Sorti il y a une semaine, La Planète des singes : les origines est LE blockbuster scientifique de l’été. Un film qui servira de prétexte pour aborder les questions de l’expérimentation animale sur les primates, des droits que l’homme pourrait accorder à ses frères grands singes, du risque qu’il y aurait à “humaniser” des singes par voie génétique ou médicamenteuse, de ces grosses sociétés pharmaceutiques qui poussent leurs chercheurs à mettre sur le marché des molécules qu’ils n’ont pas suffisamment testées, etc.
Ce ne sont pas ces sujets ô combien sérieux qui m’ont titillé le cerveau en sortant du cinéma. Nous le savons tous, même ceux qui n’ont pas vu cette “préquelle” du célèbre film de Franklin Schaffner sorti en 1968 avec Charlton Heston, ces singes de science-fiction subissent une évolution accélérée qui leur donne un surplus d’intelligence et leur permettra, à terme, de nous dominer. Toute la question est donc : qui d’eux ou de nous est le plus intelligent ? Avant d’essayer de répondre, je préviens ceux qui auraient envie de voir le film : ce billet va livrer des pans entiers du scénario, revenez le lire après la séance. Reprenons. Le chimpanzé César, héros de La Planète des singes : les origines, et ses congénères mutants, n’ont-ils fait que rattraper Homo sapiens ou bien leur cerveau est-il encore plus performant ?
Par bien des indices, le film montre que le traitement qu’ils ont reçu n’a fait qu'”humaniser” les singes : il leur a conféré des aptitudes semblables aux nôtres. César apprend la langue des signes ; son “maître”, le chercheur Will Rodman, dit que son QI a doublé, mais se garde bien de donner un chiffre ; le chimpanzé joue aux échecs sans que l’on puisse estimer sa force ; il est capable de raisonner, d’élaborer un plan complexe (voler un canif pour fabriquer un outil qui ouvrira la porte de sa cage), puis, l’action allant crescendo, d’organiser une grande évasion, de gagner une bataille contre les forces de police et, enfin, de parler pour partager ses pensées et ses sentiments. Tout cela n’est guère quantifiable et ne nous permet pas de nous différencier. Pourtant, au détour du scénario, on voit que les chercheurs évaluent l’intelligence des singes grâce aux tours de Hanoï, un divertissement utilisé par les spécialistes de la cognition. Ce jeu a été inventé par le mathématicien français Edouard Lucas (1842-1891) et se présente sous la forme de trois piquets sur lesquels on peut enfiler des disques de diamètres différents.
La photo ci-dessus montre la configuration de départ, avec les disques empilés du plus grand en bas au plus petit en haut. Le but du jeu consiste à transférer la tour du piquet de gauche au piquet de droite, en ne déplaçant à chaque mouvement qu’une rondelle et en ne pouvant la poser que sur un piquet vide ou sur une rondelle plus grande qu’elle. Dans ses Récréations mathématiques, Edouard Lucas avait prétendu, pour expliquer le nom de “tours de Hanoï”, que le jeu avait été imaginé par un ami nommé N. Claus de Siam (anagramme de Lucas d’Amiens, ville natale du mathématicien), soi-disant professeur au collège de Li-Sou-Stian (anagramme du collège Saint-Louis, à Paris, où Lucas enseignait). Pour enfoncer le clou dans le registre de l’exotisme facétieux, Edouard Lucas avait ainsi présenté le jeu, sous le titre Les brahmes tombent que Pierre Dac n’aurait pas renié : ” N. Claus de Siam a vu, dans ses voyages pour la publication des écrits de l’illustre Fer-Fer-Tam-Tam, dans le grand temple de Bénarès, au-dessous du dôme qui marque le centre du monde, trois aiguilles de diamant, plantées dans une dalle d’airain, hautes d’une coudée et grosses comme le corps d’une abeille. Sur une de ces aiguilles, Dieu enfila au commencement des siècles, 64 disques d’or pur, le plus large reposant sur l’airain, et les autres, de plus en plus étroits, superposés jusqu’au sommet. C’est la tour sacrée du Brahmâ. Nuit et jour, les prêtres se succèdent sur les marches de l’autel, occupés à transporter la tour de la première aiguille sur la troisième, sans s’écarter des règles fixes que nous venons d’indiquer, et qui ont été imposées par Brahma. Quand tout sera fini, la tour et les brahmes tomberont, et ce sera la fin des mondes ! “
