Ce que nous révèlent les magiciens sur les failles de notre perception

Les chercheurs de l’Institut Barrow Neurological à l’hôpital Saint Joseph de Phoenix, travaillent sur la façon dont le public, c’est-à-dire nous, perçoit les tours des magiciens. Autrement dit, ils traquent les mécanismes et leurs failles qui, dans notre cerveau, sont exploités par les illusionnistes pour tromper, détourner et manipuler notre attention. Ils s’attaquent ainsi à un domaine peu exploré alors qu’il intéresse directement aussi bien les militaires ou les commerciaux que les sportifs. Toutes professions qui tentent d’exploiter à leur profit les faiblesses de leurs adversaires ou de leurs cibles.

Deux docteurs de l’Institut, Susana Martinez-Conde, du laboratoire de neuroscience visuelle et Stephen Macknik, du laboratoire de neurophysiologie comportementale, ont déjà publié plusieurs articles sur leurs travaux d’analyse de la magie et des illusions. Le dernier en date, paru dans la revue Frontier in human Neuroscience en novembre 2011, relate leurs résultats concernant la perception des gestes du magicien par le public.

L’une de leurs études a été réalisée en collaboration avec le magicien Apollo Robbins, qui se définit lui-même comme “gentleman voleur” et qui s’est fait connaître comme pickpocket des agents des sécurité accompagnant le président Carter. Apollo Robins pense que le public réagit différemment suivant le type de geste qu’il fait. Pour lui, lorsqu’il déplace sa main en ligne droite pendant qu’il réalise un tour, chaque spectateur ne concentre son attention que le point de départ et le point d’arrivée de son geste. Et il ne perçoit pas ce qui se passe entre temps. A l’inverse, lors d’un mouvement courbe, l’assistance suit chaque instant du geste.

Mouvements rectilignes ou courbes

En étudiant les mouvements oculaires de spectateurs, les scientifiques de l’Institut Barrow ont pu confirmer le pressentiment d’Apollo Robins. Mais il sont allés un peu plus loin. Ils ont en effet découvert que les différents gestes déclenchent deux types de mouvements des yeux: l’un, continu, est capable de suivre un geste courbe; l’autre saccadé, passe d’un point d’intérêt à un autre dans le cas d’un geste rectiligne. Pour Susana Martinez-Conde, ce constat, s’il intéresse les magiciens, peut également se révéler précieux pour les stratégies de fuite d’une proie poursuivie par un prédateur dans la nature, les tactiques militaires et le marketing. Cette découverte est considérée comme la première réalisée dans le domaine des neurosciences à partir d’une théorie formulée, à l’origine, par un magicien et non par un scientifique.

Positions moyennes des yeux des spectateurs pendant le faux passage de la pièce de la main gauche à la main droite dans deux cas de figure: mouvement rectiligne ou mouvement courbe.

Les expressions du visage ne jouent pas toujours un rôle

Forts de cette réussite, les deux chercheurs ont fait appel à un autre magicien, Mac King, pour analyser le tour classique de la pièce qui disparaît en passant d’une main à l’autre. En réalité, la pièce reste dans la première main. Mais la simulation du passage à l’autre main est si réussie par le magicien qu’il trompe nos neurones. Ceux-ci réagissent alors exactement comme si la pièce avait effectivement changé de main.

Susana Martinez-Conde et Stephen Macknik ont également soupçonné que les perceptions erronées du public pouvait être induites par les expressions du visage du magicien. Ils ont donc présenté à un public deux vidéos de Mac King. Dans la première, les spectateurs pouvaient voir le visage du magicien pendant son tour. Dans la seconde, le visage de Mac King était masqué. Résultat: pas de différence. Surprise, Susana Martinez-Conde en déduit que “les fausses pistes sociales dans la magie sont plus complexes que nous le pensions et qu’elles ne sont pas nécessaires pour tous les tours”.

Un public averti…

Bien sûr, les découvertes des chercheurs sont encore loin de menacer les secrets des magiciens. On comprend qu’ils collaborent à ce type de recherches… Néanmoins, il semble louable que des scientifiques s’attaquent enfin à l’étude de tels phénomènes qui peuvent nous en apprendre beaucoup sur les lacunes de notre perception de la réalité. Histoire de nous inciter à la prudence. Il ne suffit pas de voir pour croire. Sinon, le risque de prendre des vessies pour des lanternes s’aggrave terriblement. Que les magiciens de la politique, eux aussi, se le disent. La science pourrait bientôt mettre à jour leurs meilleurs tours… En attendant de perdre notre naïveté, profitons du plaisir de la magie proposée par Apollo Robins et Mac King:

Michel Alberganti

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L’olympicene: la molécule des JO

Il ne s’agit pas d’une mauvaise photo d’un ballon de foot ou de jantes de roue de voiture… Il s’agit d’une “bonne” photo de la molécule olympicene créée  par le laboratoire d’IBM à Zurich spécialement pour célébrer les Jeux Olympiques 2012 qui vont se dérouler à Londres du 27 juillet au 12 août. Les chercheurs ne cachent pas leur arrière-pensée: utiliser l’événement sportif le plus populaire au monde pour faire parler de science… On peut se demander si une telle stratégie révèle une sorte de désarroi des scientifiques vis à vis de la place de leur discipline dans les préoccupations des citoyens du monde et dans les choix des étudiants en matière de filière de formation supérieure.

