En politique, une voix grave est un atout

En chaque électeur, il y a un homme, en chaque électrice une femme. Et en chacun de ces hommes et femmes demeure une part d’animalité plus ou moins cachée, le souvenir enfoui des temps anciens ou des hardes de bipèdes choisissaient le plus fort pour diriger le clan ou la tribu. Car sélectionner l’homme fort, c’était donner à chaque membre du groupe social des chances supplémentaires de survivre et de se reproduire avec succès. C’est en partant de cette hypothèse évolutive, selon laquelle la sélection naturelle a favorisé en nous la capacité à détecter de manière fine les qualités d’un chef, qu’une équipe canadienne du département de psychologie, neurosciences et sciences comportementales de l’université McMaster (Hamilton, Ontario) s’est demandé si un des indices aidant à choisir le leader naturel résidait dans la hauteur de sa voix. Et si, malgré l’omniprésence, aujourd’hui, des écrans, la voix seule d’un homme politique pouvait influencer les électeurs (pour les femmes politiques, il faudra attendre quelques années…).

Comme le rappelle l’étude que ces chercheurs ont publiée, lundi 14 novembre, dans la revue Evolution and Human Behavior, de précédents travaux ont montré qu’une voix désagréable réduisait l’attractivité des politiciens. Par ailleurs, dans un étonnant article paru en 2002, deux chercheurs américains ont analysé le spectre vocal de plusieurs candidats à la Maison-Blanche, enregistré lors de 19 grands débats télévisés au cours de huit campagnes présidentielles entre 1960 et 2000, et ont à chaque fois pu “prédire” le vainqueur du scrutin, certaines caractéristiques de la voix trahissant sa “domination”. Dans cette lignée, l’étude canadienne s’est intéressée à l’influence que la hauteur de la voix pouvait avoir sur la manière dont le public percevait les hommes politiques. Quelles qualités attribue-t-on à un baryton et à un ténor et lequel des deux a le plus de chances d’être élu, si l’on ne se fie qu’à sa voix ?

Pour le savoir, deux expériences ont été réalisées sur un panel de 125 personnes divisé en deux groupes. Chaque groupe écoutait à deux reprises les voix de neuf anciens présidents des Etats-Unis : une fois, la voix avait artificiellement été baissée vers les graves et l’autre fois montée vers les aigus. Les participants au test devaient ensuite répondre effectuer cinq choix. Pour le premier groupe, dire lequel des deux avatars sonores de l’homme politique 1/ semblait le plus attractif, 2/ ferait un meilleur dirigeant, 3/ serait un dirigeant plus honnête, 4/ paraissait le plus digne de confiance, 5/ donnait le plus envie de voter pour lui lors d’une élection nationale. Pour le second groupe, il fallait spécifier lequel 1/ semblait le plus dominant, 2/ gérerait le mieux la situation économique actuelle, 3/ paraissait le plus intelligent, 4/ était le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale, 5/ serait le candidat retenu pour un scrutin en période de guerre. Dans neuf cas sur dix, c’est la version à voix grave qui a été majoritairement choisie. La seule exception a été… l’unique critère négatif glissé dans le questionnaire, à savoir “le plus susceptible d’être impliqué dans un scandale”. C’est bien connu, dans “fausset” il y a “faux”…

Pour la seconde expérience, qui complétait la première, il n’était plus question de comparer entre elles deux variantes d’un même homme politique mais les voix artificiellement aiguës et graves de deux inconnus, A et B, prononçant la phrase neutre suivante : “Quand, dans l’air, les gouttes de pluie sont touchées par un rayon de soleil, elles agissent comme un prisme et forment un arc-en-ciel.” Pas d’intonation enflammée, pas de rhétorique, pas de slogan. Chaque participant devait dire pour quel locuteur il voterait lors d’une élection. Pour la moitié, A avait la voix grave et B la voix aiguë, et c’était l’inverse pour l’autre moitié du panel. En réalité, peu importait qui parlait puisque les “cobayes” ont largement élu, à 70 %, le candidat à la voix grave, quel qu’il fût.

Selon les auteurs, plus que l’attractivité, c’est la domination et la vaillance que reflète une tonalité dans les basses. Cela confirme le fait que l’on peut, à l’aveugle, déterminer la force physique d’un homme à la simple écoute de sa voix (dans des cultures et des langues différentes) et qu’une voix grave est associée à un taux plus haut de testostérone, l’hormone du mâle par excellence. Evidemment, on ne choisit pas un candidat à un scrutin que sur sa voix (ou sur une autre caractéristique physique). En l’occurrence, l’évolution de l’espèce humaine l’a conduite à élaborer des idées et des programmes dont la lecture et la comparaison s’avèrent, a priori, des éléments utiles lors d’une élection. Néanmoins, cette étude canadienne soupçonne que, pour mettre toutes les chances de leur côté, des candidats vont mettre en application ses enseignements, soit en s’exerçant à parler dans leur registre le plus grave, soit en faisant artificiellement baisser leur tonalité lors des retransmissions télé- ou radio-diffusées…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour compléter la panoplie de l’homme à la voix grave, j’ajouterai qu’il est aussi perçu comme étant plus susceptible d’être infidèle. Ce qui colle finalement aussi très bien avec les plus beaux spécimens de notre élite politique masculine…

Photo: Nicolas Sarkozy, le 13 octobre 2011. REUTERS/Francois Nascimbeni/Pool

6 commentaires pour “En politique, une voix grave est un atout”

  1. Ce genre d’études me semble légèrement surinterprété: à mon avis, c’est un «tout» que les gens élisent. Un bon candidat doit avoir un bon programme, une certaine éloquence, un visage agréable, etc.
    Et ceci ne fonctionne que pour les personnes qui ont une grande présence médiatique et que l’on entend souvent. Dans le cadre d’élections de moindre importance ou avec un grand nombre de candidats, il me semble que l’on se penchera davantage sur leur programme que sur leur physique.
    Donc, pour élire un président pour la France, ce genre de critères doit être pratiquement toujours satisfait, mais pas pour élire les députés d’une petite circonscription.

  2. Ce n’est pas que dans la politique. Un de mes professeur d’université (en sciences physiques) avait une voix plutôt aigue. Il nous disait que quand il donnait des conférences, il prenait une voix grave car les gens (en général) accordaient plus d’attention et de crédit aux voix graves.

    Et c’est pareil dans la vie de tous les jours, je trouve qu’on a plus tendance à faire confiance et être attiré par quelqu’un avec une voie grave (Barry White, anybody?) qu’une voix aigue. Et pour les femmes aussi, une femme avec une voie aigue passe plus souvent pour une idiote.

  3. @ Chouette : Vous n’avez pas dû lire tout l’article 😉

  4. N’avez vous pas remarqué le changement de voix de François Baroin à ce sujet. Voix de fausset au début de sa carrière politique, voix de basse aujourd’hui…
    Je n’ai pas réussi à trouver des documents intervews d’époque, mais je me souviens avoir été frappé par le changement de sa tessiture vocale…

  5. […] A lire également : En politique une voix grave est un atout. […]

  6. @ Bruno : il a simplement mué ! se référer aux Guignols de 95 quand il venait de prendre le poste de porte-parole du Gouvernement

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