Les tours de Hanoï suivent une loi mathématique bien précise. En fonction du nombre “n” de disques présents au début du jeu, celui-ci pourra être résolu en un nombre minimum de coups égal à 2n-1. Si, comme dans le film, on compte 4 rondelles, la tour peut être transférée en 2x2x2x2-1 coups, soit 15 mouvements. Si, comme sur la photo ci-dessus, on part avec 8 disques, il faut au minimum 2x2x2x2x2x2x2x2-1 coups, soit 255 mouvements, pour y parvenir. Si, comme dans la présentation de Lucas, il y a 64 disques, la résolution du jeu nécessitera quelque 18,4 milliards de milliards de coups. A supposer que l’on puisse jouer 1 coup par seconde, ce qui est très rapide, et que l’on ne se trompe jamais, il faudra presque 585 milliards d’années pour en venir à bout…
Dans le film, un des singes mutants réussit à résoudre les tours de Hanoï à quatre disques dans le minimum de coups requis, soit 15. C’est donc grâce à ce seul et maigre indice que vous allez pouvoir vous comparer à César et à ses collègues (étant donné que vous savez faire tout le reste, y compris tataner un peloton de policiers). Testez-vous ici. J’imagine que les singes, une fois le film terminé, ont eu le loisir de s’entraîner avec davantage de rondelles. Sur le site que j’ai mis en lien ci-dessus, vous pouvez relever le défi en allant jusqu’à huit, ce qui nécessite un peu de concentration pour obtenir le résultat parfait (César, si tu me lis, envoie-moi un e-mail pour me dire quel score tu as réussi) :
En réalité, résoudre les tours de Hanoï, exceller au jeu d’échecs, avoir un quotient intellectuel élevé, ne sont pas à coup sûr le gage d’une grande intelligence, car tout dépend de ce que l’on met derrière ce mot. Pour avoir couvert pendant quinze ans l’actualité internationale du jeu d’échecs pour Le Monde et côtoyé nombre de champions de ce noble jeu, je peux vous assurer que certains et non des moindres, à l’image du Mirko Czentovic inventé par Stefan Zweig dans son merveilleux roman Le joueur d’échecs
, sont de parfaits rustauds, dénués de toute finesse dès qu’ils sortent de leur sport. La notion d’intelligence est aussi vaste que floue et vouloir comparer l’intelligence d’untel avec celle de machin un exercice bien délicat, qui donnera des résultats très différents si les critères que l’on retient sont la logique ou l’ouverture au monde. De ce point de vue, la leçon que, malgré ses incohérences, le film veut nous donner est la suivante : les singes mettent leurs cellules grises en action non pas dans le but de gagner assez d’argent afin de s’offrir le
smartphone le plus à la mode ou le dernier disque de Larusso, mais pour reprendre leur liberté. Et échapper à leur condition humaine.
Pierre Barthélémy
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“A supposer que l’on puisse jouer 1 coup par seconde, ce qui est très rapide, et que l’on ne se trompe jamais, il faudra presque 585 milliards d’années pour en venir à bout…”
Jolie erreur d’un facteur 1.000.000.000…
Il ne faut pourtant pas etre grand mathematicien pour deviner que 18 milliards de seconde ne peuvent pas faire 585 milliards d’annees mais “simplement” 585 annees…
PS: pardonnez le manque d’accents, mais j’ecris depuis Saigon, non loin d’Hanoi!
@Benoît : je vous propose une visite chez l’ophtalmo ou un retour sur les bancs de l’école : j’ai écrit “18,4 milliards de milliards de coups”, ce qui équivaut bien à 585 milliards d’années à raison d’un coup par seconde. Ce serait vraiment sympa de bien lire ce que j’écris avant de dénoncer des erreurs fictives !
dans intelligence il y a “lire” .La vrai intelligence consiste a lire une situation… avec ce qu’elle comporte d’implications selon les différents points-de-vue des observateurs. Les joueurs d’échecs cités ont la puissance de calcul de gros ordinateurs mais cela avance peu si on a pas une base de donnée .
J’ai résolu définitivement le pb dit des “Tours de Hanoï” en démontrant mathématiquement qu’il n’était nule besoin d’en passer par la récursivité pour le résoudre. La référence est:
“Une procédure purement itérative pour le problème des tours de Hanoî}, Revue Roumaine de mathématiques pures et appliquées, n°6, 1985”
La faute de frappe est en prime…
J-C Fournier a montré de façon convaincante dans sa discussion sur le problème des tours de Hanoï que la nature de la suite est fondamentalement récursive. Par ailleurs, Ivan, votre manque total d’humilité ferait raisonnablement douter n’importe quel mathématicien de la qualité de vos travaux.