Il reste de l’olympicene constitue une belle performance de chimiste et de technicien de l’imagerie scientifique. La taille de la molécule, dont la formule chimique est C19H12, est en effet 100 000 fois inférieure à celle d’un cheveu humain. Il s’agit ainsi de la plus petite création d’une structure de matière représentant les 5 anneaux des JO.

Le défi scientifique consistait a obtenir volontairement une telle structure et de la prendre en “photo”. Il a été relevé par une équipe comprenant des chercheurs de la Royal Society of Chemistry (RSC), l’université de Warwick et d’IBM Research à Zurich. L’olympicene fait partie de la base de données de molécules ChemSpider, accessible en ligne, et qui en comprend plus de 26 millions.

La molécule a été obtenue à partir de couches uniques de graphite, c’est à dire de graphène, le matériau décidément très à la mode. Outre le challenge et l’impact symbolique, l’olympicene trouvera peut-être des applications dans les capteurs solaires ou la micro-électronique.

Mais combien de sportifs des JO 2012 connaîtront son existence ?

Michel Alberganti

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Les insectes, dernières victimes du syndrome du lampadaire

Une fois n’est pas coutume, les chercheurs nous pardonnerons un léger sourire. En effet, une équipe de l’université anglaise d’Exeter, dont nous avons récemment rapporté les travaux sur le graphène, vient de publier un article qui laisse légèrement perplexe. Il s’agit en effet d’une version inattendue du fameux syndrome du lampadaire (ou du réverbère suivant l’époque où se situe l’action…). Sous un lampadaire, un homme cherche les clés qu’il a perdues … parce que c’est là qu’il y a de la lumière. Thomas Davies, lui, rend compte dans un article publié le 23 mai 2012 dans la revue Biology Letters, de son étude des populations d’insectes qui se trouvent sous les lampadaires de la ville de Helston. Et il a eu plus de chance que l’homme qui cherche ses clés. Il a en effet trouvé de nombreux insectes sous la lumière ! Étonnant, non ?

Chasse aux insectes

Au cours de trois nuits de chasse, grâce à 28 pièges placés juste sous les lampadaires ou bien hors de la portée de leur lumière, Thomas Davies a attrapé 1194 insectes de 60 espèces différentes. Et il nous confirme ce que nous pressentions: les insectes sont plus nombreux sous la lumière que dans l’obscurité… A son crédit, tout de même, il a aussi découvert que cette différence de population perdure pendant les heures diurnes. Les pièges étant posés au sol, le chercheur a collecté de nombreux représentants d’espèces prédatrices ou charognardes. Il apparaît donc que ces insectes trouvent le coin sous la lumière particulièrement giboyeux et qu’ils ne prennent pas la peine de le quitter pendant la journée, attendant simplement le festin du soir.

Déséquilibre des populations…

Thomas Davies conclue que nos éclairages nocturnes engendrent de véritables déséquilibres dans les populations d’insectes… Une perturbation écologique regrettable, certes… Néanmoins, si l’on considère la quantité d’insectes sur Terre, soit les deux tiers des espèces animales vivantes avec de 3 à 30 millions d’espèces différentes, on peut considérer l’impact des désordres engendrés par les lampadaires comme relativement mineurs. Si l’homme menace de nombreux animaux, les insectes sont sans doute les meilleurs candidats pour lui survivre. Pour autant, il existe bien d’autres bonnes raisons d’éteindre de nombreux éclairages nocturnes, comme la gène qu’ils causent aux astronomes qui tentent d’observer le ciel étoilé et, surtout, l’impérieuse nécessité de faire des économies d’énergie.

Michel Alberganti

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Leap : la main qui va tuer la souris

“A small step for computers, a giant leap for users”. Telle pourrait être le slogan de l’entreprise Leap Motion, s’inspirant des mots de Neil Armstrong posant le pied sur la Lune.  Le nouvel interface d’ordinateur Leap présenté par cette start-up de San Francisco et débusquée, entre autres, par Louis Naugès dans son blog Entreprise 2.0, promet de faire indéniablement partie de ces innovations, extrêmement rares, qui laissent bouche bée. Cette vidéo suffit pour s’en convaincre :

Bien entendu, cela ne peut manquer de rappeler fortement l’émotion qui a saisi les spectateurs de Minority Report, le film de Steven Spielberg sorti en 2002, il y a tout juste 10 ans. Pourtant, en regardant bien, vous noterez une petite différence :

La différence, c’est que notre Tom Cruise a l’air passablement ridicule avec ses gants à trois doigts agrémentés de petites loupiotes. Leap Motion fait tout aussi bien, et même mieux semble-t-il, à main nue. Et c’est bien là l’exploit. La manette de la Wii de Nintendo est sortie en 2006 et Kinect de Microsoft en 2010 ont déjà révolutionné ce qu’il est convenu d’appeler l’interface utilisateur (IU). Mais le premier impose d’utiliser une manette et la précision du second n’est compatible qu’avec des jeux. Leapmotion propose un véritable bond en avant. Pour au moins trois raisons :

  • La précision

Leap Motion annonce une sensibilité 200 fois supérieure à celle de tous les systèmes existants, dont les souris, quelque soit leur prix. Le Leap distingue les mouvements de tous les doigts dont le pouce, ou d’un crayon, et peut distinguer un déplacement jusqu’à un centième de mm….

