateurs dans le blizzard.
– Quand un reptile mange un insecte, cela n’émeut personne. Mais quand un insecte géant (et un seul) dévore une tortue ou un serpent, cela fait un article et l’impressionnante photo ci-dessus qui, je le précise aux sceptiques en tous genres, n’est pas truquée (crédit : Shin-ya Ohba).
– Pour terminer : dans sa précédente sélection, le Globule relevait que la prédiction selon laquelle le jour du Jugement dernier tombait le 21 mai ne s’était pas avérée. La faute à une erreur de calcul, s’est excusé Harold Camping, l’auteur de la prophétie ratée. L’erreur est humaine, doivent se dire ceux qui ont dépensé tout leur argent à l’approche de ce jour fatidique. Camping a refait ses comptes et on se donne désormais rendez-vous devant l’Eternel le 21 octobre. Espérons que, cette fois, notre homme a pris une calculette. Il faut au moins ça pour annoncer l’apocalypse.
Pierre Barthélémy
lire le billet– En concluant que le rythme de disparition des espèces était réel mais surestimé, une étude publiée dans Nature crée une polémique sur l’érosion de la biodiversité.
– La Chine reconnaît que le barrage des Trois Gorges, le plus grand du monde, pose un certain nombre de problèmes humains (le sort du 1,3 million de personnes déplacées reste à améliorer) et environnementaux (comme des glissements de terrain, de la pollution ou un manque d’eau en aval). Pékin a annoncé un plan contre ces effets indésirables, explique Le Monde.
– Les climatosceptiques mettent souvent en avant les “centaines” d’études scientifiques allant dans leur sens pour dire que le consensus parmi les scientifiques n’est pas aussi général qu’on veut bien le dire. Le blog The Carbon Brief a réalisé une analyse de ces articles, pour s’apercevoir que 20 % d’entre eux étaient l’œuvre de seulement 10 personnes et que, sur ces 10 auteurs les plus prolifiques, 9 étaient liées… au pétrolier ExxonMobil. Autre enseignement, les climatosceptiques embrigadent contre leur gré un certains nombre de chercheurs dont le travail va en réalité dans le sens du réchauffement climatique. Mécontents, ceux-ci leur demandent ensuite d’être retirés de leurs références… en vain la plupart du temps. Enfin, 15% des articles sont publiés dans Energy and Environment, un journal dont les articles ne sont pas tous revus par des pairs, contrairement à la règle des revues scientifiques. Une analyse qui montre bien sur quels ressorts fonctionne le climatoscepticisme.
– Dix planètes sans étoiles viennent d’être découvertes, rapporte Le Figaro en citant un travail publié dans Nature. Ces orphelines ont probablement été éjectées des systèmes solaires où elles se sont formées.
– Toujours dans le cosmos, une nouvelle méthode confirme l’existence de la mystérieuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers. Mais on en n’a pas identifié sa nature pour autant…
– Avec la mort d’Oussama ben Laden puis l’affaire DSK, on en aurait presque oublié le Japon et les conséquences nucléaires du tsunami du 11 mars. A Fukushima, la situation ne s’améliore pas.
– Pour rester dans le monde de l’atome, Interpol vient de lancer une unité de prévention du terrorisme radiologique et nucléaire.
– Une étude britannique révèle qu’à force de passer beaucoup de temps devant les écrans, les enfants d’aujourd’hui sont moins musclés et incapables de réaliser certaines tâches physiques que les générations passées effectuaient.
– Pour terminer (mais pas définitivement…) : ce samedi 21 mai devait être, selon certains, le jour du Jugement dernier. “Caramba ! Encore raté !”, pourrait-on s’exclamer en plagiant le perroquet moqueur de l’Oreille cassée. “Encore”, parce que ce jour du Jugement dernier a été annoncé bien des fois. Petite liste de cinq prédictions erronées.
Pierre Barthélémy
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