L’agriculture peut tirer profit de la biodiversité au lieu de la détruire

Rio+20, le dernier sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro du 20 au 22 juin 2012 n’a pas dérogé à la règle qui semble être devenue la marque des grands rassemblements de chefs d’Etat et de gouvernement (130 à Rio) autour des questions d’écologie ou de climat : la déception. Cette fois, au moins, les débats n’ont pas traîné en longueur comme lors de la conférence de Durban, en décembre 2011. Le document final avait été rédigé avant même l’arrivée des « décideurs ». Sage stratégie. Maigre résultat. A lire ce texte de 60 pages, on a souvent l’impression qu’il concerne le sommet de Rio de 1992 et non celui de 2012. On peut y lire, par exemple, au sujet de la biodiversité : « Nous sommes conscients de la gravité de la perte de la biodiversité et de la dégradation des écosystèmes qui entravent le développement mondial, compromettant la sécurité alimentaire et la nutrition, l’accès à l’eau et son approvisionnement ainsi que la santé des pauvres des zones rurales et des populations dans le monde, y compris pour les générations présentes et futures ».

20 ans de prise de conscience

On aurait pu penser, sans doute naïvement, que, 20 ans après, les décideurs avaient dépassé le stade de la prise de conscience et se trouvaient en pleine action. A elle seule, cette phrase résume le paradoxe de ce décalage. Elle énumère en effet une série de conséquences de la perte de biodiversité sur la planète qui se révèlent encore plus graves que celles du réchauffement climatique. Pourtant, pas plus que dans ce domaine, l’heure n’est guère aux décisions contraignantes. Plus loin, le texte annonce : Nous « lançons un appel en faveur de mesures urgentes qui réduisent sensiblement le taux de perte de biodiversité, mettent fin à ce processus et permettent de l’inverser ».Face à ce qui est présenté comme une véritable catastrophe, les décideurs, 20 ans après le Sommet de Rio et la Convention sur la biodiversité signée alors, lancent un appel…

Sur le modèle du GIEC pour le climat

Cela signifie-t-il qu’il ne s’est rien passé en deux décennies et que la question de la biodiversité souffre d’un attentisme plus profond encore que celle du réchauffement climatique ? Oui et non. Oui parce que la création d’une structure comparable à celle du GIEC pour le climat ne date que du 21 avril 2012. Elle est malheureusement affublée d’un nom peu ragoutant : IPBES, pour Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, dénomination qui n’a, semble-t-il, pas encore été traduite en français… Lors de sa création, Robert Watson, conseiller scientifique du ministère de l’environnement du Royaume Uni, s’est exclamé : « Aujourd’hui, la biodiversité a gagné ! » Sans forcément céder à cet enthousiasme, il est néanmoins possible de dégager quelques points positifs dans l’évolution de la prise en compte de la biodiversité au cours des 20 dernières années :

1°/ La sensiblerie au placard

Bonne nouvelle pour ceux qui ne pouvaient plus voir en photo l’ours blanc à la dérive sur son bloc de glace. Ou celles du panda suggérant la privation programmée de toutes peluches pour les bambins des futures générations. La corde de la sensiblerie semble définitivement usée et remisée au rayon des accessoires hors sujet. Compter sur la larme à l’œil de la population n’a pas donné les résultats escomptés et, surtout, elle a totalement échoué sur le plan pédagogique. Le problème de la perte de la biodiversité ne se résume pas à la protection de quelques espèces, certes sympathiques, mais dont la disparition ne bouleversera pas le mode vie de l’humanité. Or, même si l’on peut souvent s’en désoler, la grande majorité des êtres humains n’est sensible qu’aux problèmes susceptibles de le toucher directement. C’est-à-dire d’affecter sa santé, son confort, son travail ou l’avenir de ses enfants.

2°/ L’impact négatif sur l’homme

Justement, la perte de biodiversité n’est plus considérée comme une simple douleur pour les amoureux de la nature ou une perte d’outil de travail pour les biologistes. La notion de services fournis par les écosystèmes désigne les apports à l’homme par certains équilibres naturels. Un exemple : la destruction massive des requins par la surpêche engendre une prolifération de certaines espèces qui ont perdu leur prédateur. C’est le cas des raies. Or, ces dernières se nourrissent de coquillages comme les coquilles Saint-Jacques qui constituent l’une des principales ressources économiques pour les populations côtières. Ainsi, un déséquilibre provoqué par l’homme entraîne directement un phénomène nuisible pour l’homme. La leçon est claire : ce sont les requins qui garantissaient la récolte des coquillages. Avant même la disparition d’une espèce, une réduction importante de ses effectifs peut ainsi avoir des conséquences néfastes sur l’industrie humaine. On pense également aux abeilles dont le travail de pollinisation est estimé en dizaines de milliards de dollars. Déjà, leur raréfaction induit des coûts importants de transport et de location des ruches pour pallier l’absence d’abeilles locales. Là encore, avant même leur éventuelle disparition, la forte mortalité des abeilles, désormais attribuée à un cocktail de doses subléthales d’insecticides, coûte très cher aux cultivateurs d’arbres fruitiers.