  • La vitesse

D’après ce que montre la vidéo, il n’existe pas de délai de latence entre les mouvements de l’utilisateur et la réaction sur l’écran. Ce n’est pas tout à fait le cas avec la Wii ou Kinect. La simultanéité parfaite est indispensable pour donner la sensation de manipuler avec ses propres mains ce qui se passe à l’écran. Le volume dans lequel doivent se situer les mouvements de la main est un cube de 60 cm de coté (merci à Sylvain qui a fait le calcul dans son commentaire…). Ce qui est très confortable.

  • Le prix

Leap Motion annonce un prix de vente de 70 $ ce qui n’est pas le moindre exploit de l’entreprise. Certes une souris vaut moins de 20 €, moins de 10 € même pour les premiers modèles, mais offrir une telle avancée pour seulement 3 ou même 10 fois plus cher est tout bonnement incroyable. De plus, le Leap semble très facile à installer (il suffit de brancher le minuscule boitier sur un port USB) et à utiliser après une brève séquence de calibration. Pas de manuel ni d’apprentissage…

La seule photo de David Holtz sur le web

Comment une start-up, une fois de plus américaine, peut-elle réaliser, sous réserve de juger les produits réels lorsqu’ils seront sur le marché, un tel exploit ? La recette est simple: un ou deux génies, du travail, du temps et de l’argent. Pour Leap Motion, le génie se nomme David Holtz, directeur technique, docteur en mathématiques appliquées et ancien employé de la Nasa et du Max Planck Institute, associé à Michael Buckwald, PDG, ancien PDG de Stratics Media et de Zazuba pour créer Leap Motion en 2010 à San Francisco. Du travail, c’est 200 à 300 000 lignes de code informatique pour mettre loin derrière l’objet qu’ils admiraient: Kinect de Microsoft. Du temps, c’est quatre années de travail avant de pouvoir lancer un  produit sur le marché. Le Leap est attendu fin 2012, début 2013. De l’argent, c’est 14,5 millions de dollars levés à ce jour.

Le résultat sera peut-être l’un de ces bonds en avant qui marquent l’histoire de l’informatique: le microprocesseur, l’interface graphique,  la souris, le web… Tous, à l’exception du web né au CERN de Genève, ont été réalisés aux Etats-Unis. Sans parler d’Amazon, eBay, Skype, Google (qui est en train de racheter Motorola) Facebook, Tweeter… De quoi faire réfléchir un pays qui produisait des génies à la pelle il y a un siècle et qui, aujourd’hui, se retrouve en pleine désindustrialisation, non ?

 

Allez, pour le plaisir, la version longue de la présentation du Leap, qu’il faudra encore attendre pendant de longs mois…

 

 

Michel Alberganti

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Se servir un café à la seule force… de la pensée

 

Une personne paralysée se sert un café grâce à un bras robotisé qu'elle contrôle par la pensée

En matière d’interface cerveau-machine, les quinze dernières années ont été très fructueuses. Mais la dernière expérience réussie dans ce domaine franchit une étape décisive. En effet, pour la première fois, la personne paralysée équipée d’électrodes implantées dans son cerveau parvient à une maîtrise très fine du mouvement dans l’espace qu’elle imprime au bras robotisée. Elle le guide pour qu’il saisisse un thermos de café, la déplace pour l’approcher de sa bouche jusqu’à ce qu’elle puisse boire le café avec une paille et, ensuite, repose le thermos à sa place. Tout cela par la seule concentration de sa pensée.

 

Les chercheurs sont parvenus à obtenir le déplacement d’un bras robotique par un singe dès l’an 2000 (Miguel Nicolelis de la Duke University à Durham, en Caroline du Nord). L’équipe de John Donoghue, neurologiste à l’université Brown à Providence (Rhode Island), a obtenu un résultat identique en 2004. En 2006, elle a équipé des personnes paralysées avec des électrodes leur permettant de déplacer un curseur sur un écran d’ordinateur. La nouvelle expérience, réalisée par la même équipe de John Donoghue et publiée dans la revue Nature du 16 mai 2012, est encore plus spectaculaire car elle ouvre le champ des applications permettant aux handicapés moteurs, au delà de la faculté de s’exprimer, de pouvoir être assistés dans leur vie quotidienne par des machines qu’ils contrôlent par la pensée. La vidéo brute de l’expérience, reprise par le magazine Wired, est impressionnante et émouvante :

