La biologie synthétique inquiète

La double hélice de l'ADN

“Une forme extrême d’ingénierie génétique”. C’est ainsi qu’ont qualifié la biologie synthétique les 111 organisations (environnementalistes, lanceurs d’alerte…) qui ont appelé à un moratoire sur certaines recherches dans ce domaine, mardi 13 mars 2012. Le Woodrow Wilson International Center for Scholars lance ainsi une consultation publique sur les impacts sociétaux de la biologie synthétique. Les questions posées concernent également le droit et l’éthique.  Cette prise de position se manifeste aussi par des recommandations regroupées au sein du Synthetic Biology Project. Dans l’ensemble, il s’agit de demander la création d’une véritable “gouvernance” de la biologie synthétique afin de contrôler le développement des nouvelles technologies permettant de fabriquer ou de reconstruire des organismes vivants destinés à la recherche et aux applications commerciales dans toute une série de domaines allant de la médecine à la production de biocarburants.

Demande d’interdiction pour le génome humain

En fait, le groupe qui rassemble des organisations telles que ETC Group and Friends of the Earth, a pour objectif l’interdiction de la manipulation du génome humain ou de celui de microbes. Il demande également la publication de la nature des organismes synthétiques créés et des procédures de contrôle appliquées pour protéger le personnel et l’environnement. En attendant que de telles mesures soient prises, le groupe réclame un moratoire sur la réalisation et l’utilisation commerciale des organismes provenant de la biologie synthétique.

Une commission américaine minimise les risques

Craig Venter

Cette position s’oppose aux conclusions d’une commission de bioéthique constituée par Barack Obama en mai 2010, après la publication par Craig Venter au sujet de l’introduction d’un génome synthétique dans une cellule capable de se reproduire, et qui a rendu ses conclusions en décembre 2010. Les 13 membres de la commission avaient alors conclu que la biologie synthétique ne posait pas encore de problèmes en matière d’environnement et de santé publique. Amy Gutmann, président de l’université de Pennsylvanie et co-président de cette commission avait alors déclaré: “Les bénéfices à venir de cette technologie et l’engagement de notre pays en faveur de la liberté intellectuelle suggèrent de ne pas déclarer de moratoire. Aucune nouvelle agence ou nouvelle loi ne sont nécessaires”. La commission avait alors publié 18 recommandations visant le dialogue et la surveillance. A l’époque, certains experts comme George Church, de l’université d’Harvard, avaient exprimé leur inquiétude en particulier envers les amateurs qui pratiquent la biologie synthétique dans leur garage en estimant qu’ils devaient être contrôlés. La commission avait répliqué que ces amateurs étaient loin d’être en mesure de créer des organismes capables de se reproduire.

Brent Erickson, de l’organisation des industries biotechnologiques, a qualifié d’absurde cette demande de moratoire. “Avec son ton et son manque d’objectivité, je ne pense pas qu’elle soit vraiment utile pour les hommes politiques et le public”, a-t-il déclaré. Pour lui, la biologie synthétique  n’est que le nouveau nom et une simple évolution des biotechnologies qui se pratiquent depuis des décennies. S’il admet que la réglementation actuelle peut avoir besoin d’une mise à jour, “ce n’est pas comme si nous n’avions pas d’expérience vis à vis de tels organismes”, a-t-il souligné. “Il y a beaucoup de précautions prises”.

Mission d’évaluation tous les trois ans

En France, le gouvernement a créé le site Biologie de Synthèse en 2011 pendant les travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui a rendu, le 15 février 2012, le rapport élaboré par la députée socialiste Geneviève Fioraso sur la biologioe synthétique. Cette dernière plaide pour une développement volontariste de la France dans ce domaine, avec le soutien de la recherche publique. Elle recommande de “procéder, tous les trois ans, dans le cadre d’une mission d’évaluation de l’OPECST, à l’examen de ces mécanismes d’analyse et de maîtrise des risques, en vue éventuellement de recommander des adaptations de la réglementation. Cette mission d’évaluation récurrente de l’OPECST devraitêtre inscrite dans la loi pour garantir sa régularité”. Pas question, pour l’instant, d’élaborer une législation particulière. Pas d’appel, non plus, à un quelconque moratoire. En revanche, la députée estime nécessaire “d’organiser des débats publics en concertation avec l’ensemble des parties concernées (scientifiques de la BS et des SHS, politiques, instituts derecherche, Europe, ONG, entreprises, syndicats…), ainsi qu’à intervalles réguliers, des conférences des citoyens, pour tenir compte des évolutions de la biologie synthétique”.