3°/La possibilité d’une agriculture écologiquement  intensive

Un tel constat de l’impact négatif sur l’activité humaine des déséquilibres écologiques engendrés par cette même activité conduit naturellement à s’interroger. La guerre que mène actuellement l’agriculture contre l’environnement, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, est-elle la solution optimale ? Non pas pour préserver la nature mais bien pour en tirer le meilleur profit ? Une telle question prend à contre-pied les militants de la décroissance pour lesquels la protection de la nature passe pas l’abandon de la culture intensive. Or, la démographie galopante des pays émergents rend fortement improbable de parvenir à nourrir la planète sans, au contraire, augmenter la productivité de l’agriculture dont les surfaces cultivables sont passablement réduite par les productions destinées aux biocarburants. Que faire ? Augmenter encore les fameux intrants, engrais et pesticides ? Recourir aux OGM ? Ou bien faire appel au concept qui se développe depuis quelques années : l’agriculture écologiquement intensive. L’idée fait son chemin comme en témoigne, par exemple, la tribune publiée dans Slate Afrique par Bernard Giraud, président de Livelihoods Venture près Rio+20. De quoi s’agit-il ?

Subvenir à des besoins alimentaires croissants

Dès 1999, Kenneth Cassman, professeur d’agronomie à l’université du Nebraska-Lincoln, plaidait pour une « intensification écologique des systèmes de production de céréales », dans un article publié dans les Proceedings of the National Academy of Science (PNAS) des Etats-Unis. Sa thèse n’a rien à voir avec un quelconque retour à la bougie ou au troc du tracteur pour les bœufs. Il s’agit de trouver des solutions agronomiques pour subvenir aux besoins croissants de la population du globe dans un contexte de surfaces cultivables limitées. L’article de Kenneth Cassman concluait :

« La sécurité alimentaire des 30 années à venir dépendra de rapides avancées scientifiques dans la compréhension des bases physiologiques du potentiel de rendement des récoltes, des relations entre la qualité des sols et la productivité des récoltes, de l’écologie des végétaux en relation avec les nombreux facteurs d’interaction avec l’environnement qui détermine les rendements. Atteindre ces objectifs scientifiques est possible, mais les actuels niveaux d’investissement dans ces domaines de recherche, aux Etats-Unis ou ailleurs,  ne sont pas adaptés pour relever ce défi ».

Au-delà de la révolution verte

En d’autres termes, l’ère de l’agriculture intensive issue de la révolution verte ne sera pas capable de subvenir aux besoins alimentaires des prochaines décennies. Les gains de rendement nécessaires ne peuvent passer que par la prise en compte de facteurs écologiques. De fait, les rendements de la culture du blé stagnent depuis 1999, selon les chiffres de la FAO. Le nouveau chantier vise donc à réconcilier l’agriculture avec l’écologie, non pas pour seulement préserver la nature mais, aussi, pour améliorer l’efficacité des cultures. Nous entrerions alors dans une période d’études des mécanismes intimes de la croissance des végétaux.

De quoi donner une tout autre signification à la démarche écologique. Au lieu d’opposer systématiquement l’homme à la nature, il s’agirait d’optimiser les relations entre les deux « camps ». Les bénéfices attendus par l’humanité pourraient bien alors se révéler compatibles avec ceux des équilibres écologiques. La biodiversité ne serait plus uniquement considérée sous l’angle des agressions à combattre mais sous celui des apports mutuels des espèces entre elles. Un rêve ?…

Michel Alberganti

Sur ce thème, vous pouvez (ré)écouter l’émission sur j’ai animée sur France Culture le 22 juin 2012 : Rio+20 : La perte de biodiversité est-elle une perte pour l’homme ?

Regardez egalement cette vidéo très didactique sur les impacts de la biodiversité sur l’homme:

2 commentaires pour “L’agriculture peut tirer profit de la biodiversité au lieu de la détruire”

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