Un(e) homo au premier coup d’oeil ?

Selon Joshua Tabak, du département de psychologie de l’université de Washington, nous disposerions tous, ou presque, d’un “gaydar”, un radar nous permettant de reconnaître presque instantanément l’orientation sexuelle d’une personne. Cette aptitude, qui fonctionne même devant une photo présentée inversée (le haut en bas) serait toutefois plus précise lorsqu’il s’agit de visages de femmes que lorsqu’il s’agit de visages d’hommes. En d’autres termes, nous reconnaissons plus facilement une homosexuelle qu’un homosexuel. Avec Vivian Zayas, du département de psychologie de l’université de Cornell à New York, Joshua Tabak s’est interrogé sur le processus mental qui nous permet de deviner l’orientation sexuelle, malgré une faible quantité d’informations visuelles, avec un taux de réussite supérieur au hasard.

Dans une étude publiée le 16 mai 2012 dans la revue Plos One, les chercheurs s’interrogent: “Cette aptitude est-elle la même que celle qui nous permet de distinguer immédiatement une femme d’un homme, ou un noir d’un blanc?” Joshua Tabak remarque qu’une telle capacité, qu’elle relève de l’observation ou de l’instinct, s’oppose à l’affirmation courante qu’il suffit de garder ses orientations sexuelles pour soi afin que personne ne les connaisse et qu’ainsi les discriminations soient évitées. L’argument est souvent utilisé par ceux qui s’opposent aux politiques antidiscriminatoires de protection des homosexuel(le)s ou des bisexuels.

 

Exemples de visages présentés aux participants

L’étude est basée sur la présentation de 96 photos à chacun des 129 étudiants participants. Les photos représentent des hommes ou des femmes jeunes ayant donné leur orientation sexuelle au préalable: homosexuelle ou hétérosexuelle. Pour éviter toute information révélatrice, les chercheurs ont utilisé des photos en noir et blanc, sans chevelure ni lunettes ni maquillage ou piercing.

Pour les visages féminins, les participants ont deviné l’orientation sexuelle exacte dans 65% des cas lorsque les photos leur ont été présentées sur un écran d’ordinateur. Avec des visages présentés renversés, le taux de réussite descend à 61%.

La distinction d’un homosexuel chez les hommes se révèle plus délicate: 57% de succès seulement et 53% lorsque l’image est renversée. Dans tous les cas, les résultats se situent ainsi au dessus du seuil de 50%, celui du hasard pur.

A l’origine de la différence de réussite entre les visages d’hommes et de femmes, les chercheurs notent un plus grand nombre d’attributions d’une orientation homosexuelle à des visages qui étaient en fait ceux d’hétérosexuels. Pourquoi ? Joshua Tabak émet deux hypothèses: soit les participants sont plus familiarisés avec l’homosexualité masculine ce qui les conduit à attribuer plus facilement cette orientation. Soit la différence entre un visage de femme homosexuelle et celui d’une femme hétérosexuelle est plus notable que dans le cas des hommes.

Néanmoins, de multiples biais d’expériences limitent l’interprétation des résultats. Le principal réside dans l’échantillon des participants: 129 étudiants dont 92 femmes… La difficulté à reconnaître un visage homosexuel masculin est probablement lié, au moins en partie, à ce déséquilibre initial. S’y ajoute une différence dans les photos présentées: 111 homosexuels, 122 hétérosexuels, 87 homosexuelles, 93 hétérosexuelles. Ces écarts introduisent de nouveaux parasites dans les résultats et rendent toute interprétation fine probablement hasardeuse, malgré les corrections statistiques réalisées.

L’intérêt de l’étude réside néanmoins dans la mise en évidence des performances globales de ce “gaydar”. Les chercheurs notent la rapidité de son analyse: les photos n’étaient présentées que pendant 50 millisecondes, soit le tiers de la durée d’un clignement d’yeux ! Que le taux de réussite pour les images inversées soit supérieur à 50% dans de telles conditions est significatif et il a surpris les expérimentateurs eux-mêmes.

Pour aller plus loin, un autre biais devra être corrigé. Les participants étaient âgés de 18 à 25 ans. Cela ne permet pas d’évaluer l’efficacité du “gaydar” de l’ensemble de la population. Loin de là. Au final, il est probable qu’il nous reste une chance non négligeable de ne pas afficher notre orientation sexuelle sur notre visage, au vu et au su de tout le monde. Ce qui est plutôt rassurant, question protection de la vie privée. Néanmoins, de telles études pourraient donner des idées à ceux qui conçoivent les logiciels de reconnaissance faciale… Ce qui est plus inquiétant.

Michel Alberganti

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