HMGA2 : Le gène de l’intelligence ?

“The Brain Show” pièce de théâtre avec l’actrice Suzy Polucci

Faute de comprendre les mécanismes à l’oeuvre, la recherche médicale fait de plus en plus appel aux statistiques. C’est le cas pour le cancer ou les allergies. Et aussi pour l’étude des maladies du cerveau et des mystères de l’intelligence grâce à la génétique. Le principe est simple: analyser un grand nombre d’images du cerveau par IRM (Imagerie par résonance magnétique) ainsi que le  génome de leur propriétaire pour tenter de déceler des corrélations entre les deux. Comme pour toute statistique, la qualité et la taille de l’échantillon pris en compte influence fortement la pertinence du résultat.

C’est pour cette raison que les chercheurs ont créé un projet mondial, ENIGMA, rassemblant 200 scientifiques appartenant à 100 institutions réparties sur la planète. Ensemble, ils ont étudié des milliers d’images IRM prises sur 21 151 personnes en bonne santé dont ils ont également analysé l’ADN. Leurs résultats ont été publiés, le 15 avril 2012, dans la revue Nature Genetics.

“Nous avons cherché deux choses dans cette étude, indique Paul Thompson, professeur de neurologie à l’école de médecine David Geffen de l’université de Californie Los Angeles (UCLA). Nous sommes partis à la chasse aux gènes qui augmentent vos risques d’avoir une maladie dont vos enfants peuvent hériter. Nous avons également cherché les facteurs qui provoquent une atrophie des tissus et réduisent la taille du cerveau, caractéristiques qui sont des marqueurs biologiques de maladies héréditaires comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression, la maladie d’Alzheimer et la démence”.  L’étude ENIGMA est née il y a trois ans lorsque certains chercheurs ont détecté l’existence des gènes de risque pour certaines maladies. Ne comprenant pas bien leur influence, les scientifiques ont décidé de se lancer dans cette analyse mondiale associant images du cerveau et décryptages du génome.

Les deux principaux résultats obtenus sont les suivants:

  1. Gènes et taille du cerveau. Grâce à l’ampleur de l’étude, les chercheurs ont identifié de nouvelles variantes génétiques qui sont présentes chez les personnes qui disposent d’un cerveau plus gros que les autres ainsi que des différences dans des régions critiques concernant l’apprentissage et la mémoire. De subtiles variations génétiques engendrent une réduction de la taille de ces zones. Et ce sont les mêmes gènes qui sont en cause chez les individus provenant de différentes origines géographiques (Australie, Amérique du Nord, Europe). L’identification de ce lien entre l’action de certains gènes sur la taille du cerveau ou de certaines de ses zones peut permettre, selon les chercheurs, de concevoir des thérapies visant à limiter les risques de maladies. Ou de prescrire des exercices, des régimes ou des stimulations du cerveau destinés à effacer les effets de leur “mauvais” gène.
  2. Gène et intelligence. En prime, car cela ne faisait pas partie de leurs objectifs initiaux, les chercheurs ont découvert un lien entre un gène et le degré d’intelligence. Il s’agit du gène appelé HMGA2 qui influence à la fois la taille du cerveau et l’intelligence. L’ADN comprend quatre bases: A, C, T et G. Les personnes dont le gène HMGA2 porte la lettre C au lieu de la lettre T disposent d’un cerveau de plus grande taille et obtiennent de meilleurs résultats aux tests de QI. “Le fait qu’un simple changement de lettre induise un cerveau plus gros est une découverte très excitante”, souligne Paul Thompson. “Nous avons établi ce lieu sans équivoque et cela ouvre de nouvelles voies de recherche sur la façon de moduler l’impact de ce lien génétique sur le fonctionnement du cerveau et l’intelligence”, précise-t-il.

Le projet ENIGMA va maintenant se poursuivre en prenant en compte ces résultats. Il doit s’orienter sur l’étude d’affections comme la maladie d’Alzheimer, l’autisme et la schizophrénie qui sont liées à des perturbations dans le câblage du cerveau.  Les chercheurs vont donc partir en quête des gènes qui influencent la façon dont le cerveau est câblé grâce à une nouvelle technique d’imagerie, l’IRM de diffusion, qui permet de visualiser les voies de communication entre les cellules d’un cerveau vivant.

De telles recherches illustrent parfaitement le croisement toujours inquiétant entre le travail sur des maladies et l’ouverture de possibilités d’analyse qui n’ont rien de médical. Lorsque le décryptage du génome sera devenu pratique courante, comment éviter que l’analyse du gène HMGA2 ne devienne un critère de sélection ? Les tests de QI sembleront alors bien vieillots. Et l’on risque de regretter leur imprécision. De là à imaginer des tests génétiques sur les embryons, il n’y a qu’un pas. Une façon d’accélérer, ou plutôt d’orienter, l’évolution naturelle de la race humaine en éliminant les prétendants à la vie qui auront la lettre T au lieu de C dans leur gène HMGA2… A moins que la conservation des T ne soit utile pour la société, sachant que l’on a toujours besoin d’un moins intelligent que soi. Et l’on ne peut guère s’empêcher de penser aux Alphas et aux Epsilons du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley paru en 1932, il y a tout juste 80 ans. Ne se serait-il trompé que sur les lettres ?

Différences de la taille des centres de la mémoire (en vert) entre deux cerveaux

Michel Alberganti

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