Cette version muette de la vidéo présente l’avantage de montrer l’intégralité du geste effectué par le bras robotisé actionné par le cerveau de Cathy Hutchinson, une patiente de 58 ans victime d’une attaque cérébrale il y a 15 ans et privée, depuis, de l’usage de tous ses membres et de la parole. Pour elle, ce simple geste est le premier qu’elle peut contrôler depuis cet accident. On note parfois une tension perceptible sur son visage et quelques petits mouvements de ses bras. Le geste du robot piloté par la pensée laisse pantois. Malgré quelques hésitations, il est d’une remarquable précision. On note que Cathy Hutchinson est gênée par la paille après avoir bu. Mais elle pense alors à faire pivoter le poignet du robot et le conduit ensuite sans problème jusqu’à ce qu’il repose le thermos. Son sourire final exprime bien ce qu’elle doit ressentir à cet instant.
Un autre patient, un homme de 66 ans également victime d’une attaque cérébrale, en 2006, ne peut bouger que sa tête et ses yeux. Voici l’exercice effectué en utilisant sa seule pensée :

Là encore, on peut mesurer la difficulté de l’exercice grâce aux multiples échecs dans la saisie de ces balles en mousse de 6 cm de diamètre fixées à l’extrémité de tiges souples. Les deux patients, Cathy Hutchinson et l’homme, anonyme et désigné par le nom T2 dans l’étude publiée, ont travaillé sur ce test. Sur 200 essais, ils ont réussi à atteindre et à toucher les balles dans 49% à 95% des cas. Dans les deux tiers des atteintes, la main est parvenue à serrer les balles entre ses doigts.

La brainGate est un réseau de 96 électrodes implantées dans le cortex moteur des patients

Pour réaliser ces tâches, les deux patients ont reçu un implant dans leur cerveau. Il s’agit d’une petite pastille carrée, baptisée BrainGate,  couverte par 96 électrodes fixées sur le cortex moteur des deux personnes. Ces électrodes captent les signaux directement émis par le cerveau et qui sont ensuite traités par un ordinateur qui les transforme en commandes pour les mouvements du bras robotisé dans l’espace. Cela signifie que les informations issues du cerveau doivent correspondre aux mouvement de chaque articulation du bras robotisé, soit l’épaule, le coude, le poignet et les doigts. C’est dire la complexité à la fois de l’effort mental des patients et du traitement informatique réalisé en temps réel.

D’après les chercheurs, il semble qu’aucun entraînement spécifique n’ait été nécessaire aux patients. Sans doute parce que les électrodes sont implantées dans une région dédiée au contrôle des mouvements du corps. Néanmoins,  Cathy Hutchinson a reçu cet implant il y a 5 ans, ce qui laisse supposer qu’elle a eu le temps de s’y accoutumer. Les chercheurs ne nient pas le manque de précision qui subsiste dans les gestes commandés par le cerveau. Néanmoins, cette expérience montre que des mouvements utiles dans la vie quotidienne peuvent être effectués par le seul contrôle de la pensée.

Bien entendu, ces progrès rappellent l’objectif ultime des chercheurs dans ce domaine. Lorsqu’il devient possible de capter de tels signaux dans le cerveau, il est envisageable d’imaginer le remplacement du bras robotisé… par les membres des patients eux-mêmes. Cela reviendrait à court-circuiter les parties du système nerveux qui ne fonctionnent plus. Et d’établir une nouvelle liaison entre le cerveau et les membres. Les chercheurs progressent indéniablement dans cette direction. Mais le chemin sera encore long.

Michel Alberganti

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Nous rechargerons nos téléphones en marchant… grâce à des virus

Il y a eu les shadoks qui pompaient, pompaient… Demain, il y a aura peut-être les virus qui se tortillent, se tortillent et… rechargent nos téléphones, nos lecteurs MP3, nos ordinateurs portables ou nos caméras vidéo. Telle est la surprenante promesse de chercheurs du laboratoire national Lawrence Berkeley (Berkeley Lab). Ils sont en effet découvert que certains virus, inoffensifs pour l’homme, peuvent produire de l’électricité lorsqu’ils sont soumis à une pression mécanique. Ces virus sont tout simplement piézoélectriques. Cette propriété a été découverte en 1880 par Pierre et Jacques Curie, alors âgés de 21 et 25 ans. Elle existe dans certains cristaux, de quartz en particulier, qui produisent de l’électricité lorsqu’ils sont soumis à une légère pression. D’où les montres à quartz (qui utilisent cet effet à l’envers), mais également les briquets, les moteurs d’autofocus, les microphones de guitare, les télécommandes sans piles… De modestes applications en apparence mais qui ont tout de même généré, selon Wikipédia, un marché de près de 15 milliards de dollars en 2010.

Structure et dimensions (en nanomètres) du virus bactériophage M13

Mais revenons à nos virus. Seung-Wuk Lee, chercheur au Berkeley Lad et professeur associé de bio ingénierie à l’université de Berkeley, et ses collègues ont travaillé sur des virus baptisé M13 et qui ont la propriété de se nourrir exclusivement de bactéries. Par nature, il se réplique à des millions d’exemplaires en quelques heures ce qui peut être un avantage dès lors qu’il évite de le faire à l’intérieur du corps humain. Ce qui est le cas. Par ailleurs, le M13 peut être facilement génétiquement modifié. Sa structure en forme de bâtonnet favorise également son placement en rang bien ordonnés à l’intérieur d’un film, comme des crayons rangés dans une boite. Enfin lorsqu’on leur applique un champ électrique, les protéines hélicoïdales qui couvrent la surface du virus se mettent à se tordre et à se tortiller. Justement la réaction que les chercheurs attendaient car elle révèle la propriété piézoélectrique des virus M13. A l’inverse, soumis à une pression, les virus peuvent produire de l’électricité.

