Ce que nous révèlent les magiciens sur les failles de notre perception

Les chercheurs de l’Institut Barrow Neurological à l’hôpital Saint Joseph de Phoenix, travaillent sur la façon dont le public, c’est-à-dire nous, perçoit les tours des magiciens. Autrement dit, ils traquent les mécanismes et leurs failles qui, dans notre cerveau, sont exploités par les illusionnistes pour tromper, détourner et manipuler notre attention. Ils s’attaquent ainsi à un domaine peu exploré alors qu’il intéresse directement aussi bien les militaires ou les commerciaux que les sportifs. Toutes professions qui tentent d’exploiter à leur profit les faiblesses de leurs adversaires ou de leurs cibles.

Deux docteurs de l’Institut, Susana Martinez-Conde, du laboratoire de neuroscience visuelle et Stephen Macknik, du laboratoire de neurophysiologie comportementale, ont déjà publié plusieurs articles sur leurs travaux d’analyse de la magie et des illusions. Le dernier en date, paru dans la revue Frontier in human Neuroscience en novembre 2011, relate leurs résultats concernant la perception des gestes du magicien par le public.

L’une de leurs études a été réalisée en collaboration avec le magicien Apollo Robbins, qui se définit lui-même comme “gentleman voleur” et qui s’est fait connaître comme pickpocket des agents des sécurité accompagnant le président Carter. Apollo Robins pense que le public réagit différemment suivant le type de geste qu’il fait. Pour lui, lorsqu’il déplace sa main en ligne droite pendant qu’il réalise un tour, chaque spectateur ne concentre son attention que le point de départ et le point d’arrivée de son geste. Et il ne perçoit pas ce qui se passe entre temps. A l’inverse, lors d’un mouvement courbe, l’assistance suit chaque instant du geste.

Mouvements rectilignes ou courbes

En étudiant les mouvements oculaires de spectateurs, les scientifiques de l’Institut Barrow ont pu confirmer le pressentiment d’Apollo Robins. Mais il sont allés un peu plus loin. Ils ont en effet découvert que les différents gestes déclenchent deux types de mouvements des yeux: l’un, continu, est capable de suivre un geste courbe; l’autre saccadé, passe d’un point d’intérêt à un autre dans le cas d’un geste rectiligne. Pour Susana Martinez-Conde, ce constat, s’il intéresse les magiciens, peut également se révéler précieux pour les stratégies de fuite d’une proie poursuivie par un prédateur dans la nature, les tactiques militaires et le marketing. Cette découverte est considérée comme la première réalisée dans le domaine des neurosciences à partir d’une théorie formulée, à l’origine, par un magicien et non par un scientifique.

Positions moyennes des yeux des spectateurs pendant le faux passage de la pièce de la main gauche à la main droite dans deux cas de figure: mouvement rectiligne ou mouvement courbe.

Les expressions du visage ne jouent pas toujours un rôle

Forts de cette réussite, les deux chercheurs ont fait appel à un autre magicien, Mac King, pour analyser le tour classique de la pièce qui disparaît en passant d’une main à l’autre. En réalité, la pièce reste dans la première main. Mais la simulation du passage à l’autre main est si réussie par le magicien qu’il trompe nos neurones. Ceux-ci réagissent alors exactement comme si la pièce avait effectivement changé de main.

Susana Martinez-Conde et Stephen Macknik ont également soupçonné que les perceptions erronées du public pouvait être induites par les expressions du visage du magicien. Ils ont donc présenté à un public deux vidéos de Mac King. Dans la première, les spectateurs pouvaient voir le visage du magicien pendant son tour. Dans la seconde, le visage de Mac King était masqué. Résultat: pas de différence. Surprise, Susana Martinez-Conde en déduit que “les fausses pistes sociales dans la magie sont plus complexes que nous le pensions et qu’elles ne sont pas nécessaires pour tous les tours”.

Un public averti…

Bien sûr, les découvertes des chercheurs sont encore loin de menacer les secrets des magiciens. On comprend qu’ils collaborent à ce type de recherches… Néanmoins, il semble louable que des scientifiques s’attaquent enfin à l’étude de tels phénomènes qui peuvent nous en apprendre beaucoup sur les lacunes de notre perception de la réalité. Histoire de nous inciter à la prudence. Il ne suffit pas de voir pour croire. Sinon, le risque de prendre des vessies pour des lanternes s’aggrave terriblement. Que les magiciens de la politique, eux aussi, se le disent. La science pourrait bientôt mettre à jour leurs meilleurs tours… En attendant de perdre notre naïveté, profitons du plaisir de la magie proposée par Apollo Robins et Mac King:

Michel Alberganti

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