Belle idée que de proposer de jolies digressions scientifiques et didactiques ‘à la Montaigne’ à partir d’une séance ciné. Lorsque je suis sorti du cinéma, après avoir vu le film (que j’ai apprécié), je n’ai pas du tout pensé à tout ça, ce qui fait qu’il est bel et bon que vous soyez le rédacteur de cet article et moi son heureux lecteur. Bon, je me retrouve maintenant à jouer aux tours de Hanoi au lieu de travailler – c’est malin, M. Barthélémy :o) ! – mais ce n’est pas grave…
Sur le sujet de l’intelligence, le linguiste que je suis ne peut toutefois que regretter le lien qui est fait dans le film – même si je suis bien conscient qu’il s’agit avant tout d’un divertissement – entre intelligence et langage articulé, les premiers mots prononcés par César correspondant très clairement, dans le film, à une forme d’accomplissement. D’une part, notons que le langage articulé n’est physiologiquement parlant pas accessible à un chimpanzé, aussi intelligent qu’il puisse ou pourra – soyons fous – être (je sais que vous n’appréciez pas les déclarations péremptoires sans références, mais je n’ai pas les moyens et le courage de chercher à cette heure, désolé – je suis toutefois à peu près certain que cela a été notamment démontré par le phonéticien Louis-Jean Boë et ses collègues Grenoblois). Surtout, cela m’embête car cela donne l’impression que les langues articulées nécessitent ou traduisent un degré d’intelligence supérieur à celui que requiert l’utilisation d’une langue signée (et les dangers que de telles impressions peuvent entraîner sur la perception que l’on peut avoir de l’intelligence des sourds). Enfin, c’est peut-être moi qui cherche la petite bête (déformation professionnelle), hein :oP !?
A ce sujet, je vous suggère de préférer l’expression ‘langue des signes’ à ‘langage des signes’. ‘Langage des signes’ est en général un anglicisme lié au fait que les mots ‘langue’ et ‘langage’ correspondent tous deux au mot anglais ‘language’. Votre formation fait que vous savez ce qu’est un ‘langage’ (au sens de ‘code’, pour parler grossièrement, et non de capacité), et vous comprenez j’en suis sûr à quel point cela diffère d’une langue.
Les essais d’apprentissage d’une langue signée (généralement, l’American Sign Language) à des singes, comme on peut le voir dans le film, sont passionnants, et ont donné lieu à des controverses scientifiques fascinantes, depuis Goa, femelle chimpanzé élevée dans les années 30 par les époux Kellog, jusqu’à l’échec Nim Chimpsky, en passant par la célèbre Washoe. De la matière pour un futur billet, peut-être :o) ?
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J’ai vu le film dès sa sortie, et le sujet central qui y est d’après moi traité, ce n’est pas la science, qui n’en constitue que le prétexte, comme ça arrive souvent avec ce que nous propose l’industrie américaine du cinéma avec ses explosions d’hélicoptères et de bidons d’essence et ses mises en flamme de l’écran par le rouge orangé si prisé des enfants.
Ce film, c’est une nouvelle version de la révolte des esclaves du temps de Spartacus… Et c’est un navet hollywodien (pléonasme) de plus.
Ce qui n’empêchera évidemment personne de s’en servir comme le prétexte d’un développement scientifique…
Et de nous interroger sur la nature de l’intelligence, sur les possibilités de créer ou d’accélérer une séparation d’espèce, sous-entendue de l’humain, et sur les avantages et les inconvénients, sinon les dangers d’un hypothétique changement de cet ordre. L’humain, il a mis au jour l’évolution et la sélection naturelle. Il sait maintenant comment ça se passe et comment intervenir sur son génome. Ne lui viendra-t-il pas un jour l’envie de créer une espèces sur-humaine ? Et si ça lui prenait, n’y réussirait-il pas ? C’est le vertige Pascalien ou presque…
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Or des considérations mises de l’avant ici, ce qui est intéressant, avec ce film, sur le plan de la science, ou plutôt de la technique, et de l’art, ce sont les capacités informatiques qui permettent de rendre des sentiments humains avec une « vérité » époustouflante. Le spectateurs est littéralement berné par les ordinateurs. Il a la nette impression d’avoir affaire à des créatures aussi sensibles, aussi expressives, aussi émotives que ce que peuvent rendre des acteurs professionnels en chair et en os.
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@Enpassant : on peut aussi le voir comme un remake de l’Evadé d’Alcatraz, qui se déroule quasiment au même endroit..
@Dubitatif : la correction est faite. Et oui, vous avez raison quant à l’impossibilité physique qu’ont les chimpanzés à articuler comme nous.
