Un vaccin anti-nicotine prometteur

Pour les souris souffrant d’une dépendance à la nicotine, il va devenir beaucoup plus facile de s’en passer… Pour les hommes, il va falloir attendre un peu mais la piste ouverte par les chercheurs du Weill Cornell Medical College de l’université Cornell à New-York, semble prometteuse. L’idée est simple: pour stopper la dépendance à la nicotine, il suffit de l’empêcher de parvenir au cerveau. L’équipe de Ronald G. Crystal, professeur de médecine génétique, promet même une protection à vie… “Le meilleur moyen de traiter la dépendance chronique à la nicotine des fumeurs est de disposer de patrouilles d’anticorps, style Pac-Man, qui nettoient le sang de la nicotine avant qu’elle ait eu le temps de provoquer le moindre effet biologique”, déclare-t-il au sujet de l’étude dont il est le principal auteur et qui a été publiée dans la revue Science Translational Medicine du 27 juin 2012.

L’échec des vaccins passifs

“Notre vaccin permet au corps de fabriquer ses propres anticorps monoclonaux contre la nicotine et de développer ainsi une immunité qui fonctionne”, explique Ronald Crystal. L’idée est si simple que l’on peut se demander pourquoi les chercheurs n’y ont pas pensé plus tôt. Il suffit en effet de traiter la nicotine comme un virus ou une bactérie infectieuse. Si l’on apprend au système immunitaire à reconnaître cette molécule comme un agresseur, il la détruira. Ainsi, la nicotine ne pourra plus parvenir au cerveau et activer les centres de plaisir qui sont à l’origine de la dépendance. CQFD.

Un vaccin du troisième type

Les essais précédents de vaccin contre la nicotine avaient échoué parce qu’ils apportaient eux-mêmes des anticorps. Leur efficacité était ainsi réduite à une durée de quelques semaines et ils imposaient des injections répétées et coûteuses. De plus, les doses nécessaires étaient variables suivant les patients. Ce type de vaccin est dit passif car il ne fait pas appel au système immunitaire contrairement à ceux, dits actifs, qui eux apportent une faible dose de l’agresseur afin que le système immunitaire apprennent à le reconnaître et à le détruire. Les chercheurs de Cornell ont mis au point un troisième type de vaccin, dit génétique, développé initialement pour traiter certaines maladies des yeux et certains types de tumeurs.

Missile guidé

Pour la nicotine, les scientifiques ont utilisé la séquence génétique d’un anticorps spécialement créé pour attaquer de la nicotine par l’un des co-auteur, Jim D. Janda du Scripps Research Institute, et ils l’ont introduit dans un virus conçu pour être inoffensif. Ils ont également introduit dans ce virus les informations nécessaires pour qu’il se fixe sur les cellules du foie. C’est ainsi que le virus sert de vecteur à la manière d’un missile guidé. Sa charge utile est constituée par la séquence génétique de l’anticorps anti-nicotine. Lorsque la cible est atteinte, la séquence génétique de l’anticorps s’intègre au noyau des cellules du foie. Ainsi reprogrammées, ces dernières se mettent aussitôt à produire en série des molécules d’anticorps anti-nicotine parmi toutes les autres qu’elles fabriquaient auparavant. Le tour est joué.

Forte décontraction

Chez les souris, le vaccin a provoqué la production de taux élevés d’anticorps que les chercheurs ont pu mesurer dans le sang des animaux. Ils ont pu également observer qu’une faible partie de la nicotine injectée dans l’organisme des souris parvenait au cerveau. Il semble que les animaux n’ont pas été affectés par cette double injection et ont poursuivi une activité normale. En revanche, ceux qui n’avaient reçu que l’injection de nicotine ont affiché une attitude de forte décontraction tandis que leur pression sanguine et leur rythme cardiaque baissait, signes révélateurs de l’action de la nicotine sur le cerveau.

De la désintoxication à la prévention

Les chercheurs s’apprêtent maintenant à tester le vaccin sur des rats et des primates avant de passer aux essais sur l’homme. Pour Ronald Crystal, cette solution pourrait aider les personnes qui souhaitent arrêter de fumer à ne pas rechuter car, si elles recommençaient à fumer, elles n’obtiendraient plus le plaisir escompté. Il estime également, étant donné l’absence d’effets nocifs du vaccin, qu’il pourrait être administré à titre préventif, comme les vaccins contre les maladies infectieuses. “Tout comme lorsqu’ils décident de faire vacciner leurs enfants contre les papillomavirus (HPV), les parents pourraient faire appel au vaccin contre la nicotine. Mais il s’agit d’une option théorique pour l’instant”, ajoute avec prudence le chercheur. “Nous devons, bien entendu, évaluer le bénéfice-risque et il faudra des années d’études pour l’établir“.