Ces débats publics devront avoir un objectif clair et honnête, si possible. S’agit-il de convaincre les foules ignorantes des bienfaits de la biologie synthétique ou bien veut-on informer le public afin qu’il puisse forger sa propre opinion ?  Faute d’avoir choisi le premier objectif tout en feignant de viser le second, le débat public sur les nanotechnologies a été un fiasco. Mais opter clairement pour l’information du public impose de ne pas avoir pris de décision avant de connaître son opinion après information. Or, souvent, rien n’est prévu pour connaître cet opinion…

Michel Alberganti

 

4 commentaires pour “La biologie synthétique inquiète”

  1. Vous écrivez : Or, souvent, rien n’est prévu pour connaître cet opinion….
    Qu’est-ce qu’une opinion en général et une opinion publique en particulier si ce n’est la manipulation de gens qui savent (les scientifiques) ou qui veulent (les politiques) envers des citoyens qui n’ont en général aucun moyen de vérifier les inférences faites par les uns et/ou les autres sur les conséquences possibles de telle ou telle avancée scientifique ?
    Je dis manipulation (mais je force volontairement le trait) parce que l’information suppose que l’on s’adresse à quelqu’un ayant un niveau de connaissance satisfaisant pour comprendre de quoi on parle ce qui est loin d’être le cas (malgré les efforts louables de certains journalistes scientifiques dont vous faites partie) lorsqu’il s’agit de sujet aussi difficile que les conséquences des biotechnologies, des nanotechnologies, des technologies de l’information, du réchauffement climatique, de l’acidification des océans ou même (cf. votre article sur Fukushima sur slate.fr) de l’avenir du nucléaire et la balance des risques et des bénéfices.
    Quant à l’idée d’une interdiction, outre qu’elle pourrait déboucher sur le désastre de l’interdiction des OGM pour la recherche agronomique française, elle est impraticable au niveau mondial et, comme disait Jean Cocteau, quand les événements nous dépassent, feignons de les organiser sauf qu’en l’occurrence il ne s’agit pas seulement de feindre.

  2. J’ai travaillé pendant les années 90 dans le seul laboratoire privé français qui étudiait les plantes transgéniques et déjà à cette époque les techniques utilisées pouvaient permettre de créer de novo un gène synthétique mais la méthode était fastidieuse. Avec l’élucidation détaillée de divers génomes, plus rien n’empêche n’importe quel chercheur de construire un virus ou une bactérie exprimant une toxine en modifiant les promoteurs de manière adéquate. Ce type de recherche existe dans les laboratoires militaires de recherche biologique depuis de nombreuses années. Les travaux récents de modification du virus de la grippe sont somme toute assez banaux mais constituent un signal qui doit alerter les politiques.
    Cependant, à n’en pas douter, les scientifiques savent ce qu’il ne doivent pas faire et ils s’entourent de toutes les précautions nécessaires pour ne pas prendre de risques inutiles. Dans le cas des plantes transgéniques c’était déjà le cas il y a 20 ans.
    Pour ma part, je suis convaincu que la biologie synthétique sous contrôle a un avenir dans des domaines aussi variés que la santé, l’énergie ou la nutrition.

  3. Et pourquoi pas le bucher tant qu’on y est? Ce genre de demande est inacceptable et injustifiable, la science ne doit pas être soumise à des groupes de pression pratiquant la manipulation des foules par la peur ou l’endoctrinement religieux.

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