L’hélice des protéines

Afin d’améliorer l’efficacité de ce nouveau générateur, l’équipe de Seung-Wuk Lee a gonflé leur moteur: quatre résidus d’acide aminé (glutamate) chargés négativement fixés à l’extrémité de l’hélice des protéines de surface ont faire l’affaire. C’est toute la beauté, parfois inquiétante, de l’ingénierie génétique que de ressembler à de la mécanique automobile… pratiquée sur des organismes vivants. Ainsi, dopés, les M13 fournissent un voltage plus important. Mais, bon, il en faut un certain nombre pour que leur travail soit exploitable par… nous.

Assez d’électricité pour afficher le chiffre 1

Qu’à cela ne tienne. Les chercheurs ont réalisé des films constitués par une couche unique de virus. Et ils les ont empilées. D’après leurs essais, c’est une épaisseur de 20 couches qui donne les meilleurs résultats. Après ce travail de nano mécanique, il restait à tester cette nouvelle “pile à virus OGM”. Avec un peu d’entrainement, les virus ont appris à s’organiser spontanément à l’intérieur d’un film multicouches d’un centimètre carré de surface. Pris en sandwich entre deux électrodes plaquées or, le film a été connecté par des fils à un écran à cristaux liquides. Lorsqu’une pression est appliquée sur le sandwich, une tension de 400 millivolts et un courant de 6 nanoampères sont délivrés par le dispositif… Soit le quart de la tension fournie par une pile AAA. Suffisant pour afficher le chiffre 1 sur l’écran.

Pas de quoi fermer une centrale nucléaire mais il ne s’agit là que d’une démonstration de principe qui fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Nanotechnology du 13 mai 2012. Le nouvel objectif de Seung-Wuk Lee est d’améliorer les performances du dispositif. Mais il se déclare confiant pour l’avenir: “Les outils des biotechnologies permettent de produire à grande échelle des virus génétiquement modifiés, les matériaux piézoélectriques basés sur les virus peuvent ouvrir de nouvelles voies à la microélectronique dans le futur”, déclare-t-il.

Pile à virus OGM

Outre l’originalité de l’utilisation d’organismes vivants pour produire de l’électricité exploitable par l’homme, les promesses de la pile à virus OGM de Berkeley s’inscrivent dans les multiples tentatives récentes visant tirer profit de sources d’énergie aussi gratuites et inépuisables que le soleil et le vent. Avec une différence notable: c’est l’énergie mécanique produite par l’homme lui-même qu’il s’agit de récolter. Imaginez que l’on puisse capter une partie de l’énergie produite par le passage du public dans un hall de gare ou dans les couloirs du métro. Chaque pas, chaque mouvement du corps humain pourrait devenir une source d’électricité grâce… à la piézoélectricité. D’où les projets de tapis récoltant le courant produit par la pression des chaussures (vidéo ci-dessous). Cette récolte d’énergie mécanique représenterait déjà un marché de 605 millions de dollars en 2010 et pourrait atteindre 4,4 milliards de dollars d’ici 2020, selon un article publié en mars dans le journal Applied Physics Letters.

Et pourquoi ne pas incorporer ces dispositifs dans les chaussures elles-mêmes ? Le générateur de Seung-Wuk Lee pourrait s’y loger facilement. Ou s’intégrer dans le tissu d’une veste, ou d’un pantalon. Et nous rechargerions nos téléphones en marchant, en bougeant ! Et en espérant échapper aux nanoturbines dans les narines…

Michel Alberganti

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Un(e) homo au premier coup d’oeil ?

Selon Joshua Tabak, du département de psychologie de l’université de Washington, nous disposerions tous, ou presque, d’un “gaydar”, un radar nous permettant de reconnaître presque instantanément l’orientation sexuelle d’une personne. Cette aptitude, qui fonctionne même devant une photo présentée inversée (le haut en bas) serait toutefois plus précise lorsqu’il s’agit de visages de femmes que lorsqu’il s’agit de visages d’hommes. En d’autres termes, nous reconnaissons plus facilement une homosexuelle qu’un homosexuel. Avec Vivian Zayas, du département de psychologie de l’université de Cornell à New York, Joshua Tabak s’est interrogé sur le processus mental qui nous permet de deviner l’orientation sexuelle, malgré une faible quantité d’informations visuelles, avec un taux de réussite supérieur au hasard.

Dans une étude publiée le 16 mai 2012 dans la revue Plos One, les chercheurs s’interrogent: “Cette aptitude est-elle la même que celle qui nous permet de distinguer immédiatement une femme d’un homme, ou un noir d’un blanc?” Joshua Tabak remarque qu’une telle capacité, qu’elle relève de l’observation ou de l’instinct, s’oppose à l’affirmation courante qu’il suffit de garder ses orientations sexuelles pour soi afin que personne ne les connaisse et qu’ainsi les discriminations soient évitées. L’argument est souvent utilisé par ceux qui s’opposent aux politiques antidiscriminatoires de protection des homosexuel(le)s ou des bisexuels.

