La planète sacrifiée du système solaire

 

Depuis que Pluton a été déchue du titre de planète en 2006, notre système solaire ne compte plus que huit représentantes : en nous éloignant du Soleil, nous avons donc Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Les quatre premières sont des planètes rocheuses et petites (la Terre étant la plus grande avec un rayon de 6 378 km) tandis que les quatre suivantes sont gazeuses et nettement plus grosses (de 24 764 km de rayon pour Neptune à 71 492 km pour Jupiter). Et justement, cette énorme quantité de matière pose un problème aux planétologues qui s’intéressent à la formation de notre système solaire. Celui-ci est apparu, il y a un peu plus de 4,5 milliards d’années des restes du nuage de gaz et de poussières qui s’est “effondré” sur lui-même pour donner naissance au Soleil. Notre étoile a pris la plus grosse part de ce gâteau (quasiment 99,9 %) et les miettes se sont agglomérées pour former les planètes, leurs satellites, les comètes, les astéroïdes et tout un bestiaire de planètes naines (comme Pluton) et de mini-corps gelés situés au-delà de Neptune, dans ce que les astronomes appellent la ceinture de Kuiper. Le problème des astronomes, c’est que jamais Uranus et Neptune n’auraient pu accumuler autant de miettes si elles étaient nées là où elles se trouvent maintenant. Elles ont donc nécessairement vu le jour plus près de notre étoile et ont fini par s’en éloigner ensuite. Mais comment ?

Pour résoudre ce casse-tête, des chercheurs basés à l’observatoire de la Côte d’Azur ont, en 2005, mis au point un modèle, aujourd’hui appelé modèle de Nice. Ils sont partis de l’hypothèse que, pour se former, les géantes gazeuses étaient à l’origine moins loin du Soleil et aussi plus rapprochées les unes des autres, puisque ces quatre grosses boules tenaient entre 5,5 et 17 unités astronomiques (UA) de notre étoile (alors qu’aujourd’hui, Uranus se trouve à 19 UA du Soleil et Neptune à 30). Rappelons qu’une unité astronomique  est la distance moyenne de la Terre au Soleil, soit 150 millions de kilomètres.

Que dit le modèle de Nice sur ce qui s’est passé ensuite ? Au départ, au-delà de l’orbite de Neptune, on trouvait un disque fait de nombreux petits corps primitifs, les planétésimaux. Ceux-ci s’approchaient de temps à autre des planètes les plus extérieures et échangeaient avec elles leurs moments cinétiques : la trajectoire des planétésimaux en était modifiée et, en contrepartie, les planètes s’éloignaient tout doucement du Soleil. Cela était valable pour Neptune, Uranus et Saturne mais pas Jupiter. Son immense gravité avait pour particularité d’éjecter les planétésimaux de leurs orbites, ce qui la faisait se rapprocher légèrement du centre du système solaire. Au bout de plusieurs centaines de millions d’années de lentes migrations, la période de révolution de Saturne devint le double de celle de Jupiter : pendant que cette dernière faisait deux tours du Soleil, la planète aux anneaux en faisait un. Cette entrée en “résonance” (comme disent les physiciens) des deux monstres gazeux provoqua un chamboulement des orbites : rapidement, Jupiter “poussa” Saturne vers l’extérieur, laquelle, à son tour, envoya Uranus et Neptune sur leurs orbites lointaines et excentriques. La conséquence première de ce grand jeu de billard céleste fut un éparpillement des planétésimaux qui se mirent à vadrouiller en tous sens dans le système solaire et à mitrailler toutes les planètes. Les traces de cet événément survenu il y a environ 4 milliards d’années et connu sous le nom de bombardement tardif massif ont été gommées de la surface de la Terre, remodelée par la tectonique des plaques et l’érosion, mais on les voit encore dans les grands bassins d’impacts de la Lune.

Le modèle de Nice permet élégamment d’expliquer les orbites actuelles des planètes géantes tout en intégrant ce bombardement. Mais, si l’on en croit une étude publiée le 7 novembre dans les Astrophysical Journal Letters, il ne serait pas si robuste qu’il y paraît. L’auteur de l’étude, David Nesvorny, du Southwest Research Institute, dans le Colorado, a lui aussi modélisé le système solaire primitif et a eu le plus grand mal à reproduire le scénario des Niçois. Seulement 3 réussites sur 120 essais. En revanche, en intégrant, dès le départ, une cinquième planète géante dans le jeu, le taux de succès a tout de suite été plus important : 23 %. Comme le reconnaît volontiers David Nesvorny, l’idée n’est pas complètement neuve : “Ce résultat n’est pas tombé du ciel. Certains de mes collègues avaient mentionné l’idée en passant dans des articles qu’ils ont publiés.” Mais le chercheur est le premier à avoir mis cette cinquième planète dans un modèle. Et cela marche. Dans leur grand jeu de “ôte-toi de là que je m’y mette”, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune finissent plus facilement par occuper peu ou prou leur place actuelle. En revanche, la cinquième planète n’y résiste pas et est éjectée par Jupiter du système solaire. Le phénomène n’a rien de surprenant. Depuis quelques années en effet, les astronomes détectent dans notre galaxie de grosses planètes solitaires errant dans le vide interstellaire, les perdantes du billard cosmique. Quant à la planète sacrifiée de notre système solaire, expulsée à plusieurs centaines de milliers de kilomètres/heure il y a environ 4 milliards d’années, elle a probablement disparu du paysage galactique depuis longtemps.