Réponse à Julien J’ai donné la référence bibliographique, il suffit d’aller voir, ceci dit, je tiens l’article à disposition de qui le veut, il a été validé par la communauté scientifique, je suis moi-même chercheur en algorithmique et mon article a suivi le parcours normal de vérification. Je proclame Haut et Fort ici et ailleurs que le problème des tours de Hanoï N’EST PAS DE NATURE RECURSIVE et peut être ramené à un problème d’arithmétique élémentaire. J’ai obtenu ce résultat en 1982 à … Hanoï précisément. Je connais bien personnellement J.C. Fournier, ayant été moi-même enseignant à PXII, et il me reconnaîtra à travers ce billet, il sait comment me toucher éventuellement.
@Benoît : présenter des excuses, ce serait même bien, aussi.
@julien Pour aller vite, solution du problème: On numérote les tours par 0,1,2, les disques par 1,2,3,….
Je crée le “chiffre d’un coup” qui est la somme des n° des tours mises en jeu à chaque coup. Le jeu des tours de Hanoï est alors caractérisé par la chaîne des chiffres des coups 123123123123… . Ce qui signifie qu’à la 7395 ème itération par exemple, le coup est de chiffre 3 (7395 modulo 3) en prenant 3 quand le modulo est zéro. C’est-à-dire ici que le mouvement met en jeu les tours numérotées 1 et 2. Comme on déplace le plus petit disque au sommet des deux tours, le” tour” est joué sans qu’on ait utilisé la récursivité ni itéré tous les coups précédents. Dans l’article, j’en dis un peu plus, y compris qu’on peut calculer facilement le numéro du disque déplacé en partant du codage binaire du coup joué.
J’ai vu le film hier. Coté sciences, c’est un franc zéro pointé. Pour ce qui ne relève pas du pur fantasme, les auteurs semblent s’être bornés à la vision de 1963…
Le pire est que ce n’est pas mieux coté scénario, personnages et action. Le néant. Un vrai navet, pire que 2012 qui lui au moins, m’avait fait rigoler (Ah, les neutrinos à effet micro-onde sur le noyau terrestre ! Et la course poursuite avec la croute terrestre en fusion !)
Une vraie perte d’argent…
[…] about Qui Tam Action issue #1 August 18th, 2011 | Author: Fight for Right Planète des singes : êtes-vous aussi intelligent(e) qu'eux ? – Slate.fr – blog.slate.fr 08/18/2011 Slate.frPlanète des singes : êtes-vous aussi intelligent(e) […]
Oups… Desole!
(@Pili, merci pour les lecons de politesse, mais ce n’est pas parce que je ne reagis pas en 5 minutes que je n’admets pas mes erreurs!)
Ce qu’il y a d’incroyable c’est à quel point nous avons oublié les “questions” posées par le film de Schafner alors que nous sommes censés nous en poser tant avec cette version…
Je sais que ça n’est pas le sujet central de l’article, mais je tenais à signaler que l’augmentation des capacités cognitives (de la mémoire, plus exactement) par thérapie génique n’est plus de la science fiction depuis 2 ans déjà : http://news.nationalgeographic.com/news/2009/11/091112-smartest-rat-memory.html 😉
Il y a quand même un gros point qui rend le thème de ce film complètement invraisemblable, qui est un sujet scientifique et écologique très grave : même beaucoup plus intelligents et plus fort que nous, les chimpanzés ne peuvent pas créer d’armée pour prendre le pouvoir car il sont en danger d’extinction. Leur population mondiale est estimée à environ 150.000 individus, essentiellement en Afrique centrale. Ça fait 1 chimpanzé contre 50.000 homos sapiens sur Terre…
@David : c’est bien pour cette raison que le scénario invente ce virus qui va tuer la plus grande partie de la population humaine…
“De ce point de vue, la leçon que, malgré ses incohérences, le film veut nous donner est la suivante : les singes mettent leurs cellules grises en action non pas dans le but de gagner assez d’argent afin de s’offrir le smartphone le plus à la mode ou le dernier disque de Larusso, mais pour reprendre leur liberté. Et échapper à leur condition humaine.”
Comme quoi une même œuvre peut donner bien des interprétations. Pour moi les singes du film mettent plutôt leur “intelligence” à chercher des conditions plus “humaines” pour ainsi dire. Puisque ils ne font ni plus ni moins que s’échapper d’une “prison” où, en plus du manque de liberté, ils subissaient la cruauté du gardien. J’y ai pour ma part plus vue une incitation à la réflexion du réel bien fondé des prisons, camisoles chimiques et autres mises sous tutelles “forcées” de certaines personnes âgée en guise de morale.