 

Exemples de visages présentés aux participants

L’étude est basée sur la présentation de 96 photos à chacun des 129 étudiants participants. Les photos représentent des hommes ou des femmes jeunes ayant donné leur orientation sexuelle au préalable: homosexuelle ou hétérosexuelle. Pour éviter toute information révélatrice, les chercheurs ont utilisé des photos en noir et blanc, sans chevelure ni lunettes ni maquillage ou piercing.

Pour les visages féminins, les participants ont deviné l’orientation sexuelle exacte dans 65% des cas lorsque les photos leur ont été présentées sur un écran d’ordinateur. Avec des visages présentés renversés, le taux de réussite descend à 61%.

La distinction d’un homosexuel chez les hommes se révèle plus délicate: 57% de succès seulement et 53% lorsque l’image est renversée. Dans tous les cas, les résultats se situent ainsi au dessus du seuil de 50%, celui du hasard pur.

A l’origine de la différence de réussite entre les visages d’hommes et de femmes, les chercheurs notent un plus grand nombre d’attributions d’une orientation homosexuelle à des visages qui étaient en fait ceux d’hétérosexuels. Pourquoi ? Joshua Tabak émet deux hypothèses: soit les participants sont plus familiarisés avec l’homosexualité masculine ce qui les conduit à attribuer plus facilement cette orientation. Soit la différence entre un visage de femme homosexuelle et celui d’une femme hétérosexuelle est plus notable que dans le cas des hommes.

Néanmoins, de multiples biais d’expériences limitent l’interprétation des résultats. Le principal réside dans l’échantillon des participants: 129 étudiants dont 92 femmes… La difficulté à reconnaître un visage homosexuel masculin est probablement lié, au moins en partie, à ce déséquilibre initial. S’y ajoute une différence dans les photos présentées: 111 homosexuels, 122 hétérosexuels, 87 homosexuelles, 93 hétérosexuelles. Ces écarts introduisent de nouveaux parasites dans les résultats et rendent toute interprétation fine probablement hasardeuse, malgré les corrections statistiques réalisées.

L’intérêt de l’étude réside néanmoins dans la mise en évidence des performances globales de ce “gaydar”. Les chercheurs notent la rapidité de son analyse: les photos n’étaient présentées que pendant 50 millisecondes, soit le tiers de la durée d’un clignement d’yeux ! Que le taux de réussite pour les images inversées soit supérieur à 50% dans de telles conditions est significatif et il a surpris les expérimentateurs eux-mêmes.

Pour aller plus loin, un autre biais devra être corrigé. Les participants étaient âgés de 18 à 25 ans. Cela ne permet pas d’évaluer l’efficacité du “gaydar” de l’ensemble de la population. Loin de là. Au final, il est probable qu’il nous reste une chance non négligeable de ne pas afficher notre orientation sexuelle sur notre visage, au vu et au su de tout le monde. Ce qui est plutôt rassurant, question protection de la vie privée. Néanmoins, de telles études pourraient donner des idées à ceux qui conçoivent les logiciels de reconnaissance faciale… Ce qui est plus inquiétant.

Michel Alberganti

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Un torrent de lait… jeté dans l’évier

“No milk today”, le célèbre tube des Herman’s Hermits de… 1966, outre le plaisir inusable qu’il procure encore aujourd’hui, retrouve une forme d’actualité grâce à l’étude publiée par David Reay, professeur à l’université d’Edimbourg, dans la revue Nature Climate Change du 13 mai 2012. Consacrée aux émissions de dioxyde d’azote (NO2) par l’agriculture, la publication révèle quelques chiffres édifiants.

Les rejets annuels de 20 000 automobiles

D’après David Reay, les Anglais jetteraient dans leurs éviers pas moins de 360 000 tonnes de lait par an. Soit l’équivalent de 100 000 tonnes de CO2 émis dans l’atmosphère au cours des différentes étapes de la production de ce lait gaspillé. Cela équivaut aux rejets annuels de 20 000 automobiles… Pour les auteurs de l’étude, qui comprennent également des chercheurs de l’université d’Aberdeen et des partenaires en Europe et aux Etats-Unis, notre façon de consommer, en particulier lorsqu’il s’agit de nourriture, contribue significativement aux émissions de CO2 responsables du renforcement de l’effet de serre qui fait monter la température du globe. Pour les scientifiques, les consommateurs pourraient agir sur ces émissions en réduisant la quantité de nourriture qu’ils achètent, qu’ils mangent et qu’ils jettent. L’industrie agroalimentaire, de son coté, pourrait jouer également un rôle positif en utilisant les engrais de manière plus efficace.

Diviser par deux la consommation de poulets

Après le lait, le poulet… Les chercheurs estiment que la division par deux du nombre de poulets mangés en Grande-Bretagne et dans les autres pays développés serait équivalente au retrait de la circulation de 10 millions de voitures. Et ce n’est pas inconcevable si l’on considère l’exemple des Japonais. Ces derniers consomment chacun 12 kg de poulet par an. Contre 26 kg par an pour chaque habitant des pays développés. En les mettant ce dernier au régime nippon d’ici 2020, les émissions mondiales dues à l’élevage de la volaille tomberaient en dessous de leur niveau actuel malgré la croissance économique. Au total, les émissions de NO2 chuteraient de 20%.