Une réflexion nécessaire

Les travaux de Ronald Crystal ne peuvent que susciter l’admiration face à l’exploit médical et l’espoir pour ceux qui désirent arrêter de fumer sans y parvenir avec les méthodes actuelles. Ils appellent également quelques remarques. Il est notable que la démarche s’attaque à la nicotine, composant du tabac qui engendre le plaisir de fumer et qui n’est pas à l’origine des maladies provoquées par le tabagisme. Le vaccin a donc l’effet inverse des prises orales de nicotine visant à apporter la satisfaction sans les effets nocifs. La méthode consistant à détruire définitivement une source de plaisir peut également faire débat. Elle s’apparente en effet à une forme de castration… Enfin, il est notable que la puissance de la technique de thérapie génique utilisée, si elle fonctionne sur l’homme, revient à modifier le génome de certains cellules du corps humain. L’action du vecteur virus rappelle la procédure qui a permis de soigner les bébés bulles en France. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à l’extraordinaire potentiel de telles modifications effectuées au plus profond de l’organisme humain. Comme dans d’autres domaines de la médecine, cette réflexion conduira sans doute à tenter d’encadrer ces pratiques afin d’en éviter les dérives. Pour l’heure, réjouissons nous de cette avancée qui laisse poindre la perspective d’une éradication du tabagisme.

Michel Alberganti

5 commentaires pour “Un vaccin anti-nicotine prometteur”

  1. Il faut aussi être absolument sûr que la dépendance au tabac se résume à une dépendance à la nicotine alors que les patchs nicotiniques n’empêchent pas certains fumeurs de continuer à fumer parce que les travaux de chercheurs comme Jean Pol Tassin semble démontrer la dépendance au tabac est plus compliquée qu’une simple dépendance à la nicotine (84 % des gens qui prennent un patch rechutent dans l’année qui suit).
    L’espoir est évidemment l’aspect vaccination si on intervient avant la mise en place de la dépendance, c’est à dire une action en amont de la prise de drogue qui supprime le plaisir c’est à dire la libération de dopamine et qui empêcherait ce “découplage” des circuits de la noradrénaline et de la sérotonine que décrit Jean Pol Tassin et qui semble irréversible.
    La question reste que la recherche de plaisir est une attitude constante de l’être humain et qu’en l’absence de plaisir avec le tabac qu’elle serait la substitution pour ceux dont l’équilibre psychique n’est pas stable ?
    Jean Pol Tassin, Directeur de recherches au Collège de France, expliquait sur le site du collège de France en 2010 pourquoi la dépendance au tabac ne se résume pas à une dépendance à la nicotine.
    http://lettre-cdf.revues.org/283

  2. Mens sana in corpore sano, Amen.

  3. je ne peux être qu’ admiratif face à une découverte de ce type!et qui permettrait enfin aux gens comme moi d’ arrêter enfin vraiment de fumer!
    Mais dans ce monde dominé presque uniquement par des lobbys, pensez vous réellement que l’ industrie du tabac laissera diffuser un remède miracle pour stopper leur bénéfice ?? j’en doute sérieusement….malheureusement.

  4. @ Julien
    Je ne suis pas sûr qu’un “vaccin” puisse “guérir” un fumeur dépendant pour les raisons données par Jean Pol Tassin dans son interview.
    En effet, si on en croit les travaux de ce chercheur, la dépendance au tabac ne serait pas liée à la nicotine.
    Parmi les 3000 constituants présents dans le tabac, il y a des inhibiteurs de la monoamine-oxydas qui semblent jouer un rôle essentiel dans le découplage des circuits de la noradrénaline et de la sérotonine qui serait la cause de toutes les addictions et en particulier la dépendance au tabac.
    Encore une fois l’utilisation de patch à la nicotine n’empêche pas le fumeur de fumer et le taux de rechute reste considérable (84 %).
    Supprimer les effets de la nicotine dans le cerveau pourrait être très utile pour empêcher des jeunes de commencer à fumer avant que la dépendance s’installe.
    L’effet pourrait même s’avérer paradoxalement catastrophique puisque l’absence de satisfaction en réponse à un “manque” pourrait conduire le fumeur à chercher “d’autres solutions” pour satisfaire son manque.
    Le plaisir recherché avec le tabac (qui à l'”avantage” de ne pas créer comme d’autres drogues une altération de la conscience) risquerait d’être recherché dans d’autres drogues dont les effets sont malheureusement souvent pires.
    On est dépendant au tabac probablement pour des raisons de fragilité personnelle puisque si 90% des fumeurs réguliers sont dépendants, seul 22% de la population sont devenus dépendants.
    Comme au loto tous les “gagnants” ont “joué” mais la plupart des “joueurs” sont des “perdants“.

  5. […] vogue du vaccin ne se dément pas. Après la nicotine, voici l’obésité. Les vendeurs de régimes diététiques n’ont qu’à bien se […]

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