Décidément, la biologie synthétique ne nous laisse pas un jour de répit. Après le premier organisme vivant modélisé, voici la méduse artificielle qui nage grâce aux cellules d’un coeur de rat. Ce nouvel exploit fait l’objet d’un article publié le 22 juillet 2012 dans la revue Nature Biotechnology.
“Morphologiquement, nous avons construit une méduse. Fonctionnellement, nous avons construit une méduse. Génétiquement, cette chose est un rat”, explique Kit Parker, biophysicien de l’université de Harvard qui a dirigé cette étude. Même si les termes choisis sont légèrement emphatiques et peu respectueux pour le “donneur”, ils semblent très bien décrire cette nouvelle création des biologistes qui fait largement appel au biomimétisme.
C’est en effet en observant la technique utilisée par les méduses pour se propulser dans l’eau que les chercheurs, qui travaillaient sur la création de modèles artificiels des tissus du coeur humain, ont établi le parallèle. Lors d’une visite de l’Aquarium New England de Boston en 2007, Kit Parker a eu une révélation. “J’ai vu une méduse sur un écran et cela m’a frappé comme un coup de tonnerre”, raconte-t-il. “J’ai pensé: je sais que je peux construire ça”.
Avec l’aide de John Dabiri, bioingénieur spécialisé dans la propulsion biologique, et Janna Nawroth, diplômée du California Institute of Technology (Caltech) à Pasadena, il s’est mis au travail. D’abord en étudiant les mécanismes permettant aux méduses de nager. L’équipe a découvert que la forme en cloche des Aurelia aurita est constituée d’un couche unique de muscles dont les fibres sont alignées autour d’un anneau central et le long de huit rayons.
Pour obtenir la contraction des muscles, la méduse envoie des ondes électriques lentes qui se propagent le long des fibres comme les ondulations provoquées par un caillou jeté dans l’eau. “C’est exactement ce que l’on peut voir dans un coeur”, note Kit Parker qui parie que, pour obtenir une pompe musculaire, l’électricité doit se propager comme un front d’ondes.
Janna Nawroth s’est alors chargée de faire croître une couche unique de cellules de muscle du coeur d’un rat sur une surface plane de polydiméthylsiloxane. Quand un champ électrique est appliqué à la structure souple, le muscle se contracte rapidement ce qui compresse la feuille de polymère et imite le battement de la méduse qui nage dans l’eau.
“Nous avons démonté un rat et nous l’avons reconstruit en méduse”, résume Kit Parker avec son art consommé de la formule mesurée. Le biomimétisme est tel que les chercheurs ont reproduit également le courant d’eau que crée la nage des méduses et qui leur permet de se nourrir. Modestement, Kit Parker estime avoir fait monter une marche à la biologie synthétique. Il n’hésite pas à considérer que son avancée n’a rien de commun avec la pratique classique de cette discipline qui consiste à introduire des gènes dans une cellule vivante. “Nous, nous avons construit un animal. Il ne s’agit pas uniquement de gènes mais de morphologie et de fonction”, conclut-il.
Comme quoi l’euphorie de la découverte peut conduire à des déclarations exagérées. Certes, l’équipe de Kit Parker a fidèlement reproduit les mouvements de la méduse à l’aide de cellules musculaires du coeur d’un rat. Mais, à la différence des vraies méduses, la sienne ne peut se mouvoir que dans un liquide soumis à un champ électrique. De là à dire qu’il s’agit d’un animal… Plus raisonnablement, il s’agit d’un modèle expérimental de coeur. Pour aller plus loin vers leur objectif, les chercheurs vont tenter de remplacer les cellules de coeur de rat par des cellules de coeur humain. Il espèrent alors obtenir une plateforme d’essai pour des médicaments visant à renforcer l’activité du coeur. Ce qui semble assez raisonnable.
Mais l’incorrigible Kit Parker rêve déjà d’autres exploits et déclare avoir une commande pour… un poulpe.
Michel Alberganti
lire le billet
Derniers commentaires