Manger moins de viande, gaspiller moins de nourriture

En fait, la consommation de viande devrait plutôt augmenter dans les prochaines années du fait de la progression démographique et de l’impact des pays émergents dont les habitants s’y adonnent de plus en plus. Or, l’agriculture est la principale source de NO2. Produire de la viande en émet plus que la simple culture consommée directement du fait des quantités considérables de céréales qui servent à nourrir le bétail. D’où la conclusion de David Reay: “Manger moins de viande et gaspiller moins de nourriture peut jouer un grand rôle dans la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre face à la croissance de la population mondiale”. Commençons tout de suite: pas de lait aujourd’hui !

Michel Alberganti

 

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Vesta, l’une des sources des météorites qui frappent la Terre

A plus de 500 millions de km de la Terre, la sonde Dawn (aube en Français) scrute Vesta, le second plus gros astéroïde, après Cérès, de la ceinture principale qui en compte plusieurs centaines de milliers entre les orbites de Mars et de Jupiter. Lancée en septembre 2007, Dawn, qui a coûté 466 millions de dollars, est arrivée aux abords de Vesta en juillet 2011 et doit repartir en août 2012 vers sa seconde mission: l’exploration de Cérès. Pour l’instant, à seulement 200 km d’altitude,  elle continue à mitrailler Vesta de ses clichés (déjà 20 000 photos) et à l’ausculter sous toutes les coutures à l’aide de ses multiples instruments. Voici le spectacle qu’elle découvre, reconstitué en image de synthèse:

Les astronomes n’en finissent pas de s’émerveiller devant les images de ce caillou tout cabossé de 530 km de diamètre moyen. Comme dans les rides d’un visage, ils lisent l’histoire de Vesta grâce au nombre, à la forme et à la taille des impacts qui couvrent sa surface. Ils tentent ainsi de comprendre pourquoi cet embryon de planète a interrompu sa croissance lors des premiers millions d’années de la création du système solaire. Les résultats issus des mesures de Dawn font ainsi l’objet d’une avalanche de 6 publications dans la revue Science du 11 mai 2012.

Un océan magmatique sous la surface

Les observations confirment et affinent les théories des astronomes sur la composition de Vesta. La géologie de l’astéroïde géant est complexe. Elle est formée de trois couches séparées: un coeur métallique d’environ 220 km de diamètre, un manteau et une croûte en surface. L’ensemble se serait constitué il y a 4,56 milliards d’années, c’est à dire pendant la période de formation des planètes telluriques du système solaire. Vesta est donc un vestige de l’époque où, non loin à l’échelle de l’univers, se formait la Terre.

Les profondes entailles que les météorites ont créées à sa surface font supposer qu’à un moment, Vesta possédait un océan magmatique sous sa surface. Les astres qui possédaient un tel océan magmatique, c’est à dire un état de fusion presque complète, sont souvent devenus des planètes. D’autres se sont intégrés à d’autres planètes en formation comme la Terre. Vesta, elle, n’a pas atteint la taille lui permettant d’accéder à ce rang…

Les “vestoïdes”, des météorites provenant de Vesta

Les observations de Dawn ont également confirmés que certains météorites découverts sur Terre (soit environ 6% de tous les météorites reçus) provenaient bien de Vesta. Ils comportent des traces de pyroxène et de minéraux riches en fer et en magnésium qui correspondent aux compositions de roches analysées à la surface de Vesta. C’est la première fois qu’un vaisseau spatial vérifie la source d’échantillons préalablement identifiés sur Terre. Baptisés « vestoïdes », ces météorites ont des tailles très variables qui vont de celle de très gros galets à celle d’objets pouvant atteindre de 750 mètres à 8 km de longueur… des milliers d’entre eux pourraient de trouver dans la ceinture d’astéroïdes.

 

Echantillons de "vestoïdes" reçus sur Terre

D’immenses cratères un peu trop jeunes

Ils proviennent peut-être de deux énormes impacts de météorites sur Vesta. Dawn a en effet révélé l’existence de deux cratères géants, tous deux dans l’hémisphère sud. Le premier, Rheasilvia, mesure environ 500 km de diamètre et daterait d’un milliard d’années et le second, Veneneia, d’environ 400 km de diamètre aurait été formé il y a 2 milliards d’années. L’âge des cratères est estimé en comptant le nombre des impacts qui ont succédé leur formation. Tous deux sont nettement plus jeunes que leurs équivalents sur la Lune, âgés de plus de 3 milliards d’années. Il reste donc des mystères à élucider sur Vesta. Dawn n’a plus que quelques mois pour collecter d’autres précieuses informations. Ensuite, en août, elle partira pour sa destination finale, Cérès, qu’elle devrait atteindre en 2015.

