Le mystère des poussières d’ailleurs

Les sondes Voyager 1 et 2 vers les limites du système solaire

Imaginez une gigantesque bulle magnétique qui voyage à travers la Voie Lactée, notre galaxie. A l’intérieur de cette bulle, une énorme sphère: le système solaire. A l’extérieur, le reste de la Voie Lactée avec ses centaines de milliards d’étoiles et au moins autant de planètes. Partout, circulent des particules portées par les vents galactiques et attirés par les étoiles. Ces poussières qui voyagent ainsi à près de 100 000 km/h proviennent, lorsqu’elles sont composées d’éléments lourds comme l’oxygène et le néon, de supernovas, c’est à dire des restes de l’explosion d’une étoile. Leur composition donnent des informations sur l’évolution de notre galaxie au cours du temps. Mais pour les analyser, encore faut-il les capturer. Impossible lorsque ces particules restent en dehors du système solaire.
Là, l’homme n’est encore qu’un simple observateur à distance grâce à ses télescopes terrestres ou spatiaux. Mais il lui reste les sondes qui peuvent espérer franchir cette frontière ultime qui sépare notre système solaire du reste de la Voie Lactée.

Vue d'artiste de l'héliosphère - Adler Planetarium/IBEX team

C’est l’exploit que sont en passe de réaliser Voyager 1et Voyager 2, lancées en 1977, et dont la première, après avoir Saturne et Titan, a atteint l’héliogaine, la bulle magnétique qui sépare le système solaire du reste de la galaxie. C’est là que s’arrête le vent solaire. Mais ce bouclier magnétique nous protège aussi des incursions de la plupart des particules venant d’ailleurs. Lorsqu’elles sont chargées électriquement, les poussières rebondissent en effet sur l’héliopause, la peau externe de l’héliogaine. En revanche, si elles sont électriquement neutre, elles franchissent sans problème cette frontière et pénètrent dans le système solaire.

Le satellite IBEX

Une aubaine pour un chasseur de particules comme IBEX (Interstellar Boundary Explorer) ! Lancé en 2008 par la NASA, ce satellite chasse ainsi bien le vent solaire que les rayons intergalactiques. Posté non loin de la Terre (entre 1500 et 300 000 km), IBEX a réussi une belle prise: il a capturé des informations précieuses sur la composition de ces particules alien, ces témoins de la matière qui existe dans la Voie Lactée, au delà du système solaire… Le satellite les a interceptées pendant leur voyage de 30 ans pendant lesquels elles parcourent quelque 11 milliards de km qui les séparent du soleil dont la gravité les attirent irrésistiblement et qui finit par les engloutir.

 

Manque d’oxygène

La NASA vient ainsi d’annoncer les résultats de la première analyse de ces poussières interstellaires. Surprise: leur composition diffère de celle des particules qui se baladent à l’intérieur du système solaire: 20 atomes de néon pour 74 atomes d’oxygène dans les poussières provenant du cosmos contre 20 atomes de néon pour 111 atomes d’oxygène pour les nôtres ! Bon… A priori, ce n’est pas ébouriffant. Mais pour les astrophysiciens, cette petite différence est pleine d’enseignements. En effet, notre système solaire pourrait se révéler plus riche en oxygène que l’extérieur.
Cette vidéo du NASA/Goddard Space Flight Center explique la mission IBEX et l’analyse des particules:

Deux hypothèses

Pour David McComas, principal enquêteur pour IBEX à l’institut Southwest de San Antonio au Texas, constate que “notre système solaire est différent de l’espace qui l’entoure et cela suggère deux possibilités. Soit il a évolué dans une partie de la galaxie [Voie Lactée] distincte et plus riche en oxygène que celle où il se trouve aujourd’hui. Ou bien une grande quantité d’oxygène, à l’origine de la vie, reste enfermée dans des grains de poussière et de glace interstellaires incapables de se déplacer librement dans l’espace”. Autrement dit, IBEX la poignée d’atomes analysée par IBEX ne serait pas représentative de l’ensemble ce qui existe là bas, au delà des frontières du système solaire. Il sera probablement difficile de trancher entre ces deux hypothèses tant que les astrophysiciens ne pourront pas chasser les particules en dehors du système solaire.

Mieux connaître l’héliosphère

Pour cela, ils devront faire des mesures au delà de l’héliosphère, comme pourrait réussir à le faire Voyager 1 d’ici quelques années,  et analyser les particules chargées électriquement  qui s’y trouvent afin d’ajouter ces résultats à ceux d’IBEX. Retrouveront-ils l’oxygène manquant et, donc, une composition des particules aliens identique à celle des particules du système solaire ?  Ou bien confirmeront-ils que le système solaire est en train de traverser, au cours de son orbite de 225 millions d’années autour du centre de notre galaxie, une région différente ? Peut-être ne faudra-t-il patienter que quelques années pour connaître la réponse. En attendant, les chercheurs apprennent à mieux connaître l’héliosphère, ce véritable cocon protecteur de notre système solaire, point microscopique perdu dans l’immensité de la Voix Lactée, l’une des centaines de milliards de galaxies de l’univers. Ou peut-être plus…

Michel Alberganti

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