Ainsi fond, fond, fond la banquise

La question risque de devenir un des leitmotive des étés à venir. Non pas le traditionnel “Y aura-t-il de la neige à Noël ?” mais bien “Y aura-t-il de la banquise en septembre ?” Septembre, c’est la fin de l’été et le moment de l’année où la glace de mer, dans l’Arctique, atteint son minimum d’extension, recouvre le moins de surface. Et, depuis quelques années, des climatologues scrutent attentivement, via des satellites, la fonte de la banquise, notamment depuis cette année 2007 où le minimum a battu tous les précédents records : avec 4,8 millions de kilomètres carrés, le cru 2007 a pulvérisé le minimum de 5,57 millions de km2 établi seulement deux ans auparavant, en 2005. La moyenne de référence, établie sur les mois de septembre des années 1979-2000, est de 7 millions de km2. Et pour ce qui est de 2011, la courbe de fonte est depuis la mi-mai inférieure ou égale à celle de 2007, comme on peut le voir ci-dessous.

Au cours des deux premières semaines du mois de juillet, la fonte s’est avérée particulièrement rapide avec une perte, en moyenne, de 124 000 kilomètres carrés par jour, soit quasiment la surface d’un pays comme la Grèce. Au-dessus du pôle Nord, la température était en moyenne de 6 à 8°C plus haute qu’à l’ordinaire. Cela ne signifie pas pour autant que le record de 2007 sera battu. Seize groupes de chercheurs ont fourni leurs prévisions pour le mois de septembre et seulement trois d’entre eux estiment que le record tombera. Les chiffres avancés vont entre 4 et 5,5 millions de kilomètres carrés. La glace de mer ne fait pas que se réduire en superficie : les données enregistrées par des sous-marins militaires pendant quarante ans ont montré que, pendant la décennie 1990, le “pack” avait perdu 40 % de son épaisseur par rapport aux années 1958-1976.

Certains considèrent que la fonte de la banquise arctique comporte bien des avantages, en libérant les côtes des glaces, voire en ouvrant les passages maritimes le long des côtes nord du Canada (passage du Nord-Ouest) ou de celles de la Sibérie (passage du Nord-Est) et en facilitant, à terme, la future exploitation des gisements de pétrole arctiques… Ce faisant, ils oublient deux choses. La première est que des espèces animales, comme les phoques ou les ours polaires, doivent leur survie à la banquise et qu’il est peu probable qu’ils aient le temps de s’adapter à sa diminution rapide. Mais après tout, on peut les sacrifier sur l’autel du développement économique de la région… Le second élément est un peu plus problématique : l’Arctique est une sorte de régulateur climatique et le déséquilibrer, par la disparition progressive de la banquise, enclenche une série de cercles vicieux. La glace, blanche, se comporte comme un miroir vis-à-vis des rayons du Soleil et en reflète environ 80 %. Dès que la glace disparaît, c’est l’océan sombre que les rayons du Soleil touchent et 90 % d’entre eux sont absorbés par l’eau, qui se réchauffe, fait fondre plus de glace, etc. L’océan étant plus chaud, l'”été” arctique est de plus en plus long et les nouvelles glaces se forment en moyenne un peu plus tard dans la saison.

Mais ce n’est pas tout. L’Arctique constitue un acteur majeur du climat, en étant un des moteurs de la circulation océanique. Les grands courants mondiaux sont entretenus par les différences de température et de salinité de l’eau. Ainsi, l’Arctique refroidit les eaux chaudes du Gulf Stream, qui donnent à l’ouest de l’Europe son climat tempéré, et les renvoie le long de la côte est américaine, avec quelques degrés en moins. En jouant à la fois sur la température et la salinité de l’eau de mer, la fonte de la glace risque d’enrayer le moteur de la circulation thermohaline. Autres effets indésirables : les répercussions sur les terres voisines, et notamment sur le Groenland, qui supporte une calotte glaciaire dont la disparition provoquerait une hausse de plusieurs mètres du niveau des océans. Puisque l’Arctique est la région du monde la plus sensible au réchauffement climatique qui y connaît un effet d’amplification, on peut également citer la possibilité que les sols gelés du Grand Nord canadien et de la toundra sibérienne se réchauffent, libérant le dioxyde de carbone et le méthane, deux gaz à effet de serre, qu’ils retiennent prisonniers. Dernier risque que je citerai, la déstabilisation de l’énorme réservoir de méthane que sont les clathrates, de fines cages de glace contenant du méthane, qui reposent en grande quantité au fond de l’océan glacial Arctique…

La fonte de la banquise n’est donc pas une simple lubie de climatologues. C’est un risque avéré d’emballement du réchauffement climatique. Il y a un an, face à une vague de phénomènes météorologiques extrêmes, je mettais les pieds dans le plat en disant que, même si les chercheurs restaient encore très (trop ?) prudents pour mettre un nom sur les choses, on commençait à voir le vrai visage du réchauffement. Je pourrais probablement réécrire l’article en mettant, à la place de la canicule russe, la vague de chaleur intense que connaissent les Etats-Unis. Sur la carte ci-dessous, chaque point rouge figure un record de chaleur battu ou égalé dans ce pays depuis le début du mois de juillet.

Voilà. Cette carte ainsi que le graphique que j’ai inséré au début de ce billet donnent un visage à ce que seront probablement la plupart de nos futurs étés. Certes, en France, nous avons eu un mois de juillet pourri. Mais il serait peut-être temps de voir les choses de manière un peu plus globale. De la même manière, la fonte de la banquise arctique n’est pas qu’une histoire d’ours polaires, cela concerne le climat de la planète tout entière.

Pierre Barthélémy

 

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