Michel Alberganti

 

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Parler de soi, c’est bon comme faire l’amour ou manger

Depuis qu’il est facile de s’exprimer grâce à Facebook, Twitter, les blogs et autres moyens électroniques, on peut de demander pourquoi tant de personnes éprouvent le besoin d’utiliser ces outils pour parler d’elles-mêmes. D’où vient ce puissant désir de raconter sa vie, de donner son avis sur tout, de s’exposer au regard de tous ? Comment expliquer le recours permanent au “moi, je…” qui scande également l’expression orale ? Plusieurs études scientifiques se sont penchées sur ces interrogations. Le résultat est concluant: parler de soi excite le système mésolimbique, qui, dans le cerveau, libère de la dopamine.

Shoot de dopamine

Grâce à l’imagerie cérébrale, les chercheurs ont pu mettre en évidence que cette activité actionne le processus de récompense primaire, tout comme le sexe ou la nourriture. On peut noter que ce système mésolimbique est souvent associé aux addictions à différentes drogues. Parler de soi engendre donc rien de moins qu’un shoot de dopamine. De quoi expliquer que certains soient accros. Les autres, sans doute, ignorent encore ce plaisir qui a l’avantage social de ne pouvoir s’exercer en solitaire. Pour parler de soi, il faut l’une, voire les deux oreilles d’un “autre”. Les réseaux sociaux démontrent que cet autre peut être à la fois distant et multiple. Si, dans ce cas, il ne répond pas directement, il doit néanmoins manifester son écoute d’une quelconque manière. D’où les “J’aime” de Facebook ou le nombre de Retweet de Twitter. Les dialogues électroniques se révèlent donc être une succession de discours univoques sur soi adressés à tous. Les réponses sont d’autant plus rares qu’il n’y a pas vraiment de questions…

80% des conversations sur les réseaux sociaux

On comprend mieux pourquoi les êtres humains consacrent de 30 à 40% de leurs conversations quotidiennes à transmettre aux autres des informations sur leurs propres expériences ou leurs relations personnelles. Les études ont montré que ce taux monte à 80% dans les billets de médias sociaux comme Twitter. Il ne s’agit alors, pour l’émetteur, que de relater sa dernière expérience en date. Parfois, souvent, on ne peut plus banale: “Je sors de chez moi”, “J’arrive au bureau”. “Il pleut, je suis trempé”

Dans la dernière étude sur ce phénomène, publiée le 7 mai 2012 dans les Proceedings of the National Academy of Science des Etats-Unis (PNAS), deux chercheurs de l’université d’Harvard, Diana Tamir et Jason Mitchell, ont affiné l’analyse des réactions du cerveau humain dans différentes conditions d’expérience. Ainsi, ils ont découvert une activité supérieure dans le système de récompense chez les participants qui recevaient une petite somme d’argent (2 $). En revanche, les deux groupes (avec ou sans argent à la clé) ont réagi de la même façon lorsque les chercheurs ont comparé l’activité cérébrale des participants exprimant leurs propres opinions ou leurs goûts et lorsqu’ils parlaient des opinions et des goûts des autres. Sans surprise, leur cerveau est nettement plus stimulé dans le premier cas.

Activités du cerveau des participants pendant les tests

Renoncer à de l’argent pour parler de soi

Diana Tamir et Jason Mitchell sont allés encore plus loin. Ils ont mesuré la quantité d’argent à laquelle les participants étaient prêts à renoncer pour avoir le plaisir de révéler des informations sur eux-mêmes. L’étude, semble-t-il, n’est pourtant pas financée par les psychanalystes… Les 37 participants devaient choisir entre trois tâches: parler de leurs opinions et de leurs comportements (“Aimez-vous les sports d’hivers comme le ski?”), juger le comportement d’une autre personne (“Barak Obama aime-t-il faire du ski?”) ou répondre par oui ou par non à un questionnaire factuel (“Léonard de Vinci a peint la Joconde”). A chacun des 195 choix faits par les participants était associée une récompense variable (0.01 $ à 0.04 $), sans qu’il existe de corrélation systématique entre le montant de la récompense et le type de choix. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer, une fois de plus, la préférence des participants pour les exercices leur permettant de parler d’eux-mêmes. Lorsque la récompense était équivalente pour les trois types de choix, les participants ont choisi ces tâches dans 66% des cas face aux tâches où ils devaient parler des opinions des autres et dans 69% des cas face aux questions factuelles. Plus probant encore, en moyenne, les participants ont sacrifié 17% de leurs gains en préférant parler d’eux-mêmes face à d’autres choix rapportant plus. “Tout comme des singes prêts à renoncer à leur jus de fruit pour voir le mâle dominant ou des étudiants prêts à donner de l’argent pour voir des personnes séduisantes du sexe opposé, nos participants ont accepté de renoncer à de l’argent pour penser à eux et parler d’eux”, concluent les chercheurs.

Payer pour être lu

Un tel constat pourrait donner des idées à Facebook, entre autres. Si ses utilisateurs sont si accros à la possibilité de parler d’eux, seraient-ils prêts à payer pour cette drogue ? En fait, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook y pense déjà. Comme vous avez pu le lire sur Slate.fr, le site néo-zélandais Stuff a révélé une première tentative. Un test propose une nouvelle fonction, Highlight, qui, pour 2 $ permet  à un billet d’être davantage vu par les “amis”. Même si Facebook s’en défend pour l’instant, la tentation de faire payer le shoot d'”égo-dopamine” risque d’être très forte à l’avenir.

Michel Alberganti

 

 

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