Pierre Barthélémy

http://iopscience.iop.org/2041-8205/742/2/L22

14 commentaires pour “La planète sacrifiée du système solaire”

  1. Bonjour,
    Si je puis me permettre, il me semble qu’il y a une inversion dans la définition que vous donnez de la résonance 1:2 entre Jupiter et Saturne : c’est Jupiter qui boucle deux fois son orbite pendant que Saturne ne le fait qu’une fois.
    Merci beaucoup pour le travail de journalisme scientifique que vous faites, c’est un plaisir de lire vos articles.
    Bonne continuation.

  2. @Frédéric C. : le Globule s’est emmêlé les pinceaux dans les tours et les périodes. C’est corrigé ! Merci pour votre lecture attentive.

  3. […] La planète sacrifiée du système solaire Depuis que Pluton a été déchue du titre de planète en 2006, notre système solaire ne compte plus que huit représentantes : en nous éloignant du Soleil, nous avons donc Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptun … Source: blog.slate.fr […]

  4. Voila donc l’explication de l’absenthéisme: IL joue au billard cosmique. Pffff!

  5. Très intéressante conclusion !
    Ne vouliez-vous pas plutôt parler de kilomètres par seconde pour la vitesse d’expulsion de “la planète sacrifiée de notre système solaire” ?

  6. @HugoF : il s’agissait de centaines de milliers de km/h (et non pas seulement de centaines de km/h comme écrit dans la version non corrigée que vous avez lue).

  7. […] La planète sacrifiée du système solaire […]

  8. Ya un nouveau modèle qui complète le modèle de nice et apparemment il tient bien la route (mais j’ai oublié son nom^^), à voir dans Sciences et Vie de septembre 2011.
    Du coup je me demande pourquoi des chercheurs bossent encore sur un modèle dont on sait qu’il est obsolète ?_?

  9. @Will79 : comme il ne s’agit que de modélisations numériques, il est normal que plusieurs équipes travaillent sur plusieurs scénarios différents. Par ailleurs, le modèle dont vous parlez (le grand Tack), aussi élaboré par des chercheurs de l’observatoire de la Côte d’Azur, complète le modèle de Nice et ne l’invalide pas forcément. Il s’intéresse essentiellement aux tout premiers temps du système solaire (et pas aux premières centaines de millions d’années, comme le modèle de Nice et celui à cinq planètes gazeuses) et à la formation des planètes rocheuses. Enfin, je suis bien placé pour savoir qu’il faut se méfier de la manière dont certains magazines grand public présentent ce genre de recherches… Titrer en gros “TOUT S’EXPLIQUE ! Le système solaire livre ses derniers secrets” est très amusant : avec quoi feront-ils leurs prochaines couvertures ? “Les derniers derniers secrets du système solaire ” ? Puis “Les ultimes derniers véritables grands mystères du système solaire ?” Et enfin “Les derniers ultimes derniers secrets du système solaire, promis juré craché, après y en aura plus et on mettra la clé sous la porte !”

  10. Je sais bien que Sciences et Vie cherche à faire dans le sensationnel avec son titre, ce n’était pas mon propos, j’ai juste cité ce magazine parce que c’est là que j’ai découvert ce modèle (le grand tack).
    D’ailleurs, on pourait vous dire que, vous aussi, vous faites dans le sensationnel avec votre titre (la “planète sacrifée”) mais c’est bien souvent l’accroche qui fait lire l’article.
    Alors peut être que vous pourriez me conseiller une autre lecture scientifique (et me dites pas le globule, je lis tous vos billets avec l’impatience de découvrir le prochain^^)

  11. @Will 79 : je suis bien conscient qu’un titre doit être vendeur. Simplement, la principale différence entre Science & Vie et moi, c’est 4,20 euros et aussi, de temps en temps, un brin d’humour… Tout le problème de la presse française, c’est que, à l’exception de La Recherche, qui est parfois ardue à lire, je suis bien en peine de vous conseiller quoi que ce soit, tellement l’offre d’information scientifique est faible.

  12. Pour etre faible, c’est faible…je suis désespérée : d’où je me suis mise à l’anglais sur le tard.. histoire d’en savoir un peu plus, mais ce n’est pas encore une langue bien bien rodée pour moi..
    donc grand merci à Pierre pour sa contribution scientifique.

  13. Même problème (manque d’infos pertinentes en français), même solution (lire les articles en anglais) donc même conséquence que pour Topol, normalement je m’en sors pas trop mal en anglais mais l’anglais scientifique… je manque de vocabulaire. Pour ça, l’école française a encore beaucoup de travail.
    @Pierre : Dans ce cas, lancez vous et créez votre propre magazine (je veux bien apporter des fonds en échange de quelques parts dans la future société 😀 )

  14. @Will79 : ce n’est pas l’envie qui m’en a manqué mais le nerf de la guerre. Cela dit, je ne me prive jamais de défendre la cause des sciences à chaque fois que je rencontre un directeur de la rédaction ou un rédacteur en chef… J’espère que cela finira par payer !

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